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Géographie Économie Société : Article pp.133-141 du Vol.16 n°1 (2014)

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géographie économie société géographie économie société

Géographie, Économie, Société 16 (2014) 133-141

Comptes Rendus

Éric Charmes, 2011, La ville émiettée, essai sur la clubbisation de la vie urbaine, Paris, PUF, Coll. « La ville en débat », 288 p.

L’ouvrage d’Éric Charmes propose, à travers une lecture politique et sociologique des petites communes périurbaines, une réflexion sur les mutations engendrées par un nou- veau rapport aux lieux de résidence. Pourquoi s’intéresse-t-il d’abord aux espaces périur- bains ? Parce qu’il y décèle de manière plus nette que dans d’autres territoires l’émer- gence d’une forme de « clubbisation » de la vie urbaine.

La première partie de l’ouvrage s’attache à définir le périurbain. L’auteur décrit, de manière très claire, les enjeux de la définition statistique du périurbain proposée par l’INSEE depuis la fin des années 1990. Regroupant plus de 15 000 communes et 12 millions d’habitants, ces espaces d’« urbanisation émiettée » font l’objet d’un triple émiettement politique, social et paysager. Émiettement paysager tout d’abord, car 80 % de l’espace y est occupé par des fonctions agricoles ou naturelles. Ainsi, comme le rappelle l’auteur, on ne peut pas décrire cette forme d’urbanisation sous le vocable d’« étalement », comme si la ville s’épandait depuis un centre, mais d’émiettement, parce que la croissance urbaine se greffe sur une multitude de villages et bourgs préexistants. C’est une croissance urbaine à saute- mouton (ou saute-grenouilles pour traduire littéralement l’expression de leap-frog devel- opment que l’auteur nous rapporte des États-Unis). Émiettement social ensuite, parce que le périurbain est un espace de forts contrastes sociaux, à l’intérieur des communes, notamment les bourgs, mais surtout entre communes. L’auteur propose une comparaison de la dynamique sur quatre décennies de deux communes voisines de Seine-et-Marne d’environ 1 000 habitants : elle montre cet « effet boule de neige » de la spécialisation sociale, au départ presque imperceptible, aujourd’hui majeure. Enfin, l’émiettement est politique, puisque chaque « miette » périurbaine est également une commune, donc une entité politique. L’auteur donne à voir la variété des espaces périurbains et des trajectoires communales. Dans cette variété, il s’intéresse surtout aux petites communes, celles qui comprennent moins de 2 000 habitants.

Il s’intéresse d’abord à ces communes, puisque c’est dans celles-ci qu’il observe princi- palement des formes d’« exclusivisme social ». Si en France, la forme des gated communi- ties existe de manière atténuée et relativement mineure, l’auteur décèle de nombreuses pra- tiques visant à préserver l’homogénéité sociale des communes. Les règlements d’urbanisme sont ici utilisés pour garantir des tailles minimales de terrain, des choix architecturaux, bref, des prix et donc des profils sociaux d’acquéreurs. L’école est l’objet des attentions les plus

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vives. La sectorisation pour les collèges est un enjeu majeur pour les habitants des com- munes périurbaines. La décentralisation depuis l’inspection académique vers les Conseils Généraux de la compétence d’élaborer ces cartes permet une attention plus fine aux attentes du local, souvent contre la mixité sociale, mais non toujours. Pour caractériser ces pratiques de sélectivité sociale, l’auteur utilise la notion de club.

Qu’est qu’un club ? Éric Charmes propose ici une lecture différente de celle utilisée par les économistes. Dans les années 1960, James Buchanan élabore une théorie des clubs. Il montre que, pour certains biens, la question centrale est celle de la détermination du membre marginal, c’est-à-dire la taille du club permettant le meilleur arbitrage entre le coût à sup- porter et le nombre de personnes avec qui partager. D’une certaine manière, les habitants des petites communes périurbaines gèrent leurs municipalités comme des « clubs » : par la maîtrise des flux migratoires qui garantissent l’usage souhaité des prérogatives commu- nales. L’auteur s’écarte ensuite de la définition des économistes de la notion de club, pour établir une nouvelle typologie des biens, en distinguant les cas où les biens sont premiers et les cas où le groupe est premier. La question qui se pose alors n’est plus de savoir si l’exclu- sion est possible ou non, mais de savoir si le groupe des usagers est à déterminer ou s’il est déjà déterminé. Dans le premier cas, la capacité à exclure et à disposer de la jouissance exclusive d’un bien est un élément central, dans le second cas, le problème n’est plus de savoir si l’exclusion est difficile ou impossible, car cette question est sans objet, la commu- nauté est une donnée. Cette distinction permet à l’auteur de dresser une comparaison entre la communauté villageoise et le club périurbain. Dans le village, la communauté est « déjà là », tout l’enjeu politique réside dans la régulation de l’accès aux biens collectifs. Dans le club périurbain, les résidents choisissent une résidence dans un marché d’environnements résidentiels. Cette distinction entre « clubs périurbains » et « communautés villageoises » fournit un très intéressant dernier chapitre à l’ouvrage.

La « clubbisation » des communes périurbaines conduit-elle à la dépolitisation ? L’auteur nous montre que non, puisque les communes sont insérées dans une multitude de structures intercommunales, qui permet le dialogue territorial, et souvent, la défense des caractéris- tiques du « club » par des formes de transactions territoriales avec les autres communes.

La thèse de la « clubbisation » de la vie urbaine repose donc sur une hypothèse très forte concernant le rapport aux espaces résidentiels. En effet, selon l’auteur « tout indique que cet attachement est devenu faible et que la valeur existentielle du rapport à l’environnement résidentiel a changé […] la culture de la mobilité mine le rapport politique à l’espace de résidence au profit de l’affirmation d’un rapport fondé sur la sat- isfaction : on n’habite plus un endroit où on est né, mais un endroit que l’on a choisi. Le rapport à l’environnement qui en résulte se rapproche de la sphère économique » (p. 87).

C’est ce rapport marchand à l’environnement résidentiel qui s’exprime ensuite, dans la sphère politique locale, notamment au sein des conseils municipaux, par la défense de cet « achat » d’environnement résidentiel. L’auteur expose donc logiquement dans la conclusion que les formes de « clubbisation » existent dans tous les types d’espace urbain, mais selon des formes moins « pures » ou plus difficilement décelables. Cette thèse d’un changement de nature des formes de vie politique locale liée à la montée en puissance d’une logique marchande dans les dynamiques résidentielles est particulière- ment riche. On peut regretter que, dans l’ouvrage, l’auteur ne donne que des informations trop rapides sur le rapport marchand à l’environnement résidentiel. Quelques entretiens

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sont cités, mais rapidement, et la bibliographie sur ce point aurait pu être plus ample, notamment parce que cette idée d’un rapport utilitariste à l’environnement résidentiel est une question controversée : pensons par exemple aux travaux de C. Imbert sur les formes d’attachement résidentiel dans les villes nouvelles. C’est en s’appuyant sur cette analyse d’un rapport utilitariste à la résidence que l’auteur fonde sa vision politique du périurbain.

Avec ce livre sur le périurbain, c’est à une interrogation renouvelée sur les liens entre les formes de vie politique locale et les modes d’habiter qu’invite l’auteur : c’est, assuré- ment, l’ouverture d’un vaste et beau chantier !

Xavier Desjardins Université Paris 1 Panthéon – Sorbonne, UMR Géographie - Cités

© 2014 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

Laurent Carroué, 2013, La France : Les mutations des systèmes productifs, Armand Colin, Collection U-Géographie, Paris, 235 p.

En 4e de couverture, on présente cet ouvrage comme un outil indispensable pour com- prendre les mutations sociétales, économiques et territoriales qui caractérisent le territoire français d’aujourd’hui. L’allusion à l’indispensabilité n’est pas vraiment exagérée pour autant que l’on se place dans les souliers du chercheur désireux de connaître dans le menu détail les profonds changements qui ont marqué l’espace économique de l’Hexagone depuis les années 1980. Ce n’est rien de moins qu’un travail de bénédictin que le lecteur se voit ici offrir par L. Carroué, professeur des universités et directeur de recherche à l’Ins- titut français de géopolitique de Paris VIII. Celui qui est aussi présenté comme expert du Groupe d’analyse de la mondialisation du Centre d’analyse stratégique, contrairement à beaucoup d’autres, ne fait pas preuve d’une propension à l’auto-citation. En effet, ce n’est que dans une bibliographie générale que l’on peut voir qu’il est l’auteur, chez le même éditeur, de Géographie de la mondialisation (2007) et co-auteur, plus récemment, de La mondialisation contemporaine. Rapport de forces et enjeux (Bréal, 2013). L’abondante information, présentée en cinq chapitres, s’accompagne de pas moins de 23 figures qui rappellent, couleurs en moins, le défunt Territoires 2030 du temps où la DATAR por- tait provisoirement l’étiquette de DIACT et que l’on retrouve plus modestement sous la forme de Territoires en mouvement. À ceci s’ajoutent 64 tableaux et un grand nombre de vignettes, ou encadrés, dont la pédagogie fait penser aux exposés aussi succincts que précis de François Lenglet interrogé par Claude Pujadas au 20 heures de France 2.

En introduction, l’auteur présente le système productif comme étant l’ensemble des facteurs et des acteurs concourant à la production, à la circulation et à la consommation de richesses. Admettons que la Mère Denis, cette brave paysanne bretonne qui s’est fait connaître dans les années 1970 par la promotion d’une lessive, en aurait dit autant. Que l’on se rassure, les choses ne vont pas tarder à se complexifier en tenant pour acquis que la crise française ne serait pas une crise de l’« industrie », mais une crise de la sphère de production concrète. J’aurais préféré que l’auteur parle de mutation et non de crise, car une crise ne s’étend pas sur 30 ans. On s’en sort tôt ou tard pour retomber sur ses jambes.

Or, avec ce que nous offre en pâture l’auteur, on se demande sur quelles jambes la France va retomber un jour…

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Dans un 1er chapitre consacré aux enjeux épistémologiques méthodologiques et concep- tuels, les travaux de L. Davezies méritent une mention toute particulière avec la distinc- tion entre l’économie productive et l’économie résidentielle, cette dernière étant celle qui capte la richesse. C’est ce qui ouvre la porte à une première figure montrant comment se répartissent les revenus d’activité sur l’ensemble du territoire national. J’apprendrais que le découpage en 22 régions ne remonte pas au temps de l’adoption des deux lois Defferre, mais daterait d’aussi loin que juin 1955. Un découpage en remis question aujourd’hui.

Le 2e chapitre, Les mutations du système productif : cadrage général, parsemé de tableaux remplis de données tirées de l’INSEE 2013, contient un encadré familier à tout observateur des aléas de la zone euro. À sa lecture on risque de plonger dans la nostalgie de cette France maîtresse de sa monnaie. Qu’elle semble loin cette époque où on croyait régler tout problème par une dévaluation du franc. Pour répondre aux défis d’avenir, l’au- teur avance quatre solutions sans préciser si elles sont de son cru. On sent ici une odeur de « Il n’y a qu’à » ou de « Faut qu’on ». Facile d’écrire qu’il faille remettre le système bancaire et financier à la place qu’il occupait jadis, ou encore que l’on n’a qu’à réhabiliter les fonctions de pilotage d’un État stratège qui saurait définir les politiques industrielles scientifiques et autres. Enfin, il ne suffirait qu’à refonder le pacte communautaire (par un nouveau référendum peut-être ?) autour d’un nouveau projet européen. Rien de moins.

Le 3e chapitre Système urbain et systèmes (s) productif (s) traite de la « France des villes » en présentant la douce France comme étant essentiellement urbaine : « Aux villes citoyens ! Formez vos quartiers » est-on incité à chanter à la lecture de données diffi- cilement contestables. En 2010, 61 millions d’Hexagonaux vivaient en ville ou… sous influence urbaine où se retrouvent 84,5 % des emplois contre 77 % en 1999. Comment croire alors que 15 % de la population vit dans des communes de moins de 1 000 habi- tants et que la même proportion vit dans des communes de plus de 100 000 habitants ? Comment croire que deux communes sur trois depuis 1975 ont gagné des habitants et qu’une sur dix a vu sa population doubler ?1 Oui, on l’aura compris, tout est fonction de définitions. C’est la faute, non pas à Voltaire ou à Rousseau, mais à Paris si l’urbanisa- tion présente une telle importance. En 30 ans, l’Île-de-France polarise 43 % des créa- tions d’emplois et conserve son poids relatif autour de 45 % de l’ensemble national. Ceci étant, Paris n’est pas France. L’auteur en veut pour preuve différentes villes d’importance moyenne, dont Lille, caractérisée par une aire métropolitaine qui a su capter ces dernières années près de la moitié des emplois régionaux.

Le 4e chapitre Les mutations de la sphère productive débute par un tableau montrant l’évo- lution des emplois de ladite sphère de 1982 à 2009. Oui, l’agriculture a perdu durant cette période 58,2 % de ses effectifs. Pour sa part, le commerce interentreprises a vu son nombre d’emplois croître de 64,7 %. C’est dans ce chapitre que l’auteur a jugé pertinent de faire un encadré sur les pôles de compétitivité dont on parle moins depuis le tournant des années 2010. L’auteur signale que beaucoup des 71 pôles retenus ne sont pas… des pôles comme la Comestic Valley (sic : que Molière ne retourne pas dans sa tombe) autour de Chartres qui regroupe 122 entreprises réparties dans diverses régions. Une autre vignette non moins intéressante traite de la crise du modèle agro-industriel breton. Oui, elle fait comprendre ce

1 Les campagnes sont-elles si désertes ? Paris Match, du 23 au 29 janvier 2014. Article tiré de données de…

l’INSEE.

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qui donnera lieu à l’automne 2013 au phénomène des bonnets rouges. Pauvre Bretagne, si tout n’était pas rose au temps des « pêcheurs d’Islande » de Pierre Loti, son avenir soulève des doutes sérieux, ce qui conduit l’auteur à un nouveau « Ya qu’a » : il lui faut définir un nouveau projet de développement économique régional en trouvant de nouveaux équilibres entre agriculture, alimentation et territoire. Comme autre encadré, parmi les plus intéressants, notons une question capitale sans jeu de mots : La France : un capitalisme sans capital et sans capitalistes ? La France souffrirait d’une pénurie d’investisseurs à long terme… Who cares ? puisque Keynes disait qu’à long terme nous sommes tous morts. Demeurons sérieux avec les dernières lignes de cette vignette où l’auteur déplore une absence de volonté poli- tique, une incompréhension des bouleversements géo-économiques et géopolitiques et les paralysies d’un système communautaire européen qui serait à la dérive.

Quand ça va mal, ça va mal ! Alors, pourquoi ne pas poursuivre le chapitre par une section sur l’entrée en crise d’un pilier de l’industrie française : l’industrie automobile.

Inutile d’insister. Mais, ne plongeons pas dans la sinistrose, un mal dont l’auteur n’est heureusement pas atteint. J’en veux pour preuve, en fin de chapitre, une section qui se veut plus optimiste portant sur les activités d’intermédiation et de circulation de la sphère productive vues comme étant un secteur très dynamique au sein duquel ne se retrouve pas moins du quart de l’emploi national. La dernière décennie a vu l’emploi progresser de 46 % dans l’informatique, de 33 % dans la programmation audiovisuelle et de 31 % dans les activités juridiques et comptables. De l’espoir pour la Bretagne ? N’anticipons pas.

Le dernier chapitre, La reproduction sociale et l’économie résidentielle, permet de retrouver L. Davezies que l’auteur a délaissé depuis le 1er chapitre. C’est l’occasion d’évo- quer la sphère de la reproduction sociale dite aussi « sphère présentielle » qui regroupe comme revenus et source de richesses les salaires venant du secteur public, les retraites, les prestations sociales, les revenus des intermittents comme les touristes et personnes ayant des résidences secondaires.

Un livre à consulter comme on le fait ou faisait (avant Google) pour une encyclopédie : au besoin.

André Joyal Université du Québec à Trois-Rivières

© 2014 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

André Torre et Jean-Eudes Beuret, 2012, Proximités territoriales, Éditions Economica Anthropos, Paris, 105 pages2.

Si les analyses en termes de proximités géographique et organisée peuvent être connues des chercheurs s’intéressant au développement territorial, l’ouvrage dont il est question ici propose une synthèse intéressante de ces travaux dans le cadre de la dyna- mique de recomposition des territoires, autour de problématiques liées à l’agriculture et à l’environnement. Ces nouvelles propositions sont d’ailleurs sans aucun doute applicables également à des projets de développement dans d’autres domaines.

2 La revue a déjà publié une recension de cet ouvrage dans le 2012/2. Celle-ci s’avérant fort différente, nous avons décidé de la publier également.

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L’ouvrage est constitué de six chapitres complémentaires. Après avoir défini diffé- rentes notions dans les deux premiers chapitres, les quatre chapitres suivants s’emploient à détailler de façon fine les mécanismes en jeu dans les dynamiques territoriales.

Le premier chapitre présente comme il se doit la notion de Proximité au sens pluriel du terme : la Proximité Géographique, la Proximité Organisée mais également la Proximité Territoriale. C’est bien cette dernière proximité qui permet de prendre en compte l’arti- culation et la combinaison des deux premiers types de proximités sur un territoire. Le second chapitre développe justement la manière dont s›opère le jeu des proximités. Elles peuvent s’avérer liées et complémentaires mais entretiennent quelquefois des relations plus complexes lorsque la proximité géographique n’est plus recherchée mais subie. Dans tous les cas, les territoires sont en construction et recomposition permanentes sous le jeu des proximités et la question de la gouvernance et du pilotage des territoires est alors à relier à celle des Proximités. À l’heure du développement de politiques et d’outils de démocratie participative, la gestion de projets de développement sur les territoires suscite les réactions et prises de position de groupes d’acteurs, parties prenantes de ces projets et porteurs d’intérêts diversifiés. La gouvernance ne se limite pas dans ces conditions à une vision idyllique des relations et coordinations, mais comme le précisent les auteurs, à une interaction entre des forces poussant à la coopération et d’autres forces, qui poussent au conflit. Le conflit s’avère être une dimension essentielle dans les processus d’aménage- ment et de gouvernance territoriales.

En réalité, trois modalités d’évolution des Proximités, à l’œuvre dans la dynamique des territoires, sont étudiées : l’ajustement conventionnel dans le troisième chapitre, la concer- tation dans le quatrième et les processus conflictuels dans le cinquième. Si l’importance des conventions n’est plus à démontrer comme supports des coordinations, elles n’évoluent que très lentement, ce qui peut amener certains acteurs à choisir d’autres voies : soit accepter les décisions prises par loyauté, soit l’exit ou la délocalisation des acteurs, soit enfin la prise de parole (voice) qui va consister à s’opposer à la décision et à contester en prenant la parole.

C’est la voie du conflit mais aussi de la concertation. Ces deux processus sont en effet intrinsèquement liés car du conflit peut émerger de la concertation et vice versa. La pers- pective adoptée des processus de concertation mêlant coopération, construction collective et traduction est séduisante et il pourrait être intéressant de se référer aux travaux de Callon et d’autres sociologues de la traduction, d’autant que les auteurs mentionnent également à plusieurs reprises les controverses qui traversent ces processus.

En réalité, c’est bien sur les conflits, et plus spécifiquement les conflits d’usage de l’es- pace, que les auteurs insistent particulièrement en montrant même leurs bienfaits. En effet,

« ils constituent un rempart contre l’atonie sociale et protègent, par leur expression, du danger d’explosions plus profondes ou de fuite vers des territoires jugés plus accueillants » (p. 65). Si certaines situations sont favorables à la coopération, d’autres ne le sont pas et les processus de résolution de conflits constituent quelquefois des opportunités (nécessaires) de changements plus radicaux. L’agent de développement territorial, le médiateur ou traduc- teur, à qui est destiné en particulier cet ouvrage, aurait aimé sans doute que soient davantage détaillées les modalités d’intervention et de gestion qu’il peut mettre en œuvre en cas de conflits. C’est en partie l’objectif du chapitre VI intitulé « Agir sur le jeu des Proximités dans les territoires ». Il demeure cependant assez général en reprenant de façon synthé- tique les analyses précédentes et en recroisant les dimensions de Proximité Organisée (et

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les logiques d’appartenance et de similitude) et de Proximité Géographique (Recherchée ou Subie), et leur poids respectif dans les différents cas analysés. Il existe en réalité deux leviers majeurs pour assurer une « bonne » gouvernance territoriale : gérer la conflictualité et faciliter la construction de Proximités Organisées. Encore faut-il pouvoir identifier les supports de rapprochement qui, dans un certain nombre de cas, sont loin d’être évidents…

La réussite de ces processus repose ainsi, on l’aura compris, sur les compétences et l’expé- rience dont pourront faire preuve les animateurs et médiateurs territoriaux.

Dans cette contribution à la compréhension des dynamiques territoriales, certaines ques- tions mériteraient d’être prolongées : si les auteurs disent s’intéresser en priorité aux espaces ruraux et périurbains, on aimerait en savoir davantage sur les caractéristiques de ces deux types d’espace et sur les manières, éventuellement différentes, dont les Proximités jouent…

ne serait-ce que parce que les catégories d’acteurs et les pressions du foncier, notamment, sont distinctes. D’autre part, les processus de résolution des conflits et la constitution de compromis ne dépendent-ils pas également du nombre d’acteurs ou de groupes d’acteurs en jeu ou bien encore de l’échelle territoriale sur laquelle on veut intervenir ?

Quoi qu’il en soit, l’ouvrage d’André Torre et Jean-Eudes Beuret offre au chercheur intéressé par les questions de développement territorial une recension tout à fait primordiale des analyses développées depuis quelques années sur les Proximités et les dynamiques de Proximités. Mais il s’agit aussi d’un ouvrage très pédagogique avec de nombreux exemples destinés à nourrir la réflexion des agents de développement et décideurs locaux et une véri- table contribution à la question fondamentale de la gouvernance territoriale.

Corinne Tanguy

© 2014 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés. INRA

Paulo Henrique Martins, 2012, La decolonialidad de América Latina y la heterotopia de una comunidad de destino solidaria, Edit. Estudios Sociológicos, Fundación Ciccus, Buenos Aires, 160 p.

Paulo Henrique Martins, sociologue et président de l’Association Latino-Américaine de Sociologie (ALAS) entre 2011 et 2013, est l’auteur de plusieurs recherches portant sur la démocratie participative, la sociologie des réseaux sociaux, le développement et les défis des sciences humaines en Amérique Latine, pour n’en citer que quelques-unes. Son ouvrage

« La décolonialité d’Amérique Latine et l’hétérotopie d’une communauté de destin soli- daire » est le résultat d’une réflexion sur l’évolution de la pensée critique dans la région et sur le rôle des intellectuels pour soutenir - et promouvoir - la mise en place de politiques publiques plus inclusives, moins assistantialistes. Martins soutient une idéologie critique envers l’eurocentrisme, sans pour autant réduire sa pensée à la dualité hiérarchique centre- périphérie, en soulignant l’importance d’entretenir des liens entre les théories critiques de la décolonialité au Sud Global avec les critiques anti-utilitaristes du Nord Global.

Ainsi, le livre se divise en deux grandes parties : la première, plus théorique, est une contextualisation où s’exposent trois étapes d’une conception de l’Amérique Latine comme hétérotopie, c’est-à-dire comme une communauté, voire un espace, avec un destin non-hégémonique à soi. Dans une deuxième partie, Martins évalue comment la

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sociologie, et les sciences humaines en général, oscillent aujourd’hui constamment entre la décolonialité et la colonialité, en illustrant cette réalité à travers une analyse de la sociologie des réseaux. Dans les deux derniers chapitres, l’auteur plaide alors pour une pensée critique décoloniale qui s’éloigne du regard eurocentriste, économique, holiste et naturalisant, propre à l’utilitarisme, pour défendre une perspective plus inclusive capable de saisir les éléments intersubjectifs des mouvements sociaux.

À ce propos, l’ouvrage explique comment dans une idéologie post-indépendantiste qui ébauche les premières représentations de l’Amérique Latine comme une communauté auto- nome avec une existence propre, on commence à percevoir la formation d’une pensée cri- tique post-colonialiste qui remet en question les préceptes holistes importés du « centre » dans le but de guider le monde intellectuel, politique et social. Malgré ces efforts, les idées post-colonialistes persistent, sciemment ou non, à suivre un modèle clairement européen, en poursuivant un développement défini selon des paramètres extérieurs (la théorie de Rostow défendue par plusieurs secteurs académiques en est un exemple frappant) qui s’appuient sur la seule idée valable du progrès : la croissance économique. À partir des années 1980, une nouvelle interprétation du monde, la décolonialité, propose d’étudier la réalité de façon plus globale, en allant au-delà des distinctions régionales délimitées par les frontières nationales.

La décolonialité est composée ainsi par deux courants principaux. Le premier, plus conser- vateur, défend le modèle néolibéral et suggère que la globalisation a entraîné une uniformisa- tion favorable de la planète. Un deuxième, plus contestataire et soutenu par l’auteur, propose une rupture et aborde cette réflexion autrement, en établissant des liens entre les théories décoloniales du Sud Global et les idées critiques anti-utilitaristes nées dans le Nord Global.

En fait, la liaison entre ces deux manières de percevoir le monde est un élément transversal de tout l’ouvrage. Martins cherche à démontrer l’importance de sortir d’une pensée monolo- gique et d’établir un dialogue entre les deux parties, un dialogue académique transnational qui permettrait aux deux de formuler une pensée critique susceptible de favoriser la constitution de sociétés plus démocratiques où d’autres acteurs - différents des élites régionales - pourraient jouer un rôle. Il ne s’agit donc pas de faire une critique intransigeante du Nord pour revaloriser le Sud ; ce type d’opposition reproduirait la domination en réaffirmant les expériences du Sud uniquement par le biais d’une négation de l’autre. L’idée est de reconnaître la valeur des pen- sées contestataires des deux côtés pour faire émerger une nouvelle lecture de la réalité sociale qui échappe aux théories naturalisantes typiques du néolibéralisme, dont l’impact va au-delà du domaine économique et touche aussi le monde universitaire, politique et social.

D’ailleurs, il faut mettre en avant l’argumentation de l’auteur par rapport à l’influence de la pensée capitaliste coloniale sur l’économie d’un État mais aussi sur l’éducation et sur le domaine social. Pour Martins, l’eurocentrisme est présent dans le domaine académique, les sciences sociales étant encore prisonnières d’une tension colonialité - décolonialité.

Ceci se répercuterait sur les politiques publiques et les sujets qui en sont les destinataires, puisqu’au lieu de les concevoir comme des individus s’intégrant dans un réseau de récipro- cités, elles les appréhendent uniquement comme des acteurs individualistes et calculateurs.

Les exemples de la sociologie des réseaux et des politiques de santé au Brésil sont utilisés par l’auteur pour éclairer cette réalité. Martins explique comment cette sociologie continue à suivre des pensées eurocentristes qui décrivent les mouvements sociaux comme le produit d’un calcul coûts/bénéfices, en réduisant les mobilisations aux simples décisions égoïstes et rationnelles. La théorie du « rational choice » en est l’évidence.

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En faisant appel à la théorie du don de Marcel Mauss, Martins prône donc pour une valorisation de la dimension du « moi » et du « nous » de l’action sociale (Wilber, 2006), en considérant les individus comme des acteurs sociaux qui font partie d’un réseau d’obligations, de libertés et de réciprocités, i.e., comme des sujets qui agissent aussi par

« l’obligation d’être libres ». Ainsi, l’auteur utilise la théorie du don pour mettre en avant la dimension intersubjective des mouvements sociaux et souligne qu’il est fondamen- tal que les sciences humaines ouvrent leur regard à d’autres sujets tels que la culture, les identités, les sentiments et désirs des individus. Ce regard permettrait de renforcer la démocratie participative en favorisant la mise en place de politiques publiques plus décentralisées avec une distribution plus légitime du pouvoir et des ressources.

Dans le dernier chapitre, l’auteur utilise l’exemple du SUS (Système Unique de Santé) au Brésil pour démontrer comment les politiques publiques maintiennent toujours un regard individualisant sur les acteurs sociaux. Cette politique revêt un caractère innovateur puisqu’en étant destinée à toute une famille et non pas uniquement à un individu isolé, elle est aussi le résultat d’un effort important de décentralisation politique. Néanmoins, le SUS est encore touché par la re-colonialité car il définit la famille uniquement avec des para- mètres organiques, voire positivistes, tels que la consanguinité. Pour Martins il faut donc pousser plus loin cette initiative et étudier la famille hors du concept de famille-foyer, en acceptant que les acteurs maintiennent des relations importantes qui sortent de cette fron- tière de la parenté. La reconnaissance de ces liens, attestant de relations symboliques de solidarité, de compréhension, de réciprocité et d’identité au sein des communautés ou des familles est une étape primordiale dans la décolonalité du secteur public.

Plus globalement, l’ouvrage met en valeur le rôle des intellectuels dans la consti- tution de sociétés plus ouvertes et plus démocratiques, en établissant un lien entre le monde des sciences sociales et la politique de toute une région. Cette réflexion soulève plusieurs questionnements : comment passer des critiques académiques décoloniales et anti-utilitaristes à une véritable application de ces théories dans la constitution de politiques publiques plus inclusives ? Autrement dit, comment faire pour aller plus loin dans la théorie pour influencer les domaines politique et social ? Comment la compré- hension des éléments intersubjectifs des alliances de réciprocité pourrait entraîner une transformation des sociétés fortement inégalitaires en Amérique Latine ? Il faut sou- ligner néanmoins que l’auteur ne perçoit pas le Nord Global et le Sud Global comme deux blocs homogènes opposés, puisqu’il souligne qu’en Amérique Latine, les classes aisées reproduisent l’ancienne domination coloniale. Cependant, l’ouvrage n’explique pas clairement ce qu’est le Sud Global et le Nord Global, laissant au lecteur la définition de ces deux notions qui apparaissent comme centrales tout au long du texte. Toutefois, il est intéressant de voir comment l’auteur parvient à lier son analyse théorique à des pro- positions empiriques relatives à la démocratie participative et à l’ouverture d’espaces politiques à des acteurs différents des élites locales. Si les sciences sociales veulent sortir du carcan d’un cadre d’analyse eurocentré, hérité d’une pensée typiquement colo- niale, elles devront se fixer des objectifs au-delà des frontières, en considérant l’Amé- rique Latine comme une communauté à destin solidaire.

Natalia Duarte Caceres, Université Lille 3

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