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La pédagogie du français «I langue étrangère

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L a p é d a g o g i e du f r a n ç a i s «I l a n g u e é t r a n g è r e

O r i e n t a t i o n s t h é o r i q u e s P r a t i q u e s d a n s la c l a s s e

Se/t'L'Tl, 1/7 fi III {r{ll/illri, III

de Ahdelmudud .-hV B.11ILlL!70

m

PRATIQUE PÉDAGOGIQUE

HACHETTE

(3)

La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'Article 41. d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non desti- nées à une utilisation collective ». et. d'autre part. que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration. « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou de ses ayants cause, est illi- cite. » (Alinéa 1" de l'Article 10.)

Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit. constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les Articles 425 et suivants du Code Pénal.

o H A C H E T T E . 1 9 7 8 .

(4)

Sommaire

Introduction (A. ALI BOUACHA) 4

1. Orientations théoriques

1.1 Renouvellement méthodologique dans l'en- seignement du français langue étrangère

(D. COSTE) 10

1.2 Les modèles de grammaire et leurs applica- tions à l'enseignement des langues vivantes

(E. ROULET) 29

1.3 Théorie linguistique (N. CHOMSKY) 49 1.4 La mort du manuel et le déclin de l'illusion

méthodologique (F. DEBYSER) 58

1.5 M. Thibaut et le bec Bunsen (L. PORCHER) 67 II. Pistes et propositions

2.1 Simulation et réalité dans l'enseignement des

langues vivantes (F. DEBYSER) 81

2.2 Les motivations à l'écriture et à la lecture en

langue étrangère (R. RICHTERICH) 96

2.3 Un niveau-seuil (D. COSTE) 105

2.4 Civilisation universelle et cultures nationales

(A. REBOULLET) 116

III. Pratiques dans la classe 3.1 L'Oral

3.1.1 Nos étudiants veulent la parole (w. RIVERS) 123 3.1.2 Techniques d'enseignement du français oral

(D. BATE) 137

3.1.3 Le discours rapporté (M. GAUVENET / s. MOI-

RAND) 149

3.2 L 'enseignement de la grammaire

3.2.1 Préparation d'un exercice de grammaire et déroulement d'un exercice de grammaire

(C. STOURDZE) 163

3.2.2 Manipulation des formes verbales prioritaires dans l'enseignement du français aux débu-

tants (J.-L. MALANDAIN) 184

3.3 L'écrit

3.3.1 L'écrit littéraire (R. NATAF) 201 3.3.2 La contraction de texte (J.-M. GAUTHEROT) 207 3.3.3 L'initiation à l'expression écrite dans les

langues de spécialité. L'objectivation

(G. VIGNER) 220

3.4 Jeux, chanson. civilisation

3.4.1 Jouer sans matériel (D. VEVER) 239 3.4.2 A comme... Auteur (éventuel) de chansons

(F. LECLERCQ) 257

3.4.3 A comme... Arguments pour ou contre la

peine de mort (G. QUENELLE) 262

Postface : Pour une pédagogie concrète

(A. REBOULLET) 267

(5)

I n t r o d u c t i o n

Le projet d'un ouvrage dans la collection « F » sur la pédagogie du français langue étrangère à partir d'une sélection d'articles du Français dans le Monde est né d'une double intention.

— présenter les tendances actuelles de la recherche péda- gogique;

— donner aux enseignants un éventail aussi large que possible de pratiques nouvelles dans la classe de langue.

Dans l'esprit de ses concepteurs, l'ouvrage était destiné aux enseignants sur le terrain, qui, loin des bureaux de recherche, étaient confrontés à la pratique quotidienne de la classe.

Sur le plan de la réalisation pratique, l'entreprise paraissait dif- ficile et ambitieuse : le survol — même attentif — de six années de parution de la revue — soit une cinquantaine de numéros et quelque quatre cents articles —, s'il donnait une dimension de l'évolution de la recherche pédagogique, faisait naître par ail- leurs le risque d'un travail superficiel et dispersé. Plus grave encore, sur le plan conceptuel, le projet reposait sur une forte ambiguïté : l'ambition d'un double but théorico-pratique s'ap- puyait sur l'hypothèse d'une adéquation quasi parfaite entre les articles théoriques et les propositions de réalisations pédagogi- ques.

Telles ont été mes interrogations lorsque j'ai commencé le tra- vail, il y a de cela un an. Pourtant, au fur et à mesure que j'avançais dans la lecture de la revue, j'entrevoyais de nouvel- les perspectives : les articles se répondaient en se succédant et insensiblement se mettaient en place les éléments d'un nouvel esprit pédagogique.

Le premier de ces éléments était l'idée — fort répandue depuis et sur laquelle nous n'insisterons pas — de l'inanité d'une appli- cation systématique et mécaniste des modèles de grammaire à l'enseignement des langues vivantes. La grammaire structurale et la grammaire générative et transformationnelle, qui ont eu chacune leurs heures de gloire et dont l'application s'est éten- due à l'enseignement du français langue maternelle, ont donné lieu aux mêmes excès, ont entraîné les mêmes déboires. Les

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exercices structuraux pour la manipulation des structures lin- guistiques et, dans l'enseignement du français langue mater- nelle, les travaux pratiques sur les arbres, avec la représenta- tion graphique des éléments constituants de la phrase, dont les manuels scolaires regorgeaient brusquement, n'ont pas amené la révolution qu'on attendait et les élèves — dans des situations scolaires normales — restaient aussi inaptes à apprendre une langue que leurs aînés, qui avaient connu eux, « l'analyse gram- maticale » et « l'analyse logique ». Après la désillusion des méthodologues qui ont longtemps cru aux vertus d'un surinves- tissement linguistique et l'effarement des linguistes devant ce qu'il était advenu de leurs hypothèses théoriques, il restait l'idée plus modeste et plus juste que la linguistique, en nous apportant une meilleure connaissance du fonctionnement du système de la langue, n'avait qu'une place parmi d'autres disci- plines dans le vaste domaine de la didactique des langues.

Le second élément de ce nouvel esprit pédagogique correspond à la mise en place chez l'apprenant d'une compétence de com- munication, qui a pour support :

— une conception plus opératoire de la situation (1). Par situa- tion, il faut entendre, non pas la situation cadre, simple support visuel sur lequel viennent se greffer des énoncés, mais l'ensem- ble des traits situationnels (présence de x dans la situation cadre, évocation de y, rapports sociaux, entre le locuteur et les personnes évoquées) qui font que tel énoncé, produit dans un cadre de référence donné, prend une signification particulière;

— une large utilisation de documents authentiques (articles de ' presse, interview, textes publicitaires, journaux parlés...) et cela très tôt;

— une sensibilisation aux problèmes du discours (modalisation, connotation, registre, et tout ce qui tourne autour de l'argumen- tation);

— la mise en œuvre du concept de simulation, qui remplace celui de modèle et qui permet d'exploiter l'aspect créatif de l'activité langagière.

Les principes théoriques, qui ont amené à une telle conception de l'apprentissage, s'appuient sur :

— la linguistique de l'énonciation, qui prend en compte les rap- ports entre la production d'un énoncé par un sujet énonciateur et les conditions de communication dans lesquelles il produit son énoncé. Cette théorie de l'énonciation, qui refuse de consi- dérer le langage dans une fonction purement instrumentale per- met de rendre compte de la complexité des phénomènes langa- giers et récupère ce qui était alors pris pour les ratés de la communication : lapsus, ambiguïtés, jeux de mots, méta- phores...;

— la sociolinguistique et la psycholinguistique, qui l'une et l autre tendent à s'élever au rang de disciplines scientifiques et qui permettent de remettre l'apprenant au centre de toute stra- tégie d'apprentissage.

1. Voir Le concept de situation dans l'enseignement, N. GROS et H. PORT!NE.Le Français dans le Monde, n" 124.

I

(7)

Cette mise en place d'une compétence de communication sup- pose, comme le dit E. Roulet, l'abandon de « l'hypothèse sous-jacente aux conceptions dominantes en pédagogie des langues, hypothèse selon laquelle l'acquisition de la compé- tence linguistique — c'est-à-dire la capacité de construire des phrases grammaticales — doit précéder l'acquisition de la compétence de communication, c'est-à-dire la capacité de pro- duire les énoncés appropriés à des situations de communica- tion » (2). Cela ne signifie pas qu'il faille rejeter l'acquisition de la compétence linguistique à une étape ultérieure de l'apprentis- sage. Les spécialistes de niveau 1 et les enseignants savent combien il est difficile d'obtenir le moindre énoncé sans une compétence linguistique minimale, ne fût-ce qu'un certain nom- bre de mots. Jusqu'à un certain degré d'apprentissage, l'opposi- tion compétence linguistique compétence de communication paraît fallacieuse car elle ne résiste pas à la pratique dans une classe de vrais débutants, mais une fois ce seuil franchi, l'ac- quisition de ces deux compétences doit être menée simultané- ment. A partir d'énoncés produits par les élèves dans des situa- tions de communication simulée, l'exploitation grammaticale, fondée sur des exercices de systématisation et de conceptuali- sation permet, par une démarche inductive, de saisir le fonc- tionnement de certains énoncés de la langue étudiée (3).

Dans de telles perspectives, comme le suggère L. Porcher, « la démarche méthodologique à privilégier est certainement celle du français fonctionnel... Elle entraîne la définition d'un maté- riel pédagogique essentiellement flexible, capable de supporter, de favoriser et d'incarner l'activité même de l'enseignant et de l'apprenant. Pour avoir sa pleine efficacité, cet outil doit viser à être seulement (et c'est très difficile) une trame, un canevas, un guide, à partir de quoi les partenaires pédagogiques cons- truisent leur propre progression et leurs cheminements spécifi- ques. Toute situation d'apprentissage est alors à la fois origi- nale et déjà inventoriée dans ses lignes de force au moins potentielles. L'enseignant a à son service une panoplie de démarches possibles entre lesquelles il lui appartient de choisir, conjointement avec les apprenants et en fonction de caractéris- tiques de la situation » (4).

2. Il faut rappeler que compétence linguistique et compétence de com- munication n'appartiennent pas au même champ théorique. Le concept de compétence linguistique a été introduit par Chomsky dans sa théorie de la grammaire générative alors que celui de compétence de communi- cation a été construit par le sociolinguistique, en rupture totale avec le premier.

3. Il faut noter que ces tendances de la recherche pédagogique ont été mises en place surtout au moment de l'élaboration du niveau 2. Comme le montre le numéro spécial du Français dans le Monde sur les nou- veaux débutants (n" 133), il semble maintenant que ces tendances se soient confirmées et que, par un effet de « choc en retour », elles soient 1 désormais également valables pour le niveau 1. (

4. Le Français dans le Monde, n" 133. :

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Mais il ne s'agit pas de remplacer une théorie par une autre et l'enseignant n'a pas à se « faire » sociologue, après avoir tenté de se « faire » linguiste ou psychologue. Il reprend son pouvoir

— un moment dérobé par les experts en tout genre — qu'il par- tage avec l'apprenant pour définir ensemble une stratégie d'ap- prentissage. Chomsky l'a compris le premier et dès 1966 il écrit : « Il est possible — voire probable — que certains des principes de la psychologie et de la linguistique, de même que les recherches dans ces matières, puissent éclairer utilement le professeur de langues. Mais cela reste à démontrer et ne peut être posé à priori. C'é,st (iii professeur de langue lui-même tlli 'il appartient de valider ou de réfuTer toute position spécifique et il y a bien peu de choses, en psychologie et en linguistique qu 'il puisse accepter aveuglément. »

Ces nouvelles tendances de la recherche pédagogique, telles qu'elles se dessinaient dans la revue, étaient exprimées dans des articles qu'il fallait alors choisir et classer.

Quels ont été les critères de sélection'1

— le premier critère a été celui du temps : nous ne voulions pas remonter au-delà de 1972. d'abord parce que cela menait trop loin et risquait d'entraîner une certaine dispersion, mais aussi et surtout parce que cela correspondait à un moment où l'on commençait à définir les nouveaux pôles de la recherche pédagogique;

— le second critère — et c'est peut-être le plus important — a été celui de l'équilibre à trouver entre la théorie et la pratique (cette distinction classique n'est pas très judicieuse dans la mesure où les articles dits « théoriques » sont ceux-là mêmes qui dénoncent la trop grande importance prise par la théorie ou plutôt les théories dans l'enseignement des langues étrangères.

L'articulation réflexion méthodologique/application dans la classe serait plus juste ici). Et de fait. les deux premières par- ties peuvent paraître bien longues dans un livre consacré à la pédagogie du français langue étrangère mais il est difficile — et sans doute peu souhaitable — de présenter un certain nombre de techniques pédagogiques sans une réflexion méthodologique.

Il reste à dire pourquoi certains domaines ont été écartés de cette sélection.

C'est le cas de la phonétique et de l'évaluation des connaissan- ces; si elles n'ont pas été retenues, ce n'est pas parce que nous les considérions comme des domaines marginaux de l'enseigne- ment des langues mais parce qu'elles n'apparaissent pas dans la revue pour la période que nous avions délimitée. Elles font d'ailleurs l'objet de publications dans la collection « Le Fran- çais dans le Monde B .E .L.C. » (5).

5. M . LÉON : E x e r c i c e s s y s t é m a t i q u e s d e p r o n o n c i a t i o n f r a n ç a i s e . P. e t M . LÉON : I n t r o d u c t i o n ci 10 p h o n é t i q u e c o r r e c t i v e . M . C-\LL,.%.MAND : L i n t o n a t i o n e x p r e s s i v e : e x e r c i c e s s y s t é m a t i q u e s d e p e r f e c t i o n n e m e n t . J . - C . MOT H F. : L é v a l u a t i o n p a r les t e s t s d a n s la c l a s s e d e f r a n ç a i s .

(9)

C'est également le cas de la civilisation; l'étude des rapports entre langue et civilisation supposent de larges dossiers qu'il est difficile de présenter dans le cadre de ce travail.

C'est le cas de la situation pédagogique du français dans les dif- férents pays et la situation des migrants en France, mais ce vaste problème ne pouvait pas être escamoté en deux ou trois articles et mérite à lui seul sans doute un ouvrage.

Signalons enfin, pour en finir avec les critères de sélection, que deux des articles de ce recueil n'ont pas été publiés par Le Français dans le Monde. Il s'agit de Monsieur Thibault et le bec Bunsen, de L. Porcher et civilisation universelle et cultures nationales, de A. Reboullet. Nous avons cru pouvoir les reprendre parce qu'ils s'intégraient bien à l'ensemble des textes présentés dans cet ouvrage.

Une fois les articles retenus, il a fallu les regrouper, les classer.

Les deux premières parties destinées à présenter les principales orientations théoriques et méthodologiques sont constituées d'articles écrits dans leur grande majorité par les principaux animateurs de centres de recherches pédagogiques et linguisti- ques tels que le B.E.L.C. et le C.R.E.D.I.F. à Paris, le C.I.L.A. à Neuchâtel. La troisième partie, consacrée aux « pra- tiques dans la classe » a semblé poser davantage de problèmes.

Quel itinéraire retenir? La seule cohérence trouvée est bien contestable puisqu'elle repose sur un parcours de l'oral à l'écrit. Là, les articles sont surtout rédigés par des enseignants

— français et étrangers — qui sont ou qui ont été en poste à l'étranger; et ce n'est pas un hasard si la plupart de ces articles sont pris dans les rubriques « Dossiers », « Expériences »,

« Fiches A comme... » et dans le numéro semi-spécial intitulé

« Pédagogie concrète ».

Le travail achevé, il reste les incertitudes devant la gageure que représente la sélection d'une vingtaine d'articles, regroupés, classés, pour faire le point, réalisations concrètes à l'appui, des dernières tendances de la recherche pédagogique.

Ces incertitudes font naître un certain nombre de remarques ;

— les contraintes matérielles et la recherche d'une cohérence minimale propre à ce genre de travail ont fait que certains arti- cles importants n'ont pu être retenus;

— le plan de présentation des articles, qui conserve une belle continuité théorie/méthodologie/pratique, peut paraître en contradiction avec certains articles qui remettent en cause ce schéma par trop rassurant;

— l'introduction de nouveaux concepts et de prises de position parfois trop tranchées laissent à penser que l'on a jeté aux orties l'apport de ces vingt dernières années en recherches et en expérimentation dans le domaine de la méthodologie du fran- çais langue étrangère. Il est à peine nécessaire de souligner, tel- lement c'est évident, que ces nouvelles pratiques, qui ont de fortes chances d'être à leur tour décriées dans quelques années, n'ont pu être élaborées qu'à partir des tâtonnements, des intui- tions, des découvertes d'une époque particulièrement féconde.

A. AL' BOUACHA

(10)

I. Orientations théoriques

Comme son titre l'indique, cette pre- mière partie a p o u r rôle de définir — et de délimiter — le c h a m p théorique qui a conduit a u x orientations récentes de la pédagogie d u français langue étran- gère.

Les trois premiers articles — celui de N. Chomsky est le plus ancien — ont été écrits dans les années 1970. Coste en méthodologue, E. Roulet en gram- mairien, N. Chomsky en linguiste, e x p r i m e n t p a r des cheminements dif- férents, une méfiance unanime devant u n e « linguistique appliquée euphori- sante et mécaniste ».

Les deux autres articles, qui se veulent polémiques, ont été écrits un peu plus tard. Ils e x p r i m e n t le m ê m e agace- m e n t , le p r e m i e r , de F. Debyser, de- vant la multiplication des méthodes et des manuels, le second de L. Porcher, face à la fulgurante ascension du con- cept de français fonctionnel.

Tous dénoncent « l'incroyable monar- chie de la linguistique s u r l'enseigne- m e n t moderne des langues. Mais ce

« ras-le-bol » collectif est d y n a m i s a n t

et contient les germes d'une nouvelle

philosophie de l'enseignement des lan-

gues.

(11)

Le renouvellement méthodologique dans l'enseignement

du français langue étrangère *

R e m a r q u e s s u r les années 1955-1970

(Le Français dans le Monde, n" 87, 1972.)

Cet article, rédigé en 1970, f a i t état, p o u r la période considérée (1955-1970), d ' e s p o i r s suivis de certaines désillusions. Il enre- gistre des d o u t e s a p r è s d ' a p p a r e n t e s certitudes. Mais 01/ y ver- rait bien à t o r t un c o n s t a t d ' é c h e c ou itti reniement — qui ne p o u r r a i t être que p r é s o m p t u e u x ou complaisant — de l'acquis des quinze ou vingt dernières années. Bien (lll contraire, p o u r ce q u i est des r e c h e r c h e s entreprises en France il tout le moins, la r e l a n c e à laquelle on assiste aujourd'hui se fait scion des h y p o t h è s e s m é t h o d o l o g i q u e s qui, p o u r nouvelles (/U 'e!!e\

soient, p r o l o n g e n t et confirment, bien plus 4U 'clin Ill' les contredisent, n o m b r e de principes ou intuitions qui guidaient n a g u è r e les projets de refonte d'enseignement du français lan- g u e étrangère.

Si certains e n t h o u s i a s m e s ont pu, chemin faisant, se tempérer, ils n 'ont j a m a i s eu vraiment à se démentir. Et les lignes qui sui- vent sont plus optimistes qu'il n 'y p a r a î t d'abord! S'il /'1/ était besoin, la n a i s s a n c e , un p e u partout, d ' u n e deuxième gl;lIào- tion d e travaux, m o n t r e r a i t assez que la première, qui seule les a rendus possibles, reste féconde.

* Cet article a déjà paru dans Langue française (n" 8. décembre 1970).

Il nous a paru d'un tel intérêt que nous avons demandé à l'auteur, à la Librairie Larousse et à M. J -C Chevalier, secrétaire général de la revue, l'autorisation de le reproduire. Nous leur exprimons notre vive gratitude.

(12)

Il est trivial de souligner aujourd'hui l'importance de l'enseigne- ment des langues étrangères et tout aussi banal de préconiser une rénovation de cet enseignement. Même si de tels lieux communs tiennent aussi parfois du vœu pieux, des efforts ont été récemment faits, un peu partout dans le monde, pour amé- liorer les pratiques antérieures. Réforme des programmes, aug- mentation du nombre d'heures de cours, perfectionnement des professeurs, les progrès, pour limités qu'ils restent, sont plus fréquents qu'on ne l'aurait espéré. Née souvent de considéra- tions politiques plus que d'un souci purement éducatif, la contribution officielle et institutionnelle s'est doublée, dans plus d'un pays, d'une action commerciale intense : la conver- gence de ces deux courants a permis d'entreprendre des expé- riences plus ou moins étendues, de mettre à l'épreuve matériel d'enseignement et principes méthodologiques. Aux États-Unis en particulier, où les énergies et les crédits investis ont paru sans précédent et sans pareil, les quinze dernières années ont été riches en réformes. En France, si l'enseignement des autres langues vivantes est loin d'avoir connu les mêmes refontes, on s'est intéressé au problème posé par le français langue étran- gère (élaboration du français fondamental, création de centres spécialisés comme le C.R.E.D.I.F. et le B.E.L.C., expériences universitaires dans le domaine de la linguistique appliquée, lan- cement d'une revue comme Le Français dans le Monde) et la participation à l'entreprise internationale peut passer pour origi- nale.

Un examen de la portée et des résultats de cette période d'évo- lution accélérée semble d'autant plus souhaitable que les idées- forces qui l'ont inspirée paraissent désormais assez largement remises en cause. Les matériaux pour une étude de cet ordre ne manquent pas et les bilans critiques ont déjà été souvent dres- sés outre-Atlantique. Notre propos ici sera très limité. Loin d'établir un inventaire factuel détaillé ou de mener une analyse théorique des principes que les méthodes « nouvelles » invo- quent ou contredisent, on cherchera simplement à replacer les différentes hypothèses dans leur contexte évolutif et, tout parti- culièrement, à examiner l'état présent du domaine.

1. M é t h o d e s e t t h é o r i e s

Avant d'en venir à des considérations plus spécifiques, il faut bien caractériser à grands traits les principales tendances méthodologiques de l'enseignement des langues étrangères : les méthodes dites « nouvelles » ont trop été définies par rapport aux « anciennes » pour qu'il ne soit pas nécessaire de les passer toutes rapidement en revue avant de concentrer l'attention sur les plus récentes. Au demeurant, les « anciennes » ont la vie dure et, dans la plupart des situations scolaires, gardent une place plus qu'importante. Reprenant les qualificatifs qui, pour être généralement admis, n'en restent pas moins très inadé- quats, nous distinguerons la méthode traditionnelle, la méthode directe, la méthode audio-orale et la méthode audio-visuelle.

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1.1. Lci méthode traditionnelle

Sous l'influence de la littérature anglo-saxonne spécialisée, ce qu'il est convenu d'appeler « méthode traditionnelle » est par- fois aussi décrit comme méthode « grammaire et traduction ».

Les instruments sont connus. D'un côté, un livre de grammaire où l'élève trouve des règles et des explications qui renvoient à une conception normative plus souvent qu'à une description cohérente du système de la langue. De l'autre, un dictionnaire bilingue et/ou un ouvrage regroupant par centres d'intérêt de longues listes de noms, de verbes, d'adjectifs accolés à leurs équivalents dans la langue maternelle. Au milieu, des textes à traduire dans un sens ou dans l'autre, littéraires de préférence et dès que possible.

Les exercices de thème, de version, de réponses écrites à des questions écrites d'application de règles trouvées dans le livre de grammaire, sont trop familiers pour qu'on ait à y insister ici.

De même, l'importance donnée à l'écrit, le poids des activités métalinguistiques ou des travaux de stylistique comparée, le souci d'appuyer l'apprentissage plus sur une explication et une mémorisation des règles de langue que sur une pratique du dis- cours, manifestent les implications ou les présupposées théori- ques de cette forme d'enseignement, encore que les tenants de la méthode traditionnelle n'aient pas beaucoup mis l'accent sur les fondements de leurs choix didactiques.

1.2. La méthode directe

La méthode directe — son nom l'indique — se caractérise d'abord par un refus, dès qu'il s'agit d'apprendre une langue étrangère, de cet exercice « indirect » qu'est la traduction. Au lieu d'établir dans l'esprit de l'élève, par la pratique du thème et de la version, un réseau d'équivalences entre langue étran- gère et langue maternelle, ce à quoi conduit la méthode tradi- tionnelle (imbriquant les deux langues et faisant de la langue maternelle un passage obligé et « indirect » vers la langue étran- gère), la méthode directe recherche un contact sans écart et sans intermédiaire entre la langue étrangère et les réalités réfé- rentielles.

On se propose de placer l'élève dans un « bain de langage » et de reproduire dans la classe des conditions d'acquisition aussi

« naturelles » que possible : on pense que, de même que l'en- fant apprend sa langue maternelle à force d'y être exposé, de même le candidat à la maîtrise d'une langue étrangère n'attein- dra son but que si l'enseignement lui donne l'occasion d'une pratique constante.

Au-delà de ces déclarations de principe, proches des courants de réforme pédagogique qui luttent contre un enseignement artificiel et contraignant et font plus confiance aux pouvoirs d'acquisition de l'enfant laissé libre qu'aux carcans des exerci- ces imposés, il fallait bien veiller à ce que le bain de langue étrangère ne se transformât pas en noyade et donc s'assurer

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que l'élève peut accéder facilement, sans traduction, à la com- préhension. Le recours est apparemment simple : en montrant un objet ou en accomplissant une action quelconque, le profes- seur propose simultanément un énoncé dans la langue étran- gère. Le maître d'anglais ouvre ostensiblement la porte de la classe et déclare tout aussi ostensiblement I open the door, il demande à un élève de se mettre sous la table et commente à l'attention de tous The pupil is under the table.

Sans qu'il soit besoin d'aller jusqu'à une caricature forcée, l'ac- cent mis sur les exercices de nomination et de description du réel, s'il assure une compréhension plus rapide, conduit à considérer et à présenter la langue étrangère comme une série de signifiants dont le signifié serait à chercher dans la réalité dénotée que l'on montre et qui, implicitement, équivaudraient exactement aux signifiants de la langue maternelle puisque le signifié reste identique et inaltérable. Au regard d'une théorie de la signification, l'hypothèse est certainement plus contesta- ble que celle qui paraît fonder les exercices traditionnels de tra- duction; et au regard de la pratique pédagogique, on peut se demander si la méthode directe n'encourage pas d'autant plus la traduction qu'elle n'y fait pas appel.

L'accès à la compréhension étant conçu comme le déchiffrage (facile) d'un rébus, on laisse à l'élève le soin d'induire, de pro- céder par rapprochements, inférences et analogies. Il faut aussi croire plus au filtrage opéré par celui qui apprend qu'à une sélection linguistique étroite de la part de l'enseignant : loin de limiter le nombre des items présentés ou de respecter une pro- gression stricte, le naturel exige plus de souplesse et veut que le monde offert à la curiosité des élèves soit aussi ouvert que l'au- torise la salle de classe.

En bref, si cette démarche pédagogique relève, en partie et dans les meilleurs cas, des méthodes actives, la manière dont elle se propose d'être directe et naturelle ne va pas sans soule- ver des difficultés théoriques quant au modèle linguistique et à la conception de l'apprentissage.

1.3. La méthode audio-orale

La forme la plus caractéristique de ce qu'on nomme méthode audio-orale (ou « audio-linguale ») est sans doute à trouver dans bon nombre de cours mis au point aux États-Unis il y a une dizaine d'années. Présentés comme susceptibles d'apporter une solution nouvelle (New Key) aux problèmes de l'enseignement des langues, les principes exposés par Nelson Brooks (1) ou par Robert L. Politzer (2), entre autres, conduisirent à des choix

1. L a n g u a g e a n d L a n g u a g e Lellrning, Harcourt, Brace and World.

1960

2. Teaching F r e n c h : An Introduction to Applied Linguistics, Ginn and C o m p a n y , 1960.

(15)

d'ordre méthodologique que l'on trouve sommairement résu- més dans ces quelques lignes de Leon A. Jakobovits (3).

« Pour ce qui est de l'enseignement aux débutants, on s'ac- corde en général sur les options énumérées ci-dessous, même si, dans la pratique, les démarches varient sensible- ment :

1. L'apprentissage passe par plusieurs étapes : a) audition et compréhension; expression orale; relecture (assez tard); d) rédaction...

2. Il n'est pas fait référence à l'écrit dans les premières étapes.

3. L'enseignement de la prononciation exige une exposition auditive intense aux sons nouveaux à percevoir; ceux-ci sont de préférence opposés aux sons voisins de la langue étrangère ou de la langue maternelle; l'entraînement auditif est suivi d'exercices de production, soigneusement compo- sés et pratiqués.

4. Des « phrases patrons » (pattern sentences) ou phrases modèles servent à introduire et à pratiquer la langue parlée.

Chaque « pattem » contient une structure productrice, en d'autres termes, une structure qui, une fois maîtrisée, per- mettra de générer de nouveaux énoncés par substitution lexicale... Ces « patterns » sont travaillés dans des exercices (drills) conçus pour mettre en évidence les changements de formes ou d'organisation qui se produisent dans les structu- res; de tels exercices se nomment pattern drills ou exercices structuraux (structure drills).

5. Les phrases modèles sont ou bien d'abord insérées dans un dialogue, ou bien présentées hors dialogue.

6. Pratiquées jusqu'au « surapprentissage ». les phrases modèles deviennent des habitudes quasi réflexes.

7. On limite strictement la quantité de vocabulaire introduit, jusqu'au moment où un nombre suffisant de structures est acquis pour l'élève.

8. On évite la traduction (qu'il s'agisse d'aller de la langue étrangère vers la langue maternelle ou l'inverse). »

Dans ce même article Jakobovits souligne que, sur quelques points, le débat est resté ouvert pour les tenants de la méthode audio-orale. La discussion porte en particulier sur :

« 1. Les moyens de franchir le fossé qui existe encore entre

« manipulation » et « communication ».

2. L'enseignement du sens et l'emploi de la langue mater- nelle dans la classe.

3. Le rôle des explications et des récapitulations grammati- cales.

4. L'acquisition d'un vocabulaire plus étendu dans les pha- ses ultérieures de l'apprentissage. »

3. « Physiology and Psychology of Second Language Learning : dans The Brit(iiiiii(-(i Review of Foreign Language Instruction, volume 1, 1968. (Notre traduction.)

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On constate que, contrairement aux méthodes traditionnelle et directe, la méthode audio-orale se réclame explicitement de théories linguistiques et d'hypothèses sur l'apprentissage.

D'une part, la linguistique appliquée à l'enseignement des lan- gues adopte aux États-Unis les conceptions développées par Bloomfield et ses disciples (c'est le cas pour Charles Fries et Robert Lado) ou utilise certains aspects de la théorie tagmémi- que de Pike (ainsi Albert Valdman et Simon Belasco dans Applied Linguistics : French) (4); nombre d'exercices proposés comme « drills » de commutation sont directement calqués sur les techniques de l'analyse distributionnelle. D'autre part, la langue étant conçue comme un comportement fait d'habitudes et d'automatismes, son apprentissage repose sur un modèle skinnerien (stimulus-réponse, renforcement). On ajoute, avec Skinner encore, que l'apprentissage se fera d'autant mieux si on évite à l'élève de commettre des erreurs et si la matière à enseigner est présentée en unités minimales. « pas à pas » (step by step), de façon aussi programmée que possible.

Pour des raisons à la fois linguistiques et psychologiques, une grande importance est donnée aux comparaisons entre langue étrangère et langue maternelle : les deux systèmes ont une organisation structurale différente et des interférences apparaî- tront en cours d'apprentissage (ce qui explique, entre autres causes, pourquoi l'apprentissage d'une langue étrangère est irréductible à celui de la langue maternelle). Il faut donc com- parer avec soin les deux systèmes linguistiques pour déterminer les zones d'interférence (5); ensuite, dans la composition d'un cours et dans les exercices à faire pratiquer par l'élève, on tien- dra compte de ces comparaisons pour prévenir les erreurs pré- judiciables à une bonne acquisition de la langue étrangère.

Rappelons que. dans la liste des « points en suspens ». dressée par Jakobovits, figurent « le passage de la manipulation à la communication » et « la question du sens ». Il est clair en effet que, dans les cas extrêmes, les cours audio-oraux se présentent comme un enchaînement d'exercices travaillant la mécanique du fonctionnement linguistique et uniquement destinés à mon- trer des réflexes verbaux. La volonté d'écarter au maximum les difficultés et la tendance à considérer la langue comme une construction complexe mais parfaitement démontable de « pat- terns » élémentaires conduisent à donner à « comportement » un sens des plus étroits. Le choix fait par Bloomfield. qui écarte la signification du champ de son étude, donne lieu à des abus d'interprétation chez certains « linguistes appliqués » qu'influencent par ailleurs les théories de Skinner. Il n'a pas manqué d'auteurs et de pédagogues pour considérer que, dans

4. Les références el Pike sont limitées et touchent plus l'analyse syn- taxique- que l'ensemble de la théorie.

5. Voir en particulier Robert Lado. Linguistics across Cultures. Ann Arbor. 1957.

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les étapes initiales de l'apprentissage, il fallait résolument met- tre le sens entre parenthèses, comme susceptible de compliquer ou de ralentir l'automatisation des « patterns ». Le schéma sti- mulus-réponse étant d'autre part réduit à des performances pré- déterminées et parfaitement mécanistes au laboratoire de lan- gues ou en classe, on ne doit pas s'étonner si « le passage de la manipulation à la communication » se fait mal et si le sens ensuite résiste (6).

1.4. La méthode audio-visuelle

Si, nées sensiblement à la même époque, la méthode audio- orale et la méthode audio-visuelle ont eu à faire bloc face à des enseignements plus traditionnels ou à se distinguer l'une et l'au- tre de la méthode directe, il ne s'ensuit pas qu'elles se confon- dent.

A considérer un cours comme Voix et images de France, mis au point il y a plus de dix ans par le C.R.E.D.I. F., à un moment où les Etats-Unis voyaient naître les « pattern drills » d A.L.M., on relève des ressemblances importantes (même insistance sur l'expression orale, refus de la traduction et des présentations explicites de grammaire, limitation stricte du vocabulaire introduit, souci de fonder la progression sur une description linguistique cohérente) mais des lignes de partage tout aussi nettes apparaissent :

— L'accent est mis d'entrée, dans ce cours audio-visuel, sur la communication plus que sur la manipulation: ou plutôt la manipulation est pratiquée dans des conditions de com- munication, non « à vide ».

— Les exercices structuraux hors situation sont refusés et le sens des messages n'est jamais négligé.

— On n'attache pas une importance particulière à la pro- grammation par étapes et unités minimales.

Pour ces premiers pas de l'apprentissage, communication et sens sont présentés comme étroitement liés à des situations et aux locuteurs :

« . . . nous avons cherché à enseigner dès le début la langue comme un moyen d'expression et de communication faisant appel à toutes les ressources de notre être : attitudes, ges- tes, mimiques, intonations et rythmes du dialogue parlé...

6. Dans l'inventaire rappelé plus haut (Jakobovits), la cinquième propo- sition renvoyait à de longues discussions entre ceux qui. pour conserver un certain « naturel », tenaient au « dialogue » initial comme mode de présentation des nouveaux « patterns » et ceux qui. pour sauvegarder une progression rigoureuse et un échelonnement des difficultés par éta- pes minimales, refusaient le dialogue, trop « global », et n'acceptaient que des phrases hors contexte soigneusement calibrées. Denis Girard a consacré un article à cette opposition de tendances (voir Le Français dans le Monde, n" 38).

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... il est indispensable de présenter à l'élève des personna- ges français vivant et dialoguant en français sous ses yeux...

Ces situations présentées en images constitueront donc le point de départ : le premier temps de la communication qui est prise de conscience d'une réalité différente, qu'on va chercher à comprendre, à assimiler, avant de s'identifier en partie à elle.

Le langage viendra s'insinuer dans cette situation et l'expri- mer en un système sonore différent du système familier à l'élève, mais que l'association avec la situation comprise rendra plus accessible (7). »

Cette citation un peu longue, même si elle n'est pas sans par- fois rappeler Bloomfield, trouverait peut-être difficilement un équivalent chez les auteurs américains déjà mentionnés. Au bout du compte, fondamentalement, les conceptions de la lan- gue et de l'apprentissage ne sont pas les mêmes dans les deux cas. Pour la méthode audio-orale, la langue est une construction mécanique d'éléments interdépendants mais séparables les uns des autres et de leurs conditions d'emploi en discours : les phrases modèles peuvent bien être agréablement glissées dans un dialogue, l'essentiel est bien ensuite de les manipuler à outrance, hors contexte.

Dans le cas de la méthode audio-visuelle, si on vise à rendre l'élève progressivement maître du système et des règles de la langue, le langage reste conçu comme organiquement insépara- ble, dans l'apprentissage, du sujet et de la situation.

Des exercices pour le travail au laboratoire de langues ont été publiés par le C.R.E.D.I.F., six ans après la première diffusion de V.I.F., et certaines phrases pourraient faire croire à une évolution sensible de la doctrine : « Nos exercices visent à ren- dre réflexes, en les faisant pratiquer dans des exemples multi- ples et variés, les mécanismes de base de la langue (8). » En fait, il suffit de poursuivre la lecture pour retrouver un propos plus familier : « Mais nous n'avons pas voulu que cette acquisi- tion se fasse sans participation consciente et intelligente de l'élève. Nous désirons que, au laboratoire tout autant que dans la classe, l'étudiant continue à considérer le langage comme un comportement humain et social »; ou encore : « Dans la classe, le professeur amènera les élèves à prendre conscience du rôle que jouent dans l'acte de langage les éléments extra- linguistiques présentés dans les séries d'images. Il s'efforcera de mettre en valeur l'originalité de la construction, non pas tel- lement en montrant les possibilités de variations internes, mais en la confrontant avec d'autres afin de montrer que la charge expressive du langage est dans l'adéquation des éléments lin- guistiques à la situation... C'est seulement lorsqu'un grand nombre de situations et de transformations aura permis à 7. Voix et Images de France, Livre du maître, préface, pp. 9 et 10, Didier. 1961.

8. Voix et Images de France, Exercices pour le laboratoire de langues.

Livre du maître, préface, p. 14, Didier, 1967.

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l'élève de prendre conscience de la valeur... de la structure donnée qu'il pourra l'employer avec succès et sécurité au labo- ratoire (9). » Le souci de se démarquer nettement des « pattern drills » apparaît à l'évidence.

Les références linguistiques et psychologiques sont moins fré- quentes pour cette méthode audio-visuelle « structuro-globale » que pour la méthode audio-orale. Sans que l'apport de Bloom- field soit oublié, les leçons de Saussure, lues surtout à travers Bally, ont influencé plus directement P. Guberina, P. Rivenc et l'équipe qui travaillait autour d'eux. De Skinner, il n'est pas fait mention mais on ne renvoie pas explicitement à d'autres théories possibles de l'apprentissage d'une langue. Des convic- tions existent, mais qui ne s'appuient ni sur des modèles pleine- ment formulés, ni sur un essai de vérification expérimentale.

1.5. Remarques

L'examen et l'essai de classement auxquels nous venons de procéder sont critiquables à plus d'un titre.

1. Tout d'abord, les catégories établies ont souvent été simpli- fiées à l'excès pour les besoins de l'exposé. En fait, les solu- tions de continuité sont rares et compromis et remords ne man- quent pas : plus d'un livre traditionnel comportait des exercices fort semblables aux « pattern drills » modernes et bien des leçons de cours audio-visuels tels que Voix et Images de France ont un goût prononcé de méthode directe. Mais si on s'en tient aux conceptions d'ensemble, les quatre grands cas distingués restent sans doute justifiés.

2. Il est probable que la balance est un peu déséquilibrée. Ainsi la part faite à la méthode audio-visuelle paraîtra trop grande et trop belle au regard du traitement infligé à la méthode tradition- nelle. Mais autant il serait ridicule de dresser un palmarès (on dira plus loin que toutes les méthodes considérées jusqu'ici tremblent aujourd'hui un peu sur leurs bases), autant l'impartia- lité totale paraît, en ce domaine, aussi fade que rare.

3. Enfin, ces méthodes, même si on les a opposées les unes aux autres pour plus de clarté, gardent un caractère fluide que ne dissimule pas toujours une présentation dogmatique et qui pourrait bien passer pour un manque de rigueur. Le terme méthode n'a pas toujours un sens clair pour ce qui est de l'en- seignement des langues (10) et les qualificatifs qu'on lui adjoint ne constituent guère un paradigme cohérent, si on s'en tient, comme nous l'avons fait, à « traditionnelle », « directe »,

« audio-orale » et « audio-visuelle ». Une terminologie plus

9. op. cil.

10. Ainsi « m é t h o d e audio-visuelle » renvoie tantôt au matériel pédago- gique p r o p r e m e n t dit, tantôt (et trop souvent) à la simple utilisation en classe de t e c h n i q u e s et d'appareils audio-visuels, tantôt (et trop rare- ment) à une c o n c e p t i o n et à un e n s e m b l e de choix méthodologiques.

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homogène serait un précieux outil de classification, surtout si elle reflétait mieux les véritables options méthodologiques (11).

Ces incertitudes lexicales ne font sans doute que refléter des ambiguïtés plus fondamentales et signifient peut-être aussi que les changements récents n'ont pas toujours reposé sur des bases solides ni conduit à des résultats concluants.

2. M é t h o d e s e t r é s u l t a t s

Audio-orale ou audio-visuelle, les méthodes récentes d'ensei- gnement des langues prétendent à une plus grande efficacité que celles qui les ont précédées parce qu'elles s'attribuent une solidité de conception et des fondements scientifiques qui fai- saient défaut dans ce domaine auparavant. Les options théori- ques sont en général plus explicites, les objectifs et les conte- nus mieux définis et plus adéquats aux caractéristiques de la matière à enseigner et aux besoins du public qui apprend. Du coup, la rénovation de l'enseignement des langues a pris, dans bien des pays, l'allure d'une croisade contre les errements du passé au nom d'une vérité enfin révélée. Ni les fanatiques, ni les convertis, ni les renégats ne manquent au tableau. Mais, aujourd'hui, tout donne à penser que l'ardeur des apôtres n'est plus ce qu'elle a été. La foi se refroidit avant même, dans plus d'un cas, de s'être vraiment diffusée. Il y a diverses raisons à ce curieux phénomène, d'inégale importance mais conver- gentes.

2.1. Les résultats sont souvent décevants

Aux États-Unis en particulier, on s'est aperçu, après quelques années d'enthousiasme et d'investissements, que le succès manquait d'éclat : les élèves passaient difficilement de la mani- pulation à l'expression linguistique, les drills les ennuyaient et leur intérêt pour la langue étrangère fléchissait de façon inquié- tante. Acquis à grands frais, les laboratoires de langues res- taient souvent mal ou peu utilisés. Les désillusions arrivaient et les crédits partaient.

De son côté, la méthode audio-visuelle paraissait parfois s'es- souffler et, là encore, au vu des performances des élèves, on se demande si vraiment il ne serait pas possible d'obtenir mieux en autant ou moins d'heures de classe. Le passage à l'expres- sion libérée se fait bien, mais trop lentement au gré de beau- coup, et les mécanismes ne s'établissent pas toujours avec la . solidité désirée, même si l'élève les emploie avec justesse.

11. Aux Etats-Unis, la tendance actuelle paraît bien être de renoncer au mot method. considéré comme trop dogmatique, au profit du terme approach: on enregistre aussi un souci de mieux qualifier les diverses . démarches (habit-skill approach: rule-governed, Rrammar approach).

Nous y reviendrons dans la deuxième partie de cette étude.

(21)

elle met d'abord l'accent sur deux d'entre elles; et d'abord la dernière : dans quelles conditions?

Ces conditions — ou ces réalités — peuvent être fort diverses et inégales : les horaires, le calendrier de l'année scolaire; les contraintes de l'institution (notations, examens, systèmes d'ins- pection, matériel d'enseignement disponible); la part du péri- professionnel dans la vie de l'enseignant (le rapport, par exem- ple, entre l'efficacité d'une technique d'enseignement et le temps de préparation « hors classe » qu'elle nécessite pour l'en- seignant, rapport souvent oublié dans les mirobolantes innova- tions de certains « experts »); la place de la langue enseignée (par rapport aux autres langues; par rapport à elle-même, à son passé et à son avenir), etc. C'est pour les avoir méconnues que tant de projets ambitieux ou idéalistes n'ont pas dépassé l'étape du prototype... et que d'autres, ayant dépassé ce stade, font soupirer étudiants et élèves. Toute réflexion sur l'apprenant, sur l'enseignant, sur la matière à enseigner, sur la méthodolo- gie, devrait toujours être précédée d'une exacte connaissance des réalités de l'enseignement (sauf dans la perspective d'une révolution éducative, mais c'est ici un tout autre problème (2)).

A l'évidence cette connaissance ne peut être que particulière, au cas par cas et donc peu scientifique si l'on croit qu'il n'y a de science que du général. Peut-être en irait-il autrement dans une perspective de type phénoménologique. Notre propos n'est pas de nous engager dans cette voie mais simplement d'affirmer que si l'objectif visé est plus pragmatique que scientifique la prise en considération des conditions est une nécessité.

N'est pas moins nécessaire la prise en considération du « pour- quoi » (3). Apprendre le français, pourquoi? Depuis l'époque déjà lointaine où les langues vivantes ont été officiellement ins- tallées dans les cursus scolaires cette question semblait quelque peu oubliée (4). Elle s'impose aujourd'hui et l'on sait que les recherches sur le « français fonctionnel » sont nées de cette interrogation.

Mais si le souci du « pourquoi » est l'une des deux composan- tes de la pédagogie concrète, ce n'est pas au seul niveau des 2. Un double danger est ici à éviter : celui d'un idéalisme où la révolu- tion éducative est un mirage constant jamais inscrit dans les faits; celui d'un réalisme timoré qui, sous couleur d'aider l'enseignant, contribue au maintien d'une situation nocive.

3. Voisinage de pensée? La rédaction du Français aujourd'hui (n° 40, décembre 1977) écrit : « le fonctionnement du discours pédagogique tel que nous l'entendons ne peut être confondu avec celui du discours uni- versitaire traditionnel : solitaire, homogène et uniforme. Le discours pédagogique ne peut être qu'ouvert, transitoire, lieu de tensions, mais le plus explicite possible sur ses finalités. »

4. Il en allait différemment au xv)r et au xvnr siècles où le français, langue étrangère, était l'objet d'un enseignement extra-scolaire. A cette époque, tout auteur de manuel devait, dans sa préface, convaincre en faisant valoir les qualités de langue française et l'intérêt de son étude.

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finalités générales et médiates de l'enseignement des langues.

Certes il peut être roboratif de mettre en relief pour l'étudiant les raisons fort diverses : culturelles, sociales et autres, qui peuvent légitimer l'étude du français mais, on s'en doute, cette i mise en relief, pour être efficace, ne peut être qu'occasionnelle.

I Dans le quotidien il faudra prendre en considération les finalités l immédiates, méthodologiques (parfois désignées sous l'appella- j tion de « motivations internes »). Disons, pour aller au plus j bref, qu'une pédagogie active des langues étrangères doit déve- ' lopper sans discontinuité sinon des besoins, du moins des inter- rogations chez l'étudiant et que ce dernier doit pouvoir trouver à tout moment un sens — limité et provisoire — dans les activi- tés qui lui sont proposées (5); que, s'il y a dans l'apprentissage d'une langue étrangère, comme dans tout apprentissage, plus, peut-être, que dans d'autres apprentissages, une part mécani-

\ que, cette part nécessaire doit toujours être justifiée et remo-

! I delée (6).

Une pédagogie concrète est donc une pédagogie de la motiva- tion et de la signification et il n'est pas un enseignant, quelle que soit la diversité des méthodes employées, qui ne l'ait véri- fié car c'est à cette aune qu'il a pu mesurer ses réussites ou ses échecs.

b La pédagogie concrète est une pédagogie de la globalité, expression qui doit s'entendre au niveau de l'acte pédagogique et à celui du contenu de l'enseignement.

Certes une réflexion de type analytique qui isole l'un des acteurs du « groupe classe » ou l'une des dimensions (pédagogi- que, linguistique culturelle) de l'acte pédagogique est légitime;

mais l'est autant une réflexion qui prend en compte l'ensemble de ces composantes dans leur interaction. C'est ce second l' mode de réflexion qui paraît, aux enseignants, le mode le plus naturel soit que, mis en face d'une démarche analytique, ils s'y opposent, souvent avec vigueur : « Dans la réalité, diront-ils, ce n'est pas comme ça et c'est beaucoup plus complexe », soit qu'ils s'essaient aux comptes rendus d'expériences. La pédago- gie concrète doit, à partir et au-delà de ces réticences sommai- res et de ces comptes rendus imparfaits, conduire une réflexion qui devrait permettre de définir des modèles méthodologiques globaux, transitoires certes mais déjà dégagés du particulier. En somme, les premiers pas vers cet « universel concret » dont parle un philosophe allemand.

Au niveau du contenu d'enseignement, l'histoire du français, langue étrangère peut être éclairante. De siècle en siècle il sem- 5. Ce qui oblige à reconsidérer, les longues démarches méthodologi- ques où l'élève ne commence à découvrir le bénéfice de ses efforts qu'au terme de plusieurs phases ou moments non motivants.

6. Cette nécessité d'un constant remodelage de la part du « mécani- que » (disons, pour simplifier, les exercices) explique et justifie en par- tie ce « tournis » des didacticiens dont nous parlions précédemment.

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