• Aucun résultat trouvé

UNEERE NOUVELLE ADEFINIR. Robert 1. Bartley LES ETATS-UNIS SONT-ILS SUR LA MAUVAISE PENTE?

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "UNEERE NOUVELLE ADEFINIR. Robert 1. Bartley LES ETATS-UNIS SONT-ILS SUR LA MAUVAISE PENTE?"

Copied!
20
0
0

Texte intégral

(1)

Robert 1. Bartley

UNEERE NOUVELLE

ADEFINIR

1

s

1i l'humanité se fie à ses sens, de manière hanale et ordinaire, l'Amérique n'a pas connu de déclin, elle s'est imposée. Son adversaire de deux générations s'est écroulé, et même il cherche maintenant à adopter les institutions américaines de la démocratie et de l'économie de marché.

Bien qu'il soit évident, pour les gens qui savent voir et entendre, que l'influence qu'exercent les Etats-Unis dans le monde est de plus en plus grande, nous n'avons pas été capables de nous débarrasser de la notion de notre déclin. Car une fraction de l'opinion américaine se refuseàuser de ses yeux et de ses oreilles.

Au lieu de cela, les tenants du déclin s'embrouillent dans des statistiques qu'ils ne comprennent pas, ou que, dans certains cas, ils déforment de propos délibéré. Ils font appel au chauvinisme en transformant le commerce international en une sorte de combat,

(2)

alors qu'il est une série d'arrangements mutuellement avantageux entre adultes consentants.

Dernièrement, la gauche a fait de cette idée sa marotte, avec l'appui d'une coterie d'intérêts particuliers étrangers à toute idéologie. Il est instructif de se souvenir, cependant, qu'à l'orée des années quatre-vingt le déclin était un thème de la droite. Les conservateurs - parmi lesquels notamment Jean-François Revel, mais il est loin d'avoir été le seul - prétendaient, sous forme d'avertissements, que l'Occident se laissait distancer dans la compétition militaire avec l'Union soviétique, nouvelle Sparte.

Celui-ci était en fait manipulé par des campagnes soviétiques comme celle qui arrêta la fabrication de la bombe à neutrons. Les Etats-Unis, leader naturel de l'Alliance, se trouvaient alors en proie à l'inflation, leur productivité stagnait, ils étaient préoccupés par le sort d'otages détenus par un ayatollah d'un autre temps, et incapables même de faire traverser le désert à six hélicoptères.

A cette époque, les conservateurs craignaient que l'Occident n'eût pas assez de volonté pour utiliser ses ressources économiques supérieures ne fût-ce que pour se défendre. Qu'ils se rassurent! Leurs avertissements ont été entendus, les peuples libres ont trouvé la force de résister, la crainte de la puissance militaire communiste ne les a pas réduits à douter d'eux-mêmes et à rester inactifs. Mais aujourd'hui, la volonté américaine est mise à l'épreuve d'une manière plus subtile par le thème du déclin, une nouvelle recette pour semer le trouble et l'autodestruction. Si l'Amérique dans son ensemble devient la proie de cette psychose, il se pourrait bien qu'elle perde le droit qu'elle a trouvé dans son berceau, d'être le pivot d'une nouvelle civilisation universelle de progrès.

A droite, l'idée de déclin perdit de son éclat lorsque Ronald Reagan se mit à remplir les boîtes à pièces de rechange de l'armée, désigna sans ambiguïté l'Union soviétique comme«l'empire du Mal»,envahit la Grenade, bombarda la Libye et réactiva l'option de défense par missiles. Le tournant diplomatique eut lieu en 1983, quand l'Occident résista à une campagne soviétique - avec manifestations de rue et suspension des négociations sur le désarmement - destinée à arrêter le déploiement des missiles Pershing en Europe. En même temps, les Etats-Unis maîtrisaient leur inflation grâce à la politique monétaire de Paul Volcker, et faisaient

(3)

repartir leur croissance économique à la suite des réductions d'impôts décidées par Ronald Reagan. Sept années d'expansion économique ininterrompue firent merveille sur l'état de préparation militaire, sur l'imagination diplomatique et sur le moral du public.

La reprise économique, partie des Etats-Unis et qui eut tôt fait de gagner l'Europe, démontra qu'en fin de compte le totalitarisme ne pouvait que perdre son défi.

La politique d'endiguement poursuivie patiemment pendant deux générations prédisait que, soumis àune pression constante, l'empire soviétique perdrait de son mordant ou se lézarderait. Cela se produisit d'un seul coup: le mur de Berlin fut enfoncé en 1989, et en 1991 les vieux débris du communisme firent la preuve de leur ineptie, s'agissant même de tenter un coup d'Etat. Cependant, une attaque sous direction américaine décimait la quatrième armée du monde en six semaines de combat, au prix de la vie de 148 Américains. Le nouvel équilibre militaire mondial apparaissait à l'évidence, en ne laissant inexpliquées que les raisons pour lesquelles le président Bush arrêta l'offensive avant Bagdad, et comment il put se faire que les Cassandres hystériques qui avaient annoncé une débâcle dans le désert aient réussiàsauvegarder leur réputation de bonne foi en tant qu'experts militaires.

La prédominance des Etats-Unis n'est pas non plus unique- ment, ni même essentiellement, une question de puissance militaire.

Les idéaux américains de pluralisme démocratique et d'économie de marché se sont répandus non seulement dans l'ancienne Union soviétique, mais aussi à travers l'Amérique du Sud, l'Europe de l'Est et même l'Afrique. L'Amérique demeure la destination préférée de tous les réfugiés et immigrants du monde. Son système universitaire (malgré le fléau de la correction politique) reste sans rival; il confère des diplômes - diplômes scientifiques, diplômes d'ingénieurs, bien sûr! - à de nombreux ressortissants étrangers, dont beaucoup choisissent de rester aux Etats-Unis. Malgrétout le talent des Japonais industrieux, l'Amérique continue à dominer, dans le domaine de l'innovation scientifique. Beaucoup de sociétés multinationales, même si elles ont leur siège en Allemagne ou en Suisse, implantent leurs unités de recherche dans le New Jersey ou la Caroline du Nord.

Lesfabricants d'automobiles japonais ouvrent des bureaux de design àLos Angeles. Surtout, les Etats-Unis maîtrisent totalement la seule

(4)

technologie - pierre de faîte de notre époque, que dans toutes les langues on dénomme « software )).

Quels que puissent être, à un moment déterminé, les hauts et les bas de l'économie américaine, un fait crève les yeux: les Etats-Unis sont la société la plus riche de l'histoire de l'humanité.

Cela est une évidence au moins pour qui possède une culture économique et comprend qu'on ne peut fonder aucune comparai- son significative sur des taux de change ponctuels entre diverses monnaies nationales. Si l'on veut prendre les monnaies pour établir des comparaisons entre pays, la seule base significative est la parité en pouvoir d'achat, c'est-à-dire le taux de change auquel deux monnaies devraient se fixer pour pouvoir acheter, l'une et l'autre, le même panier de marchandises. L'Organisation pour la coopération économique et le développement passe d'innombrables heures à faire d'assommants calculs pour déterminer en série ces parités, précisément dans le but de faciliter de telles comparaisons.

Sous le régime actuel des taux de change flottants, les monnaies peuvent s'écarter largement de leur parité en pouvoir d'achat. Ce phénomène fausse les comparaisons et surtout les tendances - car des variations temporaires et réversibles dans les taux de change peuvent noyer complètement tout changement au niveau des données essentielles. En 1985, encore, le dollar était bien au-dessus de son taux mesuré en parité de pouvoir d'achat, exagérant du même coup le niveau de vie des Américains. Ces dernières années, il est retombé au-dessous, ce qui fait que les Etats-Unis paraissent moins riches qu'ils ne le sont réellement.

Ainsi, les comparaisons d'aujourd'hui, réalisées à partir des taux de change actuels, montrent-elles que l'Amérique prend du retard; mais, si on les rapporte, comme il convient, à la parité en pouvoir d'achat, le tableau est tout à fait différent. L'Economist Book of Vital World Statistics, par exemple, a classé les Etats-Unis au neuvième rang mondial seulement pour le Produit national brut par personne - derrière la Suisse, le Japon, et les pays scandinaves, si l'on prend les chiffres et les taux de change de 1988. Mais il a indiqué aussi qu'en rapportant ces derniers à la parité en pouvoir d'achat le niveau de vie américain dépassait de beaucoup celui des autres pays avancés. Pour une base 100 aux Etats-Unis, le Canada atteignait

(5)

92,5 et la Suisse 87. Venaient ensuite les pays scandinaves, et quelques petites nations, parmi lesquelles le Koweït. L'Allemagne de l'Ouest arrivait en dixième position, avec 78,6, et le Japon était douzième, à71,5. Les autres pays développés étaient à la traîne.

En bref, le niveau de vie américain se situe très au-dessus de celui du Japon ou de la plupart des pays européens.

Entre 1983 et 1990, une montée en puissance

Cela est confirmé par des mesures matérielles : il y a aux Etats-Unis, par exemple, une automobile pour 1,8 personne, contre une pour 2 en Islande, une pour 2,2 au Canada, en Nouvelle-Zélande et en Allemagne de l'Ouest. Une pour 2,5 en France, pour 2,8 dans le Royaume-Uni, pour 4,2 au Japon. De même, il y a un poste de télévision pour 1,2 Américain contre un pour 1,7 Japonais, et 2,4 Allemands. Les Etats-Unis sont aussi l'un des grands pays sous- exploités du monde, avec 26,3 habitants au mile carré, àcomparer aux 102,1 de la France, aux 233,8 de la Grande-Bretagne, aux 246,1 de l'Allemagne de l'Ouest, aux 324,5 du Japon et aux 395,8 des Pays-Bas. Je n'ai pas de chiffres sous la main, mais le niveau de vie américain manifeste, plus que partout ailleurs, sa supériorité dans le domaine du logement: les Japonais mesurent la taille de leurs appartements en nattes de tatami!

Pour ce qui est des tendances récentes, on peut dire que l'économie américaine a fait sortir le monde de la crise de la fin des années soixante-dix par une montée en puissance - entre 1983 et 1990 - si remarquable que l'on a du mal aujourd'huiàse souvenir de mots tels (( stagflation », « malaise »ou «europessimisme », Au cours de cette expansion, l'économie des Etats-Unis a progressé de quelque 31% en tenant compte de l'inflation, ce qui équivaut au fait de construire en partant de rien l'Allemagne de l'Ouest de 1982.

Le revenu par personne réellement disponible a crû d'environ 18%.

La productivité a recommencé à augmenter après avoir stagné dans les années soixante-dix, et a connu une montée en flèche dans la fabrication. La production de biens manufacturés a augmenté plus vite que le Produit national brut, les exportations ont fait un bond

(6)

de plus de 92%.Plus de 18 millions d'emplois nouveaux ont été créés, alors même que les 500 plus grandes sociétés citées par Fortune réduisaient leur personnel. Les recettes fiscales ont suivi le même rythme que la croissance du PNB, et, tandis qu'on pense qu'il s'est agi là d'une décennie de recherche effrénée de l'argent, peut-être faudrait-il noter que les dons pour des œuvres de bienfaisance ont cru de 5,1% par an, contre 3,5% au cours des vingt-cinq années précédentes.

Une fois encore, des mesures matérielles confirment un saut en avant remarquable du niveau de vie. En 1980, aussi difficile que cela puisse être de s'en souvenir, 1% des ménages américains seulement possédait un magnétoscope. En 1989, le chiffre atteignait plus de 58%.En pratique, tous les magasins de location de cassettes vidéo du pays ont été ouverts au cours de ces sept années de vaches grasses. En 1980, les réseaux de télévision par câble touchaient 15% des ménages américains, principalement dans les zones reculées où la réception était difficile. A la fin de la décennie, la moitié des foyers étaient raccordés. En 1981, alors que l'AppleII était un jouet pour passionnés d'informatique, il y avait dans l'ensemble du pays un peu plus de 2 millions d'ordinateurs individuels en service. Cette année-là, IBM mit sur le marché son premier PC, et Apple suivit avec le Macintosh en 1984. En 1988, les 2 millions de PC avaient éclaté et étaient devenus 45 millions. A peu près la moitié d'entre eux se trouvaient dans les foyers.

La caractéristique la plus remarquable des années quatre-vingt, cependant, a été la mondialisation de l'économie. Les marchés fonctionnant 24 heures sur 24 ont été reliés les uns aux autres; le dollar a fait le tour du monde à la vitesse de l'électronique; le rock and rolla envahi Prague et Moscou, les industriels japonais de l'automobile ont implanté des installations dans le Tennessee (Nissan), dans l'Ohio (Honda) et dans le Kentucky (Toyota).

«Interdépendance »est devenu le nouveau mot à la mode, bien qu'il ne suffise pas à décrire l'évolution de l'économie mondiale vers un tout organique.

L'économie américaine ayant tiré le monde du marasme de 1982, celui-ci vota avec son argent. En 1979, les étrangers investissaient 38,7 milliards de dollars aux Etats-Unis; le chiffre était en 1980 de 58,1 milliards. Mais les flux d'investissement grimpèrent

(7)

à 83 milliards en 1981, à 93,7 en 1982, à 130 en 1985, et à 229,8 milliards en 1987. Avec la politique monétaire de Vo1cker et les réductions d'impôts de Reagan, l'Amérique était le pays dans lequel tous les investisseurs du monde voyaient les plus belles promesses de profits. Et la demande aux Etats-Unis créait les marchés d'exportation qui tirèrent l'Europe de son pessimisme.

Une grande source de la confusion qui règne à propos de l'économie américaine, et une grande source des critiques actuelles àson égard, vient de ce que les Etats-Unis n'ont pas encore assimilé leur intégration dans l'économie mondiale. Ainsi, les sages de l'Amérique ont fixé leur attention sur les développements ébauchés ci-dessus et ont décidé que le ciel s'effondrait. En envoyant ici leur argent, ces perfides étrangers s'attendaient àêtre payés en retour.

En fait, la seule raison qui le leur faisait envoyer était qu'ils escomptaient qu'il leur rapporterait ici plus qu'il n'aurait pu le faire chez eux. Cet empressement à investir en Amérique plutôt que chez eux nous transformait - quelle honte! - en un pays débiteur. Et, évidemment, les achats américains qui stimulaient la reprise européenne se traduisaient - quelle horreur! - par un déficit commercial.

En 1976, une commission consultative officielle du gouverne- ment américain, chargée de l'étude des statistiques internationales, a proposé que«l'on évite, autant que possible, d'employer les mots

"surplus" et "déficit"... On les utilisefréquemment pour signifier que les évolutions sont respectivement "bonnes" ou "mauvaises".

Comme cette interprétation est souvent incorrecte, ces termes peuvent être généralement mal interprétés, et tenir lieu

d'analyse ii.

Suivant les recommandations de la commission, le ministère du Commerce a cessé de publier la plupart des diverses«balances»,

dont il y avait jusqu'alors pléthore. La balance des comptes courants, la balance fondamentale, la balance des liquidités nettes, la balance des règlements officiels. Comme les bureaucrates ont estimé qu'il leur fallait bien publier quelque chose, ils ont conservé la balance du commerce des marchandises, qui continue toujours à tenir lieu d'analyse.

Ce qu'a compris le comité consultatif, et sur quoi on ne saurait trop insister, c'est que les statistiques internationales constituent une

(8)

égalité comptable. Elles doivent s'équilibrer par définition, il y a là une tautologie. Après tout, pour tout acheteur, il faut qu'il y ait un vendeur. Les différentes balances commerciales ne sont que des points d'arrêt différents dans un grand cercle de transactions.

Excepté pour zéro, il n'existe pas de ligne inférieure.

La manière la plus constructive d'examiner les comptes internationaux est de les diviser en trois parties, qui par définition doivent toucher zéro. Les deux grands postes sont, tout d'abord, le commerce des biens et des services, et, en second lieu, l'investisse- ment. Ce sont là fondamentalement les deux faces d'une même médaille : normalement, un déficit commercial est financé par un surplus d'investissement, à l'entrée. Et un surplus commercial s'accompagnera de mouvements de capitaux allant s'investir à l'extérieur. On donne à la troisième partie le nom de «financement officiel» ; si le commerce et l'investissement ne se compensent pas l'un l'autre, les banques centrales doivent intervenir et jouer le rôle de balancier - cela peut faire problème si, comme cela a été le cas pour les comptes des Etats-Unis au milieu des années soixante-dix, il y a en même temps des sorties de biens et d'investissements.

Dans le mouvement de bascule ordinaire entre commerce et investissement, cependant, une balance commerciale parfaitement équilibrée n'est pas normale ni même souhaitable. Les Etats-Unis ont connu un déficit commercial presque tout au long des cent premières années de leur existence, et ils ont dégagé des excédents sous le régime du tarif douanier Smoot-Hawley, en pleine crise de 1929. Habituellement, une économie en croissance rapide exigera plus de disponibilités en ressources réelles, et elle aura un déficit commercial. Elle fournira aussi des opportunités d'investisse- ment attractives et attirera les mouvements de capitaux. Dans un monde en bonne santé, les deux mouvements se contrebalancent, sur des périodes de peut-être un siècle.

Pourtant, d'une manière ou d'une autre, nous en sommes venus à mesurer notre existence en tant que nation en utilisant la seule statistique de la balance commerciale. Le vrai mystère est de savoir pourquoi même nous la retenons; si nous utilisions des statistiques similaires pour l'île de Manhattan, Park Avenue n'en dormirait plus la nuit, àforce de se faire du souci sur son déficit commercial! Nous en sommes même arrivés à considérer le

(9)

commerce comme une espèce de compétition nationaliste. Vaincre, c'est, paraît-il, vendre au reste du monde plus qu'on ne lui achète.

Mis à part le fait que c'est en fin de compte impossible, pourquoi donc cela? Sinous pouvions y parvenir, que ferions-nous du produit de nos ventes? L'enterrerions-nous à Fort Knox?

Les vices cachés de la prospérité économique

Au milieu de cette éclosion de prospérité et de créativité, la gauche décida que l'Amérique était sur le déclin, et elle entreprit d'en donner la preuve en allant interroger les statistiques internatio- nales. Bien qu'il eût déjà été annoncé auparavant par des précurseurs, le thème trouva son plein accomplissement dans le livre de Paul Kennedy, l'Ascension et la Chute des grandes puissances.

En 1988, alors que les électeurs récompensaient une plate-forme du type «lisez sur mes lèvres »et Willie Horton, les acheteurs de livres, eux, récompensaient généreusement le professeur Kennedy et sa thèse de1'« étirement impérial». Dans cette vision des choses, le remplissage des boîtes à pièces de rechange de l'armée et la réaffirmation de la puissance militaire américaine à l'étranger ne constituaient pas un remède au déclin, ils en étaient la cause. En vérité, ils étaient le déclin lui-même.

Bien qu'il soit resté en tête des ventes pendant vingt- quatre semaines, l'Ascension et la Chute des grandes puissances a été sans aucun doute un exemple du phénomène contemporain du best-seller qu'on n'a pas lu. Peu de gens auraient pu trouver de l'intérêt à l'exposé de Kennedy sur les Habsbourg ou sur la Chine des Ming, et il fallait attendre les pages 514-535 pour que l'auteur aborde la périlleuse situation des Etats-Unis! Mais sur les pages des journaux réservées aux articles de fond, et dans les salles de séminaires, ces théories déclenchèrent un débat national, centré pour l'essentiel sur l'économie: des dépenses militaires excessives minaient celle-ci, la critique se faisait jour, et l'économie tournant au ralenti ne pouvait plus supporter les charges militaires. A vrai dire, les Etats-Unis n'étaient encore qu'« en déclin relatif », ils restaient les premiers en importance, mais leur avance fondait. Car

(10)

(( le seul moyen pour les Etats-Unis de payer leur part dans les affaires du monde est d'importer des masses toujours plus grandes de capitaux, ce qui les a fait passer de l'état de premier créancier mondialà celui de premier débiteuren l'espace d'un petit nombre d'années ii.

La gauche, évidemment, trouva grand intérêt à cette critique - à double canon - de l'administration Reagan : la prospérité économique manifeste était gâtée par des vices cachés, et la cause de ces vices résidait dans le renforcement des moyens de défense.

Quant à l'opinion publique, un sondage, effectué en février 1989 par CBS et le New York Times, révéla que 48% des personnes interrogées étaient tout à fait d'accord ou plutôt d'accord avec l'affirmation que les Etats-Unis étaient sur le déclin en tant que puissance mondiale. En mars 1991, après la guerre du Golfe, ce chiffre tomba à 22 %. (Kennedy écrivit alors dans le Wall Street Journal que c'était là précisément ce à quoi il fallait s'attendre de

la part d'une puissance en déclin.)

Les libéraux partisans de cette théorie, cependant, trouvèrent des alliés chez des gens supposés à droite - de la façon la plus marquée, chez les dirigeants de sociétés multinationales dont le siège est aux Etats-Unis, tels Chrysler et Motorola, qui estimaient qu'ils ne pourraient se maintenir au niveau de Toyota et de Sony, sociétés multinationales qui ont leur siège au Japon. Ils s'empressèrent, cela se comprend, de rejeter la responsabilité de la situation difficile dans laquelle ils se trouvaient sur n'importe quoi d'autre, excepté sur leurs propres insuffisances. Avec leurs alliés syndicaux, ils tombèrent à bras raccourcis sur les thèmes du déficit commercial et de la nation débitrice, dans leur campagne visant à ériger les barrières du protectionnisme, pour arrêter la marche de l'Histoire vers une économie mondiale intégrée.

Il y eut aussi, alors, une espèce de financiers conservateurs qui trouvaient les dettes pires que les impôts. Ceux qui placent des obligations et les gens des banques centrales ont une tendance naturelle à concentrer toute leur attention sur l'offre et la demande de crédit (dans toute la mesure où on peut les mesurer). Et, bien que les entreprises en développement voient tout naturellement leurs dettes s'accroître chaque année, on a appris dans leur enfance aux cadres qui les dirigent à ne juger des finances publiques que

(11)

par ce seul critère: les recettes courantes couvrent-elles les dépenses courantes? En fin de compte, il apparaît un conservatisme chauvin qui cherche un nouvel adversaire àcombattre après le déclin du communisme : il a jeté son dévolu sur les grandes sociétés japonaises.

Compte tenu de l'origine de ces différents soutiens, il n'est peut-être pas surprenant que la notion de déclin ait fait la preuve de tant de résistance, faceàune prospérité qui sautait aux yeux en même temps que face àsa réfutation intellectuelle. Je pensais que l'affaire avait été enterrée en mai 1988, dans le Wall Street journal, quand Charles Wolf de la Rand Corporation visa, àson habitude, en plein dans le mille: certes, remarquait-il, la part des Etats-Unis dans le produit mondial avait baissé, de 45%qu'elle était en 1950,

« une année manifestement atypique ».Mais, comparée au milieu des années soixante ouà1938,elle demeuraità22 %-24 %. «La dette gouvernementale du japon représente, notait-il encore, une fraction plus grande de son Produit national brut que celle des Etats-Unis, tandis que cette dernière a été grossièrement surévaluée dans les statistiques officielles. »D'une manière ou d'une autre, des pratiques étatiques en matière de politique ou d'économie s'étaient répandues à travers le monde dans les années soixante et soixante-dix, alors que les années quatre-vingt connaissaient une avancée de l'économie de marché et de la démocratie. « La rhétorique du déclin est fausse, parce qu'elle dépeint un passé qui n'a pas existé, un présent qui n'existe pas, et un avenir qui, probablement, n'existera pas. »

Vinrent ensuite des réfutations similaires venant de divers intellectuels centristes. L'économiste Francis Bator de Harvard écrivait dansForeign AjJairs, par exemple:«L'air résonne de mises en garde contre une surestimation de la puissance économique de l'Amérique. L'erreur la plus probable, selon moi, c'est de soutenir l'opinion inverse.»Et Samuel Huntington et Joseph S. Nye, tous deux aussi de Harvard, entreprenaient d'expliquer les raisons pour lesquelles les Etats-Unis gardaient leur leadership.

Ma collègue du Wall Streetjournal, Karen Elliot House, après avoir passé des mois à interviewer des centaines de dirigeants à travers le monde, concluaitqu'euxne pensaient pas que l'Amérique était menacée de déclin. Jean-François Poncet, ancien ministre

(12)

français des Affaires étrangères, lui déclarait:IlIl est difficile de croire sérieusement qu'une nation a de graves problèmes, quand ces problèmes peuvent être réglés par l'instauration d'une taxe sur l'essence de50cents par gallon. )) Seizaburo Sato, ancien conseiller auprès du Premier ministre japonais, rappelait à Henry Luce :IlLe XXesiècle a été le siècle de l'Amérique, et leXXlesiècle sera le siècle de l'Amérique. ))

Une seconde révolution industrielle?

Au moins, il devrait l'être, parce que, loin de s'enfoncer dans le déclin, les Etats-Unis sont aujourd'hui au centre de l'un des grands moments passionnants de l'histoire économique de l'humanité. Une seconde révolution industrielle est en train de remodeler la société mondiale. Jamais, depuis la première révolution industrielle elle- même, les progrès de la technologie n'ont été aussi stupéfiants, ni plus riches de changements dans la manière dont l'humanité vit et se pense elle-même.

Progrès plus stupéfiants aujourd'hui, sans doute, que même alors. La machine à vapeur de James Watt pâlit à côté de ce que notre génération a déjà vu : la fission de l'atome, le décodage des gènes, l'invention du transistor et des ordinateurs qu'il engendra.

Ce ne sont pas là seulement des bonds en avant splendides de l'imagination technologique, ce sont aussi, potentiellement, les signes avant-coureurs d'un progrès économique que nous ne pouvons pas imaginer actuellement. La puissance de l'atome, à moins que la fusion à froid ne s'avère après tout bien réelle, n'a peut-être pas tenu les promesses que nous mettions dans son potentiel. Les premiers fruits de la biotechnologie ne font qu'entrer sur le marché. Mais déjà le transistor et le reste sont en train de changer le monde.

Véritablement, nous vivons chaque jour avec la révolution électronique. Alors que la première révolution industrielle avait transformé une économie agricole en une économie industrielle, une seconde révolution transforme cette économie industrielle en une économie de services. Plus spécifiquement, en une économie de

(13)

l'information, dans laquelle la principale activité est la collecte, le traitement et la transmission de l'information. Nous nous dirigeons vers un monde dans lequel chacun, sur le globe, est en communica- tion instantanée avec chaque autre.

C'est ce tissu de communication instantanée qui a comme cousu le monde et l'a conduit vers une interdépendance toujours plus grande. En fait, tout au long de ce siècle, l'économie mondiale a été plus interdépendante qu'on ne l'a imaginé: la Crise de 1929, par exemple, futàun degré éminent un événement mondial, et ses origines résident dans des perturbations de l'économie mondiale.

Mais aujourd'hui, avec les marchés financiers fonctionnant en continu 24 heures sur 24 et avec les sociétés multinationales, on peut difficilement échapper àl'interdépendance économique.

Le même tissu de communication instantanée est responsable des évolutions politiques qui ont ébranlé notre époque. Orwell, dans son roman 1984, voyait dans la technologie de l'information un instrument de Big Brother. Nous nous apercevons aujourd'hui nettement que c'est tout juste le contraire. L'assaut de l'ère de l'information a joué un rôle clé dans la libération de l'Europe de l'Est et dans la diffusion des courants démocratiquesàtravers l'Union soviétique et les pays en voie de développement. Les tenants du totalitarisme se sont aperçus qu'ils ne peuvent contrôler un peuple qui est en contact avec l'extérieur. Selon l'expression d'Albert Wohlstetter :«Lefax vous rendra libres. »Naturellement, Big Brother peut construire une société sans ordinateurs, mais cette société ne sera pas capable de rester dans la compétition du monde moderne, comme la Chine, semble-t-il, est en train d'en faire l'expérience, après les événements de la place Tian Anmen.

Les armes de précision qui se sont montrées si efficaces pendant la guerre du Golfe sont un autre aspect de la technologie de l'information. Elles annoncent une lutte de compétence entre guerrier professionnel et guerrier professionnel; les philosophes n'auront plus àdisserter de laIl destruction mutuelle assurée» - les femmes et les enfants pris pour cibles par des missiles nucléaires.

Une fois que l'on aura pleinement compris cela, le bénéfice en reviendra partout aux civils.

Naturellement, notre époque et notre pays ont leurs pro- blèmes. LesAméricains devraient prendre plus au sérieux la question

(14)

de l'éducation, au lieu de la subordonner à des objectifs tels que l'équilibre racial et la suppression de l'amiante. Notre système juridique devrait permettre à la police de faire respecter la loi contre le vagabondage, et mettre fin à l'industrie parasite des procès abusifs endommages-intérêts qui pèse sur nous. Notre système politique, lui, est si figé qu'il semble incapable d'apporter des réponses à ces problèmes de la vie quotidienne.

Plus généralement, il s'agit bien là d'une libération trop complète, et d'avoir à notre disposition trop de possibilités de choix.

Nous en sommes encore à apprendre à vivre avec nos libertés toutes neuves. L'irruption de la modernité n'a pas été une bonne chose pour des institutions comme la famille. Nous sommes trop sensibles à des lubies - les craintes concernant notre santé, par exemple -, et en l'occurrence à la lubie de la théorie du déclin des Etats-Unis.

Pour tous ces problèmes, ce qui surtout demande à être expliqué, ce n'est pas de se demander en quoi l'Amérique ne va pas bien, mais comment il peut se faire que tant de beaux parleurs de nos élites se méprennent si complètement sur la réalité. Pour une large part, la réponse tient dans le fait que le progrès est quelque chose d'inquiétant, comme l'est toujours tout changement rapide.

Si l'on jette un coup d'œil en arrière sur l'Histoire, on s'aperçoit en effet que les périodes de progrès économique ont été souvent des périodes de pessimisme.

L'erreur de Malthus

Notamment, le champion de tous les temps en matière de pessimisme économique, Thomas Malthus, a publié son premier essai sur la population en 1798, soit vingt-neuf ans après le premier brevet déposé par James Watt concernant la machine à vapeur. En d'autres termes, la première révolution industrielle fut pour Malthus l'occasion d'élaborer ses théories qui tournaient tout au noir. Il expliquait pourquoi le progrès économique était impossible au moment même où l'humanité était en train d'accomplir le bond économique le plus prodigieux de son histoire.

Il n'est pas étonnant que le paradoxe que constitue le cas de Malthus ait attiré l'attention de JosephA.Schumpeter, le plus grand

(15)

historien de notre siècle en matière d'économie et l'un de ses plus grands économistes. Un chapitre de son énorme Histoire de l'analyse économique montre comment les sociétés anciennes s'inquiétaient d'une éventuelle surpopulation. Mais cette situation changea complètement après 1600 environ. L'attitude qui prévalut alors fut que « l'accroissement de la population constituait le symptôme le plus important de la richesse; il était la cause principale de la richesse; il était la richesse elle-même )).

« On a beaucoup de mal à expliquer, écrit Schumpeter, les raisons pour lesquelles l'attitude opposée s'est affirmée chez les économistes à partir du milieu du XVIIIe siècle. Pourquoi ceux-ci ont-ils eu peur d'un épouvantail? )) Le pessimisme malthusien ne s'est pas développé malgré les progrès de la révolution industrielle, conclut-il, il s'est développé à cause d'eux.

Un progrès durable, souligne-t-il encore, crée des problèmes qui ne durent pas, et«dans la révolution industrielle des dernières décennies du XVIIIesiècle, ces vicissitudes à court terme devinrent plus sérieuses qu'elles ne l'avaient été jusque-là, précisément parce

que le rythme du développement économique s'était accéléré )).

Cela ne veut pas dire que les problèmes qui se posaient sur le court terme étaient imaginaires. A cette échéance, le progrès technologique supprimait des emplois agricoles plus vite qu'il n'en créait dans la fabrication, étant donné en particulier que les corporations et autres organisations de ce genre constituaient des goulets d'étranglement. Il apparut un type de chômage de masse inconnu au Moyen Age, et avec lui, les taudis urbains, les bistrots de bas étage, et les grands débats sociaux sur les lois d'assistance publique. Quelques décennies plus tard, Dickens se fit l'écho du pessimisme de Malthus. Mais nous savons aujourd'hui que, durant la période où vivaient ces deux hommes, l'humanité construisit à un rythme rapide sa richesse.

Si, donc, nous faisons actuellement l'expérience d'une se- conde révolution industrielle, il ne faut pas nous étonner d'entendre dans notre discours public l'écho de thèmes malthusiens tels que la surpopulation et l'épuisement des ressources. Depuis la technolo- gie primitive d'un voilier de bois, les forces de la terre semblent écrasantes. Maintenant que nous avons accompli la prouesse

(16)

d'envoyer des hommes sur la lune, la terre paraît comme une fleur fragile, chétive si on la compareàce que sont nos propres pouvoirs.

L'évolution rapide produite par la seconde révolution indus- trielle, en outre, bouleverse les institutions et les élites établies. De même que l'information instantanée et les marchés en temps réels érodent le pouvoir des gouvernements, de même aussi ils mordent sur celui des dirigeants de sociétés et des responsables syndicaux.

Aujourd'hui, tout le monde peut voir le président d'Exxon frémir sur des flots de pétrole répandus en Alaska. Beaucoup de cadres de direction se trouvent destitués, encore que ce soit avec des parachutes en or. La moitié des 500 sociétés classées en tête de la liste de Fortune en 1980 n'y figuraient plus en 1990. Sous le poids de la compétition industrielle et de l'information sur les salaires et les conditions de travail, les syndicats voient décliner le nombre de leurs adhérents dans le secteur privé.

Il en va de même aussi pour les élites intellectuelles, dont les compétences se trouvent perdre en pertinence, et dont les positions sont compromises. Ainsi, peut-être ne peut-on mieux comprendre le mouvement d'édulcoration du réel qui se manifesteàl'université qu'en le considérant comme une marque de luddisme (1).

Et à coup sûr beaucoup de nos beaux parleurs patentés se sentent menacés d'une manière profondément personnelle par l'idée qu'un virage historique a été pris sous la présidence d'un acteur de cinéma un peu simple d'esprit.

Une ère nouvelle à définir...

Ce mélange de névrose, de demande de faveurs spécifiques, d'hostilité idéologique, d'ignorance et de confusion est évidemment un phénomène avec lequel il faut compter. En fait, même un optimiste invétéré doit admettre qu'il existe après tout une possibilité pour l'Amérique de réellement décliner - à savoir, si ce pessimisme névrotique devient une prophétie qui se réalise elle-même.

Ce serait une tragédie pour l'Histoire, car la conjonction du déclenchement de la seconde révolution industrielle et de l'écroule- ment du totalitarisme fournitàla race humaine une occasion unique.

(17)

La décennie des années quatre-vingt-dix n'est pas un temps pour le pessimisme, mais un temps pour de grandes pensées et pour de grandes ambitions. La marée roule, dans les affaires des hommes, et nous devons saisir le courant quand il nous sert. L'espoir le plus radieux pour l'humanité, aujourd'hui, est que la brèche ouverte dans le mur de Berlin le 9 novembre 1989a marqué la fin d'une ère brutale qui avait débuté avec l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand à Sarajevo, le 28 juin 1914.

La conscience de tout homme en vie aujourd'hui s'est forgée dans un temps qui sortait des normes, un siècle de guerre mondiale, de révolution et de totalitarisme. Si l'humanité a toujours connu des guerres et d'autres malheurs, notre époque compte parmi les plus pitoyables de l'Histoire. La technologie a transformé la lutte armée, d'un combat entre chevaliers, en un assaut contre l'ensemble des populations civiles. Une grande crise, celle de 1929, a fait sombrer l'économie mondiale. Avec la montée d'Hitler et de Staline, l'âme humaine s'est trouvée en état de siège. La Seconde Guerre mondiale s'est achevée en une confrontation planétaire entre le communisme et l'Occident.

Ce qui était en jeu, c'était la nature de l'homme - simple rouage dans la grande machine dialectique de l'Histoire, ou individu autonome capable d'exercer son libre-arbitre et de se gouverner lui-même? Si les réformes réussissent en Russie, ou même si elles survivent, tout cela sera du domaine de l'Histoire, et nous aurons une ère nouvelle à définir.

La ligne d'horizon de Paris est dominée par la tour Eiffel, le grand monument dédié àune époque moins épouvantable, érigé à l'occasion de l'Exposition universelle de 1889 pour célébrer les prouesses scientifiques et techniques de la Belle Epoque. La Belle Epoque, naturellement, est habituellement associée au Paris fin de siècle, le Paris de Toulouse-Lautrec. C'était un temps d'épanouisse- ment extraordinaire pour les arts, où Manet, Degas et Monet soutenaient les luttes qui menaient au Salon des Refusés. C'était aussi un temps extraordinaire pour la science, avec des savants de la trempe de Louis Pasteur ou de Marie Curie. Par-dessus tout, c'était un temps où l'on avait foi dans le progrès humain. Même l'austère Emile Zola invoquait « un siècle de science et de démocratie y).

(18)

Le pivot de cette civilisation était la Grande-Bretagne. Avec ses lois sur les grains, elle pratiquait le libre-échange unilatérale- ment, au bénéfice de ses propres consommateurs et du progrès des nations sous-développées. La Royal Navy assurait la liberté des mers (et supprimait le commerce des esclaves). La livre sterling était le pilier d'un mécanisme monétaire international exceptionnellement efficace, connu sous le nom d'étalon-or. Marchandises, travail et capital circulaient librement, allant là où leur utilisation était la plus productive, dans une économie intégrée couvrant deux continents et plus.

Les plus grands bénéficiaires de ce système étaient les Etats-Unis d'Amérique. Une immigration sans obstacles peuplait leurs terres. Des marchés ouverts en Europe accueillaient leur blé, aux dépens des intérêts agricoles européens, particulièrement des intérêts anglais. En dépit de ces ventes, leur faim de biens essentiels était telle qu'année après année ils allaient de déficits commerciaux en déficits commerciaux; mais cela importait peu, étant donné les flux d'investissement qui s'y déversaient en abondance. Car - et c'était le plus important de tout - les marchés financiers de Londres mobilisaient les capitaux du monde civilisé tout entier pour l'accomplissement de cette tâche prodigieuse et excitante : le développement du continent nord-américain .

... et l'espoir d'une ère de libération

Nous sommes aujourd'hui en position d'ériger une nouvelle version des institutions de la Belle Epoque, et de ranimer son esprit.

Nous pouvons espérer aussi éviter un autre Sarajevo, car la technologie de la seconde révolution industrielle est moins chargée de menaces que celle de la première. La tour Eiffel était le fruit du travail d'un ingénieur, en son genre un monument à la planification centralisée. Fondre de l'acier et construire des chemins de fer constituaient des entreprises qui exigeaient une planification centralisée et la mobilisation de grandes masses de capitaux.

Napoléon avait démontré comment il fallait faire pour enrôler des sociétés entières en vue de la guerre, et au siècle suivant l'expérience

(19)

de l'humanité lui enseignait l'efficacité logistique et l'ordre bureau- cratique. Le progrès même des sciences conduisait des philosophes tels que Marx à penser aux « lois de l'Histoire», En 1914, cette technologie, se combinant naturellement avec les folies récurrentes de l'humanité, précipita le monde dans la guerre.

Depuis lors, nous avons lutté pour maîtriser l'impact de la technologie et les mentalités qu'elle engendre. Tandis que le travail à la chaîne transformait les hommes en rouages de machine interchangeables, l'Etat centralisé bureaucratique devenait le terrain où prenait naissance le totalitarisme. Mais la technologie de la seconde révolution industrielle renforce les pouvoirs des gouvernés plutôt que ceux des gouvernants. Dans son bouillonnement incessant, la technologie d'aujourd'hui présente certes une face obscure à conquérir; mais sa face brillante présente l'espoir d'une ère de libération.

Assurément, la technologie n'est pas tout. C'est à l'esprit humain d'exploiter les occasions qu'elle offre, et notre problème est qu'à nous tous qui vivons dans les années quatre-vingt-dix, on a appris dès le berceau à ne pas croire aux rêves. Nous faisons preuve de cynisme envers les hommes politiques, ils ne se montrent pas à la hauteur de nos espérances. Au lieu d'un siècle de démocratie et de science, nous avons Andy Warhol qui proclame que tout le monde sera célèbre un quart d'heure. Au lieu de Toulouse-Lautrec, nous avons Robert Mapplethorpe.

Et à la place d'une promesse de coopération mondiale sous la conduite des Etats-Unis, nous avons les lugubres apôtres du déclin, qui s'alarment parce que marchandises et capitaux franchissent des lignes que quelqu'un a tracées sur des cartes, et cherchent à faire sortir les rivalités entre peuples hors des limites de rapports pacifiques et mutuellement avantageux.

La dernière fois que fut mise à l'épreuve la détermination de l'Occident, celui-ci releva le défi. En particulier, l'électorat américain comprit que c'était le communisme soviétique qui constituait la vraie menace, et non pas le complexe militaro-industriel, Avec l'épreuve plus subtile en quoi consiste la litanie du déclin venant de Cambridge, de Detroit et de Washington, de nouveau il y aura confusion; apparemment, on l'échappera belle, mais en fin de compte le fantasme ne s'imposera pas. En fait, une fois assurée,

(20)

intellectuellement et politiquement, l'autorité qu'exige l'élaboration de ce défi, la nation américaine saura se montrer àla hauteur de la chance magnifique qui se présente devant elle.

Robert

1.

Bartiey

©

Commentary de mars 1992 Traduit del'américain parjean-Louis Le Gludic

1. Mouvement de contestation du progrès technique, apparu en Angleterre au début du XIXe siècle, sous la forme d'actes de violence visant les machines, en particulier les métiers à tisser.

Références

Documents relatifs

Le président des Etats-Unis cherche à justifier ces actions agressives sans précédent par des considérations selon lesquelles Cuba constituerait une menace pour

Le graphique ci-dessous est tiré d’un document de travail qui examine la répartition des seuls revenus du capital (intérêts, dividendes, loyers, etc.).. Entre ces deux catégories,

Spécialité.. Méthode perfectionnée supérieure à tous les procédés en usage à ce jour. ^ Faire offres pour tous genres calottes et grandes pièces nickel et principalement

dorénavant, qui recommanderait au président les augmentations ou les diminutions du taux des droits, Le président ne pourrait plus qu'approuver ou désapprouver. Hoover est

LES ROUTES MYTHIQUES AUX USA – LA HIGHWAY 1 (PACIFIC COAST HIGHWAY)... LES ROUTES MYTHIQUES AUX USA – LA

- Des tendances à modifier le sujet qui devient : "Les grandes puissances économiques dans le monde ; la spécificité de la place des Etats-Unis n'apparaît plus suffisamment dans

Depuis le 20 ème siècle, USA = 1 ère puissance industrielle. Les industries de pointe connaissent un fort

Pour chacun des nombres précédents, décider d’un critère permettant à ce nombre de représenter un juré d’origine mexicaine ou un juré d’origine non mexicaine.. Dans la