CINÉTIQUE DE L’ABSORPTION INTESTINALE DU PHOSPHORE CHEZ LE PORC
L. GUÉGUEN
A. RÉRATPierrette CAMUS-AUGÉ Colette KATZ-COLIN Station centrale de Recherches de Nutrition et Station de Recherches sur
l’Élevage
des Porcs,Centre national de Recherches
zootechniques, i’8-Jouy-en-Josas
SOMMAIRE
L’utilisation d’un modèle
biologique
basé sur uneinterprétation mathématique
des variationsde la radioactivité
plasmatique après injection
ouingestion
d’une dose de 32P, apermis
de calculerla vitesse de
l’absorption
intestinale duphosphore
chez le Porc.L’absorption
duphosphore
d’un repas commence 10 à r5 mnaprès
le début del’ingestion
etest
pratiquement
terminée au bout de 3heures. La vitesse del’absorption
suit une loiexponentielle
dont la
période
est de 30mn. Ainsi, la moitié duphosphore
utilisable du repas est absorbé dans lespremières
30minutes.L’étude
des mécanismes des interactions entre éléments minéraux au niveau de leurabsorption, indispensable
pour la définition deséquilibres alimentaires,
né-cessite la connaissance
plus précise
de la vitesse et de la localisation del’absorption
de
chaque
élément.Des travaux antérieurs effectués sur le Rat
(CRAMER, 1959 )
et sur le Porc(G U É-
G U B
Net
RÉ RAT , 19 6 5 )
montrent quel’absorption
duphosphore
est trèsrapide,
maisne
permettent
pas depréciser
les variations de la vitesse du passage à travers laparoi
intestinale en fonction dutemps
écouléaprès
le repas.Nous avons étudié
l’absorption
duphosphore
radioactif administré sous la forme dephosphate disodique,
à l’aide d’un modèlebiologique
dérivé de celui utilisé par STEWART et GAMBINO( 19 6 1 )
pour l’étude del’absorption
du fer chez le Chien.Ce
modèle,
que nous avonssimplifié
etprésenté
defaçon différente,
est basé surl’interprétation mathématique
des variations de la radioactivité dans leplasma sanguin après injection
etingestion
duradioisotope.
L- PRINCIPE DE LA
MÉTHODE UTII,ISÉE
Le mode de raisonnement utilisé est basé sur la
comparaison
des décroissances de la radioactivitéplasmatique
observées soitaprès injection
soitaprès ingestion
de 32P. Il est nécessaire
d’admettre,
parhypothèse, qu’une
administration orale de 32Péquivaut
à uneinjection
un peu décalée dans letemps
et que la loiqui régit
la
sortie totale de 32P hors duplasma
est la mêmequel
que soit le mode d’entrée du radioélément(injection
intraveineuse ouabsorption intestinale).
Si nous
appelons
Mo laquantité
de 32Pdisponible
dans l’intestin immédiate- mentaprès l’ingestion
duradioisotope (c’est-à-dire
laquantité
de 32Pqui
doit êtreabsorbée)
etM t
laquantité disponible
demeurant dansl’intestin
àl’instant
t, laquantité
totale absorbée à l’instant t est :Ainsi, évidemment,
nous avons :et il est donc
possible
de mesurer les variations de Mt pour étudier lesvariations
de la vitessed’absorption, puisqu’une augmentation
instantanée deAt
estégale
àla diminution
correspondante
de Mt.Après
une administrationorale
d’une dose de 32P(dont
Me estabsorbable)
laradioactivité
totaleprésente
dans leplasma
àl’instant
t estégale
à ladifférence
entre laradioactivité provenant
de l’intestin et lessorties
simultanées versl’os, l’urine,
etc.A
chaque
instant nous avons donc :n,
u, v
si S
(t) représente
la vitesse(ou débit)
de sortie totale du radioélément hors du compar timentplasmatique.
En tenant
compte de l’équation (i)
nous avons :!t.
Après
administration par voie intraveineuse de cette mêmequantité
Mo de32pnous avons dans le
plasma sanguin
total :Il est facile d’en
déduire,
en combinant leséquations ( 2 )
et( 3 ),
que :Ne connaissant pas le volume
plasmatique
total V chez les animaux utilisésnous avons déterminé Pt dans un volume déterminé de
plasma (r litre)
et nous avonsd ’d&dquo; 1 . t.
me
Il’1 .. d Mdonc étudié les variations de
V‘, parallèles
aux variations de M!.Nous verrons
plus
loinqu’une interprétation graphique simple permet
de tracer facilement la courbe de variation de!.
IL-
MATÉRIEL EXPERIMENTAL
ETMÉTHODES
DE MESURE Les essais ontporté
sur 4porcs mâles de raceLarge
White pesant de 30 à 40kg
et recevant unealimentation
classique
à base de céréales et de tourteaux, en trois repas de 500à 600 g parjour.
Lerégime
contenait 9g de Ca et 8 g de P parkg
de matière sèche.Les animaux étaient munis de cathéters dans les deux veines
jugulaires
et étaient maintenusen cages à métabolisme permettant de récolter
séparément
urine et fèces.Deux ou trois essais ont été effectués sur le même animal, un par administration orale d’environ
200
y c i
de 82P sous la forme d’une dose-trace de 32po4HNa, intimementmélangée
à un repas, etun ou deux autres par
injection
dans l’une des deux veinesjugulaires
d’environ 120y Ci de esP. Ces différences entre les doses ont été calculées defaçon
que les radioactivitésplasmatiques
soient voi- sines dans les deux cas, sachantqu’environ
60p. 100de la dose est absorbé(G U É GUEN
etRÉRAT,
i965).
Deux essais successifs sur le même animal étaient
séparés
par un intervalle de temps de 10jours,
suffisant pour que la radioactivité résiduelle du
plasma
soit faible.Après injection
ouingestion,
r5 à zoprélèvements
de sang,espacés
defaçon logarithmique,
ont été effectués durant 7 heures dans l’une des veines
jugulaires (par
la canule non contaminée parl’injection). Chaque prélèvement représentait
10ml de sang et 2à 3 ml de sérumphysiologique hépariné.
Lesprélèvements
étantplus
ou moins dilués par du sérumphysiologique,
la calcémie aété
adoptée
comme constanteplasmatique
et les résultatsexprimés
par 100mg de calcium(ou
i litrede
plasma).
Le sang a été
centrifugé
et les mesures de radioactivité ont été effectuées directement sur i ml deplasma
à l’aide d’un compteurGeiger-Müller
à fenêtre mince. Lesdosages chimiques
ont étéeffectués sur le
plasma
minéralisé, lephosphore
par la méthodecolorimétrique
au métavanadate et le calcium parphotométrie
de flamme.IIL--
RÉSULTATS
ET DISCUSSION1
. Variations de la radioactivité
!lasmatique après injection
intraveineuse de 32PLa courbe moyenne de décroissance est
représentée
sur lafigure
i en coordonnéessemi-logarithmiques.
Contrairement à cequi
a été observé dans le cas du fer(S TEWART
et
G AMBINO , ig6i)
il nes’agit
pas ici d’unsystème simple
à deuxcompartiments.
Cependant,
nous avonssystématiquement
trouvé(6
essais sur 4porcs)
unchange-
ment de
pente
au bout de 2 heures et, parsimplification,
nous assimilerons la dé- croissance durantles
deuxpremières
heures à unefonction exponentielle simple
dont la constante
K!l
est en moyenne de 1,02(heures - 1 ) puis
ladécroissance
de 2 à 6heures
à une seconde fonctionexponentielle
dont la constanteK, 2
est de 0,24(heures - 1 ).
Bienentendu,
lapremière
courbe ainsifigurée
nepeut
êtrerigoureu-
sement linéaire
puisqu’elle représente la
somme de deuxfonctions exponentielles.
Seules
des raisons d’ordrepratique
nous ont conduits à faire cettesimplification.
2
.
irariations de la radioactivité Plasmatique après ingestion
de 32pLa
courbe expérimentale
de lafigure
2représente
l’évolution de laradioactivité
du
plasma après
un repasmarqué
par32 P0 4 HNa 2 .
Laradioactivité apparaît dans
le
plasma
10 à 15 mnaprès le
début du repas(qui dure
en moyenne 5 à 10mn)
etle maximum est atteint au bout d’une heure environ.
Après
3-4 heures nous retrouvons une décroissanceanalogue
à celle que nous avionsaprès injection (K s2
= ―0 , 24 ).
Ceciindique
quel’absorption
est terminée.Il est
alors possible
de reconstituer la courbethéorique (en
traitinterrompu
sur lafigure 2 ) que l’on
aurait observée sil’absorption
avait étéinstantanée,
àpartir
d’unpoint de changement
depente
situéenviron
2 h 30 mnaprès l’administration
orale(sachant
que lapente
de la droite en coordonnéessemi-logarithmiques
est obtenueen divisant
K 81
par2 , 3 ).
Les donnéesexpérimentales ayant
montré que le maximum de radioactivité est atteint dans leplasma
au bout d’uneheure,
nous avonsadopté
un
décalage
de 30 mn environ entrel’injection
etl’absorption.
Si tout le
phosphore disponible
Mo était absorbé instantanément nous aurions dans leplasma
à l’instantt (t
inférieur à 2heures)
unequantité
dephosphore égale
à Moe-K81t. La différence entre ce
qui
se trouve en réalité dans leplasma
à l’instantt,
à savoir
P t ,
et cequi s’y
trouveraitthéoriquement
sil’absorption
avait été ins-tantanée, correspond
à cequi
est resté dansl’intestin,
Rfi.Ainsi,
Mt estsimplement
obtenu en faisant
graphiquement
la différence entre les deux courbes. Cette diffé- rence estreprésentée (fig. 2 )
par une fonctionexponentielle (au
moins durant les deuxpremières
heures del’absorption)
dont la constante moyenne est Ka = ―1 , 45
(les quatre
valeurs individuelles étant1 , 2 8
- 1, 57- I,33 etI ,6 4 ).
Bienentendu,
cerésultat ne
peut
être valable que si l’onaccepte l’hypothèse
d’une même vitesse de sortie hors duplasma
de l’élémentinjecté
et de l’élément absorbé. Les courbes obtenues montrentqu’il
en est amsi au bout de 2 heures. Durant lespremiers
stades de l’ab-sorption,
il faut supposer quel’équilibre isotopique
est trèsrapidement
atteint entretoutes les formes de
phosphore plasmatique,
même si unepartie
duradioisotope
administré est absorbée sous la forme d’une combinaison
organique.
3
. Vitesse
d’absorption
duphosphore
Connaissant la relation entre constante et
période
d’une fonctionexponentielle
( T l2
= o ,K 3 ) nous obtenons une période
moyenne de 0 , 4 8
h. Ceci signifie qu’au
bout
de 30mn la
moitié duphosphore
solublequi
doit être absorbé a étéabsorbé,
ce
qui
est trèsproche
des résultats obtenus pour le fer soluble par STEWART et GAM-B INO
(ig6i).
Les variations de Me
représentées
sur lafigure
2 sontparallèles
aux variationsde la vitesse de
l’absorption puisque d d¿! =
KaMt. La courbe de lafigure
3repré-
sente, en coordonnées
cartésiennes,
les variations de la vitesse del’absorption
de32p en
pourcentage
de la vitesse initiale KaM o , qui
s’élève à 2,4p. 100 de la dose absorbable parminute ;
la vitessed’absorption
décroît ensuite trèsrapidement
etau bout de 3 h
l’absorption
estpratiquement terminée,
alors que 30 à 40 p. 100 de la dose soluble administrée demeure encore durant environ 24 h dans le tubedigestif
(G U ÉG U E
N
etRÉ RAT , ig6 5 ).
Ilimporte cependant
designaler
que, du fait de l’exis- tence deplusieurs compartiments
duphosphore
durant les sixpremières heures,
notre raisonnement n’est
rigoureux
que durant les deuxpremières
heures. D’autrepart,
la méthodegraphique
utilisée n’est sans doute pas assez sensible pour per- mettre de déceler desphases d’absorption
de faible intensitéqui pourraient
existerultérieurement.
Ces résultats concernant le
phosphore
sont très voisins de ceux obtenus surl’Homme pour le calcium sous forme soluble
(A VIOLI
etal., 19 6 5 ;
CARRIGAIet GEN-NARY,
ig65), qui apparaît
dans leplasma
10 à z5 mnaprès l’ingestion,
le maximumse situant
également
au bout d’i heure environ. Au maximum de la courbe ces au-teurs ont trouvé 1,5à z,5p. 100de
la
dose parlitre
deplasma,
tandis que nous trou-vons pour 32P un maximum de i à z,5 p. 100de la dose par litre de
plasma ;
ceci necorrespond
sansdoute
pas à des tauxd’absorption
trèsdifférents
maisplutôt
à uneaccrétion osseuse
plus
intense chez les porcs en croissance que nous avons étudiés.Le fait que
l’absorption
duphosphore
commencerapidement
et avec une vi-tesse très élevée
indiquerait,
ou bien l’existence d’uneabsorption
très active dans l’estomac(ce qui
semble peuprobable compte
tenu de travauxantérieurs),
ou bienune ouverture immédiate du
pylore permettant
le passage d’unegrande partie
durepas et en
particulier
des éléments solubles. Il a été démontré sur le Rat(CRAMER, ig6i)
quel’aptitude
de l’intestin à absorber lephosphore diminue
du duodénumau côlon et
ainsi,
lespremières
fractionsatteignant le
début de l’intestingrêle
sonttrès
rapidement
absorbées.Toutefois, compte
tenu duralentissement
dutransit digestif,
q.o p. 100 del’absorption
effective se ferait dans l’iléum. La contributiondu côlon semble très faible
(moins
de 8 p. 100selonCRAMER)
et, enfait,
au bout de 3heures l’absorption
duphosphore
estpratiquement terminée.
I,’allure exponentielle
de la diminution de laquantité
dephosphore disponible
dans l’intestin
permet
desuggérer quelques hypothèses
concernant les mécanismes del’absorption
duphosphore. Ainsi,
onpeut imaginer,
pour larigueur
de notre rai-sonnement, que l’ensemble du
phosphore
soluble de l’intestinconstitue
unpool, peut
êtrerapidement incorporé
à la muqueuse intestinale(qui peut
donc en êtresaturée)
et que le passage de la muqueuse auplasma sanguin
constituel’étape
limi-tante. La diminution brutale
de
la vitesse del’absorption pourrait
être due à lapré-
sence en
quantité
limitée d’un facteur nécessaire àl’absorption
etqui disparaîtrait progressivement.
Dans cesconditions,
la vitesse du transit dans le tubedigestif
déterminerait la
proportion
absorbable duphosphore
solubleingéré (par
le passage dans le gros intestin oùl’absorption
estfaible),
mais influerait peu sur la vitessed’absorption.
Il est évident que ces résultats et ces
hypothèses
ne concernent que lephosphore
soluble du repas et non pas la totalité du
phosphore.
Il est vraisemblable que la fractionphytique
duphosphore
des céréales est absorbéebeaucoup plus lentement,
une
hydrolyse préalable
étant nécessaire.Reçu
pourpublication
en novembre19 66.
REMERCIEMENTS
Nous remercions vivement le Pr. C.-L. COMAR de l’Université Cornell aux
États-Unis, qui
nous a orientés dans le choix du modèle utilisé.
SUMMARY
KINETICS OF INTESTINAL ABSORPTION OF PHOSPHORUS IN THE PIG
By
the use of abiological
model and asimple
mathematicalinterpretation
of variations in radio-activity
in blood serum aftergiving
P32by
mouth orby
intravenousinjection
it has beenpossible
to calculate the rate of intestinal
absorption
ofphosphorus
in thepig.
The
experiment
was conducted with 4pigs
of 30 to 40kg liveweight,
with catheters in thejugular
vein. There were at least 2tests on eachpig,
one afterinjection
of P32into one of thejugular
veins and the other after the
radioisotope
had beengiven by
mouth in the form ofdisodiumphosphate
mixed in the feed.
Variations in
plasma radioactivity
afterinjection
of theradioisotope
are shown infigure
i.After it had been
given by
mouth(fig. 2 )
maximumradioactivity
per litreplasma
was attainedafter one hour, and after 2to 3hours the decrease in
plasma
wasparallel
to the decrease seen afterinjection.
It is
possible
to construct a theoretical curve(fig.
2) ofdisappearance
ofradioactivity
inplasma
which would have been seen if
absorption
had been instantaneous.The difference on the
graph
of these two curves(fig. 2 )
represents variations in the amount of availablephosphorus
notalready
absorbed.During
the first 2hours this difference is anexponential
function of which the
period
is 30minutes. Thus, half the solublephosphorus
which may be absorbed is absorbedduring
the first 30minutes afterfeeding.
The variations in rate ofabsorption
are repre- sented infigure
3as percentages of the initial rate which rises to 2.4p. 100 of the absorbable dose per min.Absorption
of the solublephosphorus given
ispractically
finished at the end of 3hours, while 30 to 40p. ioo of the dose still remains in the intestine for at least 24hours.These results are discussed and
hypotheses
are advancedconcerning
the mechanism of intestinalabsorption
ofphosphorus.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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