M ATHÉMATIQUES ET SCIENCES HUMAINES
F ERNAND V ANDENBOGAERDE Analyse de « Nomos Alpha » de I. Xénakis
Mathématiques et sciences humaines, tome 24 (1968), p. 35-50
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ANALYSE DE
«NOMOS ALPHA
»DE I. XÉNAKIS
par
Fernand VANDENBOGAERDE 1
« NOMOS ALPHA» DE I.
XÉNAKIS
« Nomos
Musique symbolique
pour violoncelleseul, possède
une architecture «Hors-temps» fondée
sur la théorie des groupes detransformations.
Il y estfait
usage de la théorie describles,
théoriequi
annexe les congruences modulo m etqui
est issued’une
axiomatique
de la structure universelle de lamusique.
Cetteoeuvre veut rendre
hommage
auximpérissables
travaux d’Aristoxène deTarente, musicien, philosophe
et mathématicienfondateur
de laThéorie de la
Musique,
d’EvaristeGalois,
mathématicienfondateur
de la Théorie des
Groupes
et de Félix Klein sondigne
successeur. »Cette oeuvre fut créée en mai
1966,
parSiegfried
Palmà Brême.
Dans cette oeuvre
plus
que dans toute autre deXénakis, l’organisation
s’effectue simultanément du niveau élémentaire(hauteur, durée, intensité, etc.)
aux autres niveauxd’organisation
del’oeuvre ;
et
inversement,
d’un élément de forme auxpoints,
parfiltrages
successifs.I. - STRUCTURE
GÉNÉRALE
DE L’OEUVRE.« La
forme
n’estjamais la
résultante d’unejuxtaposition,
mais le conduit vivant d’une
orsanisationformulée.»
G.Amy.
« Nomos
Alpha»
se divise en sixséquences principales,
constituant la voie B entrelesquelles
sontintercalées six
séquences
secondaires : la voie à(primitivement
l’oeuvre devait compter quatre voies : A Br a).
Chacune des
parties
des voies B et àrépond
dans ledomaine
des hauteurs à la théorie ducriblage
du total
chromatique,
l’enchaînement desexpressions logiques
de deux cribles à modulesdifférents,
s’effectuaut par leprincipe
des résidus. Les indices des modules des cribles se modifiant en fonction derègles pré-établies.
Les six
parties principales,
consistant en deuxcycles
de trois types de transformations(0153, fi, y) différents, régissant
les modes dejeu,
les durées et les intensités - dans l’ordre a,~,
Y, a - pouvant être assimilés aux troispositions
différentes d’untriangle
de sommets oc,~3,
y.1. Schola Cantorum - 1967
L’intérieur de ces
parties
est divisé entrois,
pour larépartition
des modes dejeu
d’une part, des durées et des intensités d’autre part, leur ordrerépondant
à des suites depermutations
des huitpremiers nombres,
selon lespossibilités
detransformation
du cube enlui-même,
l’enchaînement de cessuites de
permutations
s’effectuant par les résultats desproduits
entre eux de ces transformations.Les
séquences
de la voie 0répondent
sur leplan
des hauteurs à un choix différent dudiagramme cinématique
desexpressions logiques
et dans les autres domaines à unélargissement
des durées en neconservant que deux types de
jeu:
« arco» et «pontecello»
et deux modes dejeu:
« tenues et «glis-
sando»
(les
tenuespeuvent
être considérées comme desglissandi
de vitessenulle).
Schématiquement,
l’oeuvre seprésente
comme suit:A
(m, n) indique
le cribleutilisé;
D, Qn, E, L, G,
etc.,représentent
une des transformations du cube en lui-même.La
ligne supérieure :
DQI2 Q4
EQ8... s’applique
aux modes dejeu,
laligne
inférieure : DQg Q7
LQu...
à une combinaisondensité, durée,
intensité.II. -- LES CRIBLES ET LEURS ENCHAINEMENTS.
Rappel
de l’axiomatisation, de la structure d’ordre total de l’échellechromatique tempérée, inspirée
de celle des nombres de Peano.On considère: 0 = arrêt
origine;
n = un arrêt; n’ = l’arrêt issu dudéplacement
de n; D =l’ensemble des valeurs de la
caractéristique
sonoreenvisagée (hauteur, densité, intensité, durée, vitesse,
ordre...).
En identifiant les valeurs aux arrêts des
déplacements :
5)
si des éléments appartenant à D ont unepropriété
P telle que l’arrêtorigine l’ait,
etsi,
pour tout élément n de D ayant cettepropriété,
l’élémen,t n’ l’aaussi,
les éléments de D ont tous lapropriété
P(possibilité
de raisonner parrécurrence).
Sur cette échelle on peut en définir une autre, mais dont le
déplacement
unitaire sera unmultiple
de la
première.
On pourral’exprimer
par la notion de congruence modulo m.Deux entiers x et y sont dits congrus modulo m, si m est un facteur de x - y; notation : x - y
(modulo m).
Deux entiers sont donc congrus modulo m s’ils diffèrent de m ou d’unmultiple
entierpositif
ou
négatif.
Tout entier est donc congru modulo m à un et à un seul des nombres n; n _
(0, 1, 2, 3,
... m -2,
m - 1).
Ces nombres forment chacun une « classe résiduelle modulo m~.Exemple:
x .= n(mod. m)
x = n -E- km. k E Z(entiers relatifs,
Z =(0, 1,
-l, 2,
--.2...).
Pour un n donné et pour k E Z les nombres x
appartiennent
par définition à la classe résiduelle nmodulo m, aotée : mn.
La
première expression logique
de« NomosAlpha»
est basée sur des classes résiduelles de 11 et 13 :L’origine
étantprise: ~
et l’unité =
1/4
tonet ainsi de
suite,
en effectuantchaque
grouped’opérations.
La barre au-dessus d’un groupe
indique qu’il
fautprendre
lecomplémentaire
du résultat trouvé.Voir page
39,
le détail desopérations
dudéveloppement
del’expression
A( 1 l, 13).
Pour une meilleure utilisation des
résultats,
les indices de la troisièmepartie ( 13o
U13~
U136)
ontété
augmentés
de six unités :136
U137
U1312
et le 0 a étédéplacé
de 20 unités dans le sensnégatif.
On obtient donc les hauteurs suivantes :
Enchaînement des
expressions logiques:
Transformationmétabolique
utilisée: lesplus petits
résidus
qui
soientpremiers
envers un nombre r.Soit r =
18,
les résidus1, 5, 7, 11, 13,
17 sontpremiers
avec 18 et leursproduits après
réductionmodulo 18 ne sortent pas de cet ensemble R =
(1, 5, 7,11, 13, 17).
La conversion des cribles s’effectuera par
multiplication
des classes résiduelles modulo 18.Partant du
couple 11,
13 de R(choix
sansconséquence
car R est un groupe, toute transformation parmultiplication
et réduction modulo 18 seracyclique),
on obtient la chaînecinématique
des modules des cribles :ET AINSI DE SUITE
jusqu’à
ce que lecycle
soitterminé,
c’est-à-direlorsque
l’on retombe sur1 l, 13,
17...Cette chaîne
cinématique
est :Pour la voie
B,
les modules des cribles sontpris
consécutivement deux àdeux,
en negardant qu’un couple
formé sur deux:Les
expressions logiques
de la voie B seront donc dans l’ordre :Pour la voie
A,
les modules des cribles sont choisis de la mêmefaçon,
àpartir
ducouple 11,
11(dernier
etpremier
membres de lachaîne)
mais en lesgardant
tous, seuls les sixpremiers
serontnaturel-
lement utilisés :
Les
expressions logiques
de la voie A seront donc dans l’ordre :Modification des indices des cribles: Soit
Ko
un indicequelconque (m.K.).
Règles
donnant le nouvel indice du crible transformé :Première
règle : augmentation
de 1 unité(Ko -~- 1)
avec réduction modulo le criblecorrespondant
s’il y a lieu.
Deuxième
règle :
si tous les indices sontégaux,
à laprochaine
transformation mise enprogression arithmétique,
modulo le criblecorrespondant.
Troisième
règle: coefhcientage
de l’indice :III. - TRANSFORMATIONS DU CUBE.
L’étude des transformations du
cube,
lespropriétés
de certaines d’entreelles,
leurs diversesclassifications,
les chemins différents et lesgraphes qui
endécoulent,
constituentl’archétype
moteur del’ceuvre,
ainsi que seslignes
de force et sessuprastructures.
Il existe 24 transformations d’un cube en
lui-même,
parcorrespondance
des sommets, assimi-lables à 24
permutations
des 8premiers
nombres(chaque
sommetporte
un numéro de 1 à 8 correspon- dant aux 2 tétraèdres 12 ~ 4 et 5 6 78).
Ces transformations se classent en trois
catégories :
Rotations autour d’une
grande diagonale :
g 3 3 avec lesdiagonales joignant
g joig les sommetsRotation de 77 autour d’un axe
joignant
les milieux de deux arêtesopposées (6 axes).
Rotations autour axe
joignant
les milieux de deux facesopposées :
ppde2 )
2 7t,2 couples
de
faces).
L’ordre des sommets
après transformation,
en se référant au cube initial donne une suite de 8 chiffrescorrespondant
à unepermutation.
Cube initial
Exemple :
Dans la transformationQ8,
on a la substitution suivante :On peut effectuer tous les
produits
des 24 transformations entre elles.On remarque que l’ensemble des transformations constitue un groupe
non-commutatif,
les résul-tats de tous les
produits appartiennent
à l’ensemble dedépart : A B... Q11 Q12·
De
plus
cet ensemble de transformations contient deux sous-ensembles : A B C... L2 etQi Q2
... ·Q12 qu’on; désignera
defaçon plus générale
A etQ
et dont lesproduits
serépartissent
comme suit :Le sous-ensemble A est donc un sous-groupe non-commutatif.
Le sous-ensemble A contient en fait les transformations
changeant
lepremier
tétraèdre en lui-même
(et
par suite le second en lui-mêmeégalement),
et le sous-ensembleQ
les transformationschangeant
le
premier
tétraèdre en le second etréciproquement.
Chacun des sous-ensembles A et
Q
sedécompose
en troisparties (trois
nouveauxsous-ensembles)
dans l’étude des
produits :
Tous les
produits possibles
des éléments d’une desparties
ci-dessus par les éléments d’une autrepartie appartiennent
à un même sous-ensemble.Exemple :
On
peut
donc écrire :Va . V2
=VI-
On obtient le tableau suivant :A remarquer
l’analogie
de construction des tableaux 1 et II.A
partir
du tableau II on peut tracer les différentsgraphes possibles
àpartir
de chacune des sixparties.
Par
exemple
àpartir de Y2 avec Vl:
mais le
cycle
est terminé. On a donc la chaîne :Fig. 2
De même
avec V.
etV2:
On a donc la chaîne :
Et ainsi de suite...
Les deux
graphes
utilisés dans«Nomos-Alpha»
sont construits àpartir
deV2
avecV4
d’une part,et
Vs
avecVii
d’autre part.Le chemin est donc :
Le chemin est donc:
Ces circuits
permettent
différentes suites detransformations,
car les sous-ensembles comportent 4permutations
distinctes(ex. : V2
=D, J G, L2).
Apartir
du choixV2
avec~’4,
il existe 4 X 4= 16 suitesdifférentes de transformations formant elles aussi des chaînes fermées.
Chaînes choisies dans «
Nomos-Alpha » :
D’où la chaîne :
2)
avecY2
etY5
D’où la chaîne :
La
première
suite de transformationsD, Q12, Q4...
seraappliquée
aux modes dejeu,
laseconde
D, Q3’ Q78.
8 à des combinaisons dedensités,
intensités etdurées,
selon leprincipe
des substitu- tions décrit page 43.Modes de
jeu,
au nombre de8, correspondant
chacun à un sommet du cube :Fig.
6Leur
correspondant
avec un sommet du cubeinitial (ou
ordre de ces modes dejeu)
varie selon letype
de transformations(oc, p, y).
Les intensités au nombre de 4 dans la voie B
(mf, f, ff, fff)
sont des intensités moyennes pour laséquence envisagée.
Pour la voie A les intensités moyennes se situent entre p et f.IV. -
DÉTERMINATION
DES AUTRESÉLÉMENTS.
La
transposition
en hauteurs de notes du crible choisi ne détermine pas l’ordre des notes. Cettedétermination,
cefiltrage,
s’effectue àpartir
de quatre types dejeu : pizzicato, frapper
conlegno,
arcoet
pizzicato glissé,
et d’une division en quatreparties
de la tessiture du violoncelle(ou
d’unepartie
decette
tessiture).
Le mode dejeu
déterminé au moyen des transformationsappartient
à l’un desquatre
types cités ci-dessus et délimite un intervalle danslequel
serontprises
les notesappartenant
aucrible,
par un tableau tel que celui-ci muni d’un circuit entre les cases :
La distribution des durées des silences
répond
de même à un circuit dans untableau;
la pente desglissandi
estégalement répartie
suivant le mêmeprincipe,
calculée en quarts de ton parseconde,
elleobéit à la
règle
de la Section d’Or.V. - ANALYSE
DÉTAILLÉE
DUDÉBUT
DE LA PARTITION(A (11, 13))
Le crible
(11, 13)
a étéanalysé
page 39 et donne les hauteurs suivantes:L’ordre
appliqué
aux modes dejeu (sn)
et aux combinaisonsdensités, intensités,
durées(kn)
sontpour la
transformation ~ :
Première
séquence :
. n
Cette
partie
débute donc par unpizzicati glissé
dont la pente est d’abordnulle, puis
très faible(1/4
ton en2,5 secondes)
sur la note DOorigine
ducrible,
et fff(le glissement
débutantppp).
La
partie
s. consiste enun « frapper
conlegno »
sur DOt"
RE, 9 fff(avec
passage p aucentre).
’
Dans la
partie
S8 introduction de battements obtenu en haussant leSOL #
vers LA(dispersion).
Deuxième
séquence :
1. Noue remercions M. Xenakis et les éditions Boosey et Hawkes, d’avoir autorisé la publication dans M.S.H. de cet extrait de Nomoa-Alpha. (N.d.l.R.j
Extrait 2 1
On remarquera comme dans la
partie précédente,
le resserrement des valeurs des duréespréala-
blement calculées.
La
partie
si durantplus
d’uneseconde,
estnon-ataxique.
Troisième
séquence :
Fig.
IlDans la
partie
8g les pentes desglissandi
de sens contraires sont nulles.L’élargissement
dans lapartie s4
estproduit
par ledéplacement
de laligne
inférieure et laprovocation
debattements;
le nuage étant introduit par unpizzicato
sur laquatrième corde,
obtenu parappui
de l’index sur la noteplacée
entre
crochets,
effectué avec le pouce sur lapartie
de la cordecomprise
entre le sillet etl’index,
le résultatsonore étant la note entre
parenthèses.
1. Voir note page 48.
Extrait 3 1
Cette oeuvre très
personnelle
deXénakis,
entièrementpensée,
et calculée àpartir
duphénomène
des rotations du cube est d’une
grande
difficultéd’exécution,
tous les effets sonores introduits ne peuvent être toustechniquement reproduits intégralement,
l’écriturerompant
souvent avec la tradition de la littératureclassique
du violoncelle.Violente, saisissante, envoûtante,
mais musicale avant tout, cettepartition,
comme toutes cellesde
Xénakis,
d’uneesthétique parfaitement cohérente, parfaitement pensée,
est le reflet de la véritable sensibilité de notre temps.1. Voir note page 48.