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LES POETES ET LA POESIE

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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LES POETES ET LA POESIE

Claude Le Roy : Fleurs de la poésie normande du Moyen Age à nos jours (Ed. Ch. Corlet, 26, rue de

Vire, 14110 Condé-sur-Noireau). — Hommage à Pierre Menanteau. — Andrée Sodenkamp : Choix (André de Rache, éditeur à Bruxelles). — Katia Granoff : Œuvres complètes (Christian Bourgois).

Claude Le Roy, directeur de Noréal, une de nos revues provinciales les plus attachantes, et poète en prose aussi bien qu'en vers d'une fraîcheur d'inspiration étroitement liée aux multiples secrets de la nature, vient de publier aux éditions Charles Corlet, à Condé-sur-Noireau, une remarquable antho- logie de la poésie normande du Moyen Age à nos jours, ornée de quatre-vingt-quatorze fleurs dessinées par Claren, correspon- dant aux auteurs dont i l a été retenu au moins un poème et reproduites en couleurs.

L a Normandie occupe une des premières places dans la production lyrique de la France, et ce florilège composé avec beaucoup d'érudition et de sagacité nous en apporte une nouvelle preuve. Le Moyen Age y est fort bien représenté par Thibaut de Vernon, Marie de France, Alain Chartier, Pierre Gringore, et la Renaissance ne l'est pas moins par Vauquelin de L a Fresnaye, Jehan Le Houx, Jean Bertaut, Jacques Davy du Perron et Charles-Timoléon de Sigogne ; mais c'est au xvue siècle, où l'absence de Claude Le Petit, cher à P.-J. Toulet comme à Jean Pellerin, est particulièrement regrettable, que triomphe surtout la poésie normande avec l'infaillible Malherbe, l'aventureux et fantasque Saint-Amant, le spirituel Sarasin, l'admirable Corneille, le bucolique Segrais et le précieux Benserade dont le célèbre sonnet de Job est loin d'être la meilleure pièce.

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On trouve, pour le xviue siècle, l'infortuné Malfilâtre, immor- talisé par un vers de Gilbert, à côté de Bernardin de Saint- Pierre, un des prosateurs les plus originaux de son temps, et l'on arrive au xixe où figurent Chênedollé, harmonieux précur- seur du romantisme, Casimir Delavigne dont les Limbes seuls nous touchent encore, Louis Bouilhet, parnassien par trop méconnu, le virtuose Albert Glatigny, Guy de Maupassant, le symboliste Remy de Gourmont, Charles-Théophile Féret à qui nous sommes redevables du savoureux Bourdeau des neuf pucel- les, Henri Beauclair et Jules Tellier, mort à vingt-six ans, ami de Maurice Barrés et de Raymond de L a Tailhède qui l'a célébré dans un émouvant Tombeau.

J'aurais, dans la partie relative à notre siècle, aimé rencon- trer, auprès d'Henri de Régnier, de Louis Beuve, de Vincent Muselli, de Lucie Delarue-Mardrus, d'Henriette Charasson et de Jean Follain, trois poètes malheureusement oubliés, le satiri- que Fernand Fleuret, la vibrante Ginette Bonvalet et le discret A . - P . Garnier de qui l'œuvre pure et convaincante est presque entièrement consacrée à sa terre natale. Cet excellent ouvrage se termine enfin par une quarantaine de pages réservées aux collaborateurs de Noréal dont le doyen André Druelle est juste- ment apprécié, dont le plus grand nombre mérite de l'être et dont l'un des mieux doués est sans nul doute Claude L e R o y lui-même, ainsi que le montrent les vers blancs de ce très personnel et très curieux Nocturne :

Un signal crevassait la nuit...

La lune allumait la glycine

Qui défroissait des boucles mauves Où s'étoilaient des perles d'or.

Le marbre d'un palais sans nom Surgissait d'une autre mémoire Et les fleurs en le caressant

Veinaient d'ombre sa blancheur triste.

Un étang rouillait sous les feuilles, Mais des médailles de clarté Dessinaient un mouvant passage Dans la jungle des nénuphars.

Entre l'albâtre des statues Que son appel indifférait,

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Une guetteuse aux doigts glacés Rôdait aux marches du sommeil.

J'ai connu Pierre Menanteau en 1950 et, depuis ce temps- là, notre amitié n'a jamais eu d'éclipsés. C'était à l'époque où, après nous avoir donné plusieurs plaquettes, dont les vivantes qua- lités avaient retenu l'attention d'écrivains tels qu'Anna de Noail- les, Colette, Marie Noël et Henri Pourrat, il cadençait les poèmes de ce Cheval de l'aube qui lui valut, au début de 1952, le prix Gérard-de-Nerval et, comme l'a si parfaitement noté Georges Bouquet, une immédiate notoriété. Dans ce livre et dans la plupart de ceux qui parurent ensuite, un homme au cœur sen- sible nous touche d'une voix d'autant plus émouvante qu'elle semble unir la transparence à la magie et nous apporter la fraîcheur même des prairies et des sous-bois de l'adolescence.

Menanteau a le goût des anciens herbiers de nos aïeules, des chansons populaires où la rêverie et la réalité s'accordent à merveille et des vieilles légendes des provinces de l'Ouest.

Cet enchanteur, originaire du bocage vendéen, car c'est bien d'un enchanteur qu'il s'agit, nous entraîne souvent dans un pays perdu aux limites du souvenir et du songe, vante les fleurs, les arbres, les animaux, et n'a besoin pour nous charmer que de quelques mots soigneusement mis à leur place et prononcés tout bas. Il suit en cela les conseils de Verlaine, un de ses maîtres les plus authentiques et les mieux aimés avec le Francis Jammes de VAngélus et le Paul Fort des Ballades françaises. On a rapproché aussi maintes fois Menanteau de Jules Supervielle et de Charles Vildrac, mais ces rapprochements n'entachent en rien son originalité qui demeure évidente, comme le prouvent ces douze vers :

5'// était le plus laid

De tous les chiens du monde, Je l'aimerais encore

A cause de ses yeux.

Si j'étais le plus laid

De tous les vieux du monde, L'amour luirait encore Dans le fond de ses yeux.

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Et nous serions tous deux, Lui si laid, moi si vieux, Un peu moins seuls au monde A cause de ses yeux.

Maurice Fombeure, qui eut la chance d'être son élève à l'Ecole normale de Poitiers, a écrit en 1958 avec bonheur et non sans clairvoyance : « J'ai toujours pensé que le poète était celui pour qui le monde est neuf chaque matin. Celui qui a conservé intacte sa faculté d'émerveillement devant les specta- cles qui l'entourent et aussi devant ses paysages, ses colorations et ses remous intérieurs. Celui, en somme, qui est resté le plus proche de l'enfance et de son enfance, des enfants et de l'enfant qu'il fut. Eh bien ! à ce compte, nul n'est plus vraiment, plus naturellement poète que Pierre Menanteau. Nul n'est resté aussi proche de l'enfance et des enfants. »

Je partage l'opinion de l'auteur à'Arentelles et d'Aux créneaux de la pluie. Pourtant, i l serait fort injuste de ne voir essentiellement, en celui dont on a fêté les quatre-vingt-cinq ans le 22 novembre dernier, qu'un simple poète pour enfants. Son heureux talent, où triomphent des rythmes pleins d'aisance, de grâce et de naturel, s'affirme avant tout par la diversité des thèmes choisis et par la tendre ferveur d'un généreux lyrisme aux accents foncièrement humains.

*

A l'opposé de Pierre Menanteau qui s'exprime presque toujours à mi-voix, la Flamande Andrée Sodenkamp n'hésite pas à crier sa passion comme le fait Jane Kieffer à laquelle, malgré de notables différences, elle s'apparente par une surprenante vigueur, un don certain pour les couleurs vives et la plus franche des spontanéités. Le florilège qu'elle nous offre aujourd'hui, chez André de Rache à Bruxelles, arrive à son heure. Après trente ans de création lyrique elle est, en effet, demeurée aussi jeune qu'à ses débuts, tout en gagnant en ampleur de même qu'en intensité.

Marcel Thiry, dans une préface entre toutes pénétrante, a signalé, avec beaucoup de raison, que le faste, d'une part, et la sauvagerie, d'autre part, sont les deux principaux éléments de la poésie d'Andrée Sodenkamp et s'est complu à souligner sa grandeur. Ce remarquable choix comprend d'abord des pièces extraites de Sainte Terre, des Dieux obscurs, des Femmes des longs matins et de la Fête debout où se trouvent trois de ses

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meilleurs poèmes, Margareta Matiena de Bohême, inspiré par sa grand-mère gitane, Je n'aimais qu'un visage et ces Beaux chagrins aux féeriques prolongements que je suis content de citer et que voici :

Qui dira ce délice amer des amoureuses

Qui bercent dans le soir de beaux malheurs mouillés ? Nous aimons les appels, les douleurs coléreuses, Les grands mots sans mesure et l'adieu détourné.

Que nous fait le bonheur et son chapeau de paille, Les matins de dimanche où l'on ne peut trembler, Cet amant sans défaut, ces promesses sans failles Quand nous avons la lampe et le seuil désolé, La mante des départs, la servante peureuse Et ce décor planté au milieu des automnes.

Nous pourrons y verser des larmes bienheureuses Par ces grands soirs d'éclat où l'on nous abandonne.

Ce précieux recueil s'achève par des textes en prose tirés d'Autour de moi-même, nourris de pensées très substantielles ainsi que de réflexions plus ou moins imprévues, et par la Harde, étrange suite de vers inédits, qui ne fera qu'ajouter à la brillante renommée d'Andrée Sodenkamp, grâce à l'indéniable force de pièces baroques et singulièrement évocatrices, telles que Châ- teaux en Bavière, les Nonnes de Burgos, les Rois et Sur le chemin de Gand.

*

L a publication des Œuvres complètes de Katia Granoff, chez Christian Bourgois, dans un volume de mille quatre cents pages fort bien présenté, qui fut un des événements poétiques de l'an- née dernière, a réjoui ceux et celles qui ne connaissaient qu'insuf- fisamment ses écrits dispersés dans une vingtaine d'albums ou de plaquettes dont plusieurs sont depuis longtemps épuisés. Si l'on excepte la prose d'une qualité au moins égale aux vers, dans laquelle rien n'est supérieur à deux hommages de toute beauté adressés au grand peintre Georges Bouche, cet ouvrage se divise en six parties : Naguère, Une voix, un regard, Poètes et peintres maudits, les Amants maudits, Méditerranée, rivages des dieux et l'Anthologie de la poésie russe.

Naguère contient la plupart des poèmes d'amour de Katia Granoff et nombre de ses plus marquantes élégies, rythmées

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en octosyllabes, dont j'apprécie à leur juste valeur l'art savant, la subtile musique, le naturel tout à fait digne d'éloges à une époque où l'artifice est à l'honneur et la concision peu commune qui exclut radicalement toute emphase. Une voix, un regard renferme aussi des pièces amoureuses aux charmes insinuants de même q u ' à la puissance d'émotion particulièrement persua- sive ; mais nous retient peut-être encore plus par ses mélodieuses transpositions verbales de peintures impressionnistes ou contem- poraines parmi lesquelles les délicieuses fantaisies de Pierre Laprade et surtout les merveilleux Nymphéas de Claude Monet sont les mieux rendus, comme l'atteste par exemple cette exquise Fleur solitaire :

Ceint de silence et d'herbes folles, Un lac s'étend, profond et sombre, Et la pâleur d'une corolle

Luit faiblement dans la pénombre ; Mais ce regard qui nous fascine Ce reflet mouvant d'une face, Est-ce un portrait qui se dessine Flottant confus à la surface ? Dans ce royaume du mystère L'âme frissonne et se replie Comme cette fleur solitaire, Comme cette étoile abolie...

Avec les Poètes et peintres maudits, les Amants maudits, excellemment préfacés par Jean Guitton, et Méditerranée, riva- ges des dieux où Katia Granoff a rassemblé quelques-uns de ses meilleurs livres tels que l'Egypte, les temps pétrifiés, Reflets d'Israël et De l'Espagne, nous changeons d'atmosphère et une sorte d'éloquence teintée de romantisme ainsi qu'un riche pouvoir d'enseignement doublé d'une connaissance parfaite de l'histoire des hommes, des peuples et des civilisations reprennent souve- rainement leurs droits. Il est toutefois possible que certains gardent leur préférence pour la fidèle et monumentale Antho- logie de la poésie russe par laquelle ces Œuvres complètes se terminent admirablement et que je fus l'un des premiers à louer comme elle le mérite dans le Mercure de France d'octobre 1961.

P H I L I P P E C H A B A N E I X

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