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Jurisprudence récente en droit bancaire privé

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Jurisprudence récente en droit bancaire privé

TRIGO TRINDADE, Rita

TRIGO TRINDADE, Rita. Jurisprudence récente en droit bancaire privé. In: Thévenoz, Luc et Bovet, Christian. Journée 2000 de droit bancaire et financier . Berne : Staempfli, 2001. p.

215-244

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:11757

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Jurisprudence récente en droit bancaire privé

Rita Trigo Trindade*

1. Introduction

Il en va en jurisprudence comme en œnologie: il y a les grandes et les peti- tes années. La période écoulée, qui n'a vu ni grands renversements de juris- prudence, ni arrêts de principe majeurs ou autres événements exception- nels, semble plutôt faire partie de ces dernières. Mais de la même manière que l'on trouve quelques bons vins dans les petites années, il rn' apparaît que la sélection d'arrêts ci-après - concentrée autour des trois thèmes que sont l'ayant droit économique (II), les garanties et autres instruments du droit bancaire (III) et, enfin, le virement bancaire (IV) -n'est pas dénuée de tout intérêt.

II. L'ayant droit économique

Durant la période sous revue, la jurisprudence s'est intéressée à plusieurs reprises à l'ayant droit économiquel , ce personnage qui peut revêtir mille habits juridiques lui permettant de disparaître derrière des titulaires juridi- ques variés, de sorte que l'on croit intuitivement en saisir les contours, sans pour autant être en mesure de le définir avec précision2

Professeure à la Faculté de droit de l'Universite de Genève. Madame Céline Pereitti m'a assisté dans l'élaboration des notes de bas de page. Qu'elle en soit ici remerciée.

1 Voir notamment sur la notion d'ayant droit éco.nomique: Marlène KISTLER, La vigi~

lance requise en matière d'opérations financières. Etude de l'article 305ler du code pénal suisse, thèse de Lausanne, Zurich 1994, pp. 173-185; Sylvain MATIHEY. "La notion d'ayant droit économique en droit bancaire suisse", inFreiheit und Ordnung im Kapita/rnarktrecht.

Mélanges en l'honneur de lean-Paul Chappuis, Zurich 1998, pp. 53-88; Guy STANISLAS,

"Ayant droit économique et droit civil: le devoir de renseignements de la banque", SJ 1999 II 413-455.

2 L'ayant droit économique n'ajamais vraiment été défini de manière convaincante. La Convention de diligence des banques (CDS) de 1977 et celle de 1982 considéraient qu'il s'agissait de "la personne qui a effectivement les droits économiques sur les valeurs dépo-

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L'ayant droit économique, on le sait, n'est pas issu du droit civil. C'est d'abord la Convention de diligence des banques (ci-après COB?, puis le droit pénal4 qui ont prévu son identification obligatoire dans le cadre de la relation bancaire. L'identification incombe, d'une part, au client de la ban- que, qui doit nommer l'ayant droit économique et indiquer son adresse dans le Formulaire A et, d'autre part, à la banque, qui doit vérifier la déclaration de son clients.

À cet égard, citons cette affaire où, malgré ses doutes sur l'exactitude de l'indication relative à l'ayant droit économique, le responsable de la logistique et de l'administration de la filiale suisse d'une banque autrichienne avait accepté d'ouvrir deux comptes au nom de deux sociétés de l'ex-RDA en se fondant sur une documentation sommaire (et partiellement dépassée), ainsi que sur des indications données par sa société mère. Poursuivi pour infraction à l'art. 305'''' Cp6, il essaya de se disculper en faisant valoir que la Commission de surveillance de l'ASB n'aurait pas sanctionné la banque pour violation de son devoir d'identification en vertu de la COB de 19877 .

Dans cette affaire, la Cour de cassation du Tribunal fédéral a eu l'occasion de délimiter l'obligation de vérifier l'identification de l'ayant droit écono-

sêes"; cette dUinition n'a cependant pas été reprise dans les roitions de la CDB de 1992 et 1998. La Commission de surveillance a tenté de cerner cette notion dans le sens de "pro- priétaire économique des fonds que la banque reçoit en dépôt et non pas dans le sens de titulaire vis-a-vis de la banque du droit de disposer du compte". L'art. 305ter CP, quant à lui, ne donne aucune définition de ce concept, renvoyant il la CDB. Du côté de la doctrine, MATTHEY (n. 1), p. 87 propose de définir l'ayant droit économique comme étant "une personne physique ou une entreprise qui, sans lien juridique avec la banque, est, à un moment de Ja relation d'affaires, au bénéfice d'intérêts patrimoniaux sur les avoirs confiés à la banque, intérêts qui prévalent sur ceux du cocontractant dans leurs rapports internes".

3 La première CDS date de J 977; elle a été confirmée et commentée dans cinq éditions successives (1977, 1982, 1987, 1992 et 1998). C'est cette auto-réglementation qui a intro- duit l'obligation pour les banques de vérifier l'identité de l'ayant droit économique par le biais du Formulaire A.

4 L'art. 305ter al. 1 CP, "Défaut de vigilance en matière d'opérations financières et droit de communication", reprime "celui qui, dans l'exercice de sa profession, aura accepté, gardé en dépôt ou aidé à placer ou à transférer des valeurs patrimoniales appartenant à un tiers et qui aura omis de vérifier J'identité de l'ayant droit économique avec la vigilance que requièrent les circonstances".

5 MATTHEY (n. 1), p. 73.

6 Sur l'art. 305ter CP voir notamment: Ursula CASSANI, Commentaire du droit pénal suisse, partie spéciale, vol. 9, ad art. 3051er, Berne 1996, pp. 85-100; Werner DE CAPITANI,

"Zurn Identifikationsverfahren bei Kontoerôffnungen aus dem Ausland", RSJ 1993

pp. 21-27; Christoph GRABER, "Zum Verhâltnis der Sorgfaltspflichtsvereinbarung der Banken zu Art. 305'0< Abs. 1 SIGB", RSDA 1995 pp. 161-168; KISTLER (n. 1).

,

Cf. arl. 10< IiI. a el 3 ch. 18 ss CDB 1987 el 1992; voir aussi l'arl. 3 ch. 22 COB 1998.

"

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mique qui résulte de ces deux normes et de préciser l'étendue du devoir de diligence exigé à l'art. 305'" CP8 Dans son arrêt, la Cour laisse en effet entendre que la norme pénale et celle qui résulte de la CDB poursuivent des finalités différentes9: la première cherche à sanctionner une identification insuffisante de l'ayant droit économique, alors que la seconde viserait à sanctionner des violations objectives de la procédure d'identification. La Cour en déduit que - contrairement à ce qu'indiquent les travaux prépara- toires relatifs à l'art. 305'" CplO -le devoir de diligence requis du banquier par l'obligation d'identification découlant du droit pénal est plus sévère que celui exigé par la CDBII. Le Tribunal fédéral est ainsi amené à préciser que, selon la nonne pénale, le banquier ne saurait se contenter de présumer de l'identité de l'ayant droit économique, mais doit la vérifier dans chaque cas'2. De même, dès lors que la responsabilité pénale ne peut être délé- guée'), l'employé ou l'organe de la banque peut certes se renseigner auprès d'un tiers au sujet de l'ayant droit économique, notamment lorsque celui-ci réside à l'étranger, mais ne saurait se fier aveuglément aux indications d'un tel tiers, même lorsqu'il s'agit d'indications en provenance de la société mère dont la banque dépend économiquement'4

8 Arrêt de la Cour de cassation pénale du 30 avril 1999 dans la cause B. c. Ministère public du canton de Zurich, ATF 125 IV 139-147 = SJ 2000 1145-154 .

9 Le Tribunal fédéral fait ainsi sienne la thèse de GRABER (n. 6), pp. 16155, 165-166 lequel admet que le devoir de diligence requis par le droit pénal est différent de celui requis par la CDB en ce sens que le premier est subjectif ou matériel, alors que le second est objectif ou formel.

10 Message du Conseil fédéral du 12juin 1989 concernant la modification du code pénal suisse, FF 1989 Il 961 ss, 989.

Il GRABER (n. 6), p. 164, note 27 indique cependant qu'en règle générale celui qui aura satisfait aux exigences de la CDB aura également satisfait à celles découlant de la norme pénale.

12 ATF 125 IV 139, 146 = SJ 2000 1 145, 152, consid. 4.

13 D'un autre avis, KISTLER (n. 1), pp. 211-216 qui estime que la délégation du devoir d'identifier l'ayant droit économique ne s'oppose nullement à l'esprit de l'art. 305ter CP et s'impose au regard des principes de la confiance, de la proportionnalité et de l'égalité.

Selon cet auteur, "'a délégation de la procédure de vérification devrait être admise, non seulement comme le prévoyait la CDB-1987 [ ... ], mais de manière plus générale aux per- sonnes qui sont dignes de confiance et qui seront habituellement tenues par une obligation de discrétion". Du même avis, Günter STRATENWERTH, Schweizerisches Strafrecht, Besonderer Teil 1 und II, Teilrevisionen 1987 bis 1990: Strafiaten gegen Leih und Lehen, 1nsiderstrafrecht, Strafiaten gegen die Famille, Geldwiischerei, Berne 1990, p. 81.

14 ATF 125 IV 139, 147 =' SJ 2000 1145,153 consid. 4; contra KISTLER (n. 1), pp. 2\1 ss, 216 qui précise cependant que la délégation ne devrait être admise que si l'entreprise a adopté les mesures d'organisation nécessaires pour assurer l'identification des clients, notamment en engageant des personnes dignes de confiance et en les instruisant de la

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Le Tribunal fédéral a également eu l'occasion de préciser que depuis l'entrée en vigueur de l'art. 3051e< CplS (qui ne définit pas précisément le contenu de la déclaration du client relative il l'ayant droit économique, mais se réfère il la COB, qui sert d'aide à l'interprétation de la norme pénaleI6),

et a fortiori depuis l'entrée en vigueur de la Loi sur le blanchiment d'argent (qui consacre expressément l'obligation d'identification de l'ayant droit économique par le client de la banque et en définit les élémentsI7), le Fdr- mulaire A constitue un titre, c'est-à-dire un document propre à établir un fait. Partant, la personne qui émet de fausses déclarations au sujet de l'ayant droit économique sur ce formulaire, commet un faux dans les titresl8

À mon sens, l'un des mérites de ces arrêts est de montrer que les ques- tions qui se posent en droit pénal (portée du Formulaire A, finalité et éten- due de l'obligation d'idemification) suscitent des questions proches en droit civil: on peut en effet légitimement s'interroger à la fois sur l'utilité pour la banque du Formulaire A (ci-dessous, Il.A) et sur les effets qui résultent pour elle de sa connaissance (effective ou exigée) de celui que l'on a quel- quefois appelé son "véritable client" (ci-dessous, II.B).

A. Formulaire A en tant que preuve de l'identité de l'ayant droit économique

Un arrêt de la lIerne Chambre civile du Tribunal d'appel tessinois, rendu en mai 1996, s'était déjà penché sur la question de l'utilité pour la banque du Formulaire A 19. L'affaire soumise au Tribunal opposait une banque à une

procedure à suivre: pour l'identification des clients. Comme KJSTLER: DE CAPITANI (n. 6), p. 22 ss et STRATENWERTH (n. 13), p. 81.

IS Cette disposition a eté introduite, en même temps que J'art. 30Sbis, par la révision du Code pénal du 23 mars 1990 ("Législation sur le blanchissage d'argent et le dêfaut de vigilance en matiere d'opérations financières"); elle est entree en vigueur le 1 er août 1990 (RD 1990 1077, 1078).

16 FF 1989 Il 961 ss, 989 (n. 10): "la notion d"ayant droit économique émane de la CDS ( ... ). Son interprêtation doit par conséquent s'inspirer de la COS et de la pratique de la Commission de surveillance".

17 Art. 4 al. J lit. a et 5 al. 1 de la Loi fédérale du 10 octobre J 997 concernant la Jutte contre le blanchiment d'argent dans le secteur financier (Loi sur le blanchiment d'argent [LSA1, RS 955.0), entrée en vigueur le 1" avril 1998.

18 Arrêt de la Cour de cassation pénale du 30 novembre 1999 dans la cause B. c. Procu- reur général de Genève et banque X, SJ 2000 1 234-238.

19 Arrêt de la lierne Chambre civile du Tribunal d'appel tessinois du 9 mai 1996, RSJ 1997 pp. 377·378.

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JURISPRUDENCE RÉCENTE EN DROIT BANCAIRE PRIVÉ 219

Anstalt du droit liechtensteinois. La banque affinnait que le représentant autorisé de l'Anstalt, qui sur le Fonnulaire A avait indiqué être l'ayant droit économique de cette dernière, lui avait causé un dommage en sa qua- lité d'organe d'une société tierce (soit dans le cadre d'un tout autre rapport juridique). La banque prétendait compenser sa créance en dommages-inté- rêts à l'égard dudit représentant avec les avoirs en compte de l' établisse- ment de droit liechtensteinois. Pour ce faire, elle cherchait à démontrer l'identité économique entre l'Anstalt et son débiteur en se fondant sur le Fonnulaire A rempli par ce dernier. En vain. La procédure avait en effet démontré que l'Anstalt était contrôlée par une autre personne encore; le Tribunal avait par conséquent retenu que, dans le cadre de l'appréciation des preuves, il n'y avait pas lieu de se fier à l'impression laissée à la banque par le Fonnulaire A rempli par son client, mais bien aux relations juridi- ques effectivement établies. Le Tribunal d'appel ayant constaté l'absence d'identité économique entre l'Anstalt et son représentant, il ne poursuivit pas plus avant l'examen de la réalisation des conditions d'un Durchgrijfo Cette décision ne devrait pas être remise en cause par l'arrêt précité21 dans lequel le Tribunal fédéral reconnaît la qualité de titre au Fonnulaire A, et ce pour deux motifs. En premier lieu, le Tribunal fédéral nuance quelque peu la qualité de titre dudit fonnulaire en précisant que "tout [onnulaire ne saurait en soi et indépendamment du domaine dans lequel il est employé revêtir la qualité de titre", de sorte que si ce fonnulaire "occupe une place cardinale dans la lutte contre la criminalité économique" et doit se voir reconnaître la qualité de titre dans ce contexte, il n'en va pas nécessaire- ment de même dans les relations de droit privé entre la banque, son client et l'ayant droit économique22En second lieu, nos codes de procédure civile sont régis par le principe de la libre appréciation des preuves. Cela signifie

20 Voir notamment en matière de Durchgriff. Jean Nicolas DRUEY 1 Alexander VOGEL.

Das schweizerische Konzernrecht in der Praxis der Gerichte, Zürich 1999, p. 59 ss; Carsten Thomas ESENROTH, "Zum Durchgriff im Gesellschaftsrecht", SAG 1985 pp. 124-136;

Kristina KUZMIC, Haftung aus "Konzernvertrauen ": die Aussenhaftung des Konzerns im schweizerischen Privatrecht, Zurich 1998, p. 97 ss; Hans MERZ, Berner Kommentar, vol.

Ill, ad art. 2 CC, Berne 1962; Andreas VON PLANTA, Die Haftung des Hauptaktioniirs, thèse, Bâle et Francfort-sur-le-Main 1981.

21 S1 2000 1 234-238 (n. 18).

22 S1 2000 1 234, 237-238 consid. 4c (n. 18); K1STLER (n. 1), pp. 114-115 note 262 considère, en revanche, que le Formulaire A ne peut pas être qualifié de titre. Selon cet auteur, "un document qui, en vertu d'une disposition expresse ou d'une clause contrac- tuelle, doit être vérifié par son destinataire ne constitue pas une pièce revêtue d'une force probante particulière, et ce même si te contrôle est difficile à faire. Dès lors, si l'inscription sur le Fonnulaire A est mensongère, elle constitue seulement un mensonge écrit non pu- nissable et non un faux dans les titres".

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en particulier que même si l'on doit considérer le Formulaire A comme un titre dans les relations de droit privé entre la banque et son client, un juge pourrait tenir compte d'autres déments pour déterminer le véritable ayant droit économique et devrait se fier aux relations juridiques effectivement établies plutôt qu'au Formulaire A, s'il apparaissait que celui-ci ne corres- ' pond pas (ou correspond seulement partiellement) à la situation juridique réelle.

B. Effets de la connaissance de l'ayant droit économique par la banque: les rapports entre la banque, le client et l'ayant droit économique

1. Relation juridique entre la banque et son client seulement Comme le rappelle STANISLAS23, le rôle joué par le "véritable client" de la banque avait déjà occupé le Tribunal fédéral en 1974 dans l'affaire des fonds du FLN et de la République algérienne24. Alors que la République algérienne cherchait à obtenir remboursement auprès de la banque des fonds déposés pour son compte par un ancien trésorier du FLN agissant en son propre nom, notre Haute Cour avait jugé que la République algérienne, en tant qu'ayant droit économique, n'était pas partie au contrat avec la banque (et, partant, n'était pas autorisée à réclamer le remboursement des fonds déposés pour son compte), dès lors que l'ancien trésorier du FLN, client de la banque, n'était pas le représentant direct de l'ayant droit économique25 .

S'il est vrai que cet arrêt a été rendu avant l'entrée en scène de l'ayant droit économique dans la COB et dans le droit pénal- et donc avant son identi- fication obligatoire -, STANISLAS observe avec raison que cette identifica- tion ne devrait pas, sauf circonstances tout à fait particulières, transformer l'ayant droit économique en partie aù contrat avec la banque26. Cela signi- fie, en clair, qu'il y a un contrat entre la banque et le client (contrat qu'il n'y aurait pas eu si le client avait été le représentant direct de l'ayant droit économique) et qu'il n'y a pas de contrat entre le prétendu "véritable client"

21 STANISLAS (n. 1), p. 425.

24 Arrêt de la Jcre Cour civile du 1 cr juillet 1974 dans la cause Banque commerciale arabe S.A. et Mardam Bey c. République algérienne démocratique et populaire, ATF 100 Il 200-224.

25 ATF 10011200,213 con,id. Sb (n. 24).

26 STANISLAS (n. 1), p. 426.

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JURISPRUDENCE RECENTE EN DROIT BANCAIRE PRIVE 221

de la banque et cette dernière, à moins, bien sûr, qu'un tel contrat soit con- clu par ailleurs entre ces deux parties.

Si la connaissance par la banque de l'ayant droit économique n'est pas suffisante en soi pour nouer une relation d'affaires entre celui-ci et la ban- que, elle n'en déploie pas moins quelques effets juridiques. L'ATF 121 III 69 démontre que cette connaissance peut notamment avoir une incidence sur l'appréciation de la bonne foi de la banque au sens de l'art. 940 CC (en relation avec l'art. 1112 CO)27. Dans le cas précis, il s'agissait des chèques émis à l'ordre d'une société X., mais présentés au paiement par F., un or- gane de X., et crédités par la banque sur le compte ouvert au nom de F. sous une rubrique portant le nom de la société. Pour le Tribunal fédéral, qui avait à se prononcer sur une éventuelle responsabilité de la banque à l'égard de la société bénéficiaire des chèques, il fallait se demander si, compte tenu de son obligation d'identification lors de l'ouverture du compte, la banque savait ou devait savoir que F. présentait au paiement des chèques de X28

Ceci conduit THEVENOZ à observer, dans son commentaire relatif à cet ar- rêt29, que "le banquier ne peut ignorer dans ses rapports de droit privé les informations qu'il a acquises dans l'accomplissement de son devoir de vigilance"30et que U[la] bonne foi [du banquier], pertinente au regard d'in- nombrables dispositions du droit privé, est généralement incompatible avec l'attention que lui impose une obligation de droit public qu'il n'a pas satis- faite")! .

2. Relations juridiques banque-client et banque--ayant droit économique

Un arrêt non publié de la 1ère Cour civile du Tribunal fédéral, rendu en avril 1999, apporte des précisions quant aux effets de la connaissance par la banque de son prétendu "véritable client" et, ainsi, quant aux rapports entre la banque, le client et l'ayant droit économique pour le cas oû la banque est à la fois en relation jùridique avec le client et avec l'ayant droit économi-

27 Arrêt de la 1ère Cour civile du 16 mars 1995 en la cause Société X AG c. Banque Y, ATF 121 lIt 69-74 = SJ 1995662-664 (extraits). .

2. ATF 121 lIt 69, 73 con ,id. 3d (n. 27).

29 Luc THEVENOZ, «Jurisprudence récente relative aux opérations bancaires", in Journee 1995 de droit bancaire etflnancier, vol. 2, Berne 1995, pp. 145 55, 155 5S.

30 Idem, p. 158.

31 Ibid.

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que32 Comme dans l'affaire tessinoise décrite plus haut33 , les parties au litige étaient une Anstalt du droit liechtensteinois et une banque. Ici aussi la banque prétendait compenser ses créances à l'égard de l'ayant droit écono- mique avec les avoirs déposés en compte par l'Anstalt.

À première vue, cet arrêt se borne à un examen de la réalisation des conditions d'un DurchgrifJà l'envers (umgekehrter Durchgrijj), c'est-à- dire d'une responsabilité de la personne morale pour les dettes de son ayant droit économique34 . Il m'apparaît cependant que, dans un demi-paragraphe au contenu pour le moins sibyllin, le Tribunal fédéral oublie le DurchgrifJ et se place dans une perspective bien plus générale pour analyser les rap- ports qu'entretiennent banque, client et ayant droit économique. Le Tribu- nal affirme en effet que la banque ne saurait considérer la fortune de sa cliente (l'Anstalt) comme un substrat économique qui réponde à son égard dcs dcttcs de l'ayant droit économique alors même qu'elle connaît et, vu son devoir de diligence dont on a pu apprécier la rigueur ci-dessus, doit connaître cet ayant droit économique35 Et le Tribunal ajoute que l'identifi- cation de son "véritable client" qui, selon la formule de STANISLAS, a pour but "de lutter contre la criminalité économique en obligeant les clients à donner leur identité à la banque et en évitant le placement anonyme d'avoirs Ou le recours à des hommes de paille"J6, ne vise pas à garantir les préten- tions de la banque à l'égard de l'ayant droit économique: "die Abklarung der wirtschaftlichen Berechtigung dient[ ... ] nicht der Absicherung [der Bank]"3'. Ce faisant, le Tribunal fédéral se prononce en faveur d'une "étan- chéité de principe" entre la relation juridique banque-cl ient et une éven- tuelle relation juridique qui lierait la banque à l'ayant droit économique (qui peut avoir des sources diverses) en ce sens que la première de ces

32 Arrêt non publié de la 1ère Cour civile du 8 avril 1999 dans la cause Finara-Finanz- Anstalt c. la banque cantonale thurgovienne (4C. 10/1999), reproduit partiellement in Peter NOBEL, "Der wirtschaftlich Berechtigte - Ein unsicheres Konzept, Bundesgerichts- cnlscheid vom 8. April 1999", RSDA 1999 pp. 258·260.

33 RSJ 1997 pp. 377·378 (n. 19).

)4 Sur la notion de "Durchgriff"à ,'envers" ou "transparence inversee" voir notamment Peter B6cKLI, Schweizer Aktienrecht, Darstel/ungfür den Praktiker, 2e éd., Zurich 1996, N 1182: DRUEY 1 VOGEL (n. 20), p. 79 ss: KUZMIC (n. 20), p. 118; Peter FORSTMOSER / Arthur MEIER·HAYOZ / Peter NOBEL, Schweizerisches Ak!ienrecht, Berne 1996, § 62, N 59, 87 ss; Andreas VON PLANTA, "La théorie de la transparence", in Responsabililé de

"aclionnaire majorilaire. SémÎnaire de l'Association genevoise de droit des affaÎres, Zu- rich 2000, pp. 19 SS, 25.

35 RSDA 1999 p. 258 consid. 2b (n. 32).

36 STANISLAS (n. 1), p. 414.

37 RSDA 1999 p. 258 consid. 2b (n. 32).

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JURISPRUDENCE RÊCENTE EN DROIT BANCAIRE PRIVÊ 223

relations ne saurait servir de garantie à l'exécution de la relation juridique entre la banque et l'ayant droit économique.

Vu les faits de la cause, le Tribunal fédéral n'a pas eu l'occasion de dire expressément que l'étanchéité des deux relations juridiques opère aussi en sens inverse et qu'une éventuelle relation bancaire avec l'ayant droit économique ne garantira pas non plus automatiquement l'exécution de la relation juridique entre la banque et le client. On doit néanmoins raisonna- blement admettre que tel est le cas.

Cela étant, l'étanchéité de ces relations juridiques n'est pas absolue.

Selon le Tribunal, elle peut être rompue de quatre manières; par contrat, en cas de cu/pa in contrahendo, en présence d'un abus de droit, ou encore dans l'hypothèse d'une Rechtsscheilrhaflungl8

Le Tribunal fédéral réserve en effet expressément le cas dans lequel le client de la banque ou l'ayant droit économique consent à garantir les pré- tentions de la banque à l'égard de l'ayant droit économique, respective- ment du client. Dans ces hypothèses, il va de soi que la banque peut, aux conditions prévues contractuellement, rechercher le client pour les dettes de l'ayant droit économique ou vice-versa.

Le Tribunal évoque aussi en obiter dictum la possibilité de rechercher le client (ou l'ayant droit économique) en raison de sa responsabilité dé- coulant d'une cu/pa in contrahendo39 parce qu'il aurait (intentionnellement ou par négligence) trompé la banque sur l'existence d'une garantie4o. Il faut relever que, dans cette hypothèse, le responsable n'assume pas les det- tes de l'ayant droit économique (respectivement du client), mais encourt une responsabilité si la banque subit un dommage notamment parce qu'elle n'aurait pas conclu avec l'ayant droit économique (ou le client) si elle avait su qu'elle ne bénéficierait pas de la garantie que l'on lui a fait miroiter.

Comme indiqué ci-dessus, l'arrêt du Tribunal fédéral est avant tout consacré à l'examen de la réalisation des conditions d'un abus de droit qui consisterait à se prévaloir d'une prétendue dualité des relations juridiques banque--personne morale et banque-ayant droit économique41 . Comme, en

38 Ibid.

39 Voir notamment en matière de culpa in conrrahendo: Hans MERl., Ver/yag und Verlragsschluss, 2e éd., Fribourg 1992, p. 69 5S; Max BAUMANN, [lürcherJ Kommentar zum schweizerischen livilgesetzbuch, vol. 1/1, ad an. 2 CC, Zurich 1998, N 105 ss.

40 RSDA t 999 p. 258 con,id. 2b (n. 32).

4L Voir il ce sujet la discussion sur le fondement theoriquc du Durchgriffpar VON PLANTA (n. 20), p. 141 SS. Pour cet auteur,le fondement de la thêorie d~ Durchgriffréside

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224 RITA TRIGO TRINDADE

l'espèce, il s'agit de rechercher une personne morale pour les dettes de son ayant droit économique, notre Haute Cour examine si les conditions d'un Durr:hgrifJà l'envers (umgekehrter DurchgrifJ) sont réalisées. Dans ce con- texte, elle rappelle en se référant aux ATF 102 III 16542 et ATF 85 Il 11143 que les conditions qui sont posées à un tel DurchgrifJà l'envers (umgekehrter DurchgrifJ) sont encore plus restrictives que celles du DurchgrifJ simple (qui entre en considération lorsqu'il s'agit de rechercher l'ayant droit éco- nomique pour les dettes de la personne morale), dès lors que les actifs de la personne morale doivent avant tout garantir ses propres dettes44 Ainsi, outre l'identité économique entre l'ayant droit économique et la personne mo- rale, il faut prouver que des circonstances tout à fait particulières justifient de s'en prendre aux actifs de la personne morale45f46

Enfin, le Tribunal fédéral mentionne, également en obiter diclum, une nouvelle catégorie juridique, celle de laRechtsscheinhaftung, qui ferait échec à l'étanchéité des relations juridiques banque-client, banque-ayant droit économique47 On peut se demander si la Rechtsscheinhaftung qui semble avoir pour effet de lier contractuellement le client (respectivement l'ayant droit économique) à la banque en raison d'une apparence de porte-fort ou d'une apparence de responsabilité assumée pour les dettes de l'ayant droit économique (respectivement du client) ne résulte pas déjà du principe de la confiance selon lequel une partie peut être liée par sa déclaration de vo- lonté (par hypothèse différente de son intention réelle) si l'autre partie pou- vait et devait raisonnablement lui prêter le sens qu'elle lui a donné. Cela étant, on ne voit pas très bien pour quel motif le Tribunal en aurait fait une

dans les limites de la personnalité morale (art. 52 al. 3 CC) et non dans J'abus de droit, comme le soutient MERZ (n. 20), N 285 ad art. 2 CC.

42 Arrët de la Ile Cour civile du 31 août 1976 dans la cause Hangartner c. Société immo- bilière Port Pregny S.A, ATF 102 III 165-173; voir ég. le commentaire de cet arrë~ par DRUEY 1 VOGEL (n. 20), p. 63 ss.

43 Arrêt de la 1er!' Cour civile du 12 mai 1959 dans la cause Mur; c. Lebedkin. ATF 85 Il Ill-l [7; vOÎr ég. le commentaire de cet arrêt par DRUEY 1 VOGEl (n. 20), p. 7955.

44 RSDA 1999 p. 258 consid. 2a (n. 32); VON PLANTA (n. 34), p. 25 explique la réticence des tribunaux

a

appliquer le DurchgrifJà l'envers "par le fait que le même résultat peut souvent être obtenu par la saisie des actions de la société fille et par la liquidation forcée de cette dernière en faveur du bénéficiaire des obligations pécunières".

45 Dans l'ATf 102 III 165 (n. 42). le Tribunal fédéral avait relevé l'identité économique entre l'actionnaire unique et la société immobilière concernée, la création d'un écran entre les créanciers de l'actionnaire et ce dernier dans le but de soustraire des actifs aux.dits créanciers et surtout l'absence de tout créancier de la personne morale recherchée.

46 NOBEL (n. 32), p. 259 approuve cet arrêt sur ce point.

47 RSDA 1999 p. 258 consid. 2b (n. 32).

(12)

JURISPRUDENCE RÉCENTE EN DROIT BANCAIRE PRIVÉ 225

catégorie distincte de celle du contrat mentionnée plus haut comme excep- tion possible à l'étanchéité des relations juridiques banque-dient, banque- ayant droit économique. On peut aussi se demander si le terme Rechtsscheinhaftung n'est pas un synonyme de celui de responsabilité fon- dée sur la confiance4s, soit de cette (nouvelle) institution juridique déve- loppée notamment dans l 'arrêt Swissair'9. S'y oppose à mon sens la consé- quence juridique que notre Haute Cour semble vouloir attacher à la Rechtsscheinhaftung, à savoir l'obligation d'assumer le contrat dont l'ap- parence a été créée plutôt qu'une responsabilité pour le dommage encouru du fait de la confiance créée, puis déçue, qui est la conséquence juridique de la responsabilité fondée sur la confiance. On peut enfin se demander si la Rechtsscheinhaftung n'est pas tout simplement une nouvelle institution dont les contours restent encore à définir et qui n'aurait rien à voir ni avec l'interprétation selon le principe de la confiance, ni avec la responsabilité fondée sur la confiance. Quoi qu'il en soit, il faut regretter que le Tribunal fédéral se soit contenté de "lancer" un nouveau concept (dont il n'avait manifestement pas besoin pour trancher le cas qui lui était soumis) sans donner d'indications plus précises sur sa signification.

III. Garanties et autres instruments du droit bancaire

50

Le charme des arrêts qui délimitent les instruments juridiques dont se sert la pratique n'est pas sans rappeler celui de tableaux pointillistes: à partir de points en apparence insignifiants, ils nous renvoient l'image de nos institu-

48 Voir notamment concernant la responsabilité fondée sur la confiance: Christine CHAPPUIS, "La responsabilité de l'actionnaire majoritaire fondée sur la confiance", in Res- ponsabilile de l'actionnaire majoritaire. Séminaire de l'Association genevoise de droit des affaires, Zurich 2000, pp. 67-112; Ariane MORIN, "Définition de la responsabilité fondée sur la confiance au regard de lajurisprudence récente du Tribunal fédéral", S1 2000 II 161-197.

49 Arrêt de la (cre Cour civile du Tribunal fédéral du 15 novembre 1994 dans la cause Wibru Holding S.A. c. Swissair Beteiligungen S.A., ATF J 20 II 331·339; voir aussi l'arrët de la lere Cour civile du 10 octobre 1995 dans la cause Fédération Suisse de Lutte Amateur c. Grossen, ATF 121 III 350-357. Pour le commentaire de ces arrêts, cf. Christine CH APPUIS,

"La responsabilité fondée sur la confiance", SJ 1997 165-175.

50 Concernant la garantie bancaire, voir surtout: Jürgen DoHM, Les garanties bancaires dans le commerce international, Berne 1986; Daniel GUGGENHEIM, Les contraIS de la pratique bancaire suisse, 2C éd., Genève 1989, pp. 169-197; BeatKLEINER,Bankgqrantie:

die Garantie unler besonderer Berücksichtigung des Bankgarantiegeschiiftes. 4emc éd., Zurich 1990; Georges SCVBOZ, "Le contrat de garantie et le cautionnement", in Traite de droit privé suisse, vol,VII/2, Fribourg 1979; Pierre TERCIER, Les contrats spéciaux, 2e éd.,

(13)

226 RITA TRIGO TRINDADE

tions. Trois décisions rendues entre 1998 et 1999 ont ainsi pernris au Tribu- nal fédéral de brosser le portrait de l'assignation et de la garantie, d'une part, et celui du cautionnement et du porte-fort, d'autre part.

A. Assignation et

garant;~ 1

À l'origine de l'arrêt au nom poétique Vie d'OrS2, il y a une déclaration pour le moins ambiguë d'une banque zurichoise. Celle-ci informait la fu- ture demanderesse (une société d'assurances appelée "Vie d'Or") que sa cliente, une société domiciliée aux Antilles néerlandaises, l'avait placée dans la position de pouvoir émettre une garantie pour un montant équiva- lent à un million de florins hollandais et que cette garantie serait émise à la demande de Vie d'Ors3 . Mais, lorsque six mois plus tard Vie d'Or demanda à la banque de lui verser le million de florins évoqué, la banque refusa de s'exécuter, arguant de ce qu'elle n'étai t pas en mesure d'émettre une garan- tie, faute d'instructions relatives à l'événement qui devrait la déclencher et à sa durée de validité.

Pour trancher le litige entre les parties, le Tribunal fédéral en vient ainsi à se demander si Vie d'Or pouvait de bonne foi considérer la déclara- tion de la banque comme la notification de l'acceptation d'une assignation

Zurich 1995, § 69-74, pp. 607-651; Luc THÊVENOZ, "Les garanties independantes devant les tribunaux suisses", in Journée 1994 de droit bancaire etfinancier, Berne 1994, pp. 167-

197; Dieter ZOBL, "Die Bankgarantie im schweizerischen Recht", in Personalsicherheiten, Berner Bankrechtstag /997, Berne 1997, pp. 23-53.

51 Le contrat de garantie ne fait pas l'objet d'une réglementation légale. Une partie de la doctrine (notamment ZOBL ln. 50], p. 30) considère que ce contrat est régi principalement par l'art. III CO sur le porte-fort et, au surplus, par les règles generales du Code des obligations. Pour d'autres auteurs, le contrat de garantie est un contrat innommé, qui se situe dans le prolongement du porte-fort sans toutefois lui être identique: voir notamment DoHM (n. 50), N 100 ss; GUGGENHEIM (n. 50), p. 178-179; KLEINE" (n. 50), N 16.01; Jean-Marc RAPP, "Garanties à première demande et autres garanties bancaires", in Sûretés et garanties bancaires: exposés présentés lors de la Journée J'étude organisée par le Centre du droit de l 'ent1'l!prise le J4 septembre 1995 à l'Université de Lausanne, Publica- tion CEDIDAC n'33, Lausanne 1997, pp. 259-289, p. 264; TE"CIER (n. 50), § 74, N 5329.

52 Arrêt non publie de la 1ère Cour civile du 5 août 1998 dans la cause Stichting Vie d'Or c. Banque privée Cantrade SA (4C. 2311998), reproduit en Annexe l, pp. 239-242 ci- dessous.

53 Le texte prêcis de la déclaration, rédigé en langue anglaise, était le suivant: "[ ... ] Berg en Dai N.V. [ ... ] has placed us in a position to issue a letter of guaranty for the equivalent ofHfl. 1'000'000.- in your ravor, which will be issued if/when requested by [ ... ] Vie d'Or [ ... ]", Annexe 1 (n. 52), p. 239 ci-dessous, état de fait.

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JURISPRUDENCE RÊCENTE EN DROIT BANCAIRE PRIVE 227

qui obligeait la banque à émettre une garantie ou encore comme une offre de promesse de garantie54.

Le Tribunal fédéral décrit l'assignation, qui est toujours un rapport triangulaire, comme une modalité d'exécution d'une prestation, dont le fon- dement n'est pas l'assignation elle-même, mais les rapports de couverture ou de valeur préexistams5S Il en deduit que l'assignation doit nécessaire- ment avoir pour objet une prestation qui est à même de satisfaire l'intérêt du créancier à l'exécution de cette prestation ou de provoquer le résultat convenu de façon immédiate. Il en vient ainsi à estimer que si l'on peut laisser ouverte la question de savoir si, COmme le soutiennent des auteurs récents en dérogation au texte légal 56, la prestation à exécuter peut consis- ter en des choses non fongibles ou même des prestations de service, il est exclu que l'assignation porte sur la constitution d'un engagement nouveau et différent obligeant l'assigné57. En conséquence, dès lors que, par nature, l'assignation ne peut avoir pour objet la constitution d'une garantie par la banque assignée, le Tribunal conclut que la déclaration de la banque zuri- choise ne pouvait être interprétée par Vie d'Or Comme la notification de l'acceptation d'une assignation58

Des indications du Tribunal fédéral relatives à la garantie, l'on doit retenir que celle-ci est un contrat unilatéral qui lie deux parties et est sujet à acceptation (laquelle peut être tacite)59 Au surplus, comme son nom l'in- dique, la garantie sert toujours à garantir, c'est-à-dire à assurer un risque;

elle n'est jamais un moyen de paiement pur et simple60 • Dans le cas particu- lier, ces éléments font que les parties n'ont pas pu être liées par une pro- messe de garantie. En effet, d'après les constatations de l'instance infé-

54 Idem, p. 240 ci-dessous. consid. 2.

55 Voir ègalement en matière d'assignation: l'arrêt de la lere Cour civile du 14 mai 1998 dans la cause Linde SA c, Société de Banque Suisse, ATF 124 III 253-258; l'arrêt de la 1ère Cour civile du 4 juin 1996 dans la cause Firma X GmbH c. Confédération Helvétique (PIT) et État du Pérou, ATF 122 III 237-245.

S6 Voir notamment Heinrich HONSELL, Schweizerisches Obligationenrecht, Besonderer Teil, 4e èd., Berne, 1997, p. 331 ss; Thomas KOLLER, Kommentar zum Schweizerischen Pn·vatrecht. ObUgationenrecht l, 2e éd" Bâle et Francfort-sur-le-Main 1996, N. 7 ad art.

466 CO (commentaire bâlois).

57 Annexe 1 (n. 52), p. 241 ci·dessous, consid. 2d.

58 Ibid.

59 Annexe 1 (n. 52), p. 240 ci-dessous, consid. 2a; voir également RApp (n. 51), p. 264 et les auteurs cités.

60 Voir déjà l'arrêt de la {ete Cour civile du 21 août 1996 dans la cause X S.p.A. c.

Banque A., ATF 122 III 321·323 consid. 4a et les auteurs cités.

(15)

228 RITA TRIGO TRINDADE

rieure sur lesquelles le Tribunal ne revient pas, les parties ne s'étaient ac- cordées ni sur le type de garantie61, ni surtout sur le rapport juridique de base - dont la garantie (aussi indépendante rut-elle) n'est jamais complète- ment détachée - et l' evénement ou risque y relatif à garantir. Le Tribunal fédéral souligne que le fait que la majorité des garanties émises par les banques soient des garanties à première demande62 et que les banques igno- rent souvent le risque précis garanti n'y change rien63. À défaut d'evéne- ment ou de risque garanti on est en présence d'une promesse de payer in- conditionnelle64 : or, Vie d'Or ne pouvait de bonne foi pretendre avoir compris la declaration de la banque - qui mentionnait expressément une garantie - comme un tel engagement inconditionnel de lui payer un million de florins sur sa simple demande. Elle pouvait d'autant moins le faire que la déclara- tion de la banque ne prévoyait pas de date d'expiration de la garantie comme le font d'ordinaire les garanties à première demande et qu'il n'était pas raisonnable de penser que la banque entendait s'engager à effectuer un paie- ment inconditionnel jusqu'à prescription de son prétendu engagement.

B. Les garanties: cautionnement et porte-fort

65

Le Tribunal fédéral est souvent amené à se prononcer sur la distinction entre les différentes formes de garantie - cautionnement, porte-fort ou en- gagement solidaire66. Dans la période sous revue, il a notamment pu s'adon-

61 Pour un aperçu des différents types de garanties bancaires, voir RAPP (n. 51), pp. 274-283.

62 En matière de garantie à premiëre demande, voir notamment: RApP (n. 51), pp. 259- 289; Turo R. ROSSI, La garanlie bancaire à première demande, thèse de Fribourg, Lau- sanne 1990; voir ég. l'arrêt de la lm Cour civile du 13 avril 1993 dans la cause U. 0. 8.

c. A. S.A., ATF 119 II 132-134.

63 Annexe 1 (n. 52), p. 241 ci-dessous, consid. 2e.

64 ATF 119 II 132, 133 consid. 5 . . . (n. 62).

6S Pour la distinction entre la garantie et le cautionnement, voir notamment Pierre ENGEL, Traité des obligations en droit suisse. Disposilions générales du CO, 2e éd.) Berne 1997,

§ 23, pp. 429-436; Christoph M. PESTALOZZI, Kommenlar zum schweizerischen Priva/Techl.

OhUgationenrecht J, ~ êd., Bâle et Francfort-sur-le-Main 1996, ad art. 111 CO (commen- taire bâlois); RApP (n. 51), pp. 265-273; Tuto R. ROSSI, "Garantie ou cautionnement?", SJ 1986405-413; SCYBOZ (n. 50); ZOBL (n. 50), pp. 31-35. . 66 Voir notammcl?-t l'arrêt de la 1ère Cour civile du 9 juillet 1985 dans la cause Ley-Ra- vel/o c. Saturnus Et~bJissement, ATF 111 II 276-281 et commentaire de l'arrêt par ROSSI (n. 65); arrêt de la IeTe Cour civile du 17 novembre 1987 dans la cause H. c. U. Company, ATF 113 11434-441 ; .rrê! de 1. Ile Cour civile du 20 aoù! 1991 dans 1. c.use C. R. c. L.SA,

(16)

JURISPRUDENCE RECENTE EN DROIT BANCAIRE PRIVE 229

ner à cet exercice à deux reprises: le premier cas, relatif à une garantie concédée pour un prêt usuraire, opposait une docteure en droit à un juriste spécialisé en droit des affaires, titulaire d'un brevet d'avocat67; le second avait trait à une garantie octroyée en relation avec une vente d'actions et opposait des personnes domiciliées à Londres qui avaient soumis leurs rap- ports juridiques au droit suissé8. Les arrêts rendus dans ces affaires ont été l'occasion pour le Tribunal fédéral de rappeler le critère permettant de dis- tinguer cautionnement et porte-fort ainsi que ses conséquences, d'une part, et de refaire le point sur les principes qui doivent régir l'interprétation de contrats prévoyant l'une ou l'autre de ces formes de garantie, d'autre part.

1. Accessoriété ou indépendance"

Selon l'arrêt opposant les parties anglaises, qui se réfère à de la jurispru- dence et de la doctrine relativement récentes7o, "le critère de distinction essentiel entre [le porte-fort et le cautionnement] réside dans l'accessoriété, c'est-à-dire [dans] le lien de dépendance de l'engagement de la caution à l'égard de l'obligation du débiteur principal"71. Le Tribunal fédéral expli-

ATF 117 III 76-83; arrêt de la 1ère Cour civile du 12 janvier 1994 dans la cause J.SA. c.

D.S.A. et X, ATF 120 II 34-35; arrêt de la Ile Cour civile du 10 avril 1996 dans la causeA.

c. Banque X, ATF 122 II 125-130; arrêt de la 1ère Cour civile du 27 janvier 1994 dans la cause Banque X c. H .• ATF 120 Il 36-42.

67 Arrêt non publié de la 1ère Cour civile du 9 juillet 1998 dans la cause Walter G. c.

Charlotte S. (4C.436/1997), reproduit ci-après en Annexe 2. pp. 243-244.

68 Arrêt de la 1ère Cour civile du 25 mai 1999 dans la cause B. S.A., X et Y. c. S. et D. Ltd en liquidation, ATF 125 III 305-312.

69 Voir notamment à ce sujet GUGGENHEIM (n. 50), p. 180 ss; THÉVENOZ (n. 50), pp. 167-188.

70 Voir notamment dans la jurisprudence l' ATF 113 Il 434-441 = JdT 1988 1 185 (n. 66);

l'ATF III Il 276-281 (n. 66); l'arrêt de la l'" Cour civile du 25 juillet 1988 dans la cause Banque de Paris et des Pays-Bas (Suisse) SA c. Jadran Film, reproduit in SI 1988 550- 554; ainsi que dans la doctrine: PESTALOZZI (n. 65), N 6 ad art. 111 CO; SCYBOZ (n. 50), p. 14; TERCIER (n. 50), N 5314 p. 646 et N 5325 p. 648.

71 ATF 125 III 305, 308 consid. 2b (n. 68); contra ROSSI (n. 62), N 325 qui considère que le critère de l'accessoriété ne peut constituer un critère absolu. Selon cet auteur, l'accessoriété n'exprime qu'un degré et les parties sont libres d'aménager des cautionne- ments innommés dérogeant partiellement au principe de l'acces50riété. Ainsi, il est possi- ble de rencontrer des garanties accessoires non soumises aux art. 492 55 CO. Pour Lukas HANDSCHIN, "Zur Abgrenzung von Garantievertrag und Bürgschaft: Akzessoritat der Verpflichtung ais massgebendes Kriterium?", RSDA 1994 pp. 226-231, 231, lorsque l'accessoriété est absente, le cautionnement est exclu; en revanche, lorsque on est en pré- sence d'un engagement de caractère accessoire, l'intérêt propre du garant à la prestation garantie pennet, s'il existe, d'exclure le cautionnement.

(17)

230 RITA TRIGO TRINDADF.

que en effet que "dans le cautionnement - contrat accessoire - , le garant assure la solvabilité du débiteur ou l'exécution d'un contrat, alors que le porte-fort promet au stipulant une prestation comme telle, indépendamment de l'obligation du tiers [ce qui a pour effet que] contrairement à la caution, le porte-fort doit exécuter sa prestation même si l'obligation à la charge du tiers n'a pas pris naissance, est nulle ou frappée d'invalidité"72 Curieuse- ment, dans l'affaire opposant les juristes, le Tribunal contredit -ou du moins relativise-cette dernière affirmation, puisqu'il y indique que, selon sa pra- tique (il cite un arrêt datant des années 195073), lorsque le rapport juridique garanti est illicite ou immoral et, partant, frappé de nullité absolue, le contrat de porte-fort est également frappé de nullité, quand bien même il n'est pas accessoire dudit rapport juridique garantj74. Dans le cas particulier, le Tri- bunal fédéral n'approfondit cependant pas plus avant cette dernière rénexion, puisqu'il estime que le caractère lésionnaire du prêt garanti (qui prévoyait que l'emprunteur de CHF 150'OOO.-était tenu de restituer au prêteur CHF l 'OOO'OOO.-trois mois seulement après l'octroi du prêt) ou le fait qu'un tel prêt contrevienne aux dispositions du droit cantonal sur les taux d'intérêt n'entraîne que sa nullité partielle et, partant, n'affecte en rien la validité d'un porte-fort.

La formule utilisée par le Tribunal, selon laquelle "le porte-fort doit exécuter sa prestation même si l'obligation à la charge du tiers [ ... ] est nulle"

et qui, à ma connaissance, n'a d'ailleurs pas été testée dans des cas concrets de nullité du rapport juridique garanti, est sans doute trop absolue7l. Per- sonne, en effet, ne prétendra sérieusement que le porte-fort qui garantit une vente de cocaïne doit être exécuté malgré la nullité du contrat garanti. Cela étant, il est à mon sens inexact d'affirmer, comme le fait le même Tribunal fédéral, que la validité du porte-fort est affectée dans tous les cas d'iIIicéité entraînant la nullité absolue du rapport juridique garanti. Ainsi, on ne voit

72 ATF 125 III 305, 308 consid. 2b (n. 68).

73 Arrêt de la 1ère Cour civile du 28 février 1950 dans la cause S. Su/eyman c. Tungsram ElekJrizitdts A.-G., ATF 76 Il 3, 37 = JdT 19501491.

74 Annexe 2 (n. 67), p. 244 ci-dessous, consid. 3; dans le même sens, TERCIER (n. 50), § 74 N 5323, qui precise qu'il faut faire une exception au principe qui veut que les vices affectant la prestation du tiers sont sans effet sur la validite du contrat de porte-fort,lors- que la prestation du tiers est illicite ou immorale. Cette circonstance entraîne la nullite du contrat de garantie, car il est immoral (art. 20 CO) de garantir un fait illicite ou contraire aux mœurs; ég. ENGEL (n. 65), N 96 p. 434, pour qui "le fait promis ne doit pas être illicite ou contraire aux mœurs". En effet, "l'inexécution d'un acte contraire au droit ou aux mœurs ne peut pas fonder une action en dommages-intèrêts" (ATF 76 II 33, 38 [no 73]).

75 ATF 125 !Il 305, 308 con,id. 2b (n. 68).

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JURISPRUDENCE RÊCENTE EN DROIT BANCAIRE PRIVÉ 231

guère pourquoi celui qui s'est porté fort de la vente d'un immeuble dont il s'avère ultérieurement qu'elle est nulle pour vice de fonne devrait pouvoir exciper de la nullité de la garantie donnée. Dans le même ordre d'idées, on peut se demander si, dans l'espèce jugée par le Tribunal fédéral, l'indépen- dance du porte-fort justifiait réellement que le garant ne puisse exciper de la nullité partielle d'une garantie qui pennettait au prêteur d'une somme de CHF 150'000.-non remboursée dans un délai de trois mois de réclamer audit garant le montant prêté plus une prime de 50'000.-(correspondant il un intérêt annuel de plus de 120% sur trois mois), au seul motif que le rapport juridique de base n'était que partiellement nul.

La délimitation des cas de nullité du rapport juridique garanti qui "dé- teignent" sur le porte-fort par rapport à ceux qui n'ont pas cet effet dépasse- rait le cadre de cette contribution. À mon sens, il ne fait cependant aucun doute que la ligne frontière ne passe pas là où le Tribunal fédéral l'a posée dans l'arrêt opposant les juristes, à savoir entre les rapports juridiques ga- rantis frappés de nullité absolue et ceux qui ne sont frappés "que" de nullité partielle.

2. Les principes d'interprétation applicables aux contrats de garantie

S'agissant des principes régissant l'interprétation des contrats de garantie, le Tribunal fédéral rappelle brièvement le principe de l'autonomie de la volonté qui autorise les parties à choisir librement l'instrument juridique permettant de garantir un engagement (cautionnement, porte-fort ou enga- gement solidaire). \1 suit de ce principe que, confronté à un litige sur la signification d'une garantie, le juge doit d'abord procéder à une interpréta- tion subjective, à savoir rechercher la réelle et commune intention des par- ties, le cas échéant sur la base d'indices (art. 18 al. 1 C0J16. Si la volonté intime et concordante des parties peut être établie, il y a lieu de s'y tenir:

c'est le principe dit de la priorité de l'interprétation subjective77

Ce n'est que dans l'hypothèse où l'on ne peut établir une telle volonté, que le juge doit procéder à une interprétation objective (en allemand, le

76 THEVENOZ (n. 50), p. 170.

77 ATF 125 []] 305, 308 consid. 2b (n. 68) qui se réfère notamment à l'arrêt de la

l'"

Cour civile du 26 avril 1995 dans la cause Kerr Dürrenmatt c. Diogenes Ver/ag SA, ATF 121 HI 118-124, consid. 4b aa, pour le principe de la priorité de l'interprétation subjec- tive.

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