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'Tamquam lapides vivi'... Sur les 'élégies romaines' d'Hildebert de Lavardin

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Academic year: 2022

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'Tamquam lapides vivi'... Sur les 'élégies romaines' d'Hildebert de Lavardin

TILLIETTE, Jean-Yves

TILLIETTE, Jean-Yves. 'Tamquam lapides vivi'.. Sur les 'élégies romaines' d'Hildebert de Lavardin. In: Alla Signorina. Rome : Ecole française de Rome, 1995. p. 359-380

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:80652

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TAMQUAM LAPIDES VIVI ...

SUR LES "ÉLÉGIES ROMAINES"

D'HILDEBERT DE LAVARDIN (CA.1100)

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... aussi, quand vous vous promeniez sur le Forum, n'était-ce pas seulement parmi les quelques pauvres pierres, les chapiteaux brisés, et les impressionnants murs ou soubassements de briques, mais au milieu d'un énorme rêve ...

(Michel Butor, La modification, p. 167)

" Par tibi, Roma, nihil cum sis prope tota ruina.

quam magni fueris integra, fracta doces "1.

Le poème qui s'ouvre sur cette exclamation à la fois enthousiaste et mélancolique n'est pas de Pétrarque, ni de du Bellay, ni de Goethe. Non plus, contrairement à ce que la science moderne a très longtemps cru, d'un écrivain du Ve siècle, comme Rutilius Namatianus, témoin désolé des grandes invasions, mais décidé à attester coûte que coûte la grandeur de l'idée romaine 2. Son auteur inattendu est un évêque de l'Ouest de la France, Hildebert de Lavardin, titulaire du siège du Mans entre 1096 et 1125 3. La perfection formelle du texte, la qualité du sentiment exprimé n'ont pas laissé d'impressionner ses contemporains. En témoignent la richesse de sa tradition manuscrite, mais aussi les nombreuses citations qu'en font les auteurs des XIIe et XIIIe siècles : du vivant même d'Hildebert, l'historien Guillaume de Malmesbury, auteur de volumineux Gesta regum Anglorum (1125), lorsqu'il relate l'étape romaine des croisés anglo-normands en route vers la Terre sainte, déclare être hors d'état de décrire la splendeur et la misère de la Ville en des termes plus appropriés que ceux du c. 36 de l'évêque du Mans, cité alors in extenso 4; quelques décennies plus tard, un autre anglais, magister Gregorius, l'auteur de l'un des plus célèbres recueils de mirabilia, s'arrête sur les pentes du Monte Mario pour contempler le panorama qui se déploie à ses pieds - le cri d'admiration qui lui vient alors spontanément à la bouche, ce sont les vers cités plus haut 5. Depuis lors, il n'est guère de voyageur d'époque médiévale ou moderne dans le coeur de qui ils n'aient résonné 6.

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Il n'est guère, non plus, de poème médiolatin qui ait suscité autant de commentaires, autant d'interprétations contrastées, voire contradictoires. L'état de la question soigneusement dressé par Peter von Moos nous dispense d'entrer dans le détail de ces controverses 7. Nous nous bornerons donc ici à en dessiner les grandes lignes. Il est bon, pour commencer, de rappeler que le poème Par tibi, Roma, nihil fait couple avec une autre élégie De Roma, le c. 38 de l'édition Scott, qui lui répond de façon très exactement symétrique et indépendamment duquel il ne peut être lu.

Résumons-en, d'une phrase, l'argument : si le c. 36 évoque avec nostalgie la splendeur de la Rome du passé dont les vestiges remémorent la grandeur (v. 21-22 : "non ...

annorum series .../ ad plenum potuit hoc abolere decus"), le c. 38 est une prosopopée de la Rome du présent, déchue politiquement et militairement, mais triomphante spirituellement, ou plus exactement : triomphante parce que déchue (v. 9 : "gratior hec iactura mihi successibus illis"). Le lecteur est donc en présence de l'opposition, topique dans la littérature chrétienne du bas-empire (avec des nuances : Prudence, Orose, Augustin ...8), entre Roma Cesaris et Roma Petri. L'initiative malencontreuse d'un éditeur trop fidèle à son "manuscrit de base" 9 offusque quelque peu le caractère de chants amébées, ou plutôt, suivant l'expression d' Alain Michel 10, de disputatio in utramque partem que revêt l'ensemble constitué par les deux élégies. Cependant, il n'est sans doute pas indifférent qu'elles soient de longueur égale, à savoir 18 distiques chacune - le dernier distique (v. 37-38) du c. 36 de Scott est en fait, comme nous le montrerons, une épigramme isolée, qui sert de transition, ou plus exactement de point d'articulation, entre les deux poèmes 11. Ceux-ci se présentent en outre clairement comme un dialogue, comme une allocutio du poète à Rome, à la deuxième personne du singulier (c. 36), suivie de la responsio de celle-ci, à la première personne (c. 38). L' hypothèse de Ferdinand Gregorovius, pour qui l'élégie chrétienne est une réfutation a posteriori par l' évêque des enthousiasmes paganisants de sa jeunesse 12, ne semble guère fondée. Même si Hildebert a plusieurs fois remanié ses poèmes et leur organisation en recueil 13, les ressemblances structurelles et rhétoriques entre ces deux- là indiquent assez qu'ils étaient faits pour être lus ensemble.

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C'est donc sur la cohérence intellectuelle et poétique de la démarche de notre auteur que nous sommes amenés à nous interroger. Et cela à partir de questions très simples. Lorsqu'il y dialogue, ou débat, celles qui viennent immédiatement à l'esprit sont : "qui a tort et qui a raison ? pour qui, au bout du compte, l' écrivain prend-il parti ?" En l' espèce, les réponses qui leur sont apportées sont bien entendu diamétralement opposées selon que l'on met l'accent sur la première ou sur la seconde élégie. Les spécialistes de la renaissance du XIIe siècle, et singulièrement les historiens d' art, se sont pris d'enthousiasme pour la description admirative et nostalgique des ruines et des statues antiques - dont on trouve en effet peu d'exemples dans la poésie médiévale - et pour le regret de la majesté romaine qu'elle paraissait dénoter. Le grand Jacob Burckhardt lui-même, souvent si injuste à l'égard de la culture médiévale, voit dans le poème Par tibi, Roma, nihil un "exemple très frappant d' humanisme passionné" 14. A l'inverse, les critiques italiens, jaloux de la spécificité de leur Quattrocento, insistent sur le fait qu' Hildebert est avant tout homme d'église et qu'en fin de compte, il rejette les "vains simulacres" des "faux dieux" dans le néant de leur inefficience et de leur inexistence 15.

Pour n'avoir pas méconnu la complémentarité des deux textes, les historiens de l'idée impériale, Schramm en tête, qui voit dans nos poèmes comme le couronnement du processus de renovatio imperii dont il reconstitue l'évolution au cours des Xe et XIe siècles, adoptent une position plus équilibrée. Si on lit leurs analyses entre les lignes, car ils ne sont pas très explicites sur ce point, les poèmes d'Hildebert ne servant que de pièces justificatives à leur thèse, ces derniers s'inscrivent, parmi d'autres témoignages, dans le grand mouvement de récupération des valeurs romaines par l' Empire d'abord, puis par la Papauté, enfin par le peuple de la Ville lui-même (à travers des entreprises comme celle d'Arnaud de Brescia) entre 1050 et 1150 - une hypothèse qu'il nous faudra tester.

Quant à von Moos, qui, en bon biographe, s'attache à retracer la personnalité de son héros 16 et à définir son "humanisme chrétien", la lecture subtile et quelque peu touffue qu'il fait de ces élégies l'amène à y discerner une sorte de tension, de conflit

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dans l' âme de leur auteur : tension entre un idéal stoïcien d' harmonie politique et sociale - qu' atteste la prédilection d'Hildebert pour des écrivains comme Sénèque et Lucain -, incarné à ses yeux par la Rome antique, et un pessimisme chrétien, ou plus exactement monastique, aux termes duquel toutes choses terrestres ont irrémédiablement vocation à la dégénérescence; conflit entre la perfection de la civilisation humaine telle qu'elle s'est manifestée jadis et les rudes voies contemporaines de l'ascétisme. En somme, une méditation sur le sens de l' Histoire et sur les cheminements tortueux de la Providence17. Cette explication romantique séduit par sa profondeur sans convaincre absolument. Elle a en effet le défaut d'être à la fois trop générale et trop particulière. Trop générale, parce qu'elle suggère que notre évêque ne ferait ici que développer, à son tour et à sa manière, l'un des topoi favori de l'historiographie contemporaine, sur l'écroulement et la succession des empires (voir par exemple Otton de Freising); mais c'est peut-être passer un peu vite sur l' agencement poétique, sur la forme dialogique, donc problématique à travers lesquels s'exprime cette idée. Trop particulière, dans la mesure où le savant allemand ne réussit pas complètement à faire l'économie d'une approche sentimentale de la personnalité d'Hildebert - c'est peut-être le genre biographique qui veut cela : la poésie des ruines, nous y sommes sensibles depuis le XVIIIe siècle, depuis Chateaubriand. Sommes- nous si certains que les hommes du moyen âge l'éprouvaient de la même manière ? Et si l'assertion : "Roma fuit" (c. 36, v. 20) n'était pas à lire comme une variation sur le thème de l' ubi sunt, mais comme un constat ? Affirmer que la psychologie d'Hildebert fut "unique en son genre", "en avance sur son temps" est sans doute plus vrai que vérifiable. Et même: le XIIe siècle, vigoureux, conquérant, pressé par d'autres urgences politiques, doctrinales, littéraires, ne nous a guère habitués à le voir teint des

"couleurs de la mélancolie", pour reprendre le beau titre d'un ouvrage récent 18 - laissons cela au XIVe. L'humanisme de cette renaissance, si humanisme et renaissance il y a, à la différence de celui de la grande Renaissance, ne se décline guère sur le mode du never more ... 19 .

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Enthousiasme et mélancolie. Enthousiasme ou mélancolie. Le dilemme qui s'inscrivait dans la première phrase de cet article ne semble donc pas résolu. D'un côté, Schramm et sa renovatio imperii, la grandeur romaine encore magnifiée par le christianisme qu'exalte la seconde élégie; de l'autre, von Moos et son humanisme chrétien, la tristesse des choses mortes décrites dans le premier poème, tout juste récompensée par l'espérance lointaine du salut. Ne pouvons-nous pas sortir de ce débat quelque peu schizophrénique et, en nous appuyant sur des considérations pédestrement historiques plus que subtilement psychologiques, montrer que les deux poèmes ne disent, en fait, qu' une seule et même chose ?

1. C'est vers la fin de l'année 1100 que l'évêque du Mans accomplit sa première visite ad limina apostolorum. Elu dès 1096, il a dû alors s'employer à faire face aux troubles qui ont environné sa nomination - l'encombrant protecteur du comté du Maine, le roi d'Angleterre Guillaume le Roux, aurait bien vu à sa place un prélat plus docile - et aux conflits qui déchirent la province, objet des convoitises concurrentes des normands et des angevins - le même roi Guillaume contraint Hildebert à l'exil dans la seconde moitié de l'année 1099. Le calme enfin rétabli, notre évêque peut donc gagner l'Italie.

On associe généralement à ce voyage la composition des poèmes qui nous intéressent.

Rien n'est plus probable : le c. 36 résonne en effet de l'évocation de "choses vues", notamment les statues des dieux païens (v. 31-36). Rien non plus ne nous oblige à penser que ces textes aient jailli de la plume de leur auteur sous le choc de l'émotion et de la découverte. Au contraire, les remaniements dont ils portent la trace 20 prouvent qu'ils sont le fruit du labeur et de la réflexion. La poésie médiévale - faut-il le rappeler

? - n'est jamais un cri du coeur, du moins au sens où l'entendait Alfred de Musset.

Ici, il convient peut-être de situer Hildebert dans son univers culturel et social : d'origine modeste, puisque fils d'un ministérial du seigneur de Lavardin, en Vendômois 21, il doit, semble-t-il, son ascension rapide dans la carrière ecclésiastique à ses seuls talents intellectuels : à 35 ans, il est archidiacre et écolâtre du Mans, cinq ans

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plus tard évêque de la même ville. Ce type de parcours est loin de représenter un cas isolé dans la France du XIe siècle tardif. Sous l'impulsion de la réforme grégorienne, la collation des dignités ecclésiastiques échappe progressivement à la féodalité.

Désormais, l' accession au rang épiscopal ou abbatial est due au moins autant aux mérites intellectuels et moraux qu' à la noblesse du sang. Réformateur, Hildebert le fut incontestablement. Si son adhésion aux idées que l'on qualifiera par commodité de grégoriennes s'exprime avec moins de virulence que celle de son ami Geoffroy, abbé de La Trinité de Vendôme, elle n'est pas moins franche et dépourvue de réserves. Son action pastorale comme ses écrits spirituels ou doctrinaux en témoignent 22. Sa grande culture, la sincérité de ses choix religieux, la pondération dont sont empreintes ses nombreuses "lettres de direction" - ainsi que le heureux hasard biologique qui lui permet d' atteindre un âge avancé - font de lui le Nestor du courant réformateur en France : quasi-septuagénaire, il est promu - fait exceptionnel - archevêque métropolitain de la vaste province ecclésiastique de Tours.

Ces considérations trop générales sur la carrière d'Hildebert semblent nous emmener bien loin des quelques vers que nous nous proposions de commenter.

Pourtant, elles ne sont digressives qu'en apparence. En effet, le lien étroit qui associe le mouvement réformateur à la résurrection de l'idée romaine nous semble, depuis quelques décennies, avoir été solidement établi, notamment par les historiens de l'art, au premier rang desquels il faut placer Hélène Toubert 23. Reste, bien sûr, à savoir ce que l'on entend par "idée romaine", notion infiniment plastique 24. Sans doute, le modèle mis en avant de façon privilégiée par Hildebrand et par ses partisans est-il celui de la Rome des apôtres Pierre et Paul, de l'Eglise des catacombes, pauvre et humiliée, mais triomphant finalement de l'orgueil de l'empire païen. Mais ils ne dédaignent pas non plus de faire appel à la glorieuse mémoire nationale de l'Antiquité pré-chrétienne.

Le modèle d'intransigeance que fut Pierre Damien n'hésite pas à assimiler le collège cardinalice à une renovatio du sénat 25. Dans le développement de cette entreprise à la fois idéologique et esthétique, il faut naturellement faire une place à part à ce laboratoire de la réforme que fut le Mont-Cassin sous l'abbé Didier, le futur Victor III.

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L' historien H.E.J. Cowdrey ne va-t-il pas jusqu'à écrire : "peut-être le thème clé de la littérature et de la culture cassiniennes - quand elles traitent de la réforme de l'Eglise - est-il celui de la renovatio, à l'époque présente, des institutions et des valeurs du monde romain antique" 26 ? Les preuves qui corroborent cette assertion sont innombrables.

Pour rester dans le domaine de la poésie, bornons-nous à citer quelques vers d'Alphanus de Salerne, auteur de pièces lyriques de mètre impeccablement horacien :

"en te voyant, Rome se rappelle les Pauli et les Fabii, les Cornelii et les Gracques, les Fabricii, les Luculli ..."27, écrit-il à Gisulf de Salerne, le dernier des princes lombards, en lutte contre les byzantins (assimilés, eux, à Pyrrhus et à Hannibal). Ou encore ceci, au futur Grégoire VII : "Quelle force que celle de l'anathème ! Tout ce que jadis Marius, ainsi que Jules César, avaient accompli au prix d'un grand massacre de soldats, ta faible voix le réalise. De quoi Rome est-elle redevable aux Scipions et aux autres Quirites plus qu'à toi, dont le zèle lui a octroyé les lois de sa puissance ?" 28 Interrogations qui aboutissent à cette conclusion étonnante : "eux pourtant, parce qu'ils ont obtenu de très grands bienfaits à leur patrie, on a raison d'affirmer qu'ils jouissent de la paix éternelle dans les régions de lumière" 29.

En se référant à son tour, quelques décennies plus tard, aux "provida iura senatus" et aux "gladii regum" (c. 36, v. 7), en exaltant, nouveau Virgile, l'épopée de la construction de la Ville ( ibid., v. 13-18), Hildebert semble s'inscrire dans le droit fil de cette tradition. Mais il le fait avec des accents moins triomphalistes que ceux des poètes cassiniens. Si l'on regarde attentivement les textes, il apparaît au contraire clairement que son horizon d' attente n'est pas celui (revivifié par les idéologues

"romains", les cardinaux Humbert de Moyenmoûtier, Pierre Damien, Hildebrand lui- même) de la littérature paléochrétienne, de l' historiographie providentialiste d' Orose

30. Le philologue averti qu'est Scott n'a pas manqué de remarquer les parallèles textuels qui peuvent s'établir entre le poème Dum simulacra (c. 38) et la longue prosopopée de Rome figurant aux vers 655-770 du deuxième livre du Contra Symmachum de Prudence. L'expression "aras ... superstitiosas deiciens" (c. 38, v. 3-4) est d'ailleurs une claire allusion à l'affaire de l'autel de la Victoire, occasion, comme on sait, de la

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polémique entre le patricien romain et le poète espagnol. Il faut seulement prendre garde à faire un bon usage de l'apparat des sources : il n'est pas nécessaire de confronter longuement les deux textes pour se rendre compte que la Rome d' Hildebert dit, avec les mêmes mots, exactement l'inverse de ce que proclame celle de Prudence.

Celle-ci se félicite que la vaillance de l'empereur chrétien Honorius ait empêché les Goths de "raser au sol (ses) citadelles, consumer dans les flammes (ses) palais d'or, contraindre (ses) nobles en toge à vêtir des peaux de bêtes" 31. Celle-là, non contente de constater que "les citadelles furent désertées, les palais des dieux écroulés, le peuple réduit en servitude, la chevalerie tombée en décadence", établit un lien causal très explicite entre ces événements et la destruction des autels païens 32. On pourra nous objecter que Prudence n'aurait sûrement pas écrit les mêmes vers après 410 et le sac de Rome par les troupes d'Alaric, mais Hildebert n'a sûrement qu'une idée on ne peut plus floue de la chronologie des oeuvres de cet auteur. C'est donc bien un Contra Prudentium qu'il écrit ici.

Comment l'interpréter, à la lumière des événements du temps ? C'est que l'idéal romain d' Hildebert, protagoniste de la seconde génération réformatrice, n'est plus exactement celui des années 1050-1080. Ce qui se voit récusé ici, c'est d'abord l'alliance harmonieuse du trône et de l'autel que semble imaginer la propagande théodosienne, et qui se réincarne au moyen âge dans ce "césaropapisme" dont ont rêvé des hommes comme l'empereur germanique Henri III et, peut-être, les tout premiers réformateurs 33, avant que l'intransigeance sourcilleuse de Grégoire VII et sa conception totalitaire de la libertas ecclesiae ne retournent contre eux leur propres arguments. Dans cette perspective, le distique qui fait charnière entre les deux élégies d' Hildebert prend tout son sens :

"Urbs felix, si vel dominis urbs illa careret Vel dominis esset turpe carere fide" 34.

La critique s'est légitimement interrogée sur l'identité de ces domini. Elle y a généralement reconnu les empereurs païens de l'Antiquité. Cette hypothèse ne nous paraît guère recevable : en premier lieu, parce que, si tel était vraiment le sens, on

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attendrait l'iréel du passé (caruisset, fuisset) et non celui du présent; ensuite parce que la première assertion (si dominis urbs careret) contredirait les vers qui précèdent, où il a été montré que c'était entre autres aux "glaives de ses rois" que Rome devait d'être caput mundi, tandis que la seconde (vel dominis esset turpe carere fide), s'agissant de chefs païens, constituerait une vraiment très plate tautologie. Nous préférons donc suivre Hauréau qui donne à ces fantomatiques domini le visage des empereurs germaniques 35 ou, plus généralement, des souverains laïcs qui, depuis Otton le Grand, en ont usé de Rome à leur bon plaisir - les plaies ouvertes par le passage des Normands de Robert Guiscard, en 1084, sont encore béantes -, trahissant ainsi sans vergogne (turpe) la fides qu'ils doivent à leur suzerain le pape 36. C'est donc à la lumière de la querelle des investitures que nous proposons de lire ces poèmes.

On peut même aller un peu plus profond dans l'interprétation. En effet, ce dont il est question ici, ce n'est pas tant du conflit entre le temporel et le spirituel que de l'incompatibilité absolue entre eux. Les prétentions émises par le Dictatus papae de Grégoire VII à régenter l'univers, étendant son autorité sur les puissances laïques, sont ici rejetées comme caduques 37. Certes, l'attaque n'est pas frontale, et emprunte les détours de la métaphore. Rappelons-nous le renversement des propositions énoncées par Prudence. Hildebert ne déplore pas la ruine de Rome, il s'en délecte (au moins dans la seconde élégie, le cas de la première étant plus ambigu) : "Gratior hec iactura mihi successibus illis". Et en effet, l' apparence misérable de Rome est le signe tangible de sa réelle puissance, qui est toute spirituelle : il fallait lever toute ambiguïté, éviter toute compromission, et "il ne fallait pas que (Rome) eût l'air de devoir son empire (actuel, c'est-à-dire son empire moral) aux Césars et à leurs guerres ..." 38. On est ici aux antipodes de la récupération grandiose du mythe romain entreprise par les promoteurs de la réforme une cinquantaine d' années plus tôt. Et l'on ne peut s'empêcher de penser à un événement majeur de l'histoire de la papauté en ces temps : le fameux privilegium accordé en 1110 par Pascal II à l' empereur Henri V, qui instaurait une sorte de séparation de l'Eglise et de l'Etat avant la lettre. Acte inouï, révolutionnaire dans son appel aux valeurs évangéliques, ou compromis dicté par la

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force ? Les historiens en discutent, bien que la seconde hypothèse semble la plus vraisemblable 39. Les poèmes d'Hildebert sont, on l'a dit, vraisemblablement antérieurs à cet épisode, mais les problèmes chronologiques s'avèrent ici subalternes. Ce qui importe, c'est de constater que cette aspiration diffuse à une pauvreté réellement christique n'est pas étrangère aux préoccupations de certains membres éminents du clergé, même si, comme on le verra, elle s'exprime de façon quelque peu rhétorique.

"Par tibi, Roma, nihil, cum sis prope tota ruina" : doit-on vraiment donner au cum une valeur adversative ?

2. Il est donc temps de revenir ici à la première élégie. Celle-ci s'achève par trois distiques très étonnants sur les statues des dieux païens, qui ont, plus que tout le reste de l'oeuvre poétique d' Hildebert, monopolisé l' attention des critiques : "Ici, les êtres célestes eux-mêmes admirent les formes des êtres célestes et désirent être semblables à ces visages inventés. La nature fut incapable de créer des dieux qui aient l'aspect des statues admirables des dieux créées par l'homme. Ces divinités tirent bénéfice de leur apparence, et la vénération qu'elles inspirent s' adresse plutôt au talent des artistes qu' à leur propre puissance divine" 40. Comment interpréter ces vers ? Cela nous paraît difficile d'y lire une sorte d' adhésion voilée au paganisme, tant le contexte et l'ensemble de l'oeuvre d' Hildebert démentent une telle interprétation 41. Imaginerons- nous alors notre évêque mû par une pure émotion esthétique, voire en proie à cette

"statuomanie" qui semble s' emparer de nombre d' antiquaires du XIIe siècle ? Vers 1149-1150, on voit l'évêque Henri de Winchester, de passage à Rome, déambuler dans la ville l'air égaré, les cheveux et la barbe au vent, en quête de marbres antiques à emporter dans son diocèse 42. Assurément, des vestiges de la grandeur romaine, les statues sont celui qui a le plus impressionné les voyageurs médiévaux : la place que leur description occupe dans les divers recueils de mirabilia en fait foi 43. Elles incarnent donc bien l'emblème par excellence de la Rome antique. Cependant, leurs dimensions souvent colossales, la perfection de leur facture que la sculpture médiévale

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est alors hors d' état d' égaler, le regard mystérieux de leurs prunelles vides, ainsi que la charge symbolique qu'elles portent encore les font généralement apparaître comme des objets magiques, dotés de pouvoirs surnaturels plutôt inquiétants 44, plus que comme des oeuvres d'art. Et une légende fort répandue fait gloire à Grégoire le Grand d'avoir abattu les idoles 45.

Chez Hildebert, rien de tel. Les statues des dieux ne sont pas des totems plus ou moins maléfiques. Ce ne sont que des blocs de marbre sculptés. Résistons pourtant à l'opinion bien anachronique qui ferait de lui un tenant de l' art pour l' art. Ce qu'il admire, dans ces beaux objets, c'est plutôt, si l'on peut dire, l' artifice que l' artefact, la qualité du travail (studium artificis) que son résultat. Tout le poème est un hymne fervent à la capacité humaine de transformer et d'embellir le monde - en vertu de quoi ars triomphe de natura 46. Paradoxalement, ce texte souvent défini comme une plainte funèbre sur la destruction de Rome est pour l'essentiel le récit enthousiaste de sa construction (v.7-18). Comme l'a remarqué von Moos, les termes techniques de l' artisanat de la pierre ou du bois y abondent 47. La ville elle-même est définie par le mot labor (v.5), qui gouverne une longue série de relatives. Et si le poème, selon les lois du genre, se limite à évoquer le mythe de Rome, son auteur a été le témoin de la renaissance de l'activité immobilière et de la réorganisation urbanistique qui, selon l'excellente thèse d'Etienne Hubert 48, caractérisent la seconde moitié du XIe siècle romain. Nous voici de nouveau en terrain de connaissance, dans la mesure où, là aussi, les évocations poétiques d'Hildebert métaphorisent toute une série d'idées qui se font jour aux environs de 1100 : c'est la restauration de l'éminente dignité des arts mécaniques au sein de l'activité et du savoir humains 49, c'est la valorisation de l'operatio longtemps tenue pour la parente pauvre de l'oratio. Le mouvement réformateur suscite l'apparition d'ordres religieux actifs, non plus retranchés du siècle, mais le prenant à bras-le-corps. De cette chronique d'une victoire du modèle pastoral sur le modèle monastique, Hildebert est l'un des acteurs essentiels 50.

Notre démonstration paraîtra ici fragile : après tout, il n'est question dans le texte que du travail des maçons et des charpentiers, non de la cura animarum.

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Revenons donc à nos statues. Le poème pourrait très bien s'achever par la sententia que constituent les vers 29-30 : "L' activité des hommes a été capable d' édifier une Rome aussi grande que celle qu' a été incapable d' anéantir l' activité des dieux" 51. Pourtant, le texte se poursuit par les trois distiques que nous citions plus haut : nécessité d'équilibrer en longueur les deux élégies ? Volonté de conclure par un

"concetto" un peu maniériste, un de ces élégants paradoxes qu' Hildebert, auteur d'un poème sur l' hermaphrodite longtemps lui aussi réputé antique, sait manier avec tant de maîtrise ? En réalité, ces six vers éclairent rétrospectivement le sens du poème, mais pas dans la perspective humaniste qu'on lui reconnaît généralement. Ce qui attire aussitôt l'oeil du lecteur, c'est la bizarre alliance de mots qui constitue la clausule du vers 34 : creavit homo. Référée au sculpteur, cette expression sonne presque comme un oxymore, tant la notion d'artiste-créateur, au sens littéral du terme, est étrangère à la mentalité médiévale. On attendait ici fecit, edidit ou finxit. Faisons au poète talentueux et réfléchi qu'est Hildebert le crédit de penser qu'il n'a pas choisi son verbe au hasard (ou par goût de la pointe ou simplement metri causa). Voilà donc l' homo faber paré d'un attribut généralement réservé à Dieu, la puissance créatrice. On sait en outre que le processus de la création de l'homme, au sixième jour de la Genèse (1,27 : creavit Deus), est traditionnellement illustré par l'exégèse au moyen de la métaphore du travail du potier ou du sculpteur 52. L'art païen est donc le lieu d'un étonnant paradoxe : l' homme y façonne ses dieux exactement de la même façon que Dieu (le seul vrai Dieu) a façonné l'homme. Bien plus : par une sorte d'argument ontologique à rebours, où il nous plaît de discerner un soupçon d'ironie, les divinités du paganisme conçoivent l'idée de la perfection en contemplant les images qu'ont sculptées d'eux les hommes (v.31-32). C'est donc le sens même de l'Histoire qui est ici littéralement inversé. L'édification de la cité terrestre, placée sous de tels auspices, était nécessairement vouée à la ruine.

La seule vraie valeur que nous ait léguée le monde antique, c'est donc l'homme, dans son entreprise laborieuse de transformation des choses (cura hominum, v.29), que n'est pas complétement parvenu à oblitérer le zèle des faux dieux - ou peut-être le zèle

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pour les faux dieux (cura deum, v. 30 : génitif subjectif ou objectif ?). L'homme créé

"à l'image et à la ressemblance" de Dieu (toujours Genèse 1,27). Et cette ressemblance n'a rien de commun avec les ficti vultus (v. 32) attribués aux divinités païennes : fingo, c'est sans doute "façonner", "sculpter", c'est aussi "inventer", donc mentir - et toute la tradition historiographique, rhétorique, philosophique du moyen âge oppose les ficta aux facta. Les statues ne sont donc rien d'autre que des mensonges et les miranda signa deum (c. 36, v. 34) doivent être reconnus pour ce qu'ils sont réellement : des simulacra vana (c. 38, v. 1). Si les statues sont bel et bien, comme on l'a vu, l'emblème de la grandeur antique de Rome, il faut s'arracher au spectacle des belles ruines et se déprendre de l'illusion impérialiste qu'il entretient (jusque dans les écrits des partisans de Grégoire VII). "Roma fuit". Ainsi, la lecture théologique (disons : augustinienne) du c. 36 aboutit-elle à la même conclusion, exactement, que la lecture politique (également augustinienne) du c. 38.

3. Il s'agit donc pour l'homme, une fois écartés les "vains simulacres", de retrouver la Ressemblance idéale. On l'a sans doute compris depuis longtemps déjà : le véritable sujet des élégies romaines d'Hildebert, c'est l' Incarnation. Or, la réflexion sur ce mystère central de la foi chrétienne, très difficile même à penser pour l' essentialisme du haut moyen âge, se met soudain à occuper le devant de la scène de la spéculation théologique au cours de la seconde moitié du XIe siècle : les premiers grands philosophes médiévaux - si l'on excepte Jean Scot Erigène qui, nonobstant les données chronologiques, appartient intellectuellement à l'Antiquité tardive -, à savoir Béranger de Tours et Anselme de Cantorbéry, avec qui Hildebert entretient des rapports personnels, voire amicaux 53, ont affronté la question de l' Incarnation, l' un par le biais d'une réflexion sur l'eucharistie, l'autre en s'efforçant de répondre par une argumentation rationnelle à la question Cur deus homo 54. C'est à la même époque, encore, que la science exégétique commence à entreprendre l'étude ardue de la christologie paulinienne 55. On aimerait pouvoir établir un lien entre l'émergence de

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ces thèmes de pensée et les aspirations spirituelles auxquelles s'efforce de répondre la réforme, simultanément morale et administrative, de l'Eglise. Pour ce qui est de l'exégèse, les travaux de Guy Lobrichon confortent solidement cette intuition 56. Dans le domaine de la pure spéculation théologique, en revanche, les historiens de la philosophie descendent rarement de leur empyrée pour venir se frotter aux médiocres réalités historiques 57. Sans, donc, être en mesure de le prouver, considérons cependant comme vraisemblable l'existence d'une relation directe et étroite entre, d'une part, le souci renouvelé de la cura pastoralis, dont Hildebert fournit un très bon exemple, et l' accent mis alors par les théologiens sur l' humanité et sur la pauvreté du Christ, de l' autre.

Que ces thématiques soient au centre des poèmes romains d'Hildebert, nous pensons l'avoir déjà suggéré. L'idée qu'il faille passer par l'horreur de la mort pour accéder à la vraie vie est au coeur d'une très vieille histoire, celle du salut. Mais il n'est pas inutile, désormais, d'être un peu plus précis. L' hypothèse que nous voudrions hasarder, pour finir, c'est que cette idée s'actualise dans la matière même, verbale, de nos textes - tant il est vrai que, selon le mot célèbre de Mallarmé à Degas, "ce n'est pas avec des idées que l'on fait un poème, c'est avec des mots". Nino Scivoletto a dressé le catalogue circonstancié et fort utile des figures de rhétorique apparaissant dans nos deux poèmes (exclamatio, repetitio, articuli, annominatio, prosopopea, subjectio, gradatio, interrogatio, ...) 58. Avec le parti-pris de dénigrement, dicté par ses préjugés classicisants, qui le caractérise, il en tire argument pour tourner en dérision une poétique fondée sur des procédés mécaniquement oratoires. A quoi nous pourrions répondre que, cela dût-il nous déplaire, Hildebert n'a fait que se conformer au goût de son temps et mettre en pratique les techniques de composition littéraire prônées par l'école, en vertu desquelles la "poéticité" d' un texte est proportionnelle au nombre et à la densité des figures de l' elocutio qu'on y emploie 59. Réponse juste, assurément, mais paresseuse, et qui risque de manquer l'essentiel : à savoir que c'est le choix de telles figures au détriment de telles autres - dans le stock innombrable qu'en proposent les manuels de rhétorique - qui donne à un texte sa couleur et son sens. Ici, on n'a pas à

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chercher très longtemps pour repérer "l' image dans le tapis" : c'est l' antithèse, le contrarium - comme pouvait d'emblée le laisser présager le caractère dialogique des textes. Pour ne pas accabler le lecteur d'une fastidieuse suite d'exemples, bornons-nous à signaler celui de ces chocs lexicaux qui apparaît de la façon la plus massive dans nos poèmes : l'opposition, à l'intérieur d'un même vers ou d'un même distique, des mots stans (ou integra) et diruta (ou fracta ou iacens). Nous n'en relevons pas moins de sept occurrences 60. Alain Michel, qui a noté le fait, parle à leur sujet d' "oxymores" 61. Le terme n'est peut-être pas absolument exact techniquement (il correspondrait à des expressions comme ruina stans ou integritas fracta), mais l'intuition est juste. Les poèmes De Roma sont bien structurés par ces juxtapositions d'opposés, encore soulignées par la place des mots dans le vers 62. Or, dans une perspective chrétienne, quel est l' oxymore majeur, la plus inouïe et en même temps la plus parfaite alliance de contraires ? C'est - bien sûr - le corps du Christ, qui conjoint dans leur plénitude nature divine et nature humaine 63.

Cette assertion paraîtra sans doute bien abrupte, et la conclusion qu'elle sous- tend - la Rome d'Hildebert comme métaphore du corps du Christ - bien aventureuse.

Nous n'avons pourtant pas le sentiment de dériver ici vers les régions brumeuses de la pure coïncidence. Car notre auteur en appelle à deux reprises, implicitement mais de façon très claire, à des textes du Nouveau Testament, centrés sur le mystère de l' Incarnation et sur l' économie paradoxale du salut. La première référence est bien entendu à saint Paul, dont on connaît l'ardeur à souligner le caractère scandaleux, irrationnel du dogme chrétien. Dans l' épître aux Philippiens (2, 6-8), l' apôtre invite les fidèles à suivre l'exemple du Christ qui, "de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu. Mais il s' anéantit lui-même prenant condition d'esclave (seipsum exinanivit, formam servi accipiens)". Cette idée de la servitude volontaire que Rome, renonçant à sa gloire, s'impose à elle-même revient à trois reprises dans le c. 38 64. De la même façon, les mots maior sum pauper divite (c. 38, v.

20) font écho au chapitre 8, verset 9 de la seconde épître aux Corinthiens : (le Christ)

"s'est fait pauvre, de riche qu'il était, afin de vous enrichir par sa pauvreté (ut illius

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inopia divites essetis)" 65. La seconde référence est au sermon sur la montagne. Lisons les vers 29 et suivants de l'élégie 38 : "sous l'empire de la croix, le roi est serf - il est libre; il subit la contrainte de la loi - il porte la couronne ...; le possédant distribue ses biens - il en regorge ...66 Ces mots ne renvoient-ils pas l'image en miroir des paroles du Christ : "Bienheureux les pauvres, car ils possèdent le royaume de Dieu; ceux qui ont faim, car ils seront rassasiés; ceux qui pleurent, car ils riront ... " (Lc 6, 20-22) ? L' imitatio Christi ou : les béatitudes au présent.

Il est temps de tresser entre eux les fils que nous avons essayé de démêler. Au départ, il y avait le contraste entre deux poèmes sur Rome : une méditation sentimentale sur le spectacle désolant des ruines de la ville antique, un hymne triomphal à la gloire de la capitale chrétienne de l'univers - l'une ou l'autre étant, en bonne logique, nécessairement entaché de quelque insincérité. Mais Hildebert n'était pas un sophiste. Non plus, d'ailleurs, qu' un dialecticien. Sur la base d' analyses qui reliaient nos textes à leurs circonstances historiques, leurs parentés doctrinales, leurs motivations esthétiques, nous avons montré que la contradiction signalée ci-dessus ne pouvait se résoudre en termes hégéliens - et c'est sur ce point sans doute que nous nous séparons de von Moos : la Rome idéale d'Hildebert n'est pas intégration - dépassement (Aufhebung) des valeurs de la cité antique. Elle est négation pure ("Roma fuit", encore une fois, c'est : "Roma non est"), paradoxe insoluble - sinon par cet autre paradoxe, plus profond encore : la croix, seule (crux una : ce sont les derniers mots du c. 38).

Bien sûr, Rome - je veux dire : Roma aeterna, non pas Roma Petri vs. Roma Cesaris - est une métaphore du Temps, et les trop longues pages qui précèdent n'étaient peut-être pas indispensables à la démonstration d'un tel truisme. Mais le sens de l'Histoire, pour les hommes de l'an 1100, n'était pas le même que pour nous. Linéaire, peut-être, tout autant : mais pas au sens d'un accroissement quantitatif des conquêtes de l'intelligence et de la technique humaines, plutôt d'une amélioration qualitative du coeur des êtres appelés à imiter l'exemple du Christ. Telle est l'utopie radicalisée par les courants

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millénaristes (l' "Evangile éternel" de Joachim de Fiore). Aux yeux des spirituels du XIIe siècle commençant, l'histoire du monde, de sa création à sa fin, est très exactement figurée par le corps du Christ en croix. A cet égard, notre Hildebert annonce les allégories mystiques du grand Hugues de Saint-Victor 67. Les temples anciens de Rome ne seront jamais reconstruits, et de toutes façons ne peuvent pas l'être, quelque zèle qu'on y emploie (c. 36, v. 27-28 : Non tamen ... restaurari ruina sola potest). C'est qu'ils ont été remplacés par un temple "qui peut être détruit et rebâti en trois jours" (Mt 26, 61).

Pour finir, une proposition méthodologique, qui vient bien tard : je me suis sévèrement gardé, dans ces pages, de sacrifier au rituel de l' "explication de texte".

Bien sûr, les analyses grammaticales, stylistiques, la recherche des sources sont nécessaires et offrent au chercheur l'intense satisfaction de maîtriser parfaitement le fonctionnement et la signification de l'objet ainsi désossé. J'aurais pu selon ces techniques démontrer après tant d'autres que nous avons là un très beau poème sur les ruines et un très beau poème sur la croix. Et alors ? Il suffisait de les lire pour le constater. Plus que de parler d'eux, j'ai préféré, à tort ou à raison, faire parler les textes, m'introduire en eux pour entrapercevoir les configurations mentales, vivantes et complexes, qu' obscurément, inconsciemment peut-être, ils dessinent, me laisser en somme expliquer par eux. C'est dans cet esprit que j'offre à Noëlle de La Blanchardière, qui me pardonnera bien quelque fatras érudit, cette réflexion vagabonde sur des thèmes sensibles à son coeur.

Jean-Yves TILLIETTE

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Annexe

Traduction des cc. 36 et 38 d' Hildebert de Lavardin

"Tu es presque toute ruinée et rien, Rome, ne t'égale. Ce que tu valus intacte, ta destruction le révéle. Le temps et la durée ont démoli ta gloire ; les citadelles de César et les temples des dieux gisent au fond du marais. Elle est anéantie, cette oeuvre, cette oeuvre que le terrible Araxe a redouté quand elle était debout, et dont il a pleuré la chute; elle que l'épée des rois, que les lois sages du sénat, que les dieux ont établie maîtresse de l'univers; elle que César a préféré, au prix du crime, possèder à lui seul plutôt que d'en être l'ami, le protecteur vénérable; elle qui a grandi grâce à un triple effort : celui des armes, qui ont dompté les ennemis, des lois, qui ont brisé le crime, de l'argent, qui a acheté les alliés ; elle sur qui, lorsqu'elle s'édifiait, a veillé la sollicitude des anciens - leur piété a favorisé l'entreprise 68, l'onde du (fleuve) étranger 69 l'installation. Les deux extrémités du monde ont fourni matériaux, ouvriers, subsides ; le terrain s'est offert de lui-même à la muraille. Les puissants ont dispensé sans compter leur trésor, les destins leur faveur, les artistes leur talent, le monde entier sa richesse. La ville est tombée, et si j'essaie d' en prononcer une louange à sa mesure, je (ne) pourrai dire (que) ces mots : "Rome fut".

Pourtant le long cycle des ans, l'incendie ni le glaive ne sont parvenus à abolir complètement cette grandeur. Les vestiges sont si importants, la ruine si complète que l'on ne peut pas plus rivaliser avec ce qui subsiste que relever ce qui est détruit.

Apportez vos richesses, un marbre tout neuf, la faveur des dieux; qu' une armée d'artisans s'affaire à de nouveaux ouvrages. Nulle construction pourtant ne saurait égaler le mur encore debout, nulle ruine être restaurée. L'activité des hommes a pu édifier une Rome si grande que n' a pu l' anéantir l'activité des dieux.

Ici, les êtres célestes eux-mêmes admirent les formes des êtres célestes et voudraient être semblables à ces visages inventés. La nature fut incapable de créer des dieux qui aient l'aspect admirable des statues des dieux créées par l'homme. Ces

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divinités tirent bénéfice de leur apparence, et la vénération qu'elles inspirent s'adresse plutôt au talent des artistes qu'à leur propre puissance divine".

Ville heureuse, si elle était sans maîtres, ou si ses maîtres regardaient comme honteux d'être sans foi !

"Tant que j'ai chéri les statues des faux dieux, je fus grande par mon armée, par mon peuple, par mes murailles. A peine ai-je abattu les images et les autels de la superstition pour obéir au Dieu unique que les citadelles furent désertées, les palais des dieux écroulés, le peuple réduit en servitude, la chevalerie tombée en décadence. C'est tout juste si je sais ce que je fus, si moi, Rome, je garde mémoire de Rome, si mon déclin m' autorise même à me souvenir de moi.

L' abaissement d' aujourd'hui m'est plus doux que les triomphes d'antan. Je suis plus grande pauvre que riche, abattue que debout. L'étendard du Christ m'a plus enrichi que les aigles (des légions), Pierre plus que César, la foule aux mains nues plus que tous les chefs de guerre. Debout, je domptai le monde, ruinée, je combats l'enfer;

debout, je régentai les corps, détruite et abattue, je régente les âmes. Alors j'étendais mon empire sur une plèbe misérable, aujourd'hui sur les princes des ténèbres. Mon royaume, c'était alors les cités, aujourd' hui c'est le ciel.

Il ne fallait pas que ce nouvel empire, j'eusse l'air de le devoir aux Césars et à leurs guerres, que moi et mes fidèles ne fussions entraînés par l'illusion d'une vaine apparence : voilà pourquoi la vaillance guerrière est morte, la haute gloire du sénat anéantie, les temples démolis, les théâtres écroulés, les rostres vides, le législateur muet, les citoyens valeureux privés de leur récompense, le peuple de lois, le paysan de terres. Le chevalier jadis ardent recherche le repos, le juge jadis inflexible est avide de lucre, le peuple jadis libre supporte l'esclavage. Tout a disparu, pour éviter que mes citoyens n'y placent leurs espérances et ne négligent l'espérance bienfaisante de la croix.

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La croix est promesse d'autres palais, promesse d'autres honneurs, qui offre à ses guerriers le royaume des cieux. Sous le signe de la croix, le roi est serviteur - il est libre; il subit la contrainte de la loi - il porte la couronne; il tremble aux commandements - il les aime; le riche distribue ses richesses - il en regorge; il prête à intérêt - il conserve son bien, placé dans l'empyrée. Quel César, par son épée, m'a valu une telle prospérité ? Quel consul, par son gouvernement ? Quel rhéteur, par son éloquence ? Quelle armée, par sa force ? Leur ardeur et leurs lois m'ont donné le monde; les cieux, c'est la croix, seule, qui me les a offerts".

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Notes

1 Nous citerons les deux élégies De Roma d'Hildebert d'après l'édition d' A. Brian Scott, Hildebertus. Carmina minora, Leipzig, Teubner, 1969, p.22-24 et 25-27 (où elles portent les n° 36 et 38). Les choix critiques de Scott ont été énergiquement contestés par Jan Öberg (c.r. de l'édition Scott dans Cahiers de civilisation médiévale, 14, 1971, p.393-396), mais de façon elle-même contestable, semble-t-il (cf. Giovanni Orlandi, Doppia redazione nei

"Carmina minora" di Ildeberto ?, Studi medievali, 3a s., 15, 1974, p. 1019-1049).

Les retouches textuelles suggérées par Otto Zwierlein (Par tibi, Roma nihil, Mittellateinisches Jahrbuch, 11, 1976, p. 92-94) ne sont pas heureuses (Peter von Moos, Par tibi, Roma, nihil - Eine Antwort, ibid., 14, 1979, p.

119-127). On trouvera un essai de traduction française des deux poèmes en annexe à cet article (infra, p.00-00).

2 Martin Opitz considère le texte comme résolument classique (Variarum lectionum liber, Dantzig, 1637, p. 41);

Pieter Burman le fait figurer sous le n° 787 dans son édition de l' Anthologia latina (t. 1, Amsterdam, 1759, p.

457). Il faut attendre l'édition Teubner, par A. Riese, de cette collection composite, au tournant de ce siècle (1894), pour que notre poème s'en voit exclu. Mais en 1907 encore, Carlo Pascal se refuse à croire qu'il soit autre chose qu'un centon de poèmes de la basse Antiquité ou du haut moyen âge (in : Poesia latina medioevale, Saggi e note critiche, I : Le miscellanee poetiche di Ildeberto, Catane, p. 19-33).

3 Les deux monographies fondamentales sur le personnage sont dues respectivement à Adolphe Dieudonné (Hildebert de Lavardin, évêque du Mans, archevêque de Tours (1056-1133). Sa vie, ses lettres, Paris - Mamers, 1898) et à Peter von Moos (Hildebert von Lavardin, 1056-1133. Humanitas an der Schwelle des höfischen Zeitalters, Stuttgart, 1965 [désormais cité : Hildebert]). Sur son oeuvre en vers, voir aussi Barthélemy Hauréau, Les mélanges poétiques d' Hildebert de Lavardin, Paris, 1882. L'édition des opera omnia d' Hildebert due à dom Beaugendre (1708) et reproduite au t. 171 de la Patrologie latine, constellée d'erreurs, est proprement inutilisable.

4 Guillaume de Malmesbury, Gesta regum Anglorum IV, 351 (éd. W. Stubbs, Londres, 1887-89, t. 2, p. 338- 340). Guillaume, qui n'a jamais vu Rome, affirme en substance que nul n'a jamais su développer avec plus de venusta facundia le thème "grandeur et décadence". Suivra, aux § 354-357, le portrait contrasté de

Constantinople. Le jugement sévère d' Hauréau (op.cit., p. 59) selon qui le bénédictin anglais a inséré dans la trame de son récit un texte sans rapport avec lui à des fins purement esthétisantes nous paraît donc injuste.

5 Magister Gregorius, Narracio de mirabilibus urbis Romae, § 1 (éd. R.B.C. Huygens, Leyde, 1970, p. 12). On pourrait encore alléguer les témoignages de Giraud de Cambrie, Hélinand de Froidmont, Vincent de Beauvais, Ranulph Higden (cf. Scott, éd. cit., p. XXXIX et 22) ...

6 A cet égard, les parallèles établis par von Moos (Hildebert, p. 241 n.4 et 253 n. 50-51) entre certains vers d'Hildebert et ceux d'un autre angevin, Joachim du Bellay (dans ses Antiquitez de Rome) sont particulièrement émouvants.

7 Hildebert, p. 240-245; du même auteur, bibliographie additionnelle dans Par tibi, Roma, nihil - eine Antwort (cit. supra), p. 119 n.1, à laquelle on peut encore ajouter Alain Michel, Rome chez Hildebert de Lavardin, dans Daniel Poirion (éd.) Jérusalem, Rome, Constantinople. L'image et le mythe de la ville au Moyen Age, Paris, s.d.

[1986], p. 197-203.

8 Cf. Pierre Courcelle, Histoire littéraire des grandes invasions germaniques, Paris, 19643.

9 A la fin de son introduction (p.XXXIII-XXXIV), Scott regrette d'ailleurs la confiance trop aveugle qu'il a accordée sur ce point au scribe du manuscrit de Dublin, Trinity College B.2.17. Notons que de nombreux témoins, appartenant à l'une et l'autre des deux classes de manuscrits ( et ) font se succéder immédiatement les deux poèmes. L'ordre adopté a en outre le tort de séparer les pièces 35 et 37, toutes deux adressées à la reine Mathilde d'Angleterre.

10 Loc. cit.

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11 C'est ainsi également que ces vers sont considérés par Percy Ernst Schramm, Kaiser, Rom und Renovatio, t. 1, Leipzig-Berlin, 1929, p. 300 et par Wolfram von den Steinen, Rom Caesars - Rom Petri, Neue Schweizer Rundschau, NF 17, 1949-50, p. 704 (traduction allemande des poèmes).

12 Storia di Roma nel medioevo (trad. it.), liv. 7, ch. 6, Rome, 1980, p. 414-416.

13 C'est l'opinion de G. Orlandi (loc.cit.supra n. 1).

14 Cité par von Moos, Hildebert, p. 242 n. 6. Aux testimonia énumérés par cet auteur (p. 242-243), on peut notamment ajouter ceux d'Edgar de Bruyne, Etudes d'esthétique médiévale, t. 2, Burges, 1946, p. 106-107 et d'Emile Mâle, Grégoire VII et l'art ..., dans Rome et ses vieilles églises, réimpr. Rome, 1992, p. 184-185.

15 Voir les références données par von Moos, Hildebert, p. 243-244. Nino Scivoletto, qui consacre tout son ouvrage Spiritualità Medioevale e tradizione scolastica nel secolo XII in Francia (Naples, 1954) à Hildebert, est particulièrement hargneux à l'égard de cet auteur. Il discerne cependant dans le c. 36 "l'unico vero soffio di umanità di questo poeta".

16 Comme le montrent ces mots de dom Jean Leclercq, qui servent d'épigraphe à l'ouvrage : "Le grand intérêt de l'histoire est de retrouver des âmes".

17 Hildebert, p. 250-258.

18 Jacqueline Cerquiglini, La Couleur de la mélancolie. La fréquentation des livres au XIVe siècle, 1300-1415, Paris, 1993. Sur la mélancolie, qui ne se confond pas avec le "mépris du monde", voir aussi le grand livre de Raymond Klibansky, Erwin Panofsky et Fritz Saxl, Saturno e la melanconia. Studi di storia della filosofia naturale, religione e arte (trad. it.), Turin, 1983, notamment les p. 205-227 et, dans un tout autre registre, Jacques Chiffoleau, La religion flamboyante (v.1320-v.1520), dans Jacques Le Goff, René Rémond (dir.) Histoire de la France religieuse, t.2 : Du christianisme flamboyant à l'aube des Lumières (XIVe-XVIIIe siècle), Paris, 1988, p. 11-183.

19 Très justes remarques à ce sujet d'Erwin Panofsky, La Renaissance et ses avant-courriers dans l'art d' Occident (trad. fr.), Paris, 1976, p.91-95.

20 Le plus important concerne les v. 19-20 du c. 36, presque entièrement réécrits (cf. Scott, ad.loc.). La leçon rejetée par l'éditeur à juste titre selon nous, met l'accent beaucoup plus fortement sur le caractère pitoyable du spectacle des ruines, ce qui n'est pas sans conséquence pour l'interprétation du texte.

21 Cf. Dominique Barthélemy, La société dans le comté de Vendôme de l'an mil au XIVe siècle, Paris, 1993, p.

58.

22 Von Moos, Hildebert, p. 192-207. Une approche stimulante de cette question par Jacques Dalarun, La Madeleine dans l'Ouest de la France au tournant des XIe-XIIe siècles, MEFRM, 104, 1992, p. 71-119.

23 Dans son recueil d'articles au titre suggestif : Un art dirigé. Réforme grégorienne et iconographie, Paris, 1990.

Cf. aussi Herbert Bloch, The New Fascination with Ancient Rome, dans R.L. Benson et G. Constable (éd.) Renaissance and Renewal in the twelfth century, Oxford, 1982, p. 615-636 et Ernst Kitzinger, The Arts as Aspects of a Renaissance. Rome and Italy, ibid., p. 637-670. Du point de vue de l'histoire des idées - et des institutions, car il ne faut pas méconnaître le lien organique qui les unit -, outre l'important ouvrage de Schramm déjà cité, voir Raffaello Morghen, La tradizione cristiana e imperiale di Roma et L'impero cristiano, dans Medioevo cristiano, Rome-Bari, 19913, p. 39-54 et 55-70.

24 Cf. (parmi de nombreuses autres références possibles) F. Klingner, Rom als Idee, dans Römische Geisteswelt.

Essays zur lateinischen Literatur, Stuttgart, 1979, p. 645-666.

25 C. 88, in M. Lokrantz, L'opera poetica di s. Pier Damiani, Stockholm, 1965, p. 69.

(25)

26 The Age of Abbott Desiderius. Montecassino, the Papacy and the Normans in the Eleventh and Early Twelfth Centuries, Oxford, 1983, p. 73. Cf. aussi les chapitres "Rome et le Mont-Cassin" et "Le renouveau paléochrétien à Rome au début du XIIe siècle" dans l'op.cit. d'Hélène Toubert (p. 193-238 et 239-310), et cette remarque d'Herbert Bloch : "For the "renovatio" so advisedly and energically brought about by Desiderius was not limited to the importation of Byzantine artists ... it drew its inspiration from many other sources like the art of the Roman empire" (Montecassino in the Middle Ages, Rome, 1986, t. 1, p. 89).

27 Paulos et Fabios Corneliosque, / Gracchos, Fabricios, Roma Lucullos / te viso memorat ... (éd. A. Lentini et F. Avagliano, Montecassino, 1974, p. 144).

28 Quanta vis anathematis ! / Quicquid et Marius prius / quodque Julius egerant / maxima nece militum, / voce tu modica facis.

Roma quid Scipionibus / caeterisque Quiritibus / debuit mage quam tibi, / cuius est studiis suae / nacta iura potentiae ? (Lentini - Avagliano, p. 157).

On n'aura pas été sans noter le parallélisme entre cette argumentation et celle développée par Augustin, De civitate Dei, III, 9.

29 Qui probe, quoniam satis / multa contulerant bona / patriae perhibentur et / pace perpetua frui / lucis et regionibus (ibid.).

Il faudrait également citer le panégyrique in honore beati Petri apostoli d' Aimé du Mont-Cassin (éd. A. Lentini, Montecassino, 1958-1959), dont le début du livre 4 contient un éloge vibrant de la Rome antique.

30 "Horizon d'attente" que les lumineuses remarques de Charles Pietri (in : Roma christiana. Recherches sur l'Eglise de Rome, son organisation, sa politique, son idéologie de Miltiade à Sixte III (311-440), Rome, 1976, t.

2, p. 1641-1651) définissent admirablement.

31 Vers 696, 698-699 : Temptavit Geticus nuper delere tyrannus (...) / has arces aequare solo, tecta aurea flammis / solvere, mastrucis proceres vestire togatos.

32 C. 38, v. 3-6 : at simul ... aras ... / deiec(i) ... / cesserunt arces, cecidere palatia divum, / servivit populus, degeneravit eques.

33 Nul n'ignore que le premier des grands papes réformateurs du XIe siècle, Léon IX, fut installé sur le trône pontifical par Henri III, à qui il était d'ailleurs apparenté. Cf. Morghen, I teorici della riforma della Chiesa, op.cit., p. 91-108; Walter Ullmann, Il papato nel Medioevo (trad.it.), Rome-Bari, 1987, p. 119-144.

34 "Ville heureuse, si elle était sans maîtres, ou si ses maîtres considéraient comme honteux d'être sans foi !"

35 Op.cit., p. 62. Il est vrai qu'Hauréau appuie son hypothèse sur un parallèle textuel avec une lettre d'Hildebert au pape Pascal II qui a de grandes chances d'être apocryphe. Mais cela ne rend pas l'autre interprétation plus convaincante pour autant.

36 Le parallèle judicieusement établi par von Moos (Par tibi, Roma, nihil - Eine Antwort, loc.cit., p. 125 n.10) entre ce distique et les vers de Lucain : Felix Roma civisque habitura beatos / si libertatis superis tam cura placeret / quam vindicta placet (Pharsale IV, 807-9) me paraît conforter cette hypothèse : c'est bien de libertas (ecclesiae) qu'il est question ici. Le Lucain de la Guerre civile (et non le Prudence du Contre Symmaque) constitue d'ailleurs l'intertexte de la première élégie (cf. Scott, apparat des sources).

37 Sur le dictatus papae, cf. Morghen, Libertas Ecclesiae e primato romano nel pensiero di Gregorio VII, op.cit., p. 109-127, ou encore la brillante synthèse historiographique de Pierre Toubert, Eglise et Etat au XIe siècle : la signification du moment grégorien pour la genèse de l'Etat moderne, dans Bernard Vincent et Jean-Philippe Genet (éd.) Etat et Eglise dans la genèse de l'Etat moderne, Madrid, 1986, p. 9-22.

38 C. 38, v. 17 quod (regnum) ne Cesaribus videar debere vel armis.

39 Cf. Glauco M. Cantarella, La costruzione della verità. Pasquale II, un papa alle strette, Rome, 1987.

(26)

40 Vers 31-36 : Hic superum formas superi mirantur et ipsi, / et cupiunt fictis vultibus esse pares. / Non potuit Natura deos hoc ore creare, / quo miranda deum signa creavit homo. / Vultus adest his numinibus, potiusque coluntur / artificum studio quam deitate sua. Sur le problème textuel posé par le difficile Vultus adest du v. 35 (parfois corrigé en Cultus adest), et la signification de cette expression, voir von Moos, Par tibi, Roma, nihil - Eine Antwort, cit., p. 120-126.

41 Voir cependant Friedrich von Bezold, Das Fortleben der antiken Götter im mittelalterlichen Humanismus, Rome-Leipzig, 1922, p. 47, et même Jean Seznec, La survivance des dieux antiques. Essai sur le rôle de la tradition mythologique dans l'humanisme et dans l'art de la Renaissance, Paris, 19802, p. 193, pertinemment réfuté par Eugenio Garin, Moyen Age et Renaissance (trad.fr.) Paris, 1969, p.58-59.

42 Anecdote relatée par Jean de Salisbury, Historia pontificalis, 40 (éd. Marjorie Chibnall, Oxford, 19862, p.79).

43 Ainsi, Magister Gregorius, op.cit., chapitres 3 à 9, 12-13, 32 et passim.

44 Cf. Arturo Graf, Roma nella memoria e nelle immaginazioni del Medioevo, Turin, 1915, p.94-112, 127-135, 148-161 (la "salvatio Romae"), 455-461, 665-672 (légende de "la Vénus d'Ille"), 683; De Bruyne, op.cit., p. 93- 100.

45 Tilmann Buddensieg, Gregory the Great, the destroyer of the pagan idols. The History of a Medieval Legend concerning the decline of ancient art and literature, Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 28, 1965, p.44 sqq.

46 Il faut prendre garde d'hypostasier cette notion - de sorte que la majuscule de l'édition Scott nous paraît superflue. Sur le concept de nature chez notre auteur, voir von Moos, Hildebert, p. 277-284.

47 Par tibi, Roma, nihil - Eine Antwort, cit., p.123 et n. 10.

48 Espace urbain et habitat à Rome du Xe siècle à la fin du XIIIe siècle, Rome, 1990.

49 Que consacre le Didascalicon d' Hugues de Saint-Victor, écrit dans les années 1120.

50 Voir sa célèbre lettre à Guillaume de Champeaux, le fondateur de l'ordre de Saint-Victor, à lire dans l'édition de von Moos (Hildebert, p. 340-341).

51 Cura hominum potuit tantam componere Roman, / quantam non potuit solvere cura deum. On aura noté bien sûr les effets induits par la symétrie et le chiasme.

52 Robert Javelet, Image et ressemblance au douzième siècle de saint Anselme à Alain de Lille, Paris, 1967, ad indicem, s.v. "Sculpture", "Statue". Cf. aussi Ernst Robert Curtius, La littérature européenne et le moyen-âge latin (trad.fr.), Paris, 19862, excursus XXI : "Dieu considéré comme créateur" (t.2, p.401-404).

53 Il dédie une épitaphe très chaleureuse à son quasi-compatriote Béranger, dont la doctrine est pourtant

condamnée par l'Eglise (c. 18, éd. Scott, p. 7-9) et écrit plusieurs lettres à Anselme, notamment pour le remercier de l'envoi de l'un de ses ouvrages (ép. II 9 et 13, datées de 1100-1101). Sur ce que notre auteur doit à la pensée anselmienne, voir von Moos, Hildebert, p. 280-284.

54 C'est aussi le titre du c. 40 d'Hildebert (éd. Scott, p. 32).

55 Elle est liée à la naissance de la Glose et entreprise notamment par des hommes très engagés moralement, comme Bruno le Chartreux, ou politiquement, comme Manegold de Lautenbach, dans le mouvement réformateur : cf. Beryl Smalley, Lo studio della Bibbia nel medioevo (trad. it.), Bologne, 1972, p. 85-127; Guy Lobrichon, Une nouveauté : les gloses de la Bible, dans Guy Lobrichon et Pierre Riché (dir.) Bible de tous les temps, t.4 : Le Moyen Age et la Bible, Paris, 1984, p. 95-114.

56 Loc.cit., spécialement p. 105-107. Cet auteur argumente de façon plus détaillée une telle hypothèse, dans sa thèse à paraître sur les gloses et commentaires de l'Apocalypse au XIIe siècle.

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