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ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SCIENCES SOCIALES Centre d'études africaines DOSSIERS AFRICAINS. dirigés par Marc Augé et Jean Copans

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ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SCIENCES SOCIALES

Centre d'études africaines

D O S S I E R S A F R I C A I N S dirigés par

Marc Augé et Jean Copans

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SÉCHERESSES ET FAMINES

DU SAHEL

II. Paysans et nomades

par

Pierre Bonte, Jean Copans, Suzanne Lallemand, Christine Messiant, Claude Raynaut, Jeremy Swift

sous la direction de

Jean Copans

FRANÇOIS MASPERO 1, place Paul-Painlevé, V

Paris

1975

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© Librairie François Maspero, Paris, 1975.

ISBN 2-7071-0760-3

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C l a u d e R a y n a u t

I

LE CAS

DE LA RÉGION DE MARADI (NIGER)

Les grandes difficultés qui ont frappé, ces deux dernières années, l'agriculture des pays de la bordure sahélo-soudanienne — Sénégal, Mali, Haute-Volta, Niger, Tchad — posent, d'une manière brûlante, la question des causes d'une telle précarité de la vie agricole dans ces régions. Le plus souvent on invoque à ce propos la fatalité des aléas climatiques et le caractère archaïque de techniques qui n'ont pas évolué depuis le début du siècle. Mon ambition, dans cette étude, est de montrer dans le cours de quelle logique profonde s'inscrivent les coups aveugles du hasard ; quels bouleversements vitaux se dissimulent sous l'apparent immobilisme des sociétés traditionnelles ; comment le désastre qui survient aujourd'hui est l'aboutissement d'un certain nom- bre de déséquilibres qui s'accumulent depuis le début de la conquête coloniale.

Les faits concrets sur lesquels s'appuie ce travail se rapportent pour la plupart à la région de Maradi, au Niger, c'est-à-dire la zone rurale où s'exerce directement l'influence de cette ville. Toutefois, les pro- blèmes que l'analyse de cet exemple précis permet de soulever pré- sentent une portée beaucoup plus générale.

Au cours de ce travail, le déroulement de notre réflexion s'articu- lera selon deux étapes. Dans la première, la plus brève 1 nous propo- 1. Cet article reprend, en l'abrégeant, une étude destinée à un ouvrage collectif, consacré aux problèmes d'économie rurale au Niger, qui doit paraître

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serons les grandes lignes d'un diagnostic de la situation actuelle, établi tant du point de vue du système agraire proprement dit que de celui de l'organisation socio-économique de la communauté paysanne locale.

Dans la seconde, nous nous attacherons à préciser les causes fondamen- tales des insuffisances, des retards et des déséquilibres observés.

I. L e d i a g n o s t i c d ' u n e s i t u a t i o n 1. LE BLOCAGE DU SYSTÈME AGRAIRE

S'il faut résumer en une formule simple l'ensemble des problèmes qui se posent dans le domaine agricole au sein de la région qui nous intéresse ici, il n'est pas exagéré de dire que l'on assiste actuellement à une sorte de blocage du système agraire, considéré dans son ensemble. Cette constatation globale s'appuie sur l'observation d'un certain nombre de phénomènes — surcharge de l'espace et surexploi- tation des sols, déséquilibre des terroirs, déficit alimentaire chroni- que — que nous allons maintenant examiner rapidement.

a. La surcharge de l'espace

Il est évident que des circonstances historiques telles que celles qui, au début du siècle dernier, lors de la jihad peule lancée par Ous- man dan Fodio, ont fait de la vallée de Maradi une zone refuge, ont eu leur part dans l'élaboration des conditions actuelles d'occupation de l'espace dans cette région ; aussi bien est-ce là qu'aujourd'hui encore se localisent des densités de population parmi les plus élevées du Niger.

Toutefois, sur la base que constituait cette situation initiale spé- cifique se sont surajoutés, en particulier durant toute la première moitié de l'époque coloniale, les effets d'un phénomène de grande ampleur, qui a affecté l'ensemble du pays : la croissance démogra- phique s'est effectuée au bénéfice des zones rurales, tandis que les villes stagnaient ou même régressaient (SPITTLER, 1970). L'accroisse- ment global du chiffre de population traduit une amélioration sensi- prochainement. Dans cette étude, la partie consacrée au diagnostic est beau- coup plus développée que dans le présent article. Les références bibliogra- phiques sont regroupées à la fin.

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ble des conditions de vie, due notamment à la fin des guerres et à la suppression de l'esclavage. En outre, même si l'infrastructure médicale est demeurée jusqu'à aujourd'hui très insuffisante, des actions préven- tives, telles que les vaccinations antivarioliques massives, ont eu sans nul doute des effets positifs sur la mortalité. Enfin, il est évident que le large mouvement de conquête de terres nouvelles — qu'exprime le déséquilibre entre croissance urbaine et croissance rurale — a permis une augmentation importante de la production vivrière et, par consé- quent, une amélioration de l'alimentation : les communautés humai- nes qui avaient stagné durant la longue période d'insécurité du XIX siècle connurent une sorte d'explosion démographique lorsque le champ libre fut donné à leur développement.

Le mouvement de migration vers les terres libres, qui avait corres- pondu à la libération d'une pression excessive, s'affaiblit peu à peu pour se tarir vers la fin des années trente. La croissance démographi- que naturelle prit la relève et, année après année, les besoins de terres nouvelles ne cessant de s'accroître, toutes les zones cultivables furent progressivement occupées. Aujourd'hui, soixante ans environ après le début du mouvement d'expansion, on est parvenu, semble-t-il, à un état proche de la saturation. Ce fait nous est confirmé par une carte présentée dans un récent projet de développement du dépar- tement de Maradi (RÉPUBLIQUE DU NIGER, CGD, 1972) sur laquelle figure la répartition des densités de population en fonction de dif- férentes zones pédologiques et naturelles, définies d'après les études menés par l'ORSTOM et la SOGETHA. En observant ce document, on constate que, partout où les conditions de sol et de climat permettent l'agriculture, les densités de populations sont très élevées (de 35 à 100 habitants par k m ; tandis que les zones apparemment libres se révèlent en fait impropres à la culture. Ces remarques prennent toute leur signification quand on les rapproche des observations for- mulées par les agronomes et les pédologues qui, dans presque tous les cas, insistent sur le fait que les sols ont une fertilité insuffisante car, intensément utilisés, ils ont atteint un degré d 'épuisement avancé.

Le vaste mouvement d'expansion qui a débuté avec ce siècle a donc atteint aujourd'hui ses limites et l 'on en revient à un état pro- che de la saturation démographique. Confirmant ces observations, certains indices semblent d'ailleurs suggérer que l 'on assiste, depuis une quinzaine d'années, à l'amorce d 'un retour des populations rurales vers les centres urbains, ou proches de la ville. C 'est ainsi que Maradi, qui comptait 12 500 habitants en 1959, en comptait plus de 34 000

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en 1 9 7 1 Ce mouvement doit être interprété comme la manifestation de la faillite du système agraire actuel, de son incapacité à s'adapter aux contraintes qui s'exercent sur lui, au premier rang desquelles se situent celles qu'impose la nécessité d'un accroissement constant de la production agricole. Pour analyser concrètement ce phénomène, pour mieux en dégager le mécanisme et les conséquences, il nous faut envisager maintenant le problème de la structure et de l'équilibre du terroir villageois.

b. Le déséquilibre des terroirs

Dans la région de Maradi, les terres d'un village haoussa s'orga- nisent traditionnellement autour d'une opposition fondamentale entre une zone centrale (karkara), travaillée de manière permanente grâce à l'apport de fumier, de cendres et de déchets ménagers, et une ceinture extérieure, cultivée selon la méthode de la jachère (maiso).

C'est là un modèle d'organisation largement répandu en Afrique occidentale et analysé par Sautter (1962) sous le nom de « terroir en auréoles ».

Entre ces deux éléments du terroir se nouent des relations de complémentarité fonctionnelle. En effet, si l'on considère une com- munauté villageoise prise comme un tout, il est bien certain que, sauf exception (que l'on rencontre peut-être chez certains Peul séden- tarisés, gros possesseurs de bétail), la quantité de fumier disponible ne permet de traiter qu'une superficie de terre réduite. Il est donc nécessaire qu'une partie de l'espace soit cultivée sans apport de fumier, c'est-à-dire avec le procédé de la jachère. Jachère et fumure sont deux méthodes de culture complémentaires, dont l'association permet la couverture des besoins de l'ensemble de la population d'un village.

En poussant plus loin l'analyse, on peut voir que la complémentarité fonctionnelle entre les deux zones est rendue plus étroite encore par le fait que le domaine des jachères est également un lieu de pâture. Il existe, bien sûr, d'autres facteurs susceptibles de limiter le développe- ment de l'élevage que l'étendue des terrains de parcours que l'on peut offrir aux animaux ; de plus, quelques résidus de culture — fanes d'arachide et de haricot, feuilles, tiges et son de mil — peuvent être 2. Il est évident que nous faisons référence ici aux mouvements de populations qui se sont produits avant ces deux dernières années, et non pas à l'afflux des « réfugiés » qui, en 1973 et surtout en 1974, se sont massés autour des villes.

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utilisés comme aliment. Toutefois, dans la mesure où il n'y a aucune production délibérée de fourrage artificiel, il est indéniable qu'il existe un lien effectif, bien que souple, entre la possibilité de bénéficier des avantages qu 'apporte le bétail et l'étendue des terres non cultivées dont on peut avoir la jouissance. C'est justement ce rapport qui dis- tingue ce type de système agraire d'un système avec assolement de culture fourragère qui permet, parallèlement à une mise en culture totale du terroir, le développement de l'élevage. N'est-ce pas le pas- sage d 'un système à l' autre qui a été à l'origine de la révolution culturale en Europe à la fin du XVIII siècle ?

L 'équilibre global du système agraire que nous venons de décrire brièvement, c 'est-à-dire sa capacité de se perpétuer sans appauvrir gravement le milieu naturel, repose sur le respect de deux équilibres partiels :

— le premier concerne le rapport entre l'étendue de la zone des cultures continues et la quantité de fumure disponible ;

— le second concerne le degré d'intensité d'exploitation de la zone des jachères.

Or, sur ces deux plans, il apparaît que, par rapport à une situation de fonctionnement normal, d'importants décalages peuvent être obser- vés qui conduisent à des perturbations de l'ensemble du système. C'est ainsi que, dans les gros villages de la vallée du Goulbi de Maradi, où l'on note une densité largement supérieure à 100 habitants, on observe une extension démesurée de la karkara. Ainsi, dans le village de Soumarana que j'ai étudié par ailleurs (RAYNAUT, 1971) occupe-t-elle près de la moitié de la zone dunaire, soit environ 300 hectares ; superficie que ne justifie nullement la taille réduite du troupeau villageois. Il en résulte une insuffisance de la fertilisation du sol, qui conduit à son épuisement et à une baisse des rendements que les cultivateurs interrogés sont unanimes à constater.

Lorsqu'on s'éloigne des vallées et qu'on pénètre dans les zones dunaires où le peuplement est plus clairsemé et l'occupation du sol plus lâche, le processus de déséquilibre du terroir semble s'exercer dans un sens différent : le développement des surfaces cultivées s'effectue dans ce cas non pas par une extension de la karkara mais par une mise en culture plus intensive de la zone des jachères. C'est ainsi que l'on observe la mise en place d'un système mixte dans lequel la durée de culture des champs est prolongée, lorsque c'est possible, par l'apport de fumier et où la mise au repos n'intervient que le plus

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tard possible : lorsque le sol est réellement épuisé. De la sorte, le temps de culture en vient à dépasser largement le temps de repos et le rétré- cissement des surfaces en friche ne cesse de s'accentuer. Au niveau régional, et même national, ce phénomène se traduit par une exten- sion continue du domaine livré à la hache et à la houe du cultiva- teur. On trouve un indice évident de cette évolution dans le mouve- ment de poussée des terres cultivées vers le nord. Dès 1954, l'administration coloniale avait jugé indispensable d'enrayer ce mouvement en fixant une limite au nord de laquelle toute culture d'hivernage et toute installation de groupement de cultivateurs étaient interdites. En 1961 cette limite devait être officiellement repoussée vers le nord. On constate aujourd'hui qu'elle est à nouveau largement dépassée.

Ce mouvement, favorisé peut-être par une période plus favorable sur le plan climatique qui aurait marqué l'après-guerre, trouve incon- testablement une de ses causes dans l'accroissement démographique que nous avons signalé plus haut. Il n'en est pas moins vrai que le développement de la culture arachidière, particulièrement rapide durant les années soixante, a également joué à cet égard un rôle essen- tiel. Nous reviendrons plus loin sur ce point, soulignons tout de suite que l'intensité croissante de la pression monétaire, qui incitait les paysans à se livrer de plus en plus a cette culture de rente, joi- gnant ses effets à ceux de l'introduction d'une variété nouvelle à cycle plus court, susceptible par conséquent d'être cultivée dans des zones plus arides, ont contribué à réduire la part de superficie réservée aux céréales, non seulement dans les régions du Sud mais aussi dans celles, plus septentrionales, qui étaient considérées jus- qu'alors comme des « greniers à mil ». Une compensation illusoire a été cherchée encore plus au nord grâce à l'utilisation de variétés traditionnelles de mil extrêmement hâtives.

Les premières victimes de cette évolution furent les éleveurs, chas- sés progressivement vers les zones désertiques, se voyant refuser, en cas d'arrêt précoce des pluies d'hivernage, la possibilité d'avancer la date de leur transhumance vers les terres du Sud, couvertes de cultures (le nombre et la violence des conflits entre éleveurs et cultivateurs traduit la situation de tension qui s'est établie au cours des dernières décennies). Mais, sur un plan plus général, ce que l'on doit retenir de cette évolution c'est qu'elle marque une sorte de faillite du système de production traditionnel, fondé sur une combinaison harmonieuse entre exploitation intensive et exploitation extensive des terres. Que

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ce soit du fait d'un développement excessif des superficies soumises à une culture continue ou à la suite d'un raccourcissement du temps de jachère, l 'équilibre entre l 'effort que les hommes imposent au milieu naturel et les moyens de régénération qu'ils lui apportent se trouve profondément perturbé. Des indices comme l'apparition de plantes parasites (telles que la striga senegalensis) ainsi que la modi- fication de composition et de structure des sols sont tout à fait significatifs à cet égard. C 'est au niveau de la production vivrière qu'il faut chercher les premières conséquences de cette situation, c'est pourquoi nous allons envisager maintenant les problèmes qui se posent sur le plan alimentaire.

c. Un déficit alimentaire chronique

Aussi loin que l'on remonte, l'insécurité alimentaire représente une constante des conditions de vie de la paysannerie de ces régions.

Comme dans les campagnes européennes jusqu'au début du siècle dernier, la mémoire collective jalonne le passé de références aux grandes famines qui décimèrent la population. Parmi les plus récentes, celle qui s'abattit sur toute la zone sahélienne durant les années 1913-1914 se révéla particulièrement meurtrière.

Cet état de fait est dû essentiellement à la dépendance de l'agri- culture à l'égard d'un climat extrêmement capricieux : quelle que soit l'adaptation du mil aux conditions particulièrement rudes du milieu, il n'en demeure pas moins sensible aux variations pluviomé- triques, non seulement du point de vue de la hauteur annuelle des précipitations, mais aussi de celui de leur répartition selon les diffé- rentes étapes du cycle de croissance de la plante (SEDES, 1963). En effet, le problème est moins d'obtenir une quantité globale d'eau que d'avoir la quantité nécessaire au moment adéquat. Le petit nombre de jours de pluie et le caractère violent et très localisé des précipita- tions entraînent une grande probabilité de ne pas obtenir l'eau néces- saire au moment voulu.

Face à la précarité des conditions naturelles, la société haoussa avait su mettre en œuvre un certain nombre de pratiques, individuel- les ou collectives, qui lui permettaient de bénéficier d'un minimum de sécurité. Il faut souligner tout d'abord l'efficacité des techniques tra- ditionnelles de stockage grâce auxquelles le grain peut être conservé

3. Les épis, non égrenés, sont disposés à plat, en couches successives, dans de vastes cuves de vannerie ou de poterie crue.

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pendant des périodes relativement longues — éventuellement plu- sieurs années —, ce qui rend possible la constitution de réserves.

Naguère, des règles rigoureuses présidaient, au sein de la cellule familiale productrice, au partage de la production agricole : après la récolte, les semences destinées à être mises en terre au prochain hivernage ainsi que la quantité de céréales nécessaire à la subsistance du groupe durant toute la saison des pluies étaient entreposées par le chef de famille dans un grand grenier qui ne devait plus être ouvert avant les premières pluies. Des rites religieux plaçaient ces réserves sous la protection de la divinité des cultures — Uwag gona —, et nul ne pouvait, sans risque de mort, y toucher avant que les sacri- fices d'ouverture du grenier et de pilage de la gerbe de semence n'eussent été accomplis. De cette manière, même en cas de mau- vaise année, l'avenir, c'est-à-dire la possibilité de travailler durant la prochaine saison des pluies, se trouvait sauvegardé. Pendant le long intervalle de temps qui s'étendait entre la récolte et les pluies suivantes, chacun des membres du groupe était plus ou moins livré à lui-même, vivant de ses propres ressources ou déployant toute son habileté afin de se procurer sa nourriture quotidienne : c'était la période des expéditions de chasse et de commerce, des raids guer- riers, du redoublement d'intensité des activités artisanales.

Lorsque, dans certaines périodes catastrophiques, les réserves fami- liales ne pouvaient suffire à boucler l'année et à passer le cap de la soudure, chefs et dignitaires, placés aux différents niveaux de la hiérarchie politique, étaient tenus d'ouvrir leurs greniers — remplis en majeure partie grâce aux contributions, en nature ou en travail, fournies par les paysans — et de porter secours aux indigents.

A leur arrivée, les colonisateurs ne surent pas reconnaître l'exis- tence de ces procédés de sauvegarde. Ruinant le pouvoir politique traditionnel, ils le dépouillèrent non seulement de ses prérogatives, mais aussi de ses responsabilités — ou, du moins, des moyens maté- riels d'y faire face. A la suite de la grande famine des années 1913- 1914, des mesures furent prises pour assurer la constitution de réser- ves collectives. Tout d'abord, obligation fut faite à chaque village de conserver en permanence, dans des greniers spécialement consa- crés à cet usage, des stocks correspondant à quinze gerbes de mil (soit 180 kilos environ) par habitant. En outre, la méfiance à l'égard de tout ce qui pouvait être technique traditionnelle étant de règle, des silos placés sous la responsabilité des autorités administratives furent ultérieurement constitués avec des méthodes et des matériaux

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« modernes ». Ce fut un échec complet dû à une méconnaissance totale des effets des conditions climatiques locales : le mil, conservé en grain dans des cuves closes, ne tardait pas à germer et à devenir impropre à la consommation. En 1963, on notait encore que les grains stockés après battage dans les magasins administratifs étaient fréquemment dévastés par des attaques de tribolium et de trocho- derme ; ce qui ne se produisait pas dans les greniers des paysans (SEDES, 1963). Plus récemment, enfin, des tentatives furent faites pour créer des organismes publics chargés non seulement d'acheter des céréales et de les conserver, mais aussi, ce qui est tout aussi important, d'en assurer la distribution dans l'ensemble du pays et de les livrer, à un cours stable, là où le besoin s'en fait plus particu- lièrement sentir. Pour des raisons de gestion interne et aussi du fait de la concurrence exercée par le marché libre au moment de l'ap- provisionnement, les expériences des sociétés de prévoyance, puis de la Coopérative de production du Niger se soldèrent par des échecs.

Le dernier en date de ces organismes, l'Office des produits vivriers du Niger, a été constitué trop récemment pour que l'on puisse émettre un jugement à son sujet.

Il est indéniable que la constitution de stocks de céréales et une meilleure organisation de la distribution représentent des éléments positifs du point de vue de la sécurité alimentaire. Même si les expé- riences officielles ont rarement été couronnées de succès, l'initiative privée, en particulier celle des commerçants locaux, a su tirer effica- cement parti des techniques modernes, tout spécialement sur le plan des transports (réseau routier, véhicules automobiles). Cependant, il ne faut pas se cacher que les progrès en matière de circulation et de commercialisation du mil profitent presque exclusivement à une minorité de citadins : tous les réseaux actuels de distribution des céréales sont destinés à l'approvisionnement des villes — et plus particulièrement de Niamey, la capitale — ; la masse rurale, pour sa part, n'est guère concernée par les récentes améliorations et conti- nue de se fournir aux mêmes sources que durant le siècle dernier (greniers familiaux, réserves des personnages riches et puissants) ; sa sécurité ne s'est nullement accrue

De toute manière, il faut bien convenir que le problème essentiel 4. Nous n'abordons pas ici la question de la distribution des secours venus de l'extérieur à l'occasion de la famine de 1973. Au moment où ce texte est rédigé, les informations nous manquent à ce sujet. Ce que nous envisageons ici, c'est la répartition de la production intérieure en période

« normale ».

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demeure celui du solde global de la production par rapport à la consommation : pour constituer et distribuer des réserves, en dehors de toute visée spéculative, il est bien évident qu'il faut qu'il y ait des excédents disponibles. Dans le système agraire traditionnel, la production du mil bénéficiait d'un statut extrêmement privilégié, qui se manifestait aussi bien sur le plan économique que sur celui des valeurs religieuses ou sociales.

— Le mil était considéré comme l'aliment par excellence ; il était consommé aussi bien sous la forme de nourriture proprement dite que transformé en boisson : « la bière de mil », dont le rôle était si important dans toutes les manifestations de la vie collective.

— Il constituait un élément essentiel de nombreuses pratiques rituelles, soit que celles-ci fussent directement organisées autour d'une des étapes de son cycle agricole — pilage de la gerbe de semence, récolte des premiers épis, engrangement de la moisson —, soit que la consommation de mil, sous forme de « bière » ou de bouillie crue (gumba) intervînt dans leur accomplissement.

— Il occupait une place de choix dans la hiérarchie des dons, des offrandes qu'il fallait accomplir à diverses occasions de la vie sociale (dons à l'occasion du mariage, présents remis à des membres de la chefferie, etc.). La distribution ostentatoire de céréales était, au sein de la société paysanne, le principal moyen par lequel un individu pouvait accroître et entretenir son rang social : ainsi était-ce en produisant et en dilapidant mille gerbes (soit plus de dix tonnes de grain) qu'un homme pouvait accéder au titre convoité de sarkin noma, dignité qui entraînait ensuite l'obligation de se montrer géné- reux et de distribuer largement autour de soi grain, bière, nourriture.

— Pour la majorité des agriculteurs, enfin, il représentait une culture commerciale très importante (pratiquement la seule pour tous ceux qui ne se trouvaient pas à proximité d'une zone de terres basses convenant au tabac, au coton, à l'indigo) ; c'était la principale marchandise échangée avec les Touareg, contre le sel minéral apporté du désert et les cauris nécessaires au paiement du tribut annuel (kud'in kai).

Certes, de nombreuses autres plantes étaient cultivées, même sur les terres dunaires (haricots, pois de terre, niébé, arachide, sésame,

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Des carcasses de bétail mort, des corps humains famé- liques, telle est l'image de la sécheresse sahélienne que l'on diffuse dans l'opinion publique. Et pourtant les sociétés locales — qu'elles soient nomades ou séden- taires — connaissaient déjà la sécheresse et la famine.

Elles savaient même y riposter ou s'y adapter mais les moyens techniques et sociaux dont elles disposaient pour ce faire ont disparu ou sont devenus inopérants.

La mise en dépendance politique coloniale et l'exploi- tation économique capitaliste ont suscité des transfor- mations destructrices et irréversibles. Un panorama de l'ensemble des facteurs en jeu, de l'état présent de la situation sociale et politique et des projets d'aide (volume 1) introduit des études de cas où l'on peut saisir de façon précise et concrète la nature des méca- nismes de réponse à la crise et les déséquilibres produits par « le développement économique » (volume 2).

Une bibliographie sélective clôture ce dossier qui invite

à la critique des images et idéologies dominantes fon-

dées sur le rôle de la « fatalité naturelle» ou « humaine ».

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