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Jan Fermon, avocat au barreau de Bruxelles

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Le règlement concernant l'adoption de mesures restrictives spécifiques à l'encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.

Jan Fermon, avocat au barreau de Bruxelles

Outre l'incrimination spécifique des actes dits "terroristes", le Conseil de l'Union a suivi une deuxième piste dans la "lutte contre le terrorisme". Le règlement n° (CE) n° 2580/2001 concernant l'adoption de mesures restrictives spécifiques à l'encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme permet en effet au Conseil d'établir des listes de personnes physiques et morales dont les fonds, les autres avoirs financiers et les ressources économiques peuvent être rendus indisponibles.

Cette décision a déjà permis de geler les fonds appartenant à des mouvements de libération actifs dans le tiers monde ou à des personnes qui sont présumées appartenir à ces organisations. Ce règlement constitue en outre une menace très grave pour le mouvement tiers-mondiste en Europe pour autant qu'il organise la solidarité financière avec des mouvements inclus dans les listes.

Le règlement est en réalité la traduction d'une résolution du Conseil de Sécurité des Nations Unies1. Aux Etats-Unis existe un système similaire. Au niveau européen, le règlement fait partie d'une série complexe de décisions dont fait partie également une position commune du Conseil de l’Union européenne2 au contenu quasi identique et adoptée le même jour. Le Conseil va adopter, le même jour toujours, une première liste en exécution du règlement3.

Pour déterminer ce qui est compris par "terrorisme", tant la position commune que le règlement vont se référer directement ou indirectement à la définition de "terrorisme" tel que reprise dans la décision-cadre relative à la lutte contre le terrorisme4.

Dans les premières listes annexées à la position commune et établie par le Conseil en exécution du règlement, apparaissent essentiellement des noms d'organisations et de personnes liés au conflit au Moyen Orient (Hezbollah, Jihad, Hamas) et aux mouvements autonomistes basques et irlandais.

Très vite néanmoins, le Conseil de l'Union a inclus dans les listes établies sur base du règlement des mouvements de libération nationale et sociale qui mènent dans leur pays d'origine une lutte armée. Sont ainsi repris sur la liste, notamment : les Forces Armées révolutionnaires de Colombie (FARC), le Front Populaire pour la Libération de la Palestine (FPLP), les Brigades des martyrs Al-Aqsa (lié au Fatah), le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), le Front/Parti révolutionnaire populaire de libération (DHKP/C), les Mujahedin-e Khalq Organisation d'Iran, la New People's Army (NPA) des Philippines et le fondateur de Parti Communiste des Philippines, le Professeur Jose Maria Sison.

Nous sommes donc très loin d'un problème de terrorisme en Europe. Sauf erreur, aucun de ces mouvements ne mène des actions violentes sur le territoire de l’Union européenne. Plusieurs d'entre eux ont des représentants ou des bureaux de représentation officiels dans des pays de l'Union. Ils ont néanmoins en commun qu'ils estiment que le régime qui règne dans leur pays ne peut être combattu que par la force. Tous ces mouvements argumentent que leurs activités se situent dans le cadre d'une lutte légitime pour la libération nationale ou sociale. Pour ce qui concerne les organisations palestiniennes, le droit international (à travers les résolutions de l'Onu) a même établi indiscutablement que le peuple palestinien est confronté à une occupation. Le même droit international reconnaît le droit de s'opposer à l'occupation, y compris par la force.

1 Résolution 1373/2001 du 28 septembre 2001 du Conseil de sécurité des Nations Unies.

2 Position commune 2001/930/PESC du Conseil du 27 décembre 2001 relative à la lutte contre le terrorisme.

3 Position commune 2001/931/PESC du Conseil du 27 décembre 2003 relative à l'application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme.

4 Décision-cadre 2002/475/JAI du Conseil du 13 juin 2002 relative à la lutte contre le terrorisme.

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Des mesures aux conséquences très importantes

Le règlement prévoit le gel de tous les fonds, avoirs financiers et autres ressources économiques détenus par les entités et individus inclus dans la liste et interdit la mise à la disposition de telles ressources.

En outre, le règlement interdit de fournir une série de services financiers aux entités et individus repris sur la liste.

"Article 2

1. À l'exception des dérogations autorisées dans le cadre des articles 5 et 6:

a) tous les fonds détenus par, en possession de ou appartenant à une personne physique ou morale, un groupe ou une entité inclus dans la liste visée au paragraphe 3;

b) les fonds, autres avoirs financiers et ressources économiques ne doivent pas être mis, directement ou indirectement, à la disposition ni utilisés au bénéfice des personnes physiques ou morales, des groupes ou des entités inclus dans la liste visée au paragraphe 3;

2. À l'exception des dérogations autorisées dans le cadre des articles 5 et 6, il est interdit de fournir des services financiers aux personnes physiques ou morales, groupes ou entités inclus dans la liste visée au paragraphe 3 ou au bénéfice de ces personnes, groupes ou entités."

Les services financiers visés par le par. 2 de l'art. 2 sont vastes:

"«services financiers», tout service de type financier, y compris tous les services d'assurance et services connexes et tous les services bancaires et autres services financiers (à l'exclusion de l'assurance). Les services financiers comprennent les activités ci-après:

Services d'assurance et services connexes i) assurance directe (y compris coassurance):

A) sur la vie;

B) autre que sur la vie;

(…)

ii) intermédiation en assurance, par exemple activités de courtage et d'agence;

iv) services auxiliaires de l'assurance, par exemple service de consultation, service actuariel, service d'évaluation du risque et service de liquidation des sinistres.

(…)

Services bancaires et autres services financiers (à l'exclusion de l'assurance) v) acceptation de dépôts et d'autres fonds remboursables du public;

vi) prêts de tout type, y compris crédit à la consommation, crédit hypothécaire, affacturage et financement de transactions commerciales;

(…)

viii) tous services de règlement et de transferts monétaires, y compris cartes de crédit, de paiement et similaires, chèques de voyage et traites;

(…)

x) opérations pour compte propre ou pour compte de clients, que ce soit dans une bourse, sur un marché hors cote ou autre sur:

A) instruments du marché monétaire (y compris chèques, effets, certificats de dépôt);

(…)"

L'analyse de ces extraits de l’énumération des services financiers prohibés montre le caractère très étendu de son champ d'application. Il est ainsi interdit d'assurer contre l'incendie des locaux loués par une personne ou une organisation sur la liste. Il est aussi interdit d’assurer contre sa responsabilité à l'égard des tiers une personne reprise sur la liste. Il n’est plus possible de toucher un chèque émis au nom d'une telle personne ou telle organisation, etc.

Le mouvement de solidarité est également visé

Le règlement énumère dans son article 2.3 les personnes qui peuvent être inclues sur la liste établie en exécution du règlement par le Conseil:

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"i) les personnes physiques commettant ou tentant de commettre un acte de terrorisme, participant à un tel acte ou facilitant sa réalisation;

ii) les personnes morales, groupes ou entités commettant ou tentant de commettre un acte de terrorisme, participant à un tel acte ou facilitant sa réalisation;

iii) les personnes morales, groupes ou entités détenus ou contrôlés par une ou plusieurs personnes physiques ou morales, groupes ou entités visés aux points i) et ii) ou

iv) les personnes physiques ou morales, groupes ou entités agissant pour le compte ou sous les ordres d'une ou de plusieurs personnes physiques ou morales, groupes ou entités visés aux points i) et ii)"

Ne sont donc pas seulement visées les personnes qui participent au sens du droit pénal (comme complice ou coauteur) à des actes de terrorisme, mais les personnes qui "facilitent" de tels actes, des personnes physiques ou morales qui agissent "pour le compte ou sous les ordres d'une ou de plusieurs personnes"

reprises sur la liste.

La notion de "faciliter" n'est définie nulle part et est une notion étrangère au droit. Les notions "d'agir pour le compte ou sous les ordres de" ne sont d'ailleurs pas plus précises. Elles ouvrent évidemment la porte à l'arbitraire le plus total.

En outre, l'article 9 du règlement impose l'obligation aux pays membres de l'Union d'instaurer des sanctions "efficaces, proportionnelles et dissuasives" à l'encontre de toute personne qui aurait violé le règlement; par exemple en fournissant des services interdits ou en mettant des fonds à la disposition d'une organisation ou d'une personne dont le nom est repris sur la liste.

Les représentations en Europe des mouvements de libération nationale et sociale incluses dans la liste pourraient facilement être accusées de "faciliter" les activités de l'organisation dans le pays d'origine.

Même un comité de solidarité qui collecte des fonds pour un projet en Colombie ou en Palestine pourrait très facilement, non seulement avoir ses comptes bloqués (car les fonds destinés aux entités reprises sur la liste doivent être bloqués), mais, en outre, pourrait faire l'objet des sanctions "efficaces, proportionnelles et dissuasives" établies par les autorités nationales.

Privé d'allocation sociale, d'assurance maladie et de son logement: le cas du Prof. Jose Maria Sison.

Les mesures imposées par le règlement ont des conséquences très importantes surtout quand elles sont infligées à des individus.

Le Professeur Jose Maria Sison en est un exemple très éloquent. Le Professeur Sison est le fondateur du Parti Communiste des Philippines. Il a passé de nombreuses années dans les geôles du régime de Marcos.

Après la chute de cette dictature, il a été libéré et il est allé faire une tournée internationale de conférences sur les problèmes politiques et de société que son pays connaît.

Pendant son absence, les fractions les plus répressives du nouveau régime, essentiellement des militaires nommés sous la dictature de Marcos, ont mis un prix sur sa tête et ont annulé son passeport.

Depuis 1988, il habite aux Pays-Bas où il a demandé le statut de réfugié. Sous la pression des Etats-Unis, le Ministre compétent a systématiquement refusé le statut de réfugié à JM Sison. Les juridictions administratives hollandaises ont à plusieurs reprises cassé ces décisions de refus en motivant leur décision par le fait que J.M. Sison était indiscutablement un réfugié au sens de l'art. 1 de la Convention de Genève relative au statut de réfugiés.

Le 12 août 2001, le gouvernement des Etats-Unis, à travers l'Office for Foreign Assets Control, a inclus JM Sison dans la liste américaine de "terroristes" dont les avoirs doivent être gelés.

Le 13 août, le gouvernement des Pays-Bas prend une décision similaire.

Le compte en banque conjoint de Sison et de son épouse est gelé. Sur ce compte, JM Sison recevait

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depuis de nombreuses années une allocation sociale et les époux Sison utilisaient ce compte pour payer leurs achats quotidiens, payer leurs factures d'électricité et autres. Le solde du compte n'a jamais dépassé 2.000 Euro. Qualifier une telle mesure de contribution à la lutte contre le terrorisme frôle donc le ridicule que le gouvernement des Pays-Bas ne semble pas craindre.

Le 10 septembre, Sison est informé par la Ville d'Utrecht où il habite qu'il ne bénéficiera plus d'allocation sociale, que son assurance maladie et responsabilité à l'égard de tiers est annulée et qu'il doit quitter le logement mis à sa disposition par les autorités locales et donc se retrouver dans la rue.

Au nom de la lutte contre le terrorisme, une personne est donc privée de tous les droits sociaux les plus élémentaires.

Le Professeur Sison a bien évidemment saisi les juridictions hollandaises mais en pleine procédure, le 28 octobre, il est inclus dans la liste établie par le Conseil de l'Union en exécution du règlement n°2580 concernant l’adoption de mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.

Le Gouvernement hollandais, retire sa décision nationale mais s'appuie dorénavant sur la décision du Conseil pour continuer à priver le Professeur Sison de tout revenu, du droit à l’assurance maladie, etc.

Le Professeur Sison a, en conséquence, saisi le Tribunal de Première Instance de l'Union au Luxembourg.

Une procédure dans laquelle les services de renseignement mènent la danse.

Cette procédure administrative obéit à des règles (notamment en terme de droit de la défense) qui sont moins strictes que dans une procédure pénale mais avec des conséquences qui sont parfois plus graves que certaines sanctions pénales. Une personne condamnée à une amende n’est privée que d’une partie de son patrimoine, ici l’on prive non seulement la personne de l’entièreté de son patrimoine mais aussi de toute possibilité de participer à la vie économique et sociale.

Aucune des personnes ou organisations reprises sur la liste n'a préalablement été informée de l'intention du Conseil de les insérer à la liste.

Aucun de ces mouvements ou individus n'a eu la possibilité d'être entendu.

Pire même, quand ils demandent accès au dossier qui a été à la base de leur inclusion sur la liste, il leur est répondu que les notules de la réunion du Coreper qui en a discuté sont secrets et que les documents produits à cette réunion par des pays membres ont été restitués.

Dans le cadre de la procédure menée devant les juridictions hollandaises, le conseil du Professeur Sison a reçu communication de deux pages d'affirmations calomnieuses, rédigées en anglais et sans mention de l'auteur du document ou encore moins des sources d'information. Il est évident que des services secrets tels que la CIA sont à l'origine de ce document.

Les personnes et organisations incluses dans la liste se voient taxées de "terroristes" et sont soumises aux restricitions qui en découlent au mépris des droits élémentaires de la défense et sans la moindre contradiction possible.

Elles sont privées de leur droit à la présomption d'innocence, de leur droit à un procès équitable avant d'être soumises à des sanctions d'une extrême gravité, de leur droit à être entendues et à apporter la contradiction aux éléments qui leur sont mis à "à charge".

A travers la stigmatisation dont elles sont l’objet, ces asssociations et personnes sont évidemment privées de leur droit à la liberté d'expression, d'organisation et même de mouvement.

(5)

Une procédure utilisée pour des objectifs purement politiques

La liste établie par le Conseil indique que Professeur Sison serait connu sous l'alias Armado Liwanag, le Président du Parti Communiste des Philippines.

En réalité, le Professeur Sison, qui était le fondateur de ce parti, n'a pas pu exercer une quelconque fonction depuis qu'il a été arrêté par le régime de Marcos en 1977, ayant été détenu pendant 8 ans avant d'être exilé. Par contre, il est le conseiller politique principal de l'équipe de négociateurs du Front National Démocratique des Philippines qui mène au Pays-Bas et en Norvège des négociations de paix avec le gouvernement des Philippines sous le patronage des gouvernements de ces pays et de la Belgique.

Aucune personne raisonnable ne peut considérer de telles mesures comme une contribution utile à la lutte contre le terrorisme. Au contraire, ces mesures sont très clairement destinées à diaboliser et à paralyser une personne qui s'est engagée aux cotés d'un mouvement de libération.

Devant les protestations du professeur Sison et d’autres organisations progressistes aux Philippines et à travers le monde, le ministre des affaires étrangères des Philippines a déclaré que le nom de Sison serait retiré de la liste si le Front National de Libération des Philippines accepte, dans le cadre des négociations qui sont actuellement en cours, les propositions faites par le gouvernement philippin.

Nous sommes donc face à une mesure, adoptée au mépris des droits de la défense les plus élémentaires et privant l’intéressé de ses droits les plus fondamentaux, dont l’unique but est de faire pression sur un mouvement de libération national afin que celui-ci signe un accord de capitulation tel que les gouvernement des Philippines et des Etats-Unis l'exigent.

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