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Systèmes sémiotiques dans l'enseignement/apprentissage d'une séquence chorégraphique à l'école élémentaire

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Academic year: 2021

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Submitted on 18 Mar 2019

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Systèmes sémiotiques dans l’enseignement/apprentissage d’une séquence chorégraphique à l’école élémentaire

Virginie Messina, Guylene Motais Louvel

To cite this version:

Virginie Messina, Guylene Motais Louvel. Systèmes sémiotiques dans l’enseignement/apprentissage d’une séquence chorégraphique à l’école élémentaire. Actualité de la recherche en éducation et forma- tion, Aug 2013, Montpellier, France. �hal-02071233�

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Systèmes sémiotiques dans l’enseignement/apprentissage d’une séquence chorégraphique à l’école élémentaire

-

Communication symposium AREF Montpellier 2013

Virginie Messina (Université Rennes 2, CREAD), Guylène Motais-Louvel (CREAD)

Introduction :

Qu’est-ce que passer une danse ? Cette question posée par Pouillaude (2009) dans le cadre d’une réflexion contemporaine sur le statut des oeuvres chorégraphiques, se double de celle de leur transmission et invite à s’attarder sur les transactions qui la font vivre. Le recours à des systèmes de transcriptions notationnels du mouvement dansé (Labanotation, notation Benesh…) ou à la captation video pour transmettre une chorégraphie sont largement minoritaires et la tradition d’une transmission de corps à corps reste bien ancrée dans les pratiques professionnelles et d’enseignement. Les pratiques chorégraphiques expriment des spécificités ontologiques. A leur caractère artistique s’ajoute celui de l’éphémère des œuvres qu’elles produisent : comment peut-on transmettre quelque chose qui n’existe pas en dehors de son effectuation ? Si comme le dit Eco (1973/1988), “l’homme est signe”, il s’agit alors d’un déchiffrement des signes incarnés en la personne de celui qui connait la chorégraphie, par celui qui apprend.

Dans une perspective didactique et dans le cadre d’une réflexion sur les pratiques chorégraphiques à l’école, Motais-Louvel (2012), nous avons choisi de nous intéresser à ces processus de sémiose entre production et déchiffrement de signes, en nous appuyant sur deux cas de transmission d’une chorégraphie à l’école élémentaire, par des artistes chorégraphiques intervenants : le premier cas concerne une classe de CE1-CE2 et porte sur la transmission d’un extrait de la chorégraphie Rainbow crée par la chorégraphe Emmanuelle Vo-Dinh ; dans le deuxième cas, le chorégraphe Dominique Jégou propose à des élèves de CE2-CM1, une séquence chorégraphique par accumulation de tâches, crée in situ avec leur participation active.

Pour entrer dans l'analyse, nous considérons les transactions didactiques comme sémiose d’autrui dans le savoir (Sensevy, 2011). Dans le cadre de la Théorie de l’action conjointe en didactique (TACD), par le biais de l’analyse a priori de ces séquences d’enseignement-apprentissage, nous nous attachons de manière comparative, à rendre compte des systèmes sémiotiques utilisés par les deux professeurs (choix du verbal, du corporel, d’un système hybride verbal/corporel ou de leur absence délibérée) et du déchiffrement ou absence de déchiffrement par les élèves, de ces systèmes. Nous avons choisi d’étudier deux situations d’enseignement/apprentissage où il s’agit d’amener les élèves à danser une séquence chorégraphique afin de rendre compte des différences et/ou convergences dans la production et le déchiffrement des systèmes sémiotiques en rapport avec les enjeux épistémiques ciblés.

Dans le cadre d’une réflexion sur les liens entre pratique sociale (l’art chorégraphique) et pratique scolaire, l’analyse portant sur des situations didactiques médiées par des artistes professionnels nous a semblé un terrain pertinent. Comment mettent-ils en place un apprentissage ? Quels systèmes sémiotiques sont générés ? Quels effets de cette sémiose sur l’apprentissage des élèves ? Ces artistes sont avant tout des experts de l’art chorégraphique en tant que danseur et chorégraphe, ayant une plus ou moins longue expérience de l’intervention en milieu scolaire. L’analyse ne souhaite pas être normative mais plutôt rendre sensible à la construction de ces milieux didactiques souvent créés in situ et que nous considérons éclairants pour avancer dans l’élaboration d’une didactique des pratiques chorégraphiques à l’école.

Nous avançons la notion de systèmes sémiotiques en référence à ce que Forest nomme « agencements didactiques » (2006, 2012) où aspects verbaux et non-verbaux sont entrelacés (Forest, 2012, Motais-Louvel 2011) pour signifier. Ces systèmes sémiotiques hybrides, dans un enchâssement du verbal et du corporel semblent être très caractéristiques des pratiques didactiques ici étudiées.

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Cadre théorique et méthodologie associée :

Le concept de double sémiose (Sensevy, 2011) constitue l'axe d'analyse poursuivi. A la suite de Deleuze et Guattari (1980), il s'agit de s'attacher à observer en quoi l'artiste comme l'élève « ensignent ». Pour Sensevy :

« Le Professeur doit produire continûment un travail de commentaire des éléments du milieu, on pourrait dire qu’il annote le milieu…

Ces systèmes (sémiotiques) deviennent eux-mêmes des milieux qu’il faut pouvoir excrire (Chevallard, 2007 ; Chevallard et Ladage, 2010)…

L’excription d’un milieu sémiotique est par essence un geste conjoint…

Dans cette appropriation au sein du processus d’excription, les signes produits par le Professeur, directement in situ, ou dans la réorganisation des productions d’élèves, jouent un rôle majeur. »

(2011, p. 644).

Une première sémiose, nommée sémiose d'autrui, est constituée d'un voir comme (Wittgestein, 1953/2004), fondé sur un style de pensée (Fleck, 1934/2004) sur lequel s'appuie l'artiste ayant incorporé l'oeuvre à transmettre.

Si, comme le souligne Sensevy, l'action didactique est une action conjointe dont le savoir constitue l'objet transactionnel, alors nous souhaitons nous attacher à montrer en quoi les comportements de l'artiste donnent à voir à l'élève ce qu'il faut atteindre et en quoi, de façon conjointe, les comportements de l'élève donnent à voir à l'artiste la distance à laquelle celui-ci se trouve par rapport à ce qu’il doit atteindre. En ce sens, nous observons que :

" Autrui est donc lu ; il est constitué d'un système de signes, il est donc le lieu d'une sémiose, mais cette sémiose n'a de sens que dans le savoir qu'elle exprime" (2011, p. 192).

La seconde sémiose propre au milieu correspondrait au déchiffrement par les élèves des signes du savoir émis à travers l'activité du professeur. En ce qui concerne les pratiques chorégraphiques, l'hypothèse serait que cette sémiose serait constituée d'éléments de savoir relatifs :

- au corps en mouvement (qualité du geste, du regard, sens du toucher), - au temps,

- à l'espace,

- aux règles de jeu pour entrer dans les actions corporelles nécessaire à l'incorporation de la chorégraphie, - aux traces orales (narration) et écrites relatives à la partition en jeu à transmettre selon et quelque soit sa

forme,

- aux verbalisations lors des interactions au cours du processus de mésogénèse.

Recueil des données :

D’un point de vue méthodologique, la captation vidéo de séances constitue la matrice de notre analyse. Pour chacun des deux projets, nous avons recueilli un ensemble de plusieurs séances successives afin de pouvoir situer précisément les épisodes retenus dans une construction chronogénétique plus large. Ces captations ont été complétées d’entretiens post et ante auprès des artistes, des enseignants des classes et de manière ponctuelle auprès des élèves. Plusieurs documents de type officiel, productions d’élèves ou notes ont également été consultés.

Pourquoi le choix de ces deux épisodes ?

Les deux projets retenus s’inscrivent dans le champ de la danse contemporaine. Pour Louppe (2000), la danse contemporaine englobe ce que l’on a nommé la danse moderne du début du siècle, autant que celle d’aujourd’hui, dans une perspective de les rassembler dans les mêmes schémas constructeurs : 1/ un corps sans modèle, produisant un geste singulier et exprimant une identité irremplaçable (d’où la notion d’interprétation en danse), 2/ un corps donné comme matière et un soi donné comme matière, 3/ la gravité du corps comme ressort du mouvement, 4/ la recherche du « juste » et non de la performance. Au delà de ce champ commun, chacun des artistes transporte un vécu singulier de la pratique qui permettait d’apprécier les convergences et divergences au sein de l’action didactique.

Du point de vue de l’analyse, nous avons choisi de sélectionner deux épisodes de durées très différentes : celui de Rainbow miniature dure 1’22 ; celui du chorégraphe Dominique Jégou s’étend sur 20’. La raison en est que le

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choix d’un temps ramassé ou étendu, selon le cas, est intimement lié aux enjeux épistémiques visés et au style de pensée même de l’œuvre1 à laquelle se rattache la partition chorégraphique proposée aux élèves. Le temps fait alors signe auprès des élèves comme composante du milieu didactique.

Présentation des deux extraits :

1/ Transmettre une séquence de la chorégraphie Rainbow de la chorégraphe Emmanuelle Vo-Dinh : le projet Rainbow miniature

Cette transmission s’inscrit dans un dispositif de classe à Projet artistique et culturel (PAC) mené par un danseur professionnel ayant participé à la création de la chorégraphie Rainbow d’Emmanuelle Vo-Dinh et à la composition musicale du projet, dans une classe élémentaire française à double niveau (CE1-CE2). Il s’agit ici de transmettre aux élèves la partie nommée « Les gants » de cette chorégraphie.

Présentation de la séquence chorégraphique « les Gants » :

Le projet initial Rainbow s’adressait à des personnes sans pratique de la danse et ne pouvait se construire qu’à partir des ressources de leurs participants. En parallèle des séquences élaborées à partir de la matière chorégraphique de ces participants, les séquences écrites à l’avance par les chorégraphes et compositeur (Emmanuelle Vo-Dinh et David Monceau) comme « Les gants » englobent la nécessité de « faire simple » et de jouer sur le groupe comme intensificateur du mouvement et de sa portée poétique. Cette séquence chorégraphique ne mobilise que les bras et les avant-bras de tous les danseurs qui s’inscrivent de manière chorale sur la surface d’un mur, à la manière d’un « ballet de bras », où partition musicale et partition corporelle sont étroitement liées. Sur la scène, la lumière réduit l’espace scénographique et ne laisse apparaître que les bras des danseurs et la chorégraphie qu’ils génèrent.

Photogramme 1 - Chorégraphie des Gants

Cette chorégraphie d’origine créée pour des danseurs adultes amateurs a donc fait l’objet au travers de ce projet à PAC d’une transposition didactique (Chevallard, 1991).

Contexte de l’extrait analysé :

Les séances prises en charge par l’artiste chorégraphique ont été au nombre de dix, reparties sur plusieurs mois.

Chaque séance avait une durée de deux heures et suivait le déroulement suivant : 1/ mise en disponibilité du corps ou échauffement, 2/ travail sur la séquence Les gants, 3/ mise en disponibilité de la voix, 4/ travail sur la séquence Gospel. Le temps accordé à chacune de ces étapes de travail était à chaque séance différent et fortement dépendant à la fois des enjeux épistémiques visés en amont par l’artiste et de l’avancée épistémique des élèves au cours des séances. L’extrait analysé se focalise sur le temps de l’échauffement de la 9ème séance. Il est compris entre 11’20 et 12’42 et constitue la dernière phase de ce temps.

L’extrait nous a semblé intéressant dans la mesure où contrairement aux autres séances, l’artiste convoque des savoirs liés à l’apprentissage d’une partie de la chorégraphie dans l’espace-temps de l’échauffement, c'est-à-dire

1 Selon Chevallard, la « formation scolaire » doit permettre « de faire entrer les jeunes générations dans les œuvres dont la société est faite ». La notion d’œuvre est ici retenue pour désigner toute « élaboration humaine qui répond à des questions – qui sont les raisons d’être de l’œuvre » (1996), en l’élargissant aux savoirs et aux institutions.

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la mise en disponibilité corporelle avant l’effectuation de la partition. Il choisit donc de décontextualiser la séquence chorégraphique (pas de support du mur, pas de comptage du temps, ni musique) pour focaliser l’attention des élèves vers deux éléments épistémiques forts : mémoriser corporellement la séquence chorégraphique comme un « tout »2 et trouver une fluidité corporelle dans l’exécution de ce « tout » en intégrant son aspect mélodique.

La séquence chorégraphique traversée dans cet épisode a été abordée sur la séance précédente et les signes de certaines difficultés ont été relevés par l’intervenant : d’abord sur l’exécution du module appelé « l’oiseau » (où les deux mains doivent se croiser pour former à la manière du théâtre d’ombre la figure d’un oiseau), puis d’une manière générale, les élèves montraient des hésitations dues à un manque de mémoire corporelle de l’enchainement qui les amenaient à créer des ruptures entre chaque mouvement.

Description de l’épisode et mise en intrigue :

L’artiste chorégraphique que l’on nommera AC et les élèves (Els) sont disposés dans l’espace de façon à ce que AC puissent voir tous les élèves et inversement. AC a laissé les élèves s’organiser spatialement autour de lui, la consigne étant de se « répartir » dans l’espace. Le photogramme suivant montre cette disposition et permet de visualiser la situation. AC et les élèves ne changeront ni de place, ni d’orientation durant toute la durée de l’épisode.

Photogramme 2 - disposition de AC et des Els lors de l'échauffement de la séance 9

AC vient de proposer des exercices visant la mobilité globale du corps puis amène petit à petit les élèves à retraverser une séquence de la chorégraphie abordée la semaine précédente, sans que cela soit annoncé explicitement. Il enchaine les mouvements de la chorégraphie, les accompagne verbalement et de manière quasi simultanée les élèves reprennent par imitation ses gestes et ses paroles.

[AC] « Regardez, encore une chose, allez ! Pouce contre pouce ! hop ! comment on fait ça ?» (11’22). AC joint les mains entre pouces et index et fait pivoter ses mains. Les Els tentent de reproduire le module. Certains Els lèvent le doigt, d’autres demandent à montrer « moi je sais, moi je sais ! » (11’27) ou « je peux montrer ? » mais AC ne répond pas à leur demande et continue à faire la suite de l’enchaînement.

[AC] « Allez y ! allez y ! et de là on descend ». Un El fait une onomatopée pour accompagner la descente des bras.

[AC] « on monte, on met hop ! on se retourne et on descend ». [El] « comme ça ? ».

2 La vision pragmatique de Dewey dans son ouvrage L’art comme expérience (1934/2005) considère les actes de création, d’interprétation et d’appréciation des œuvres comme des processus d’enquête. Dans son ouvrage Logique. Une théorie de l’enquête (1993), il définit l’enquête comme « la transformation contrôlée ou dirigée d’une situation indéterminée en une situation qui est si déterminée en ses distinctions et relations constitutives qu’elle con/vertit les éléments de la situation originelle en un tout unifié » (1993, p. 169).

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[AC] tout en observant attentivement un El à sa gauche tout en s’adressant au groupe « allez on recommence, on monte, on croise les pouces, on tourne et on descend » (il suit le rythme de cet élève et ralentit son exécution).

[AC] « Et on va aller de gauche à droite » (11’50). [El] « Eh ! ça me rappelle quelque chose ! » (11’52). Les Els exécutent les mouvement et reprennent en même temps les paroles de AC : « de gauche à droite ! » (11’54). [AC] « de droite à gauche, et on monte les mains et on descend les deux mains ». [El] « c’est pas la danse ? ».[AC] « et si ! et alors là hop ! à droite et deux ! et à droite et un et deux et les deux mains ».

[AC] « allez on recommence encore celui là. On monte, on croise et hop ! » (fait une onomatopée pour accompagner la descente). [AC + Els] « et de gauche à droite et de droite à gauche et on monte les deux et on glisse les deux et serpent un, deux et à droite un, deux et les deux bras, hop ! Ah !!! » (comme un soulagement pour marquer la fin).

Quelle est la spécificité des régimes de signes produits ?

Temps 1

11’20 11’50

Temps 2

12’42 Jeu d’apprentissage

(ce que le professeur veut faire faire aux élèves)

Exécuter le module « oiseau » Exécuter la séquence chorégraphique « les Gants » dans sa globalité

Description du contrat didactique

Contrat d’imitation prenant racine dans les temps antérieurs

=

AC exécute la séquence / les Els tentent de la reproduire en déchiffrant les signes du milieu

Signes du milieu - activité corporelle du professeur - verbalisations du professeur - corps des élèves

- séquence chorégraphique - espace

Fonction des systèmes sémiotiques déployés par le Professeur

- montrent et disent la partition chorégraphique - renvoient à l’expérience kinesthésique des élèves - prescrivent et invitent à l’action

- disent la qualité du mouvement - régulent l’activité

- constituent le collectif

Fonction des systèmes sémiotiques déployés par les élèves

- disent la compréhension des règles de jeu - montrent les hors-jeu

- constituent le collectif

- témoignent d’une expérience kinesthésique

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AC va engager les élèves tout au long de la transmission dans le contrat explicite suivant : " trouver comment se font les formes qui constituent la partition et trouver comment les inscrire dans un enchainement ". Son objectif d'enseignement consiste à faire en sorte que le groupe d'élèves puisse reproduire la séquence telle qu'elle est écrite dans l'oeuvre initiale, étant entendu qu'il ne s'agit pas de la reproduire exactement à l'identique mais de s'en approcher après l'avoir comprise. La comprendre, c’est se l’approprier avec son corps propre. S’approprier une danse prend du temps et en ce sens cet épisode n’est qu’une étape. AC sait qu’il reviendra plus tard dans la séance sur cette séquence. Aussi, l’enjeu épistémique est ici d’aborder la matière chorégraphique dans une vitalité d’action : faire sans s’arrêter pour incorporer un tout, trouver le flux3 de la danse et non pas mémoriser une succession de postures formelles.

1. Comment les comportements de l'artiste font-ils signes pour les élèves?

La configuration spatiale établie par AC est un des premiers signes du voir comme et du style de pensée dans lesquels il souhaite que les élèves évoluent : sa position centrale d’où il peut s’adresser visuellement à tous les élèves et d’où tous les élèves peuvent le voir, invite à considérer sa place comme stratégique (voir photogramme 2). En effectuant la partition chorégraphique, il prend une posture de monstration nécessaire pour dévoiler les éléments de la chorégraphie. Il perpétue le contrat d‘imitation dans lequel les élèves ont été plongés depuis le début des séances, lorsqu’il s’agissait d’apprendre la chorégraphie.

La posture corporelle de AC est très claire : étant dans le faire (il introduit les actions), son corps agit en retour comme une invitation. Le signe qu’il renvoie est : « à vous d’expérimenter avec votre propre corps ».

L’interrogation des élèves sur « comment on fait ça ? » et le silence de AC qui suit, illustre bien le fait que ce temps didactique est bien malgré tout un temps d’expérimentation. Les élèves, confrontés à leur corps propre (comme corps-milieu-problème) sont invités à trouver le chemin corporel qui leur permettra de se rapprocher de la référence représentée par la partition dansée par AC.

Pour cela, sa qualité de présence exprime une grande précision dans l’exécution des mouvements et une grande lisibilité pour les élèves.

Il poursuit avec : « allez y, allez y », coupant la parole des élèves et continuant à institutionnaliser ce temps comme celui de l’action. Ce mécanisme peut illustrer, ce que Godard (1995) nomme « contagion kinesthésique » et montrer comment le mouvement de l’un « appelle » par empathie kinesthésique, le mouvement de l’autre.

Il ne ménage pas de temps de pause entre les séquences, invitant les élèves à ne pas s’interrompre dans l’action.

Les corps de AC et des élèves sont bien les éléments du milieu par lesquels la sémiose du savoir peut opérer.

L’activité de AC agit comme une double partition : celle de la chorégraphie qui ne peut exister en dehors de son effectuation et celle de l’annotation de cette partition par l’utilisation du verbal qui vient dire ce vers quoi les élèves doivent se rendre attentifs. Dans cette approche de la partition écrite, le corps au travail dans la re- production donne une lisibilité de la compréhension des signes perçus par les élèves.

Ici, nous avons relevé concernant AC, l’utilisation de systèmes corps-voix susceptibles d’orienter l’attention des élèves vers :

- des formes corporelles - des rythmes et des suspensions - des qualités du mouvement - une organisation spatiale du corps - un contrat didactique

3 Cette conception du mouvement a été décrite par le théoricien du mouvement Laban dans son ouvrage de 1950 « La maîtrise du mouvement ». Le mouvement est intiment lié à l’espace et il ouvre une perception nouvelle du mouvement dansé qui vient bousculer les principes de la danse classique, dans laquelle le mouvement est envisagé comme une succession de poses. Laban envisage le mouvement comme le trajet entre différents points de l’espace et pose le concept de « flux ».

Partant de l’observation que le même mouvement peut être effectué selon différentes « qualités », selon l’action de la gravité sur le corps, le flux (plus ou moins libre ou entravé) et le rythme, Laban propose une approche concrète de l’expressivité du corps en mouvement.

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Les fonctions du verbal sont :

- nommer l’action (« de gauche à droite », « pouce contre pouce », « serpent ») pour créer un second niveau dans l’incorporation du mouvement,

- renvoyer à l’expérience des élèves (interrogation, absence de réponse),

- inscrire l’action dans un contrat dont les règles sont celles du faire et de la répétition (« allez y », « on recommence »),

- dire la qualité et la musicalité du mouvement au travers des onomatopées, des intonations et des modulations de la voix.

Cette dernière fonction se trouve très fortement exprimée tout au long de la séance. L’utilisation des onomatopées, intonations et modulations de voix qui accompagne l’activité de AC, est inscrite dans la mémoire collective de la classe au travers des séances précédentes. Aussi, on peut relever que c’est un élève qui le premier va utiliser l’onomatopée pour accompagner un mouvement de descente des mains. En retour, AC utilisera cela pour transmettre une spontanéité et une énergie dans l’action. Ces onomatopées, intonations et modulations donnent alors une couleur ludique à l’action.

La reprise collective des paroles de AC par les élèves s’accompagne petit à petit d’une aisance corporelle. Ces modulations dans la voix s’inscrivent comme une mélodie. L’absence de la musique qui accompagne normalement la séquence et qui sous-tend la chorégraphie est ici palliée volontairement par un discours verbal qui prend un aspect mélodique. En effet, une musique a été spécialement crée par l’artiste intervenant du projet pour accompagner cette chorégraphie. Nous pouvons la rapprocher de celle qu’évoque Carroll et Moore (2010), c’est à dire une musique qui transmet des impressions de mouvement. Selon les auteurs, il y aurait dans certains cas des « interprétations exécutives chorégraphiques » dont la fonction serait de « clarifier les sensations de mouvements suscitées par la musique » (2010, p. 99). Chorégraphie et musique sont ici intimement liées. En cela, les signes verbaux de AC disent une qualité et une musicalité du mouvement. La reprise verbale par les élèves et la mélodie qui la définie montre l’incorporation d’un voir-comme, celui d’une chorégraphie définie par son rapport à la musique.

L’épisode montre également qu’il n’y a pas de régulation directe de la part AC : il n’intervient pas sur le corps des élèves et ne donne pas d’appréciation sur la qualité de leur production. Cependant tous les systèmes sémiotiques présentés précédemment que déploie AC et qui constituent le milieu didactique orientent l’action des élèves par rétroaction et montre une régulation forte de l’activité des élèves que l’on peut illustrer per quelques exemples :

- dans l’exécution de l’oiseau, il ralentit au moment le plus complexe, c’est à dire lorsque les mains s’entrecroisent.

- Il observe une élève (11’40) à sa gauche tout en continuant à montrer la chorégraphie mais cale son rythme d’effectuation sur celui de l’élève qui semble ralentie par des difficultés.

Son observation du groupe est relativement homogène et ne s’adresse pas à des élèves en particulier. L’enjeu dans cette courte séance n’est pas de travailler sur une précision du mouvement mais plutôt arriver à une effectuation collective homogène de la part des élèves.

2. Comment les comportements des élèves font-ils signes pour l'artiste? Comment les déchiffre t-il ?

Les élèves sont dans une attitude d’observation directe de AC. Cette attention du regard montre leur investissement dans la tâche proposée et l’importance de l’observation du mouvement qu’ils doivent intégrer.

Cependant, certains élèves montrent des hors-jeu que l’on peut décrire comme des variantes dans le mouvement lorsqu’ils sont en difficulté. Ces hors-jeu qui se manifestent surtout au début de la séance ne sont pas relevés par AC et ne semblent pas constituer un problème. De par la répétition de la séquence, ces hors-jeu sont moins fréquents et témoignent d’une relative homogénéité dans la production des élèves.

La reprise de plus en plus généralisée par les élèves des verbalisations de AC comme support au mouvement montre également leur entrée dans le voir comme proposé par AC. Cet accompagnement verbal du geste est inscrit dans les habitudes de la classe lors des temps d’apprentissage de la chorégraphie et se déclenche clairement lorsqu’ils comprennent qu’ils traversent la chorégraphie (un El : « c’est pas la danse ? »).

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2/ Transmettre une séquence chorégraphique créée selon un processus performatif d’accumulation : le verbe d’action comme moteur

Présentation du projet et de l’extrait analysé :

Cette transmission s’inscrit dans un projet artistique partenarial avec le Musée de la danse de Rennes. Ce projet se définit par une série de séances en danse menées par le chorégraphe et danseur Dominique Jégou, auprès d’élèves d’une classe française de CE2-CM1 relevant d’une zone d’éducation prioritaire. Ces séances sont également complétées de temps de lecture d’œuvres, de visionnages de courts-métrages et de rencontres avec une autre classe investie dans un projet similaire. Le projet vise trois objectifs : 1/ sensibiliser à la danse contemporaine et à sa culture, 2/ développer le sens kinesthésique des élèves, 3/ favoriser la rencontre entre les élèves, l’école et les parents à travers la question de la transmission.

Les séances étaient au nombre de sept et avaient une durée d’une heure trente chacune, sur deux périodes scolaires (quatre mois). Celles-ci débutaient majoritairement par une mise en disponibilité du corps, puis des temps d’expérimentations et enfin, un temps était dédié à l’écriture d’une chorégraphie. Comme dans le cas précédent, le temps accordé à chacune de ces étapes de travail était à chaque séance différent et fortement dépendant à la fois des enjeux épistémiques visés en amont par l’artiste et de l’avancée épistémique des élèves au cours des séances. L’extrait analysé se focalise sur la première phase de la septième et dernière séance et dure 20 minutes.

Présentation de la séquence chorégraphique :

La séquence chorégraphique traversée par les élèves a pour particularité de s’écrire in situ : en proposant de manière cumulative des tâches sous-tendues par des verbes d'action, le chorégraphe travaille fondamentalement sur l'aspect interactif du groupe au moment où les élèves produisent des réponses corporelles liées à l'environnement (relations aux autres danseurs, tâches proposées, indications spatiales et temporelles). Il utilise leurs réponses corporelles et verbales pour faire avancer la partition qui se joue chaque fois de façon différente à partir de mêmes consignes. Les élèves sont amenés à improviser à partir des règles de jeu et rendent ainsi lisible à chaque fois le processus partitionnel instauré par ces règles.

La partition chorégraphique se construit par l’accumulation des tâches suivantes : « toucher », « rouler »

« s’allonger » et « marcher à quatre pattes ». L’action de « toucher » étant la principale se décline sous différentes variantes : toucher le sol, le mur, la fenêtre, son voisin de droite, de gauche.

Partition chorégraphique des tâches accumulées au fur et à mesure de l'avancée du temps didactique

1 2 3 4 5 6

En cercle, position

"accroupi" : toucher le sol

Toucher celui qui est à droite

Toucher celui qui est à gauche

Toucher le sol devant soi

Toucher l'un des murs à

l'extérieur du cercle

Revenir en cercle, au centre en position

"accroupi" : toucher le sol

7 8 9 10 11 12

Toucher les fenêtres

S’allonger pour rouler et traverser l'espace

Rester allongé au sol

En restant sur place toucher la personne la plus proche avec la main droite

Même chose avec la main gauche

Marcher à quatre pattes en tournant dans un sens puis dans l’autre

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Les tâches proposent des activités quotidiennes qui s'éloignent radicalement d'une esthétique du spectaculaire, pour travailler la justesse du mouvement sans tension obligeant le danseur à se focaliser sur une qualité de présence dans le milieu. Cela revient à dire que le chorégraphe ne donne pas une façon de faire un geste, ne demande pas au danseur d’atteindre une forme qui s’érigerait comme norme. Au contraire, l'apparence du mouvement n'est pas uniforme pour le spectateur, mais plutôt commune, en ce sens que chacun des danseurs est différent dans son mouvement autour de règles de jeux communes.

Cette proposition est à mettre en relation avec le style de pensée qui définit le travail chorégraphique de l’artiste Dominique Jegou : de par sa rencontre avec la chorégraphe américaine Trisha Brown durant son parcours d’interprète, il s'inscrit dans ce que l'on nomme les danses performatives prenant notamment leur source aux Etats-Unis dans les années 1950. Une des représentantes à l’origine de ce mouvement est Anna Halprin dont le principe des « tasks » (tâches) répond à deux enjeux majeurs : 1/ dé-subjectiser la source du mouvement, 2/ le débarrasser de préoccupations stylistiques pour s'attacher à une combinatoire de règles et de consignes obligeant le danseur à se recentrer sur l'action à réaliser et non pas sur une performance à atteindre.

Le deuxième aspect important de ce processus d’écriture chorégraphique est celui reposant sur le principe de l’accumulation empruntée à la chorégraphe Trisha Brown 4 : chaque tâche proposée est un espace d’expérimentation et de création pour les élèves et c’est dans l’accumulation de ces tâches que l’on peut percevoir l’émergence d’une chorégraphie portée par le collectif artiste/élèves.

Quels sont les enjeux épistémiques qui sous-tendent le choix de ce mode d’écriture ?

Ce mode d’écriture spontané permet aux élèves de sortir du schéma traditionnel d’écriture chorégraphique tel qu’il est décrit dans le cas précédent. Ils sont ici amenés à simultanément créer et prendre en charge (interpréter au sens large) la partition chorégraphique.

Les tâches sont quotidiennes et donc simples à réaliser mais l’enjeu épistémique majeur est celui d’amener les élèves à une concentration dans l’action leur permettant de se focaliser sur une qualité de présence corporelle dans le milieu et d’intérioriser le schéma partitionnel.

Pour aller dans ce sens, c’est par la répétition de ce schéma et l’introduction de nouvelles règles du jeu que l’artiste amènera progressivement les élèves à ne plus parler et à ne plus produire de gestes parasites (remettre son tee-shirt…) pour pouvoir s’engager pleinement dans l’action.

De façon implicite la nature du contrat porte sur la posture requise du danseur : écoute, attention, proprioception et appui du regard.

Description de l’épisode et vue synoptique :

L’épisode démarre au début de la dernière séance de travail avec les élèves, jusqu’à 20’00. C’est donc le premier temps de travail et les élèves sont très dissipés à leur arrivée dans le studio de danse. L’artiste (DJ) leur demande de se rassembler en cercle. Il prend lui-même place dans le cercle et fait donc parti intégrante du collectif de danseurs.

Photogramme 3 – Répartition en cercle des élèves au début de la séance

4 Trisha Brown crée la chorégraphie Accumulation en 1971.

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Le temps didactique de cette séquence analysée peut être découpé en trois phases :

00’00

Temps 1

5’02

Temps 2

11’30

Temps 3

20’00

Jeu d’apprentissage (ce que le professeur veut faire faire aux élèves)

Répondre corporellement à l’introduction

progressive des tâches

Répéter une fois le schéma partitionnel en intégrant deux nouvelles règles :

1/ ne pas parler, 2/ ne pas faire de gestes parasites

Répéter 2 fois le schéma partitionnel en intégrant une dernière règle : chaque fois que quelqu'un parle, il s'arrête dix secondes sur place, il devient une « statue » puis reprend le déroulement en décalé Description du contrat

didactique

Explicite : DJ propose des tâches à accomplir et régule l’activité dans le temps et dans l’espace par des signes verbaux à forte valeur perlocutoire, mais également en appui du contrat implicite recherché / les Els créent une partition chorégraphique et l’interprètent en répondant corporellement aux propositions communes données par DJ qui peut participer au jeu collectif ou en sortir.

Implicite : Le contrat porte sur la posture requise du danseur (écoute, attention, proprioception, regard).

Signes du milieu - activité corporelle du professeur

- verbalisations du professeur - tâches proposées - corps des élèves - verbalisations des élèves

- éléments matériels de l’espace (sol, mur, fenêtre)

activité corporelle du professeur - verbalisations du professeur - tâches proposées

- corps des élèves

- verbalisations des élèves

- éléments matériels de l’espace (sol, mur, fenêtre) + partition chorégraphique précédemment parcourue + nouvelles règles du jeu

Fonctions des systèmes sémiotiques déployés par le Professeur

- introduisent les tâches - donnent les règles du jeu - régulent l’activité - constituent le collectif

- renvoient à l’expérience kinesthésique des élèves - prescrivent et invitent à l’action

- disent la qualité du mouvement

Fonction des systèmes sémiotiques déployés par les élèves

- disent la compréhension des règles de jeu - montrent les hors-jeu

- constituent le collectif

- traduisent une expérience kinesthésique

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Quelle est la spécificité des régimes de signes produits ?

Si la sémiose d'autrui (Sensevy)5 se repère dans un double mouvement de construction d'un voir comme élaboré par l'élève à partir de signes du savoir émis par l'artiste, et des signes émis par les autres élèves, et d'un voir comme élaboré par l'artiste sur les signes émis par chacun des élèves et par l'ensemble du groupe, alors nous tentons ici de décliner quelques éléments de compréhension de ce qui se joue dans l’avancée du temps didactique en répondant aux questions suivantes :

1. Comment les comportements de l'artiste font-ils signes pour les élèves?

L'artiste va engager les élèves tout au long de la transmission dans le contrat explicite suivant : « comment produire des réponses corporelles à partir des tâches qu'il propose ». De façon implicite la nature du contrat porte sur la posture requise du danseur (écoute, attention, proprioception, regard). Son objectif d'enseignement consiste à faire en sorte que le groupe d'élèves puisse danser ensemble à partir de règles de jeu communes.

Au cours de la séquence analysée, DJ produit corporellement dans l'espace et le temps des tâches qu'il émet spontanément et/ou à partir des observations des réponses des élèves et qu'il commente à partir de la règle donnée. Ces règles de jeu corporelles successives se déploient et s'accumulent au fur et à mesure en fonction des réponses corporelles des élèves qui permettent à DJ d'ajuster en permanence l'exigence d'effectuation. Il poursuit ainsi des capacités particulières qui se lisent à la fois dans sa posture corporelle et dans ses verbalisations.

Ses signes gestuels :

- DJ propose une posture sobre : corps calme, détendu, les bras le long du corps lors des temps d'arrêts, le regard activé pour indiquer son rôle dans l'effectuation des tâches et pour observer les réactions d'élèves en particulier et du groupe. En fait, il semble se déplacer comme un guide, de façon calme et feutrée, afin que les élèves puissent se repérer pour répondre aux consignes.

- DJ danse avec les élèves mais toujours en décalé par rapport à la consigne qu'il donne ; il n'effectue pas toutes les tâches, seules celles qui lui permettent d'amener les élèves à construire la concentration commune du groupe (ex: se tenir en cercle accroupi) et celles qui accompagnent le trajet dans l'espace.

- Il aménage des temps de pause avant de lancer la consigne pour l'action suivante.

- Il travaille sur le regard : celui qu'il pose sur chacun et sur le groupe qui correspond en fait à une prise d'informations lui permettant de ne pas arrêter le fil des consignes dont il abreuvent les élèves d'un ton calme au débit lent et au niveau sonore peu élevé, entrecoupé de temps de silence.

- Il n'interrompt pas le déroulement de l'activité de façon péremptoire, pour obtenir des élèves un silence total avant de reprendre. Il ne les coupe pas dans l'activité malgré leurs réactions qui parasitent le travail fondamental engagé.

Il entretient une forte réticence didactique car à aucun moment il ne donne d'explication précise pour cet objectif fondamental qu'il poursuit tout au long de la séance, à savoir une posture d'écoute et de concentration sur l'effectuation de chaque tâche et sur leur enchainement.

On peut avancer que la sémiose d'autrui existe ici en ce sens que DJ poursuit les enjeux de la danse performative : répondre aux tâches, se les approprier pour entrer dans le mouvement, donner une réponse juste par rapport aux règles de jeu.

5 p. 193 Le Sens du savoir : "Puisque la sémiose d'autrui a pour but l'inculcation et l'appréhension d'une style de pensée, un professeur qui enseigne à plusieurs élèves est toujours confronté a des différences, des différences de déchiffrement de ce qu'il faut voir d'une certaine manière. Le professeur doit donc jouer sur le jeu des élèves, en tant qu'individus et en tant que collectif, en contrôlant dans une certaine mesure et à certaines fins la production de contrats didactiques différentiels, et l'institution du capital d'adéquation qui leur est conséquente."

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Ses signes verbaux :

- DJ verbalise symboliquement, techniquement (corps et espace) et rythmiquement chaque tâche et chaque liaison entre elles.

- DJ utilise fondamentalement des signes verbaux à forte valence perlocutoire, afin d'amener les élèves à exécuter les tâches. Ce sont les règles définitoires relatives aux tâches [actions attendues : toucher le sol, marcher, toucher l'épaule de celui qui est à droite, toucher le mur, s'allonger au sol et rouler]. Mais à aucun moment il ne donne une manière de le faire, c'est à chaque élève de trouver sa propre réponse et il n'attend pas de forme particulière.

- Il rythme le déroulement spatio temporel de la partition, car les élèves ne se lancent pas dans l'exécution d'une tâche avant d'avoir entendu la consigne qu'il énonce. Il engage les élèves dans une durée d’action conséquente (20’) au cours de laquelle les élèves n’auront que de très courtes pauses corporelles toujours accompagnées de signes verbaux. La chronogénèse joue ici un rôle très important dans le processus, la durée et la répétition étant des enjeux de savoirs des danses performatives.

- D'autres signes verbaux complètent ce guidage : ceux qui s'attachent à faire disparaitre les gestes parasites pour amener les élèves à entrer dans une posture de danseur : [sans parler/ chuuuut ! / on va essayer de la faire sans parler, sans toucher son tee-shirt, ni remettre ses cheveux/ on reste allongé c'est à dire lourd, on prend du temps pour soi, ce n'est pas grave si vous changez de place]

On retrouve de façon explicite une attente de posture de la part des élèves qui constitue les enjeux de la réticence didactique qui se lit comme signes émis par D J :

- une attitude calme à l'écoute des élèves, de l'espace autour et de son propre corps pour affiner les gestes attendus selon chaque règle donnée.[on marche calmement], [on s'allonge doucement, on prend du temps pour soi]

- une qualité du regard grâce à une intention précise lors de l'action à accomplir [de là où vous êtes, touchez le sol], [toucher la personne la plus proche de soi avec la main droite], [on peut essayer de toucher, même si on est loin], [j'essaie de viser comme si je voulais toucher son épaule].

2. Comment les comportements des élèves font-ils signes pour l'artiste? Comment les déchiffre t-il ?

Lorsque les élèves ensignent, DJ observe et interprète les règles stratégiques qu’ils engagent pour gagner ou non au jeu proposé. C’est avec la lecture de leurs réponses corporelles, utilisées comme révélateurs, que DJ propose une nouvelle façon d'approcher la compréhension et l'effectuation de chacune des tâches. C’est aussi par l’écoute des questions et des commentaires des élèves qui verbalisent leur compréhension, leurs difficultés, leurs erreurs, leurs questions, leurs observations que se joue cette prise d’informations et cet ajustement pour approcher les enjeux de savoirs.

Voici quelques exemples de règles stratégiques qui ont fait signes et ont permis l'ajustement de la transmission poursuivie par DJ :

Evènement 1 : les élèves se parlent en dansant, soit pour se donner des indications soit pour s'apostropher : ayant perçu ces actions parasites, DJ, afin d'obtenir le silence des danseurs en action, inclut une nouvelle règle définitoire qui les oblige à s'immobiliser et compter jusqu'à 10 lorsqu'ils ont parlé.

Evènement 2 : Dilatation du temps entre chaque proposition de consignes pour amener les élèves à prendre le temps de déployer leur action.

3. Quelle relation la constitution de ces signes entretient-elle avec le milieu des transactions ?

On peut noter que la construction de ces signes constitue le fondement même, dans l'immédiateté des actions, de la réalisation de la partition dansée.

4. Comment ce qui fait signe pour un élève peut-il faire signe pour tous les élèves ?

L'élève déchiffre des signes dans les systèmes sémiotiques déployés par DJ l'amenant à répondre à des consignes précises afin de trouver des réponses corporelles adaptées. La verbalisation du professeur des écoles est aussi ponctuellement un appui en particulier pour certains élèves qui se placent en situation de hors jeu : refus de faire, énervement, sortie du groupe. Il peut utiliser l'observation du corps de DJ en mouvement, mais également celui de ses camarades.

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De plus, les règles de jeu étant communes, et le groupe étant sollicité de façon globale, chaque élève entre, selon son rythme d’attention, de compréhension et d’intention, dans le voir comme que transmet DJ. Il est amené à produire et à se recentrer sur son propre corps afin d’expérimenter les diverses tâches proposées qui le contraignent, au fur et à mesure de l’avancée du temps didactique, vers une posture de danseur.

Il apparaît ainsi que les réponses particulières de chaque élève nourrissent le contenu de la partition et fait alors signe dans le sens où chacun peut observer en quoi un élève est en phase avec la tâche à accomplir ou en quoi il se met hors jeu, en quoi il modifie le jeu. Quelques exemples :

- un élève traverse la salle en marchant quand il s'agit de se mettre au sol et de rouler pour traverser l'espace, - un élève fait des oreilles d'âne à son camarade,

- une élève finit la traversée debout, l'autre en se glissant sur les fesses,

- une élève se situe systématiquement en dernier dans l'effectuation de la marche, - un élève tourne très vite sur ses genoux au lieu de marcher sur lui même à quatre pattes, - une élève se réinsère dans le cercle au centre après avoir fait une pause, assise sur les bancs.

En conclusion, il s'agit ici de décaler la chorégraphie d'un état d'origine codifié et écrit, en lui donnant un statut instable "allographique" (Goodman, 1980)6. On observe que la partition proposée donne un programme de règles de jeux, de taches qui produisent ce que nous observons comme scènes se démultipliant dans le temps et dans l'espace. Cette forme de pratique chorégraphique apporte de nouveaux modes de production de la chorégraphie.

Quels processus sémiotiques peuvent être repérés à l’œuvre dans ces processus de transmission ?

Nous relevons que ces deux exemples révèlent, chacun à leur manière, des milieux sémiotiques construits conjointement dans les interactions : éléments du savoir en jeu / artiste/ élèves.

Les systèmes sémiotiques déployés sont intimement liés à des fins épistémiques particulières : 1. « Les gants » : apprendre à danser une phrase chorégraphique écrite.

2. « Processus d’accumulation » : expérimenter des tâches corporelles quotidiennes, improviser, pour composer une partition à partir de règes de jeu communes.

Ces deux formes de transmission analysées se particularisent cependant très nettement par les éléments de savoir en jeu qui sont fondamentalement liés à l’œuvre chorégraphique de référence.

Ainsi, dans la transmission de la séquence « Les gants », la sémiose se rapporte de façon continue à la musicalité de la partition qui devient l’entrée retenue pour l’incorporation de la partition chorégraphique et l’essence même du savoir que l’artiste aborde. Il s’impose corporellement et verbalement comme référence vers laquelle il tente d’amener les élèves. Cette référence ne se situe pas au niveau du comment faire mais plutôt de ce qu’il y a à faire ; c’est à dire, au niveau de la partition à exécuter. Au travers du jeu de réticence didactique, les élèves sont amenés à trouver le chemin corporel pour cette exécution.

Dans le processus d’écriture par accumulation, la sémiose porte sur la durée et la répétition de la partition construite lors des interactions. L’artiste initie l’action sans jamais se poser en modèle pour les élèves. L’artiste fait avancer le temps didactique, par une attitude corporelle et verbale signifiant tantôt sa participation à l’élaboration collective ou son retrait pour la réguler (entrée et sortie dans le jeu collectif). On voit comment dans ce cas, les élèves ayant incorporés ce style de pensée, ne se sentent pas ici dans la nécessité de suivre du regard chaque geste de l’intervenant.

Il est également très net de voir comment la posture des danseurs est en totale adéquation avec le style de pensée qui sous tend l’œuvre transmise. Posture active, rythmée, mélodique pour AC dans la séquence « Les Gants », posture sobre, calme, pausée, dans un flux continu pour DJ dans la partition performative par accumulation.

6 Goodman Nelson, Langages de l’art (trad. Jacqueline Chambon 1980) / l'auteur distingue les oeuvres autographes dont la matérialité coïncide avec l’identité, et les oeuvres allographes qui s'interprètent à partir d'une partition ou d'un texte.

(15)

Eléments de discussion :

- En quoi ces systèmes sémiotiques sont ils spécifiques/génériques aux pratiques artistiques et/ou aux pratiques corporelles par rapport à d’autres disciplines ?

- Quels processus sémiotiques peuvent être repérés à l'oeuvre dans tout processus de transmission ? - Quelle pertinence et quelle portée de la catégorie théorique utilisée pour l'identification des signes ?

Partition corporelle du

professeur

Partition verbale du professeur Systèmes sémiotiques

+

- des formes corporelles - des rythmes et des suspensions - des qualités du mouvement - une organisation spatiale du corps - un contrat didactique

-

montre dit

Rétroaction du milieu

Excription du savoir

Production des élèves

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