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Louis Patrick Leroux. Se taire. deparole. Prise. Extrait de la publication. Théâtre

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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C.P. 550, Sudbury (Ontario) CANADA P3E 4R2

705-675-6491 http://pdp.recf.ca

Il y a seize ans, Alexandra a quitté son village en disgrâce. Tout comme Cassandre, elle avait le don de prophétie mais la terrible malédiction qu’on ne la croit jamais. Son départ a laissé un trou béant.

Sa tante Marguerite a cherché à le combler en fondant un culte voué à sa mémoire. La jeune ado lescente, Christine, rêve au retour d’Alexandra,

« l’oracle qui dérange », la « statue géante dorée » partie le jour de sa naissance.

Aujourd’hui, Alexandra rentre, épuisée, au bercail.

Celle qui, à l’époque, troublait par ses visions ne dit plus rien. Aphone, elle inquiète d’autant plus les villageois. Pourquoi être revenue après seize ans ? Que cache-t-elle de si terrible qu’elle n’en dit rien ?

LOUIS PATRICK LEROUX a fondé, à Ottawa, le Théâtre la Catapulte, qu’il a dirigé au cours des années 1990. Il est l’auteur d’une tren­

taine de pièces théâtrales et radiophoniques, dont La litière (1994), Rappel (1995), Le rêve totalitaire de dieu l’amibe (1995) et Dialogues fantasques pour causeurs éperdus (2008). Après des études à Ottawa, Montréal et Paris, il enseigne aujourd’hui l’écriture dramatique et la littérature à l’Université Concordia à Montréal.

Prise deparole

Louis Patrick Leroux

Se taire

Louis Patrick Leroux

Louis Patrick Leroux

Se taire

Se taire

Prise de parole

Théâtre

Prise de parole

Théâtre

http://pdp.recf.ca

6,1 mm (0,2417

po)

Extrait de la publication

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Se taire

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Du même auteur

Ludwig & Mae (comprend les pièces suivantes : Embedded, Apocalypse, et Resurrection), traduction anglaise de Shelley Tepperman et Ellen Warkenten, Vancouver, Talonbooks, 2009.

Everything is True !, Montréal, Delirium Press, 2006.

Ressusciter, Montréal, Auteurs dramatiques en ligne, www.adelinc.qc.ca, 2004.

Antoinette et les humains (ou La vache d’Antoine), Montréal, Auteurs dramatiques en ligne, www.adelinc.qc.ca, 2004.

Le rêve totalitaire de dieu l’amibe, Ottawa, Le Nordir, 2003.

Contes d’appartenance, collectif sous la direction de Patrick Leroux, Sudbury, Éditions Prise de parole, 1999.

Contes urbains : Ottawa, collectif sous la direction de Patrick Leroux, Ottawa, Le Nordir, 1999.

Tom Pouce, version fin de siècle, Ottawa, Le Nordir, 2006 [1997].

Implosions (Dialogue, La Litière, Rappel), Ottawa, Le Nordir, 1996 (épuisé).

« Milford Haven » 38, volume i, Montréal, Dramaturges éditeurs, 1996.

Le Beau Prince d’Orange, Montréal, Auteurs dramatiques en ligne, www.adelinc.qc.ca, 2008 [1994].

Cinquante exemplaires de cet ouvrage ont été numérotés et signés par l’auteur.

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Louis Patrick Leroux

Se taire

Théâtre

Éditions Prise de parole Sudbury 2010

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Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives Canada Leroux, Louis Patrick, 1971-

Se taire / Patrick Leroux.

Théâtre.

ISBN 978-2-89423-251-4 I. Titre.

PS8573.E6728S4 2010 C842’.54 C2010-904627-7

Distribution au Québec : Prologue • 1650, boul. Lionel-Bertrand

• Boisbriand (QC) J7H 1N7 • 450-434-0306

Ancrées dans le Nouvel-Ontario, les Éditions Prise de parole appuient les auteurs et les créa teurs d’expression et de culture françaises au Canada, en privilégiant des œuvres de facture contemporaine.

La maison d’édition remercie le Conseil des Arts de l’Ontario, le Conseil des Arts du Canada, le Patrimoine canadien (programmes Développement des communautés de langue officielle et Fonds du livre du Canada) et la Ville du Grand Sudbury de leur appui financier.

Œuvre en page de couverture et mise en pages : Olivier Lasser Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays.

Imprimé au Canada.

Copyright © Ottawa, 2010 Éditions Prise de parole

C.P. 550, Sudbury (Ontario) Canada P3E 4R2 http://pdp.recf.ca

ISBN 978-2-89423-251-4

ISBN 978-2-89423-366-5 (Numérique)

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Pour ma fille, Madeleine.

À ceux qui restent, qui se souviennent et qui témoignent avec délectation.

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Préface

« Faudra-t-il se taire alors ? »

Ce qui frappe le plus à la lecture de Se taire, de Louis Patrick Leroux, c’est l’exclusion des personnages masculins. Ici, la parole et la présence scénique appar- tiennent aux femmes : Alexandra, Christine dite

« Alex », Marguerite, la « Prédicatrice », et un chœur de femmes, les « Silencieuses ». Les personnages masculins, le père de Christine, François, maire du village, et l’employé municipal, Donald, restent dans l’ombre et le silence. Pourquoi donc ?

Il faut, je crois, mettre Se taire en rapport avec la pièce majeure de Louis Patrick Leroux, Rappel, créée en 1995. Il y a quinze ans, donc. Ce qui nous rapproche des seize ans d’exil d’Alexandra et de l’âge d’Alex. À la fin de Rappel, le personnage principal, Ludwig, se tue dans une baignoire avec une lame de rasoir pour « [r]ompre. Tuer avant d’être tué, se tuer, se tuer souvent. Mourir. […] Taire sa conscience. […] Tuer l’indifférence ! » La voix masculine se tait alors, la voix d’un jeune révolté

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contre le monde. Ici, comme dans Se taire, le père est au téléphone, il parle, on l’entend faire le récit de sa chute. Une autre voix parle au téléphone, celle de Mae, l’amante qui a quitté Ludwig quatre ans plus tôt, Mae qui a quitté le pays, qui voyage à l’étranger, qui semble, à la fin, avoir trouvé sa place dans une Bretagne fantasmée (ou imaginée).

On apprendra dans Ressusciter que Mae a tout in- venté de son voyage, qu’elle ne s’est jamais rendue en Bretagne.

Dans Se taire, Alexandra revient dans son village qu’elle avait quitté, après la mort de la mère d’Alex, en faisant le vœu de se taire. Elle se tait parce qu’elle a le don de prédire l’avenir, un don qui a toujours été source de malheur et, ultimement, la cause de son exil forcé. Elle est une Cassandre moderne, honnie, bannie, trimbalant une longue lame de rasoir dont elle se sert pour se protéger, peut-être aussi pour aiguiser son sentiment de rupture. Aujourd’hui, toujours silencieuse, elle revient dans le but de revoir Christine / Alex et sa tante Marguerite, mais surtout pour faire taire la voix d’une sorcière « qui importune ses songes ».

Le retour d’Alexandra, c’est un peu le retour de Mae comme si Leroux souhaitait rétablir la générativité qui avait été amputée dans Rappel. La jeune Alex est un Ludwig en puissance qui cherche à donner une forme à son dégoût du monde qui l’entoure. « Veux-tu m’apprendre à semer la terreur ? Veux-tu m’apprendre à déranger les bien-pensants ? », demande-t-elle à la revenante.

Trois personnages féminins se retrouvent donc après les seize ans d’exil de l’une d’entre elles. Je suis

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tenté de voir dans cette triade une reprise sur un nouveau plan du trio de personnages allégoriques qui accompagnent Ludwig dans Rappel : un Pape, une Muse et une Vache. Ici, Marguerite, dans son rôle de Prédicatrice, prendrait la place du Pape ; Christine, qui écrit, qui trouve « les mots plus satisfaisants » que le sexe et la drogue, serait une évocation de la Muse ; et, finalement, Alexandra, en tant que figure maternelle réconfortante, pourrait être associée au personnage de la Vache. Certes, l’arrimage entre ces deux triades n’est pas très juste, les écarts sont peut- être grands, mais les rapprochements sont possibles.

Ce qui importe, en tout cas, c’est que la nouvelle triade représente les trois facettes d’une même idée, comme les trois personnages allégoriques représentaient la vie intérieure de Ludwig. L’idée derrière les trois per sonnages de Se taire me semble être la révolte, la prise de parole pour faire bouger le monde, changer les choses.

Dans les années 1990, Louis Patrick Leroux a rédigé un manifeste qui a eu un impact sur la communauté théâtrale et artistique de l’Ontario français. Rappel, à sa manière, était aussi un manifeste, celui d’une génération confrontée à un avenir incertain et à un monde en train de se mercantiliser, soumis à « la nouvelle religion », au néolibéralisme, au capitalisme triomphant. Dans Se taire, les trois personnages portent en eux la flamme de la révolte, mais chacun porte le flambeau (ou joue avec le feu) à sa manière.

Pour Marguerite, qui n’a jamais réussi à quitter le village, à se réaliser, la révolte a pris la forme d’une secte religieuse vouée à la mémoire d’Alexandra, au

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culte de ses dernières paroles : « Faudra-t-il se taire alors ? ». Alex, de son côté, est à l’âge de la révolte, entre l’enfance et l’âge adulte. Elle a idéalisé Alexandra, en a fait son idole, « une statue géante dorée ». Elle la voit même comme sa mère. Alexandra, de son côté, par son silence et son attitude calme, témoigne d’une sorte de réalisme résigné. Ainsi sont réunies la fana- tique, l’idéaliste et la réaliste, les trois postures de la révolte, voire ses trois âges. À soixante ans, Marguerite est prisonnière de ce village qui lui a « gâché » la vie.

Puisque la réalisation de ses rêves est désormais im- possible, il ne lui reste que la révolte absurde, en compagnie des Silencieuses. À seize ans, Alex a la vie devant elle. Elle n’attend que le moment propice pour rompre les amarres paternelles et prendre son envol. À quarante ans, Alexandra a vécu, a cherché et peut-être trouvé, une certaine séré nité avant que des cauchemars ne la ramènent à ses origines. Elle revient mettre de l’ordre dans son village, sauver celle qui pourrait être sa fille et sa tante égarée dans une folie religieuse en proie à des dérives sanglantes.

Avec Se taire, Louis Patrick Leroux voulait renouer avec le milieu théâtral franco-ontarien après une dizaine d’années consacrées à des études et à une carrière universitaire, période pendant laquelle il a continué à écrire des textes qui ont rencontré des publics ailleurs, mais pas dans sa province d’origine.

Se taire devait annoncer son retour sur les scènes de l’Ontario français. Le processus d’écriture a été rela- tivement long, le texte subissant plusieurs réécritures, certaines en profondeur. Ces pérégrinations créatives, entre Montréal et Sudbury, ont permis d’approfondir

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et de préciser le propos de la pièce : la place de la parole dans la communauté ou, plus largement, la place de l’art dans le monde, l’art comme force du changement, non pas comme monnaie d’échange. Plus concrètement, la pièce est devenue une discussion sur la place de l’écrivain dans sa communauté, d’un écrivain en exil, mais aussi de l’écrivain qui reste tenté par le départ.

Le rapport entre partir ou rester traverse une bonne partie de la dramaturgie franco-ontarienne. Ainsi l’Alexandra de Louis Patrick Leroux rejoint Diane, dans Lavalléville d’André Paiement, qui voulait partir à Montréal (mais qui est restée dans son village), Jay, dans Le chien de Jean Marc Dalpé, qui revient dans son patelin après avoir sillonné l’Amérique, et Pierre- Paul, dans ma pièce French Town, qui rentre chez lui avec l’idée de vendre la maison familiale et d’ainsi effacer le passé. Des êtres en rupture. Des révoltés contre le lieu de leur naissance. Le lien entre l’écrivain et son milieu (sa communauté d’origine ou sa société actuelle) est toujours problématique. L’écrivain a besoin du monde pour le recréer, mais, par l’acte de création, il doit aussi rompre avec le monde. C’est ce que Dominique Maingueneau appelle la paratopie

— qui est aussi le titre de la dernière séquence de Se taire.

Se taire n’a finalement pas été produit. « Faudra- t-il se taire alors ? » Quand le village ne veut plus vous entendre. Quand les théâtres refusent de monter votre pièce. Quand la place accordée à la parole qui se révolte, à la parole tout court, est de plus en plus étroite, formatée pour satisfaire aux exigences des campagnes promotionnelles et autres battages publicitaires.

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Quand la scène théâtrale devient davantage un lieu pour l’image que pour les mots. Faudra-t-il alors partir ou rester ? La parole franco-ontarienne, celle qui a pris l’espace scénique pour changer l’espace social dans les années 1970 et 1980 est-elle en mutation, s’éloignant de la révolte pour rejoindre la loi, le conformisme et le consensus ? La non-production de Se taire est une production en soi, la représentation de l’incapacité des structures théâtrales à intégrer la voix autonome d’un de ses dramaturges et l’expression du désenchantement d’un créateur face à son milieu. C’est un constat. Pas une attaque, pas même une critique. Il arrive que des textes considérés comme difficiles au moment de leur écriture révèlent leur force et leur pertinence plus tard. Se taire fait partie de ces textes qui rendent inconfortables parce qu’ils mettent le doigt sur un problème fondamental, qu’on feint de ne pas voir parce que trop pénible à regarder. Au fond, le village où « même les adolescents sont résignés » ne veut peut- être que retrouver son « murmure rassurant et bénin ».

La révolte ici et maintenant ne serait plus qu’une autre forme de divertissement en attendant…

Michel Ouellette

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Personnages Christine, dite Alex, 16 ans

Alexandra, fin trentaine ou début quarantaine Marguerite, dite la Prédicatrice, soixantaine vigou reuse Chœur des Silencieuses, seize femmes de 50 à 80 ans Un village où la parole n’a pas encore tout à fait cédé Lieu

la place au bruit de fond.

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1. Prologue : « Le retour se vit un pas à la fois »

Arrive Alexandra ; elle a quarante ans bien fatigués.

Elle porte le poids du monde sur ses épaules. Le poids de ce qu’elle devra accomplir. Depuis des mois, elle ne ferme plus l’œil. Des rêves troublants l’éveillent et lui rappellent qu’elle ne pourra pas fuir ses origines à tout jamais.

Elle a compris, une nuit, qu’il lui faudrait rentrer chez elle et accomplir cette tâche : taire la voix qui ne lui inspire que méfiance.

Le retour se vit, un pas à la fois, depuis la traversée océane jusqu’à la route du village qu’elle foule aujourd’hui en direction inverse. Qu’a-t-elle accompli au cours de ces seize années d’exil ? Rien, sinon des fuites, des feintes. Seize ans de songes inquiétants, le regard et le souvenir fixés sur ce village qui n’était plus le sien.

Un village qui ne voulait plus d’elle, qui l’avait rejetée et propulsée dans le vaste monde.

Et cette longue lame de rasoir qu’elle trimbale depuis déjà seize ans ne l’a jamais quittée. La lame lui a souvent servi pour tenir à distance les importuns

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qu’elle rencontrait inévitablement lors de ses voyages.

Elle l’affile le soir par désœuvrement depuis si longtemps que le geste est devenu routinier.

Le village au loin.

Le voilà, ce village de malheurs. D’où lui vient ce pincement au cœur devant ce village qui n’est plus que souvenirs et spectres ? Elle y entrera comme une revenante, celle qui a tant accablé les gens avec des prophéties que personne n’a jamais crues. Voilà sa malédiction : voir et avertir sans être entendue. Voilà pourquoi elle a pris le pari du silence.

Elle ne parle plus depuis le début de son exil, il y a seize ans. À quoi bon ? Personne ne l’a jamais crue. Elle porte en elle le tracé de tant de vies, l’inévitabilité des actions. Les mensonges qu’on se raconte, les illusions qu’on se fait croire. Tout ça en elle. Après s’être réfugiée dans le silence, elle s’y est trouvée étrangement bien.

L’idée ne lui vient même plus de parler.

Ce parfum — on vient de faire les foins ; à l’entrée du village, le garage suinte d’huile. L’angélus du soir sonne au loin. Ce ciel dégarni, ouvert, ce ciel que rien n’empêche de considérer.

Les odeurs du village, sa rumeur, sa lumière.

Alexandra se gave de tout cela alors que ressurgissent les souvenirs qui l’amènent à comparer, à attester, à constater ce qui a changé au cours de son absence prolongée.

Une femme étrange à l’entrée du village. Il y en avait régulièrement. Aujourd’hui, c’est elle l’étrangère, porteuse d’un bagage inquiétant, parce qu’inconnu et insoupçonné.

Voilà des enfants qui s’excitent, qui courent déjà en éclaireurs annoncer la venue d’une étrangère. Leurs parents la reconnaîtront-ils ?

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Ce qu’elle veut plus que tout : revoir la petite Christine, la fille de François, celui qui l’a exilée.

Christine est née l’année de son départ il y a seize ans.

Qu’est-elle devenue ? Connaît-elle même l’existence de celle qui avait prédit la mort de sa mère ; de celle qui avait prédit ce premier malheur ? Retrouver aussi sa troublante tante Marguerite, la seule qui à l’époque savait l’écouter. La prendre dans ses bras et la consoler, malgré le drame de sa propre vie.

Surtout — et c’est ce qui l’a menée sur la route du retour —, trouver la sorcière qui trouble ses songes, celle qui parle en son nom, qui colporte des visions d’horreur et qui l’empêche de dormir. Couper cette langue sale, médisante, enjoliveuse. Mettre fin aux exordes, aux ululements indécents de cette prédicatrice qui prêche en son nom un avenir terrible. Taire celle qui, par son infecte logorrhée, transforme à chaque énoncé l’avenir des siens, le soumettant à des fantasmes destructeurs. Redonner place au murmure rassurant et bénin du village.

Justement, le murmure se fait entendre. Sauf qu’il y a en son cœur un trou silencieux qu’une Prédicatrice tente d’emplir.

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2. Exorde : « C’est tout mon corps qui m’annonce qu’elle sera bientôt auprès de nous »

La Prédicatrice

au chœur des Silencieuses

Venez, venez ! J’ai quelque chose à vous dire.

Venez, mes chères. Arrive Ginette, je t’attends depuis trop longtemps, venez Rolande, Chantal, dépêche-toi Blanche, allez, Eva et Martine, un peu plus d’entrain ; ce n’est pas le temps de faire la mine Sheila, Berthe, Estelle, Florence. Ah, te revoilà, Jeanne, ça va mieux ? Suzanne, aide un peu Régine, elle a du mal à marcher. Giselle, Juliette, Céline ; avancez, avancez. Et bien sûr, Monique, toujours à la remorque du groupe !

Mes chères amies, mes sœurs, mes alliées dans le silence et dans l’attente du retour d’Alexandra…

En vérité, je vous le dis, c’est tout mon corps qui m’annonce qu’elle sera bientôt auprès de nous !

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J’ai rêvé qu’Alexandra rentrait de son exil. Elle tirait derrière elle une wagonnette dans laquelle se trouvaient des cadeaux rapportés de pays exotiques, des pays dont on n’a jamais même soupçonné l’existence. Celle qui n’a pas parlé depuis son départ se taisait toujours.

Vous vous souvenez du regard d’épouvante qu’elle avait ? Souvenez-vous de ses derniers mots : « Faudra- t-il se taire, alors ? ». Une manière de réponse posée comme une question. La conclusion d’un débat intérieur qui l’avait accablée pendant des semaines suivant la mort de la pauvre Francine — qu’elle repose en paix. Comme d’habitude, personne ne l’avait écoutée, personne n’avait cru à la mort tragique de Francine à la naissance de la petite Christine. Personne. Pas une d’entre nous n’avait saisi ce qu’Alexandra nous disait. Elle nous l’avait pourtant répété plusieurs fois que cette pauvre femme allait mourir. Comme à chaque fois, nous n’avions rien entendu. Sa seule réponse ? « Faudra-t-il se taire, alors ? » Depuis, plus rien. Elle s’est emmurée dans son silence.

S’est-elle tue parce que la prophétie était si terrible, si abjecte qu’elle n’arrivait pas à l’articuler ? Ou bien est-ce que c’était en réaction à nos

violences, à notre indifférence à chaque fois qu’elle prononçait une vérité ?

C’est en souvenir de ce départ, en souvenir de ces prophéties, en souvenir de celle que nous avons exilée plutôt qu’écoutée que vous vous taisez toutes aujourd’hui. Mes sœurs, je devine son retour au

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plus profond de mon être. La sentez-vous qui approche du village ? Le fond d’ennui placide qui nous enveloppe depuis des années est en voie de se dissiper. Alexandra rentre chez elle. Elle revient s’assurer que nous avons bien saisi la leçon.

À sa question « Fallait-il se taire », nous répondons : « Oui, il le fallait ! » Il le fallait pour que notre présence soit entendue. Il le fallait pour redonner au village sa conscience. Il le fallait pour éviter que le village ne perde son âme. Il le fallait pour que nous puissions reprendre l’autorité morale ; pour éviter de sombrer dans l’insignifiance.

« Fallait-il se taire ? » Oui, en effet, comme Alexandra, pour elle et pour le salut de notre communauté.

Entre Christine, dite Alex. Elle se fait discrète et écoute l’exorde de Marguerite.

Se taire, sans se poser de questions, en hommage à celle qui avait toujours eu raison et que nous avons toutes été trop bêtes pour comprendre. Toutes trop occupées à raconter n’importe quoi plutôt qu’à l’écouter. Lorsqu’elle rentrera de son exil honteux

— honteux puisque imposé —, elle nous retrouvera, nous les Silencieuses, et elle ne sera pas peu fière de notre silence contemplatif. Ce silence, elle le préconisait comme antidote à l’horreur qu’elle devinait. Ce silence devait être une prière, un don, un engagement à changer le destin du village. Nous tromperons le destin !

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Alexprovocante, mais calme

Foutaise. Balivernes. Fantasmes de vieilles désœuvrées.

La Prédicatrice

poursuivant malgré l’interruption

Il faudra l’accueillir avec notre silence rédempteur.

Il faudra la protéger des impies et des langues fourchues.

Alexremarquant Alexandra qui écoutait également depuis un moment

Tiens, une nouvelle disciple ? C’est rendu que tu les attires des villages avoisinants ?

Temps. Elles regardent toutes cette femme. Alexandra les reconnaît. La Prédicatrice et le chœur mettent un moment avant de comprendre qui se trouve devant elles.

La Prédicatrice

incrédule

C’est toi ? Alexandra ! Alexandra…Alex

La Prédicatrice

proclamant

Elle est parmi nous !

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La foule s’avance vers Alexandra, mais la petite Christine s’interpose et entraîne Alexandra par la main.

Christine et Alexandra courent plus que nécessaire, s’abandonnant au mouvement de leurs corps projetés loin de la Prédicatrice et de ses Silencieuses. La course spontanée rapproche les deux femmes. Christine regarde avec étonnement celle qu’elle croyait exilée à jamais.

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Achevé d’imprimer

en novembre deux mille dix sur les presses de l’Imprimerie Gauvin, à Gatineau (Québec).

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Il y a seize ans, Alexandra a quitté son village en disgrâce. Tout comme Cassandre, elle avait le don de prophétie mais la terrible malédiction qu’on ne la croit jamais. Son départ a laissé un trou béant.

Sa tante Marguerite a cherché à le combler en fondant un culte voué à sa mémoire. La jeune ado lescente, Christine, rêve au retour d’Alexandra,

« l’oracle qui dérange », la « statue géante dorée » partie le jour de sa naissance.

Aujourd’hui, Alexandra rentre, épuisée, au bercail.

Celle qui, à l’époque, troublait par ses visions ne dit plus rien. Aphone, elle inquiète d’autant plus les villageois. Pourquoi être revenue après seize ans ? Que cache-t-elle de si terrible qu’elle n’en dit rien ?

LOUIS PATRICK LEROUX a fondé, à Ottawa, le Théâtre la Catapulte, qu’il a dirigé au cours des années 1990. Il est l’auteur d’une tren­

taine de pièces théâtrales et radiophoniques, dont La litière (1994), Rappel (1995), Le rêve totalitaire de dieu l’amibe (1995) et Dialogues fantasques pour causeurs éperdus (2008). Après des études à Ottawa, Montréal et Paris, il enseigne aujourd’hui l’écriture dramatique et la littérature à l’Université Concordia à Montréal.

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