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Les organisations de jeunesse catholiques guadeloupéennes au XXe siècle. Une histoire de l’identité créole

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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P. Gastaud, « Les organisations de jeunesse catholiques guadeloupéennes au XXe siècle. Une histoire de l’identité créole », Revue Outre – Mer n ° 344 - 345, 2004.

LES ORGANISATIONS DE JEUNESSE CATHOLIQUES GUADELOUPEENNES AU XXème SIECLE. UNE HISTOIRE DE L'IDENTITE CREOLE.

RESUME

L’objet de notre étude est centrée sur l’éducation de la jeunesse guadeloupéenne, menée par l’Eglise catholique locale, dans un contexte extra – scolaire, au XXème siècle.

Cette éducation est conduite par les prêtres du diocèse de Guadeloupe au sein des différentes paroisses. Notre travail étudie les sociétés sportives masculines et féminines, ainsi que le scoutisme catholique masculin et féminin. Le problème qui nous préoccupe est de dégager les objectifs poursuivis par ces systèmes éducatifs confessionnels, leur évolution au cours de la période étudiée, ainsi que les activités proposées aux jeunes de ces organisations, et destinées à atteindre ces objectifs. Dans un premier temps, la politique éducative de l'Eglise locale est indissociable d'une poursuite d'objectifs d'assimilation. Nous situons donc notre problématique autour des logiques assimilationniste et acculturatrice qui sous - tendent les actions éducatives des organisations de jeunesse. Dans un second temps, cette éducation se poursuit dans un contexte d'émancipation identitaire des Guadeloupéens et d'émergence d'une prise de conscience d'une culture locale spécifique. Les organisations de jeunesse apparaissent ainsi comme des indicateurs pertinents des politiques éducatives de l'Eglise en révélant les finalités réellement poursuivies en fonction des contextes définis par des périodes différentes de l'histoire de l'archipel au XXème siècle.

MOTS CLES : Organisations de jeunesse. Guadeloupe. Catholicisme. Assimilation. Identité.

Sports.

THE CATHOLICS MOVEMENTS FOR GUADALUPEAN YOUTH IN THE XX

TH

CENTURY . THE HISTORY OF THE CREOLE IDENTITY

SUMMARY

The object of this work is centred on the study of the education of Guadalupean youth,

led by the local Catholic Church, in an extra-curricular context, in the XX

th

century. Through

our work, we study the sports societies for men and women, and the catholic scout movement,

for men and women as well. The problem is to find out the objectives pursued by these

denominational educative systems, their evolution throughout the period we studied and on

the activities proposed to the young people of these organisations and destined to attain these

objectives. Firstly, the educative policy of the local Church cannot be separated from the

objectives of assimilation pursued. We place our problematic around the assimilation and

acculturation logic which underlie the educative action of the youth societies. Secondly, this

education is led in a context where the Guadalupeans are demanding their own identity and

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have become aware of their own specific local culture. The youth societies appear then as relevant indicators of the educative policy of the Church since they reveal the genuine aim pursued in relation to the context defined by the different period in the history of the archipelago in the XX

th

century.

KEY - WORDS : Youth movements. Guadalupe. Catholicism. Assimilating. Identity.

Sports.

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INTRODUCTION

Notre travail, issue d'une thèse de doctorat, a pour objet d'étude l’éducation extra – scolaire de la jeunesse guadeloupéenne, menée par l’église catholique, entre 1920 et 2000.

Nous centrons notre analyse sur l’éducation menée par les prêtres au sein des organisations de jeunesse qu'ils implantent dans les différentes paroisses du diocèse de Guadeloupe.

Dans un premier temps, cette éducation se situe dans un contexte colonial où la politique d'assimilation

1

à la mère - patrie est centrale. Dans un second temps, elle se poursuit dans un contexte d'émancipation identitaire des guadeloupéens et d'émergence d'une prise de conscience d'une culture locale spécifique. Au sein de cette éducation, les pratiques corporelles occupent une place centrale. Mais au - delà de l'analyse des supports éducatifs utilisés, notre travail nous amène à étudier l'avènement de "l'identité créole" au XXème siècle.

Nous avons étudiées les "Groupes de Sonis", sociétés sportives masculines des patronages affiliées à la Fédération Gymnastique et Sportive des Patronages de France (actuelle Fédération Sportive Culturelle de France), ainsi que leurs homologues féminins, les "Rayons Sportifs Féminins" (RSF), affiliées d'abord à la Fédération Nationale des RSF, puis à la FGSPF. Notre étude porte aussi sur les Scouts de France (SDF), mouvement masculin du scoutisme catholique, et sur leur homologues féminins, les Guides de France (GDF). Ces organisations de jeunesse ont pour point commun une éducation centrée sur une formation morale, sociale et physique. Les activités physiques, sportives et non sportives, constituent des moyens privilégiés d’éducation au sein de ces organisations.

Ce qui nous préoccupe est de savoir en quoi les organisations de jeunesse constituent un intérêt éducatif pour l'Eglise Guadeloupéenne ? Au sein de ces groupements, quelles sont les activités support d'un message éducatif pertinent pour l'Eglise ? Notre but est de brosser un

"panorama" de l'évolution des finalités et des contenus spécifiques à ces organisations de jeunesse sur le siècle. Cette évolution, dépendante des transformations sociales, nous conduit à comprendre, dans un premier temps, comment s’opère l’assimilation d’un peuple par un autre au sein d'un système éducatif ; puis dans un second temps, comment l’émergence d’une

1 L'assimilation est destinée à transformer progressivement les indigènes en Français (Savarese, 1998).

L’assimilation sociale se définit comme “ le processus par lequel un ensemble d’individus habituellement une minorité et / ou un groupe d’immigrants se fond dans un nouveau cadre social, plus large, qu’il s’agisse d’un nouveau groupe plus important, d’une région ou de l’ensemble d’une société ” (Encyclopédia Universalis, 1998). En Guadeloupe, le cadre social est issu de la culture française métropolitaine que l'Etat tente d'imposer aux populations qu'il colonise. Elle recouvre diverses dimensions dont l'éducation demeure un axe prioritaire (Savarese, 1998) . Mais il faut aussi considérer le processus d'assimilation comme une volonté de transformation de la part de celui qui est assimilé dans une logique de promotion sociale. Elle suppose l'adhésion aux valeurs du groupe dominant (Dumont, 1999). Dans les colonies, l'assimilation devient un moyen d'améliorer physiquement et moralement des races jugées primitives. Les colonies doivent devenir des réservoirs de main d'œuvre et de soldats (Deville - Danthu, 1995).

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identité culturelle transforme la société, les pratiques qu'elle véhicule, et les systèmes éducatifs qu'elle génère.

Ainsi, dans une première partie du XXème siècle, la hiérarchie ecclésiastique catholique locale, par l’intermédiaire de ses organisations de jeunesse participe pleinement à l’entreprise assimilatrice de l’état français dans ses colonies. Nous faisons là l'hypothèse, qu'au sein de ces organisations, les pratiques corporelles servent de support à des finalités assimilatrices et acculturatrices. Les activités corporelles, par le type de contenus qu’elles transmettent et par la façon dont elles organisent leurs mises en œuvre pédagogiques (modes de regroupement ; modalités de gestion des groupes…) participent à cette logique d’assimilation.

Inversement, certaines pratiques vont favoriser l’émergence d’une prise de conscience identitaire créole, qui gagne la société dans la décennie 1950, et qui s'affirmera par la suite.

Notre seconde hypothèse postule que, de par leur milieu d’évolution et de par les relations que ces pratiques instaurent entre les pratiquants et avec la société, l’expression d’une identité créole peut apparaître, jusqu'à faire évoluer l'organisation vers des finalités et des pratiques identitaires (dans les deux dernières décennies du siècle).

Dans une première partie nous présenterons la méthodologie utilisée dans notre travail.

La discussion nous mènera ensuite à dégager les objectifs poursuivis et les activités pratiquées au sein de ces organisations de jeunesse. Cela nous permettra de faire émerger, dans un premier temps, les axes d’assimilation dont ils sont porteurs, et dans un second temps les axes identitaires créoles. Trois périodes sur le XXème siècle rendent compte de ces transformations: une période coloniale durant laquelle les finalités sont centrées sur l'assimilation (1913-1950) ; une période de prise de conscience identitaire (1950-1976) et de finalités centrées sur le renouveau culturel ; une période d'affirmation de "l'antillanité" (1976- 2000) et de finalités pluriculturelles, caribéennes.

I/ METHODOLOGIE : Analyses quantitative et qualitative

La méthodologie utilisée dans notre travail repose sur une analyse des données chiffrées issues des recensements des effectifs des sociétés juvéniles catholiques guadeloupéennes, et sur une analyse sémantique des sources écrites et orales.

L'analyse des données chiffrées nous permet dans un premier temps, de faire émerger une

périodisation générale de l’importance des organisations de jeunesse catholiques sur la totalité

du XXème siècle. Les variations du taux d'adhésion permet de dégager des permanences et

des ruptures définissant des périodes. Dans un second temps, cette analyse quantitative nous

permet d'appréhender l'importance des organisations étudiées dans les paroisses (comparaison

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des effectifs avec d'autres organisations, proportion des adhérents par rapport à l'ensemble des enfants inscrits au catéchisme dans les différentes paroisses…). Enfin, certaines données issues des Annuaires statistiques de l'INSEE nous permettent de comprendre les contextes économiques et sociaux dans lesquels évoluent les organisations de jeunesse étudiées.

L’analyse sémantique est appliquée à deux types de sources : aux documents écrits (ouvrages, articles des bulletins de l’évêché du Diocèse de Guadeloupe, statuts fédéraux, articles de la presse d'information…) ; et aux réponses d’entretiens guidés. Cette analyse sémantique s'articule en trois temps : nous avons tout d'abord calculé l'occurrence d'apparition des mots des réponses de tous les interviewés, classés par questions (Blanchet, 1985. Grawitz, 1993). Nous avons ainsi mis en évidence la fréquence d'apparition des mots des réponses.

Dans un second temps, en analysant "l'environnement" des mots relevés, nous avons dégagé des thèmes dominants qui ont été retenus comme unité d'enregistrement et que nous avons catégorisés pour construire l'argumentation. La fréquence d'apparition de certains thèmes dans les propos des anciens (sur la totalité des entretiens) permet de les considérer comme "vrais"

et de les admettre comme réalités historiques. Une analyse identique a été menée pour les documents écrits.

Dans ce travail, nous avons multiplié les sources afin de comprendre la société guadeloupéenne et le rôle tenu en son sein par les organisations de jeunesse catholiques, mais aussi afin de corriger les distorsions de la mémoire des anciens membres des organisations.

Cette mémoire est déformée par le temps, mais elle est aussi difficile à cerner car elle correspond à un système de pensée d'une époque précise, révolue, qu'il s'agit de faire revivre.

L'analyse de sources différentes et variées nous permet de dégager la réalité d'une époque. La comparaison avec les dires des anciens acteurs permet les corrections des erreurs de la mémoire, et d'approcher la vérité.

II/ RESULTATS ET DISCUSSION (Histogrammes n°1 à 4)

Trois périodes se dessinent à l'analyse de l'évolution des effectifs : une première période (1913-1948), qui voit la domination des Groupes de Sonis. Leurs effectifs sont maximum, les RSF sont bien représentés, alors que les SDF et les GDF commencent à peine à se structurer.

En seconde période (1950-1976), les courbes s'inversent alors que les effectifs des Sonis

régressent, ceux des SDF augmentent considérablement tout comme ceux des GDF. En

troisième période (1976 - 2000), seuls les SDF parviennent à maintenir leurs effectifs. En

s'adaptant à l'évolution de la société Guadeloupéenne, ils connaissent un accroissement des

adhésions à partir du milieu de la décennie 1980.

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II-1/ 1

ère

période : 1913 – 1950. Les organisations de jeunesse catholiques guadeloupéens comme outils d'assimilation coloniale.

Les organisations de jeunesse s'enracinent dans des modes de production et des systèmes sociaux. Quels sont les groupes et les systèmes sociaux porteurs de ces organisations et de leurs pratiques ?

II-1-1/ Les "personnages"

Les organisations de jeunesse catholiques guadeloupéennes sont à l'instigation de personnages qui bénéficient d'une certaine notoriété dans les communes de l'archipel : les prêtres, essentiellement métropolitains. Ils sont "porteurs" de la problématique assimilationniste en incarnant et en véhiculant les valeurs de la France métropolitaine. Ainsi, l'Abbé Bioret fonde les premiers Sonis à Pointe - à - Pitre dès 1913. L'Abbé Durand, organisateur des premiers matchs de football dans la colonie, à Basse - Terre en 1914, fonde les Sonis et le scoutisme moulien. Enfin, l'Abbé Dugon, fondateur du mouvement scout basse - terrien, devient le premier président de l'Union Guadeloupéenne (1938), organe régional de la Fédération Gymnastique et Sportive des Patronages de France (FGSPF). Ces prêtres sont donc à l’origine des premières organisations de jeunesse et des sports qui les accompagnent.

II-1-2/ Influence du contexte politique

La mise en place des organisations de jeunesse s'inscrit dans une politique de conquête sociale et de lutte contre la laïcisation de la société guadeloupéenne. L'Eglise se heurte à la mise en place des lois laïques dans l'archipel

2

, et au développement d'organisations de jeunesse laïques qui occupent le terrain éducatif (Boys scouts français, Eclaireurs de France…). Elle se confronte aussi au développement des clubs sportifs dès le début des années vingt. Il s'agit alors pour les prêtres de mobiliser la jeunesse. La hiérarchie ecclésiastique voit dans les organisations de jeunesse catholiques des outils d’évangélisation et de lutte contre la montée de ces associations laïques. A ce titre les pratiques corporelles sont pertinentes. Leur introduction, en jouant sur le registre motivationnel des jeunes guadeloupéens, répond à ce contexte de lutte entre les laïques et les catholiques.

2 En Guadeloupe, la laïcisation de l'enseignement des garçons est effective en 1889, et celle des filles en 1900 (Abou, 1988). Le décret d'application de la séparation de l'Eglise et de l'Etat n’est effectif qu’à partir du 6 février 1911.

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Parallèlement, la mise en place des organisations de jeunesse catholiques s'inscrit aussi dans des finalités assimilatrices. Dans une société fortement hiérarchisée par l'appartenance raciale

3

, l'assimilation à la culture métropolitaine constitue la finalité première de l'éducation des jeunes antillais, qu'elle soit familiale, scolaire ou au sein des organisations de jeunesse.

Dans cette période, rien ne distingue les organisations guadeloupéennes de leurs homologues métropolitaines. L'éducation est centrée sur les valeurs françaises ; les activités sont

"importées". Les pratiques corporelles s'avèrent être alors des vecteurs pertinents de ces valeurs. Elles constituent un support à l’assimilation et à l’acculturation

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du peuple noir parce que représentatives d’un certain type d’homme à former, où patriotisme, force, discipline, virilité, sont valorisés. Ainsi, les organisations de jeunesse catholiques locales s'inscrivent dans une double stratégie politique de la part de l'Eglise : une lutte contre le laïcisme ; une volonté d'assimiler les antillais à la culture française.

II-1-3/ Influences des contextes géographique et économique

Les organisations de jeunesse catholiques naissent dans les paroisses à forte densité de population et qui ont une forte activité économique ou administrative. L'Eglise est bien implantée dans ces zones où se concentre la population. Si le scoutisme a une implantation principalement citadine (Basse - Terre, Pointe - à - Pitre, Le Moule…), les Groupes de Sonis se créent aussi dans les paroisses rurales, pôles économiques de la colonie, liés aux plantations et aux usines de transformation de la canne à sucre. Cette implantation dans des zones économiques dominantes assure ainsi aux organisations et aux paroisses une manne financière non négligeable. Dans ces pôles de richesse, les organisations de jeunesse bénéficient d'aides matérielle et financière de la part des usiniers blancs, ce qui n'est pas sans accroître leur dépendance aux riches planteurs, usiniers et commerçants. Aides financières et matérielles, comme à Port Louis ; mise à disposition de terrains sportifs, comme c'est le cas de

3 C. Celma (1980) caractérise la société Guadeloupéenne de la manière suivante : il distingue les grands propriétaires terriens et les maîtres des usines (blancs locaux et industriels français ; 8 à 10 % de la population totale), qui tirent leur puissance de la terre. Cette classe blanche contrôle l'appareil financier et domine le commerce. Elle emploie la quasi - totalité de la classe ouvrière de la colonie. Constituée essentiellement de noirs, ouvriers urbains (charbonniers, ouvriers du bâtiment), et ouvriers de la canne (60 000 ouvriers agricoles, 25 000 ouvriers dans les usines à sucre. Rapport Moretti, 1937), cette classe ouvrière forme la majorité de la population.

S'ajoute une classe moyenne de couleur constituée de mulâtres ou de noirs, qui forme la moyenne et petite bourgeoisie.

4 L'acculturation est le processus par lequel un groupe assimile une culture différente de la sienne. L'indigène reçoit ainsi la culture du milieu dominant auquel il appartient. En Guadeloupe, l'acculturation agit comme un phénomène d'adaptation sociale du groupe, consécutive à une désadaptation antérieure, due à l'esclavage. Ainsi, la langue créole, comme les activités traditionnelles guadeloupéennes, sont écartées. Pour certains auteurs, "le processus d'acculturation renvoie à la formation des élites, les écoles coloniales, comme les mouvements de jeunesse, sont des lieux d'incorporation de paradigmes étrangers." (Bancel, 1999).

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l'usine Darboussier dans le quartier du Carénage à Pointe - à - Pitre. Dans cette ville, l'argent vient principalement des blancs pays et des "békés" tels que les avocats Desgranges, Le Vallois ; ou de commerçants pointois comme Godmarchais, Maréchaux (patron des "Galeries parisiennes", un des plus grands magasins de mode de la ville), des établissements Bourel ou De Kermadec

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. Cependant, ces aides instaurent une dépendance financière entre les organisations de jeunesse et le pouvoir financier blanc. En ce sens, les premières se voient dépendantes de l'oligarchie blanche détentrice de l'essentiel du pouvoir financier de l'archipel.

Cette dépendance constitue un support d’assimilation non négligeable.

II-1-4/ Quels sont les axes d’assimilation de l’éducation menée dans les organisations de jeunesse ? Quels sont les indicateurs de l'assimilation ?

Comment les pratiques physiques, sportives ou non, participent - elles à cette logique acculturante et assimilatrice voulue par l'Etat français et relayée par l'Eglise locale ?

Chez les Sonis et les RSF, la gymnastique, le football, l’athlétisme, activités sportives importées des pays européens industrialisés introduisent de nouveaux cadres de pratique, de nouvelles sociabilités, des règles inédites. En apprenant des rôles inédits, en adhérant à des valeurs issues de la métropole, la jeunesse antillaise subit une mutation qui la fait s'adonner aux pratiques du groupe colon dominant. L'apprentissage des activités sportives provoque ainsi des déculturations et des réorganisations culturelles qui participent à l'assimilation des populations. Elles doivent être considérées comme des transferts culturels de la société métropolitaine vers la société antillaise. Le type d’activités physiques pratiqué est révélateur d’une volonté d’éduquer par des sports qui demandent effort, obéissance, persévérance, autant de valeurs chères à la pensée chrétienne et occidentale : la gymnastique et les mouvements d’ensemble demandent une rigueur importante ; l'athlétisme demande persévérance et entraînement. Il s’agit d’activités physiques à dominante biomécanique et énergétique dans lesquelles la reproduction de formes est centrale ; formes militarisées, rigides, standardisées.

La discipline individuelle et collective garantissent ici l’expertise gestuelle. Les orientations patriotiques constituent aussi un des aspects prégnants des finalités assimilationnistes.

L’organisation quasi militaire des mouvements de jeunesse façonne les jeunes antillais dans le moule du “ citoyen - soldat ” voulu par la République française. Les pratiques corporelles sont alors support à l’apprentissage du patriotisme et de la citoyenneté républicaine. Leur organisation dans une logique militaire implique obéissance, voire

5 Entretien avec C. Thibault, ancien Sonis du groupe pointois. Pointe - à - Pitre. 17 août 1999.

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soumission à une hiérarchie métropolitaine (défilés, mouvements d'ensemble, gymnastique aux agrès, dureté des conditions de vie…). Les stages de formation

6

en constituent des illustrations : “La section se met au garde à vous à l’arrivée du moniteur et le salut à 6 pas.”

Les marches jusqu’au stade se font en colonnes par trois : “à droite, à gauche, demi-tour...

On s’arrête, on repart, et la section comme un seul homme, docile obéit.”. Après la journée d’activités au stade et sur la plage, le retour se fait au pas cadencé, en chantant. Cette orientation paramilitaire prend en Guadeloupe une force particulière dans une logique d'assimilation qui fait du prestige du soldat un tremplin vers l'accession au statut du blanc.

Un dernier outil d’assimilation cultuelle réside dans les pratiques directement issues de la culture métropolitaine. Les Sonis montent des représentations théâtrales du répertoire classique français tels que Phèdre de Racine ou Le Malade Imaginaire de Molière.

L'acculturation joue comme une destruction, celle de la langue créole que le jeune Sonis doit

"oublier" pour mieux s'approprier celle du colon. Mais au – delà l'Eglise impose ici une histoire qui place les Sonis dans un cadre culturel commun avec les jeunes français, comme pour mieux imprégner les jeunes guadeloupéens des valeurs métropolitaines.

Chez les SDF, comme chez les GDF, mouvements importé par des prêtres métropolitains, l'assimilation s'exprime dans l'organisation, les finalités et les activités identiques à celles de la métropole. Chez les scouts, les pratiques corporelles agissent aussi comme un transfert culturel : formation du physique et amélioration de la santé par l'hébertisme les marches forcées, les grands jeux virils ou les activités sportives sont des pratiques corporelles métropolitaines en rupture avec les activités traditionnelles créoles (canots à voile, compétitions de char à bœufs…).

Les noms des premières troupes témoignent aussi de l’ancrage dans la culture métropolitaine : La première troupe de Basse - Terre, fondée par l'Abbé Dugon se nomme

"troupe C. Colomb". La référence se fonde sur les découvreurs qui ouvrirent le nouveau monde à la civilisation et à l'évangélisation des populations primitives. La troupe de Pointe - à - Pitre prend le nom du "Père Labat", prêtre missionnaire du XVII siècle, qui œuvra pour le maintien des Antilles dans le giron français, contre les Anglais et participa à la mise en place de l’industrie de la canne, et donc de l’esclavage. En se référant à ce prêtre blanc et au symbole lié au rôle des missionnaires durant la colonisation, les scouts de Pointe - à - Pitre s’ancrent dans une double problématique : celle de l’assimilation, et celle de l'allégeance à l'Eglise. La troupe de Saint - Claude prend le nom de "Maréchal Hubert Lyautey". Lyautey est

6 L’Echo de la Reine de Guadeloupe n° 259, mai 1939.

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une figure emblématique de la colonisation française, pacificateur du Maroc. Il est aussi un personnage important dans le scoutisme français.

La marque de la métropole s'inscrit aussi dans les uniformes que portent les premières troupes scoutes. Chemises à manches longues et pantalons en laine perdurent jusqu'en 1965 ! Conserver l'uniforme imposé par le siège parisien marque l'appartenance du mouvement local à celui de la mère - patrie.

Les Guides de France guadeloupéennes, pour leur part, se structurent dans le sillage du mouvement scout masculin, dans les mêmes années, et dans les mêmes paroisses : Moule, Pointe – à - Pitre et Basse - Terre. Objectifs, activités et organisations sont directement issus des directives du siège national. La formation des cadres, en assure l'adéquation. Mais en proposant des activités nouvelles dans la colonie, les GDF offrent aussi une possibilité de loisir féminin, encore rare à l'époque. En ce sens elles sont synonymes d'une certaine liberté par rapport au "carcan" éducatif familial. Mais aussi d'une possibilité d'émancipation des jeunes guadeloupéennes, en adoptant les modèles féminins métropolitains.

Enfin, par delà les clivages sociaux, le scoutisme guadeloupéen agit comme un miroir de la société en reproduisant les clivages raciaux dus à la colonisation. Ainsi les louveteaux Pointois comprennent trois meutes de "couleurs" différentes : "A Pointe - à - Pitre, en 1939, quand les scouts se sont créés, il y avait la meute des békés, la meute des mulâtres, et la meute des noirs. Il y avait trois meutes ! Cela dépendait de la couleur des cheftaines. (…). En plus de ça il y avait une hiérarchie : la meute A c’était la meute des békés ; la meute B c’était la meute des mulâtres ; la meute C, c’était celle des noirs. Au début on respectait la hiérarchie coloniale. On était en plein dans la colonie, dans le vécu colonial. (…). On vivait ça"

7

.

II - 2/ 2

ème

période : 1950 – 1976. La prise de conscience identitaire : les organisations de jeunesse catholiques comme révélatrices de crises et de transformations sociales.

II-2-1/ Les influences sociales

Les évolutions sociales vont générer des transformations au sein des organisations de jeunesse locales suivant trois axes d'influence.

7 Entretien avec Michel Feuillard, Saint Claude, le 14 mai 1999. SDF de 1939 à 1989. Il est Commissaire de Province de 1966 à 1989.

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Le premier, culturel, s'exprime par la reconnaissance et le rassemblement autour de systèmes d'expression populaires spécifiques à la Guadeloupe : l'art, la musique, les danses, les activités physiques traditionnelles. Cette prise de conscience s'inscrit dans une évolution culturelle plus large qui prend plusieurs voies dans la société :

▪ l'affirmation du courant de la négritude dont les chantres Léopold Sédar Senghor et Aimé Césaire dénoncent l'aliénation dont est victime le peuple antillais (Bangou, 1997). Dans cette mouvance, Frantz Fanon (1952) dénonce un inconscient collectif antillais forgé dans les valeurs du colon blanc par l’éducation. Cette assimilation est le fondement de l’aliénation des antillais. Ce qui caractérise la négritude «c’est le refus obstiné de nous aliéner, de perdre nos attaches avec nos pays, nos peuples, nos langues» (A. Césaire, 1981)

8

.

▪ Le renouveau du folklore local qui se positionne comme un vecteur des revendications identitaires des guadeloupéens. Une vague folklorique traverse le pays (danse, musique, fêtes, cérémonies traditionnelles, costumes féminins…).

▪ Les rencontres sportives deviennent aussi le support du folklore local (Dumont, 2002).

▪ La "Revue Guadeloupéenne" publie de nombreux articles sur l'archipel, et organise des conférences sur la culture locale au Cercle Guadeloupéen de Pointe - à - Pitre.

▪ La langue créole apparaît comme un outil puissant de ces revendications identitaires. Le Consistoire des Jeux floraux organise annuellement l'attribution de prix aux auteurs créoles.

▪ La reprise du carnaval à Basse - Terre et à Pointe - à - Pitre témoigne aussi de la bonne santé du folklore local.

Le second axe d'influence prend racine dans la réaction à un système politique et économique inadapté aux réalités locales, davantage axé sur les intérêts métropolitains, et l'oligarchie blanche locale, perpétuant le système colonial d'avant guerre

9

. Ainsi, la société guadeloupéenne reste une société profondément clivée où couleur de peau et catégories socio - professionnelles se confondent. La population noire, majoritaire, est essentiellement rurale

10

.

8 Le Monde du Dimanche, 6 décembre 1981.

9 Analysé précédemment par C.Celma.

10 Ainsi, l'exploitation de la canne reste l'industrie principale de l'archipel. Les exploitations sont partagées entre les usines, et les petits et moyens planteurs (au nombre de 22000 en 1954). Le colonat reste le plus répandu en Guadeloupe. Il s'agit d'une forme d’exploitation qui s’apparente au métayage. Le colon reçoit du propriétaire (le plus souvent l’Usine), un lopin de terre qu’il s’engage par contrat à cultiver en canne qu’il livrera à l’usine. Celle – ci retient un pourcentage de 10% à 20% de la valeur de la canne pour la location. Le colon peut cultiver un jardin et avoir quelques bêtes. En 1952, le Syndicat des producteurs - exportateurs de sucre et de rhum de la Guadeloupe estimait à 14% du total, le tonnage de cannes produites par les colons. Ce sont les grands usiniers

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La réaction à ce système colonial s'inscrit dans des revendications sociales et politiques, et dénonce la lenteur de l’application des lois de départementalisation et leur inadaptation à la Guadeloupe. Misère et chômage dans les milieux noir et indien ; niveau de vie inférieur à la métropole, sauf pour la classe dominante minoritaire… Ce système ne sera pas remis en cause par la loi de départementalisation de 1946, qui tarde à être appliquée, et qui laissera perdurer au - delà des années 60, la situation économique et sociale de la colonisation. Le PC local participe à ces revendications : il centre son action politique sur la prise de conscience de la spécificité guadeloupéenne. Les jeunes étudiants vivant à Paris en contacts avec les jeunes africains des mouvements indépendantistes, s'investiront dans ces revendications.

Le troisième axe d'influence est lié à l'évolution de l'Eglise Catholique guadeloupéenne qui, à partir des années 60, appliquant les directives du Concile de Vatican II

11

, va reconnaître l'existence d'une identité sociale et culturelle locale. Parmi toutes les réformes entreprises par le Concile, trois d'entre elles revêtent une importance centrale : ordonner les rites pour permettre la participation active de l'assemblée, ce qui va rapprocher les prêtres des fidèles ; revenir à des formes primitives du culte ; et simplifier le langage, afin d'être mieux compris. Le premier principe aura pour conséquence une participation plus active des guadeloupéens dans la vie de l'église, et une implication du clergé dans les problèmes sociaux inhérents aux classes défavorisées. Le second principe aura pour effet de rompre avec un dogme d'apparat, fait d'ornements et de luxe. Les églises de l'archipel voient leur cœur perdre leurs immenses tentures de dentelles et de velours rouge, pour ne plus abriter qu'un autel dépouillé et un christ en croix. Cette évolution contribue à rapprocher l'Eglise et sa hiérarchie des fidèles, et donc d'en saisir plus finement leurs problèmes et leurs revendications. Enfin, la simplicité du langage veut que le latin, incompris des fidèles, laisse la place aux langues nationales. En Guadeloupe la messe est dite en français, et la question d'une messe en créole est posée. Dans la décennie 1980, certaines prêtres célébreront la messe en créole. La langue se pose ici comme un vecteur de communication évangélique, mais participe aussi d'une reconnaissance culturelle de la part de l'Eglise. L'arrivée dans le diocèse des prêtres guadeloupéens, et notamment la nomination de Mgr. Oualli, guadeloupéen,

qui fournissent la majorité du tonnage de la canne. L'industrie principale de l'archipel est donc essentiellement sucrière et rhumière. A côté de la canne, d'autres cultures commencent à se développer. La banane, le café, le cacao, la vanille, le coton, les cultures vivrières et maraîchères, les fruits, l'élevage sont des alternatives à la monoculture de la canne. La pêche reste artisanale (3000 pêcheurs et 7000 embarcations en 1954).

11 Le deuxième Concile du Vatican se déroula du 11 octobre 1962 au 8 décembre 1965, en 4 sessions sous les pontificats de Jean XXIII et de Paul VI. Ce Concile fut réuni pour assurer le renouveau de l'Eglise face au monde moderne et pour restaurer l'unité chrétienne.

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comme Evêque du diocèse en 1970, va accélérer les transformations de l'Eglise locale et son ouverture sur la spécificité de la société Guadeloupéenne.

II-2-2/ Les finalités et les activités poursuivies par les organisations de jeunesse étudiées A partir des années cinquante, la crise identitaire de la société guadeloupéenne va provoquer des crises internes au sein des organisations de jeunesse catholiques. Elles vont évoluer dans des directions différentes.

Les scouts Guadeloupéens vont adapter leurs activités et leurs modes de fonctionnement. La question que l'on se pose alors est de savoir comment les activités participent à cette logique d'émergence identitaire ? Qu'est - ce qui dans les activités pratiquées dans le scoutisme guadeloupéen peut - être support à une prise de conscience identitaire ?

L'importation en Guadeloupe de l'éducation "raider"

12

par Ginet Brument

13

dès le début des années 50, va transformer les conceptions du scoutisme local et participer à une meilleure connaissance de leur pays par les guadeloupéens. L'influence des techniques commandos développées durant la seconde guerre mondiale, l'orientation nette vers la débrouillardise et la formation sportive, les raids en équipes et en solitaire, l'aventure, vont influencer les méthodes des scouts de Guadeloupe. Cinq orientations, voies d'ouverture sur les spécificités sociales, géographiques et culturelles de la région, se dessinent alors pour le mouvement guadeloupéen:

1) Le développement des aventures autonomes ou en groupes restreints qui immergent le jeune scout dans le milieu naturel et humain qui l'environne. Les pratiques corporelles jouent ici un rôle central. Les pratiques physiques en milieu naturel, et l'utilisation du milieu que ces pratiques impliquent, agissent comme des moyens de cette prise de conscience. Marches, raids et explorations ne peuvent être menées à bien qu'en évoluant par rapport à ce que présente le relief et le climat. Le Père Chalder

14

mentionne les "24 heures", raids

12 Le programme Raider est bâti autour de cinq axes (mis en place en métropole par Michel Menu dès 1947) : 1) le woodcraft, littéralement "travail du bois", c'est à dire plus largement, la connaissance de la nature

et des techniques qu'elle permet (travail du bois, connaissance de la flore et de la faune…) ; 2) le missionnaire, qui reste dans la lignée d'avant guerre et la volonté d'évangélisation.

3) le sportif (approche nouvelle clairement mise en avant par les dirigeants des SDF) ; 4) le conducteur et le mécanicien ;

5) le service volontaire, c'est à dire l'aide à la population.

13 Ginet Brument : ancien scout de Pointe à Pitre. Il a été au mouvement de 1943 à 1955, soit pendant 12 ans. Il est jeune scout en 1943 et dès 1948 il est Adjoint au Chef de Troupe à Pointe à Pitre avant d'être Chef de Troupe jusqu'en 1955. En 1955, J. Rivier prend sa succession à la tête de la troupe pointoise.

14 Albert Chalder : en 1948, il y rentre en tant qu'éclaireur. En 1955, jeune séminariste, il est assistant du chef de poste, avant de l'être lui-même. En 1971-1972, il devient aumônier départemental à la suite du père 0. Lacroix.

Mise à part un intérim de 2 ans, assuré par le père S. Cyrille, il reste en fonction jusque en 1993. Le père A.

Denecy assure sa succession tandis qu'il devient adjoint de celui-ci.

(14)

physiquement éprouvants : "On faisait aussi ce qu'on appelait les "raids 24 heures" ou bien

"les 24 heures". Surtout avec les Pionniers. Les jeunes partaient dans la nature, et ils avaient un point précis à découvrir. C'était de la topographie. Ce sont des activités très dures". Les jeunes scouts doivent se débrouiller durant une journée pour trouver leur nourriture (pêche et cueillette étant les plus utilisées), pour s'orienter, mais aussi maîtriser les méthodes de transmission, se débrouiller en mécanique, etc. L'aumônier retrace une activité de camp à Piolet qui consistait, en partant du camp, à rejoindre Petite Anse où les scouts faisaient leur promesse. "C'était des activités qui marquaient les gars. Ils rentraient crevés". Dans ce raid, la marche s'effectue d'abord dans la forêt où il faut parfois se frayer un chemin au coutelas tant la végétation est dense. La fraîcheur de la voûte de verdure rend toutefois la progression moins pénible ; cascades et ruisseaux permettent des haltes rafraîchissantes et délassantes. A la sortie de la forêt tropicale, c'est la descente vers la mer dans les épineux dont les "saint - domingues", arbustes pouvant atteindre deux mètres et fournis de longues épines, accrochent le sac et lacèrent les bras. Dans ces zones moins humide, le soleil rend la marche fastidieuse, et il faut s'arrêter souvent pour boire et éviter la déshydratation. C'est enfin l'arrivée sur la plage où les noix de coco que l'on va chercher sur l'arbre fournissent le remontant que le scout attend depuis son départ. Ces activités où le jeune scout guadeloupéen est confronté à lui - même et à la souffrance physique et morale, parfois seul, constituent sans doute une "bascule"

dans les objectifs du scoutisme local. Ces changements concernent à la fois la recherche du développement de la prise d'initiatives et de responsabilités, mais aussi une plus grande confrontation aux exigences du milieu naturel, et donc une meilleure connaissance de celui - ci. Pour le Guadeloupéen cela constitue une double rupture : rupture dans la perception de sa propre personnalité qui doit dépasser la soumission aux directives du blanc puisque soumis à lui - même, et qui lui permet de croire en ses propres possibilités exploités de façon autonome

; en ce sens une certaine émancipation se façonne ici. Rupture aussi dans la connaissance de son pays, puisqu'il doit en acquérir une maîtrise suffisante qui lui permette de survivre en autonomie complète. Sans nul doute ces raids contribuent à une ouverture vers les spécificités locales guadeloupéennes que peu d'enfants des bourgs ont l'occasion d'acquérir à cette époque.

2) Le Woodcraft et la connaissance de la nature qu'il favorise : la connaissance des bois de

froissartage et des techniques de construction deviennent fréquentes chez les SDF. Tout

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comme l'étude des plantes, des roches, de la nature en général qui induit de fait une découverte du local. En ce sens, ces activités constituent des outils spontanés de prise en compte d'une certaine "créolité". Mais une créolité non conscientisée : "Spontanément, les modes de vie des camps étaient quand même fait en fonction et du climat, et des relations sociales, et tout ça. Mais ce n'était pas théorisé. C'était comme ça, spontané."

15

3) Le passage de badges, dont certains étaient de fait adaptés aux conditions locales (BA, cuisine, froissartage, orientation, activités nautiques, natations…). J. Rivier

16

le mentionne à propos du "badge cuisine" : "Pour les badges c'était plus facile de se singulariser, car, par exemple, pour la cuisine, il était plus facile de faire de la cuisine locale. Donc ça, c'était plus spécifique."

4) Une préoccupation des problèmes du patrimoine local : les scouts introduisent des activités culturelles de découverte du patrimoine ainsi que la pratique de certaines activités créoles, telles que les contes ou les chants lors des veillées scoutes. A côté, les actions d'aide à la population (notamment avec la croix rouge) pour nettoyer des sites dévastés par des cyclones (Inès en 1966) ou pour mettre en valeur certains lieux historiques locaux (Fort Fleur d'Epée du Gosier…) ouvrent le scoutisme sur des préoccupations locales. En 1955, les scouts de Pointe à Pitre entreprennent le dégagement du fort Fleur d'Epée du Gosier. Abandonné depuis des dizaines d'années, ce fort est envahie par la végétation, donc inaccessible, et désaffecté.

L'entreprise débute après que les scouts aient invité le propriétaire de La Pergola au Gosier, l'un des premiers hôtels de Guadeloupe. Ce féru d'histoire, membre de la société d'histoire de la Guadeloupe, vient raconter à la troupe de Pointe à Pitre l'histoire de leur archipel. Il parle du fort Fleur d'Epée, à l'abandon. "Pour les jeunes ça représentait beaucoup, parce qu'il y a eu des combats épiques entre les français et les anglais sur ce fort. On a donc voulu réhabiliter le fort, à notre manière. Mais pour pouvoir seulement accéder au fort, il y avait un travail énorme, parce que c'était devenu une forêt. C'était couvert de flamboyants, et on ne pouvait plus circuler. On a donc dégagé." (J. Rivier). La première présentation du fort au public a lieu à la Saint Georges. Les scouts fêtent leur saint patron sur l'esplanade du fort, et

15 Entretiens avec Oscar Lacroix. Petit Canal. 30 janvier 1998 et 06 février 1998. Prêtre à Petit - Canal, il reste au mouvement pendant 36 ans, de 1936 à 1971-72. En 1936, il est louveteau à Basse - Terre, puis passe par les différents niveaux du mouvement. Il est aumônier départemental des SDF de Guadeloupe entre 1962 et 1972.

16 Entretien avec Jean Rivier. Pointe - à - Pitre. 04 Février 1998. J. Rivier est entré en 1939, chez les louveteaux de Pointe -à - Pitre. Il devient éclaireur en 1943, avant de devenir routier en 1949. En 1951, il est assistant du chef de troupe, avant de devenir lui-même C.T., toujours à Pointe - à - Pitre. En 1955, il est Chef du Groupe pointois. Il est aussi Commissaire de District (Grande - Terre), la même année. Si depuis 1964, il n'a plus de rôle effectif au sein du mouvement, il reste membre du Comité Départemental.

(16)

avec la multitude de bois qu'ils avaient coupée, ils construisent des installations en bois (abris, tables, bancs…). Le Commissaire de l'époque a fait don du pont en bois qui franchit le fossé du fort, pont construit dans ses ateliers. Ce type d'entreprise qui lie les activités culturelles aux activités spécifiquement scoutes, et qui favorise la réhabilitation du patrimoine par un travail physique important (défrichage, construction…), est mené par d'autres troupes, comme par exemple le nettoyage de plages ou l'ouverture de sentiers de randonnées pédestres. Ainsi, associés aux Guides de France guadeloupéennes, les scouts locaux aménagent des traces touristiques dans le massif de la Soufrière, pour la Saint Georges 1963. Pour cette même fête en 1970, ils aménagent la passerelle du Fort Saint - Charles à Basse Terre.

5) L'élargissement de l'aire sociale de recrutement participe aussi à cette prise de conscience identitaire. Le mélange des races en est un axe ; avec l’élargissement du recrutement, l’organisation scoute agit comme un outil de brassage. Alors qu'en première période, les SDF reproduisent les clivages sociaux et raciaux inhérents à la société colonialiste, mettant en place des troupes de couleurs, les SDF de cette période s'ouvrent au mélange des races et donc des catégories socio- professionnelles. Ce mélange des communautés au sein du scoutisme local favorise une meilleure connaissance et une meilleure tolérance des différentes communautés entre elles. Il participe à une meilleure compréhension de la diversité sociale et culturelle des guadeloupéens. Par - là même, ce brassage agit comme une ouverture du mouvement vers la prise en compte d'une spécificité locale. « Ces mouvements ont été des lieux d’antiracisme, non théorisé, mais vécu. (…). Dans les temps anciens, à l’époque où j’étais aumônier, j’ai souvent fait des camps de chefs scouts, de cheftaines de louveteaux, et il n’y avait pas de distinction. Il y avait quelques blancs, il y avait des mulâtres, il y avait des noirs »

17

. Tolérance et compréhension d'autrui favorise l'ouverture.

Les Guides de France guadeloupéennes après une progression des effectifs dans les années soixante et une timide ouverture à la créolité, ne parviendront pas à adapter leurs objectifs et leurs activités aux évolutions sociales de l'archipel. Les guides locaux disparaîtront dès la fin des années soixante dix, absorbées par les scouts masculins. La désaffection des guides guadeloupéennes résulte de plusieurs facteurs. L'absence de cadres fixes et formées n'est pas sans importance. L'encadrement local souffre d'un manque de stabilité due à l'absence d'établissements d'études supérieures dans l'île, jusque dans les années soixante. D'autre part, le guidisme guadeloupéen subit la crise du guidisme français des

17 O. Lacroix, idem.

(17)

années 1970. La désaffection du mouvement est générale en métropole. Dans certaines régions françaises les filles quittent les GDF pour les SDF, qui deviennent mixtes dès le début de la décennie 1980. Les scouts de Guadeloupe le deviennent en 1981, alors que le guidisme local disparaît. L'accroissement des possibilités de loisir tels que le développement des clubs sportifs (entre 1970 et 1976, la progression des licenciés sportifs est des 146 % !

18

), des activités culturelles ou des voyages, va rendre le scoutisme féminin quelque peu obsolète dans son organisation rigide et ses activités démodées.

Les sociétés sportives des Groupes de Sonis, contrairement aux scouts, voient leurs effectifs diminuer dès le début des années cinquante. Ils ne vont pas pouvoir opérer les transformations nécessaires pour s’adapter aux motivations et aux besoins de la jeunesse.

D'une part, leurs objectifs ne sont pas orientés vers l’action catholique et le service de la population, ce qui empêche les groupes de se pencher sur les problèmes sociaux des guadeloupéens. D'autre part, des pratiques ne sont pas tournées vers le milieu naturel, ce qui ne favorise pas la découverte du pays, ainsi que la prise de conscience de sa spécificité.

Certains Groupes de Sonis vont donc disparaître, d’autres abandonneront les activités sportives, et s’orienteront, vers les activités culturelles et musicales. Mais ils seront souvent absorbés et supplantés par les Cœurs Vaillants, mouvement d’action catholique orienté vers l’aide à la population locale.

Les Rayons Sportifs Féminins vont aussi se transformer dans trois directions : certains groupes deviendront des associations sportives conformes au modèle du sport fédéral, abandonnant ainsi les aspects patriotiques et militaires des décennies précédentes. D'autres se transformeront en "majorettes" dont la popularité dans l'archipel va croissante. Enfin, certains rayons seront absorbés par le mouvement des Ames Vaillantes, homologues féminines des CV.

II-3/ 3

ème

Période : 1976-2000. L'affirmation de "l'antillanité" du guadeloupéen : vers la reconnaissance d'une société multiethnique. Les SDG, un témoignage de cette reconnaissance identitaire.

Cette dernière période se caractérise par un ancrage très net de la société guadeloupéenne dans sa culture. Le scoutisme, seul mouvement de jeunesse étudié encore existant s’intègre dans cet évolution sociale (seul mouvement de jeunesse étudié encore existant).

18 Annuaire statistique de la Guadeloupe. 1971 - 1976. INSEE

(18)

II-3-1/ Les facteurs contextuels

Un certain nombre de facteurs contextuels nous semblent influencer directement les évolutions des SDG.

Tout d’abord, l'explosion de la violence indépendantiste du début de la décennie 1980, critiquée par beaucoup de guadeloupéens, va orienter davantage les revendications de la société sur le terrain du culturel que du politique. La décentralisation instaurée par l'Etat français socialiste favorisera ce glissement.

Se fait jour ensuite une prise de conscience d'une spécificité "métisse" de la culture locale, qui se veut être le résultat d’un syncrétisme des cultures amérindienne, européenne, africaine, indienne et proche – orientale (Bangou, 1997). La négritude laisse la place à

"l'antillanité" (Fortuné Chalumeau, Les vents du diable), sentiment d'appartenir à une société multiraciale, dans laquelle le noir n'est qu'un élément (Confiant, 1988). L'attachement à la culture africaine d'origine est dépassé au profit d'une réalité caraïbe multiculturelle (Condé et Cottenet - Hage, 1995).

De plus, les prises de positions de l'Evêché de Guadeloupe envers les problèmes

spécifiquement guadeloupéens favorise les évolutions du scoutisme local Ces prises de

positions s'avèrent franchement centrées sur la créolité, voire sur une certaine autonomie de la

Guadeloupe par rapport à l'Etat Français. Dès 1980, le Père Jack Manlius publie le point de

vue des prêtres guadeloupéens dans le numéro 288 du Bulletin de l'Evêché, L'Eglise de

Guadeloupe : " Pour nous, Antillais il n'est pas du tout indifférent de savoir que nous sommes

descendant de maîtres ou d'esclaves. Il n'est pas indifférent de savoir que l'homme antillais a

du mal à s'expliquer lui - même parce qu'on a coupé ses racines." Le clergé revendique le

droit à l'identité. Il se range du côté des tenants de l'antillanisation de la société, contre

l'européanisation grandissante. L'identitaire cristallise encore ici les prises de position des

prêtres guadeloupéens. Il s'inscrit dans un décalage ancestrale généré par la condition

d'esclave. C'est le passé qui est remis en cause ; c'est la colonisation qui est accusée : "Il n'est

pas indifférent de savoir que le colonisateur n'a jamais été un bienfaiteur de l'humanité et que

la colonisation nous a conduit pour survivre à nier jusqu'à la couleur de peau." Le Père

Manlius retrouve ici les arguments de la négritude. Si le clergé ne se déclare pas autonomiste,

les propos tenus par certains prêtres sont dans la droite ligne des orientations des mouvements

politiques autonomistes. Si elle condamne la violence, l'Eglise guadeloupéenne de cette fin de

siècle tourne le dos à la culture européenne pour s'affirmer dans la revendication identitaire

antillaise. Mgr Oualli oriente son diocèse vers une politique de valorisation de "l'antillanité".

(19)

"(…) ici on s'interroge sur l'identité guadeloupéenne et c'est dans cette recherche que l'Evangélisation se dit ; nous, les anciens, nous avons un effort à faire en ce sens."

19

Le message est clair : les actions de l'Eglise doivent se faire dans un souci de prise en compte de l'identité guadeloupéenne.

Enfin, la concurrence sévère que mène les associations du sport fédéral qui

"explosent" dans l'archipel entre 1970 et 2000 pousse les SDG à se transformer et à transformer leurs activités. Ainsi, entre 1970 et 1976, la progression des licenciés sportifs Guadeloupéens est de 146 %. Elle est de 116 % entre 1976 et 1983, et de 15,5 % entre 1983 et 1999

20

. Face à cet engouement pour le sport, le scoutisme se distingue par son ancrage culturel.

II-3-2/ Les finalités poursuivies par les SDG et leur ancrage dans l'Antillanité

Les scouts de Guadeloupe, après une crise dans les années 70, voient leurs effectifs remonter dès le milieu des années 80. Ainsi, l'antillanisation du scoutisme prend plusieurs directions : une participation plus active des jeunes dans la prise en charge de leurs activités grâce à une politique des projets qui va aider à l'ancrage culturel local ; l'aide aux populations qui s'intensifie et prend une orientation davantage "régionale" (vers les autres îles de la Caraïbe). Par l’utilité sociale le scoutisme local va mieux prendre en compte les besoins de la société ; enfin, la valorisation des traditions locales est un paramètre central de l'évolution du scoutisme.

II-3-3/ Les activités pratiquées

les Scouts de Guadeloupe transforment ainsi leurs activités en les orientant dans quatre directions principales. Premièrement, les activités de mise en valeur du patrimoine local se poursuivent (entretien des sentiers de randonnées et de sites ; nettoyage de plages…).

Deuxièmement, les activités sportives de pleine nature se développent cylotourisme, randonnées, kayak…). Si les marches et les explorations ont été, dans la période précédente, les premiers supports de la prise de conscience identitaire, les APPN en deviennent les moteurs. Troisièmement, l'introduction des activités traditionnelles créoles (culturelles et physiques) témoignent de cette reconnaissance culturelle. Pour les dirigeants du scoutisme guadeloupéen, il s'agit de faire comprendre aux jeunes qu'ils doivent aider à la mise en valeur de leur patrimoine naturel et culturel. Ainsi, G. Berry considère que les scouts jouèrent un rôle

19 L'Eglise de Guadeloupe n° 347, janvier 1983, Réunion de l'Evêque et de ses prêtres. 4 octobre 1982.

20 Annuaires statistiques de la Guadeloupe 1981 et 1985.

(20)

important dans le renouveau de la culture noire traditionnelle. C'est le cas de l'introduction des sketchs en créole lors des veillées ; il en est de même pour le Gwo ka

21

qui remplace souvent la guitare autour du feu. Durant les camps les jeunes apprennent à battre le tambour traditionnel, les filles à danser suivant ses rythmes. Les jeunes montent ainsi des spectacles de

« lewoz »

22

. L'introduction de ces pratiques marque un changement important du scoutisme local, qui s'ancre de façon significative dans la prise en compte des traditions. "Le gwo ka avait toujours était considéré comme tabou, misic a neg

23

" (G. Watt

24

). Ces pratiques intègrent maintenant les activités scoutes, et deviennent des moyens d'éduquer les jeunes à la musique. Cette valorisation de la culture traditionnelle s'inscrit dans l'affirmation de l'antillanité des guadeloupéens. Ces activités deviennent des vecteurs identitaires, à l'image de ce qu'ont entrepris certains pays africains dans les années soixante. Ainsi, le Sénégal de Senghor avait vu dans les activités traditionnelles des moyens de valoriser leur culture :

"L'importance accordée par les autorités sénégalaises aux pratiques traditionnelles était en adéquation avec les idées du président Senghor, chantre de la négritude particulièrement attaché à l'identité culturelle africaine" (Déville - Danthu, 1995). La transformation de la fête de la Saint Georges marque aussi un ancrage dans les réalités guadeloupéennes. Le "chô", grande ronde populaire où tout le monde est invité à entrer, va donner son nom aux grands rassemblements scouts de la Saint Georges, dans lesquels les différentes troupes sont invitées à participer. La transformation de la Saint Georges, fête internationale du scoutisme, en une fête spécifiquement guadeloupéenne en constitue un exemple fort. Enfin, les camps favorisent une "internationalisation" de cette créolisation du scoutisme ; en permettant les échanges avec les scouts des petites et des grandes Antilles, ils accentuent le sentiment d'appartenance à une communauté, à une culture.

II-3-4/ L’évolution des activités physiques

Dans cette problématique d'adaptation, les pratiques corporelles ont joué un rôle non négligeable. Centrées d'abord sur des sports tels que l'athlétisme, la gymnastique et le football, elles s'ouvrent aux activités de pleine nature et de découverte du milieu. D’abord support d’une inculcation des normes françaises (logique assimilatrice), elles vont devenir des vecteurs pertinents de l’identité créole (logique identitaire). D'abord "colonisantes", elles

21 Tambour traditionnel qui était joué dans les plantations par les esclaves noirs. Les danses traditionnelles se déroulent au son du gwo ka.

22 Lewoz : danse traditionnelle au son du Gwo ka.

23 "Musique à nègres" en langue créole.

(21)

deviennent "créolisantes". Les objectifs qui leurs sont assignés évoluent avec l'évolution politique des anciennes colonies : dans la période coloniale, ils sont centrés sur l'assimilation ; durant la période de départementalisation et de décentralisation, ils se centrent progressivement sur la prise en compte de l'antillanité du peuple guadeloupéen.

Cette évolution d'une prédominance des normes coloniales vers une centration sur le

"local", s'accompagne d'une transformation de la logique même des pratiques corporelles utilisées. On passe d'activités de type "mécanique" et "énergétique", modélisant, où l'inculcation se fait par une pédagogie disciplinaire (hébertisme, gymnastiques hygiéniques, athlétisme…) ; à des activités esthétisantes, véhiculant des symboles culturels locaux, identitaires (danses, Gwo ka, jeux traditionnels…) ; puis enfin, à des activités de pleine nature ouvertes sur l'archipel guadeloupéen. Les pratiques corporelles ne sont plus supports de modélisations des corps et des esprits, mais prétextes à ouverture vers l'environnement naturel et humain. Elles deviennent vecteurs de la prise de conscience d'une spécificité culturelle guadeloupéenne.

II-3-5/ "L'antillanisation" de l'encadrement : un indicateur de l'ancrage guadeloupéen Mais au – delà des ces finalités, les indicateurs de cette antillanisation sont ailleurs. De Jean Gothland

25

, métropolitain, arrivé en Guadeloupe jeune adulte, à M. Feuillard, blancs - pays

26

, né en Guadeloupe dans la classe blanche dirigeante, à G. Watt et C. Edouard, antillais, noirs de peau : la tutelle hiérarchique apparaît comme un indicateur de cette antillanisation progressive du scoutisme guadeloupéen sur le XXème siècle. Le "noircissement" progressif de la couleur de peau joue comme un révélateur.

C. Edouard, actuel Commissaire de District, incarne le scoutisme de la nouvelle génération, et il œuvre pour rendre le mouvement résolument guadeloupéen. Formé au début des années quatre vingt, il n'est pas un homme issu du modèle métropolitain des premières décennies, mais d'un scoutisme davantage en prise avec le local. Georges Watt Son prédécesseur, se définit comme celui qui a établi la transition avec l'ancienne approche du scoutisme. Il fut le premier CD noir, après avoir été l'adjoint de M. Feuillard. Ce dernier semble représenter davantage une conception plus ancienne du scoutisme, attachée aux

24 Entretien avec Georges Watt. Le Gosier. 18 avril 1999. Commissaire Départemental des SDF Guadeloupe jusqu’en 1994.

25 Jeune scout en France, marin, en 1956 il devient Commissaire de Province de Guadeloupe. Il quitte cette fonction en 1966.

(22)

valeurs des scouts de France. Issu de la bourgeoisie blanche créole, basse terrienne (son oncle fut maire conservateur de Basse Terre), au mouvement depuis 1939, M. Feuillard symbolise le scoutisme des premières décennies, mais aussi celui de l'ouverture des années soixante dix, qu'il favorisa.

II-3-6/ L'antillanisation des aumôniers scouts, un autre indicateur

L’Abbé Durand incarne la prégnance du modèle métropolitain du scoutisme local. Oscar Lacroix, son successeur, marque ce glissement progressif vers l'ancrage local du mouvement, et le début d'une rupture avec le modèle scout métropolitain. Le Père Lacroix, nommé aumônier diocésain des SDF en 1962, est blanc - pays, et profondément attaché à la culture guadeloupéenne, comme l'a montré son rôle dans la Direction Diocésaine

27

. (Notons qu’il appartient à la première promotion du Petit Séminaire local). En 1972, le Père Albert Chalder, mulâtre prend la succession d'Oscar Lacroix. Le clergé local se « noircit ». Il reste aumônier départemental des SDG jusqu'en 1993. Le père A. Denecy, noir de peau, jeune scout dans les années soixante dix, assure sa succession depuis 1993. Du Père Durand au Père Denecy, l'aumônerie scoute guadeloupéenne s'antillanise, tout comme la hiérarchie du mouvement, suivant ainsi l'affirmation du rôle des guadeloupéens de souche dans la vie sociale de l'archipel.

II-3-7/ La dénomination des troupes : un témoignage d'une spécificité affirmée.

Le changement de nom en "Scout de Guadeloupe" (1979) en constitue un symbole fort.

Les noms des troupes du début du mouvement, telle la troupe Lyautey de Saint Claude ou la troupe C. Colomb de Basse Terre, véhiculent des connotations coloniales. La troupe de Capesterre Belle Eau, qui voit le jour en 1960, rompt avec cette logique de référence à la mère – patrie en prenant le nom du "Général de Sonis", personnage emblématique guadeloupéen, né à Petit Bourg. Le choix de ce nom semble marquer un glissement entre des références purement métropolitaines, et des références strictement locales. Nous sommes là en présence d’une transformation des repères du scoutisme local, repères qui passeront de la mère – patrie à une spécificité Guadeloupéenne. Mais la rupture s'établit pleinement dans les années 1980

26 Guadeloupéens d'origine métropolitaine né en Guadeloupe. L'origine peut remonter à plusieurs générations.

Les blancs - pays sont à distinguer des "békés", descendants des premiers colons blancs arrivés dès le début de la colonisation.

27 La Direction Diocésaine est créée en 1961 par l'Evêque, Mgr Gay. Constituées de prêtres locaux, elle est chargée d'animer l'action de l'Eglise vers une meilleure prise en compte des besoins des fidèles. Cette Direction, amenée à se pencher sur les problèmes sociaux de l'archipel, est rapidement accusée d'être en accord avec les positions autonomistes.

(23)

avec l'adoption de références à des hommes de couleur. Ainsi, le groupe du Gosier opte pour le nom d'un des plus anciens membres du scoutisme basse - terrien, Georges Némausat, aujourd'hui décédé. Le groupe de Basse - Terre est rebaptisé "Groupe Georges Magloire", ancien scout, et un des premiers curés noirs de Guadeloupe, fondateur du Petit Séminaire, responsable de la Direction Diocésaine. La décennie 1990 marque la bascule de la reconnaissance de symboles métropolitains (ici, les noms des troupes), vers la reconnaissance de symboles créoles.

CONCLUSION

Trois périodes sont à distinguer dans l’évolution des organisation de jeunesse étudiées.

La première (1913-1948), assimilationniste, voit se développer des systèmes éducatifs de la jeunesse centrés sur les valeurs de la France métropolitaine. Les activités et les pratiques corporelles tels que les sports, importées, véhiculent les normes européennes : effort, rigidité, discipline, patriotisme. Gymnastique, athlétisme, hébertisme, randonnée, football, constituent les premières activités physiques pratiquées dans la colonie, introduites par les mouvements de jeunesse. Soumises à la hiérarchie ecclésiastique, les organisations de jeunesse façonnent le jeune Guadeloupéen dans le moule de la mère - patrie. La seconde période (1950-1976) voit naître un courant de revendication identitaire qui influence les organisations de jeunesse.

Opposition à l'assimilation, négritude… la société Guadeloupéenne rejette la culture blanche.

Seul le scoutisme (masculin et féminin) accroît ses effectifs. Sa popularité réside dans une ouverture aux réalités culturelles Guadeloupéennes. La prise de conscience identitaire s’exprime dans les finalités et les activités : mise en valeur du patrimoine local, explorations dans le massif de la Soufrière, interventions lors de catastrophes naturelles… Enfin une troisième période (1976-2000), durant laquelle l’affirmation de «l’antillanité» du Guadeloupéen se fait jour dans la culture locale, comme dans les préoccupations de l'Eglise.

Les scouts de Guadeloupe adaptent finalités et contenus aux spécificités de leur culture

«multimodale». Les activités traditionnelles, les activités physiques de pleine nature et les

échanges entre les scouts des îles de la Caraïbe, constituent les axes d'adaptation du scoutisme

local.

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