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Submitted on 3 Jun 2020
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Favoriser la biodiversité des prairies par une mesure agri-environnementale à obligation de résultat : Les
prairies fleuries du Massif des Bauges
Christine de Sainte Marie
To cite this version:
Christine de Sainte Marie. Favoriser la biodiversité des prairies par une mesure agri-environnementale à obligation de résultat : Les prairies fleuries du Massif des Bauges. Colloque Elevage à haute valeur environnementale : questions à la recherche. Concilier les enjeux environnementaux et la performance économique ?, Oct 2009, Clermont-Ferrand, France. �hal-01197835�
Lancement Bruno Rougier (journaliste scientifique à France Infos)
« Favoriser la biodiversité est un des engagements de la France. Une des moyens d’y parvenir passe par des mesures agri‐environnementales. Et l’on va s’intéresser à un exemple qui a été mis en place dans le Parc Naturel Régional du Massif des Bauges et qui est déjà pratiqué en Allemagne. Un exemple que l’on pourrait résumer par : Dites le avec des fleurs !
Pour en parler : Christine de Sainte Marie, agro‐économiste à l’Unité d’Ecodéveloppement d’Avignon
d Ecodéveloppement d Avignon
La Mesure « Prairie fleurie » que je vais présenter est le résultat d’un programme de recherche avec le Parc des Bauges, en Savoie, où elle est expérimentée depuis 2008.
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Cataloguée sous le code « herbe_07 « Maintien de la richesse floristique d’une prairie naturelle », cette mesure a été inscrite dans le 2° pilier de la PAC à l’initiative de gestionnaires d’espace naturels. Elle est innovante à tous égards Comme l’indique la ligne « contrôle », le contrat entre l’agriculteur et la
puissance publique porte sur une obligation de résultat, qui tient en une ligne :
présence d’au moins 4 plantes indicatrices
Autre innovation. Ce contrôle s’effectue sur place, par une inspection des parcelles que l’agriculteur a portées sur le registre parcellaire graphique de sa déclaration PAC comme pour percevoir les aides à la surface (ici, un ilôt engagé en herbe_07)
Cette inspection de terrain consiste à parcourir la parcelle en diagonale, en excluant les bordures, peu représentatives de la végétation de la prairie. Le contrôleur coche les plantes indicatrices qu’il observe sur sa fiche de contrôle, qui est ainsi faite :
qui est ainsi faite :
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‐ Les plantes à contrôler sont indiquées dans la liste accompagnée de son référentiel photographique qui ont été fournis aux agriculteurs dans la notice PAC.
‐ Les plantes indicatrices observées lors l’inspection ne sont pas forcément les
mêmes tout au long de la traversée de la parcelle mais il faut que le contrôleur
puisse en compter au moins 4 dans chacun des 1/3
Ce contenu de la mesure présenté, j’en viens maintenant à l’origine du programme de recherche dont elle est issue.
Le Parc du Massif des Bauges a été crée en 1996, au moment où la directive Habitats entrait dans sa mise en œuvre. Cette directive s’appuie sur la
contractualisation avec les usagers en place pour la gestion des sites – ici, des éleveurs de vaches dont le lait est transformé en fromages d’appellation, qui exploitent les 16 000 ha de prairies et de parcours qui couvrent 95% de la surface exploitent les 16 000 ha de prairies et de parcours qui couvrent 95% de la surface agricole du Parc.
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Les inventaires réalisés par ses chargés de mission naturalistes ont abouti au classement de 2 500 ha d’alpages et de pelouses sèches en sites Natura 2000, dont le Parc est opérateur.
La mise en place des plans de gestion s’est avérée être un casse‐tête en raison de la base scientifique de la directive : la phytosociologie. A chaque habitat cartographié doit être appliqué une mesure de gestion.
Or, les habitats d’intérêt communautaire se trouvent rarement à l’état pur sur les sites où ils sont le plus souvent en mosaïque ou en contact avec des habitats non classés. Le plan de gestion se traduit par une accumulation de mesures localisées dont le cahier des charges a été basé sur des pratiques traditionnelles, supposées favorables à la
biodiversité : zéro fertilisation, retard de fauche, mise en défends etc…
Seconde difficulté : les frontières de l’habitat correspondent rarement avec celles des surfaces contractualisables : des unités de gestion agricole. Pour un éleveur, ce compartimentage de ses prés, de ses parcs ou de son alpage est difficilement
compatible avec l’organisation de son chantier de fauche ou la conduite de son troupeau au pâturage.
En dépit de l’énergie déployée pour négocier avec les éleveurs, la complexité des plans des gestions s’est soldée par un résultat décevant : 9 CAD pour une surface de 55 ha.
Et, à l’usage, les naturalistes du Parc se sont mis à douter de la pertinence de leurs plans de gestion : les pratiques imposées aux agriculteurs ont‐elles bien l’effet attendu sur l’état des milieux?
Et en dehors de vos isolats Natura 2000, quid des 16 000 autres ha de prairies du Parc ?
leur avons nous répondu lorsqu’ils ont saisis des chercheurs de l’Unité
d ’Ecodéveloppement.
Programme que nous avons mis en place a duré 3 ans. Son dispositif a évolué en fonction des moyens que nous avons mis en œuvre pour traiter le problème qui nous était posé et que nous avons reformulé en question de recherche :
« comment articuler économie de la production et économie de l’élevage ? »
‐ Production classique de méthode et de connaissances …
Enquêtes en binôme chez des agriculteurs avec inventaire des surfaces herbagères
Je m’arrêterai sur les 2 autres composantes de ce programme : la mobilisation de connaissances et d’expertise que nous n’avions ni les uns ni les autres d’abord et une recherche intervention ensuite, qui a débouché sur un résultat non
programmé : une dynamique d’action collective en faveur de la biodiversité.
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Qu’avons‐nous ramené de notre mission au Bade‐Wurtemberg auprès du concepteur de la mesure « prés fleuris » du programme MEKA?
Le chaînon manquant : une méthode croisant la phytosociologie avec l’écologie
fonctionnelle et l’agronomie des prairies naturelles que nous avons adaptée aux
conditions des Bauges.
‐ Cette méthode permet de qualifier les 11 habitats prairiaux présents dans le Massif avec une liste de 24 plantes typiques ou différentielles avec, de gauche à droite : des plantes indicatrices des prairies « grasses » comme la marguerite et le salsifis des prés jusqu’aux prairies et pelouses sèches avec des espèces comme la sauge et le sainfoin.
Cette liste synthétique permet de s’affranchir du zonage.
‐ Les plantes indicatrices sont des plantes à fleurs. Elles ont été choisies non pour leur aspect esthétique ou remarquable – certaines sont assez communes comme le trèfle violet ‐ mais parce que ces plantes ne demandent de connaissances expertes en botanique : elles sont facilement identifiables même lorsque qu’elles ne sont pas en fleur, à la forme de leurs feuilles ce qui n’est pas le cas avec les graminées
‐ Liste de 24 plantes : indicateur fonctionnel au sens où la présence de ces plantes à fleurs, de façon continue, est un condensé de la composition botanique et de l’équilibre phytosociologique de ces prairies naturelles, qui comportent au moins de 30 à 60 espèces.
‐ Pourquoi 4 fleurs enfin ? Les travaux allemands montrent que le seuil de 6 fleurs qualifie des prairies remarquables mais qui ont une valeur agronomique assez faible tandis qu’en deçà de 4 fleurs, on entre dans une dynamique de dégradation de la
richesse biologique – en flore et en insectes. La norme à 4 fleurs constitue un indicateur fonctionnel : il atteste d’un bon état de conservation des habitats tout en autorisant une bonne valeur d’usage d’agricole.
C’est en ce sens que l’on peut parler de l’invention d’une valeur agri‐écologique des
prairies naturelles de fauche ou de pâture de moyenne montagnequi permet de faire tenir ensemble des objectifs de protection et des objectifs de production.
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Nous sommes alors passés à une phase de recherche intervention en organisant un concours de prairies fleuries dans l’un des secteurs du Parc : l’Albanais.
Ce concours a été conçu à la fois comme une mise à l’épreuve technique du
référentiel et à la fois comme une mise à l’épreuve sociale : il s’agissait de tester
la faisabilité de la mesure « prairie fleuries » auprès des agriculteurs.
Ce concours présente toutes les apparences d’un concours d’excellence
professionnelle classique avec des candidats qui présentent ce qu’ils considèrent comme leur meilleure prairie, un jury qui évalue avec des fiches de notation, une remise officielle de prix à l’occasion d’une manifestation de référence pour les éleveurs savoyards ‐ une foire dédiée à la race montbéliarde – et des médailles que l’on cloue sur la porte de son étable parce qu’on en est fier
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Sauf que…
Sauf que nous avons modifié la nature de l’épreuve
‐alors que les concours classiques célèbrent la productivité de la vache ou de l’herbe, c’est l’équilibre entre valeur agricole et valeur écologique qui est ici récompensé,
‐ alors que l’excellence professionnelle est décernée par les pairs, le jury des prairies fleuries a réuni des compétences composites Ce sont un botaniste un prairies fleuries a réuni des compétences composites. Ce sont un botaniste, un technicien agricole, un apiculteur, un randonneur, un protecteur de la nature qui ont confronté ici leur expertise.
Ce concours a rencontré un succès inespéré : sur les 36 agriculteurs de l’Albanais, 18 ont candidaté. Le bulletin agricole local lui a consacré sa première page en faisant son gros titre sur l’union entre l’agriculture et l’écologie. Terre de Savoie qui n’est pas un magazine à sensation, ne s’y est pas trompé : les prairies fleuries remanient en profondeur les critères habituels d’évaluation de la performance.
Examinons de plus près ce qui a changé pour les participants au concours, que nous sommes allés enquêter.
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Quand on examine comment les éleveurs voyaient ce concours, il ne fait pas de doute que l’initiative des naturalistes du Parc était regardée avec méfiance. Leurs propos sont assez caractéristiques du refus d’être assigné à un rôle de « jardiniers de la nature », de prestataires de services écologiques découplés de la
production.
Quand on examine ce qu’ils en disent avec le recul, on note un net changement : Cahiers : référence aux carnet d’enregistrement des pratiques de fertilisation et de pâturage de la PAC
Les gens : référence aux autres résidents et aux touristes qui fréquentent le Parc
Qu’est‐ce qui rend les prairies fleuries d’aujourd’hui si différentes, si séduisantes ?
1) Les obligations de moyens sont abandonnées : l’éleveur est libre de conduire ses prairies comme le juge bon du moment qu’il obtient le résultat attendu.
Cette latitude qui lui est donnée constitue une reconnaissance de sa
technicité. Il devient responsable des ressources naturelles qu’il a en gestion.
2) Cette responsabilité nouvelle conduit à un renversement de rôles vis‐à‐vis de l’administration : l’inspection in situ remplace le contrôle documentaire et la charge de la preuve incombe désormais au contrôleur
Vis‐à‐vis de l’appareil d’encadrement technique : les conseillers sont ébranlés dans leur rôle d’expert car ils savent comment banaliser une prairie naturelle mais ils n’ont pas appris à gérer un agro‐écosystème.
3) La mesure Prairie Fleuries se cale bien dans l’éthique professionnelle des agriculteurs, qui se pensent comme des producteurs. Des éleveurs de montagne peuvent ainsi retrouver une légitimation de leur activité vis‐à‐vis de la société en se définissant comme des producteurs de fromages de qualité et des producteurs de qualités de l’environnement.
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Alors, que cent fleurs s’épanouissent ?