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1.La perspective des diplomates

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Academic year: 2021

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D’emblée, au sortir de la guerre, un ton peu amical caractérise les relations bilatérales entre Varsovie et Prague. Sur le fond, Edvard Beneš et Thomas Masaryk s’accommodent difficilement du nationalisme conservateur de Roman Dmowski. Mais au-delà de ces considérations idéologiques, un contentieux territorial les oppose. Avec l’afflux récent d’une main-d’œuvre polonaise pour l’industrie, l’ancien duché de Teschen, d’à peine 2 000 km², ne compte désormais que 27% de Tchèques et 18% d’Allemands. Fort d’un rapport favorable, Varsovie réclame l’ancien duché au nom d’un principe des nationalités qu’elle rejette ailleurs. Alliés des Polonais, les Français souhaitent néanmoins la reconsti- tution d’une Bohême historique. Très habilement, le ministre tchécoslovaque des Affaires Etrangères ne se contente pas d’invoquer des droits historiques, mais souligne aussi que la ligne ferroviaire reliant Bohême et Slovaquie passe obligatoirement par le territoire litigieux. Cet argument se calque sur celui utilisé par les Belges lors des débats relatifs à l’attribution de Malmédy et d’Eupen. Par l’attribution, sans plébiscite, d’un tiers du terri- toire à la Pologne, la Conférence laissait 140 000 Polonais hors des frontières. Une plaie douloureuse pour Varsovie : elle perd non seulement des concitoyens, mais l’essentiel des mines, la capitale régionale et le contrôle de la voie de chemin de fer évoquée ci-dessus

1

.

1. La perspective des diplomates

2

Après avoir relaté le conflit de Teschen sur un ton neutre alors même qu’il reconnaît la gravité du dossier pendant plusieurs mois

3

, Maximilien-Henri Van Ypersele de Strihou s’exprime alors que le sujet a trouvé une solution qui a blessé Varsovie. Il déplore qu’elle balaie les propositions tchèques, empreintes de la meilleure volonté qui soit et suscepti- bles de renforcer les deux Etats par une collaboration face aux périls respectifs

4

.

Son successeur le rejoint également sur ce point. Dans un rapport du 7 novembre 1921, il évoque un accord bilatéral et il se réjouit du :

"rapprochement des deux pays, dont l’inimitié est séculaire, et qui ont été si profondément divisés sur leurs prétentions sur la Silésie de Teschen, sur la Galicie orientale et la Ruthé- nie"5

1 BEAUVOIS, Daniel, ibid., pp. 292 ; BECKER, Jean-Jacques, op. cit., pp. 72-73 ; BOEMEKE, Manfred F., FELDMAN, Gerard D., et GLASER, Elisabeth, op. cit., p. 328 ; ROLLET, Henry, op. cit., pp. 115-118;

KARSKI, Jan, op. cit., pp. 74-76 et JEDRZEJEWICZ, Waclaw, op. cit., pp. 67, 83 et 95. Pour l’illustration cartographique des différents litiges sur la frontière polono-tchèque, les cartes 2 à 4 (p. 465 et 466) et 11 (p. 470) des annexes s’avèrent les plus intéressantes.

2 Sauf contre-indication, les rapports mentionnés dans cette partie sont tirés des dossiers chronologiques suivants : Arch. Min. Aff. Etr. (B), Corr. pol. Pologne/1919-1923 et [Corr. pol.] Tchécoslovaquie. 1919- 1923.

3 Entre autres les rapports de Maximilien-Henri Van Ypersele de Strihou à Paul Hymans, Varsovie, 25 janvier, 28 mars, 11 avril, 20 mai, 17 juillet et 5 novembre et 25 novembre 1920.

4 Rapports de Maximilien-Henri Van Ypersele (…) à Henri Jaspar, Varsovie, 24 janvier et 7 avril 1921.

5 Rapport de Bernard de l'Escaille à Henri Jaspar, Varsovie, 7 novembre 1921, p. 2.

(2)

en déclarant que :

"Les deux jeunes Républiques, en se consolidant à l’intérieur et à l’extérieur par un appui mutuel, font face au danger pour la Pologne de se trouver isolée entre la Russie et l’Allemagne et pour la Tchécoslovaquie à l’Anschluss à l’Allemagne."6

Une semaine plus tard, il se montre encore plus optimiste et loue l’influence française :

"Ce traité politique dépasse toutes les prévisions par son importance. L’horizon du côté de la Tchéco-Slovaquie s’est éclairci au déla de ce que les nuages accumulés sur le territoire de Teschen permettaient d’ésperer. Le rapprochement entre les deux pays répond aux souhaits exprimés il y a un an par M.Take Jonesco[7] lors de sa visite à Varsovie en vue de l’accession de la Pologne à la Petite Entente.

L’influence de la politique française n’est certes pas étrangère à ce bon résultat.

(…) bien loin de balkaniser la situation de l’Europe Centrale, [les stipulations du traité] la renforcent."8

Cependant, un an plus tard, ses déclarations contrastent. Il évoque le refus des Tchèques, qui ne se départissent pas de l’opinion favorable qu’on leur prêtait déjà, de céder aux de- mandes d’échanges territoriaux dans la zone de Javorina :

"D’une étendue de quelques kilomètres carrés, le territoire de Jaworzyna ne pouvait don- ner à la Pologne que de minimes avantages dont la possibilité d’y établir une station cli- matérique. – On lui attribue cependant aussi une certaine importance stratégique, et il semble qu’à ce dernier point de vue les généraux NIESSEL, à cette époque Chef de la Mission militaire française en Pologne, et MITTELHAUSER qui remplissait les mêmes fonctions en Tchécoslovaquie, ont chacun de leur côté poussé les Gouvernements à se montrer intransigeants.

Quoiqu’il en soit, le Gouvernement de Varsovie a été mal inspiré en mettant à l’épreuve, pour un aussi mince objet que le territoire de Jaworzyna, les relations entre les deux pays qui ont été si profondément divisés et que de grands efforts avaient seuls pu rendre nor- males."9

L’obtention du degré maximal d’autonomie est considérée par Gaston de Ramaix comme la clé du plébiscite de Teschen

10

. Il pose donc un diagnostic sur l’efficience de la politi- que d’un Etat pour s’accroître ou défendre ses intérêts. Rien ne permet d’établir si les sympathies du diplomate se portent sur elle ou d’autres options. Il laisse d’ailleurs peu d’indices dans le rapport suivant.

Pour être complet, il faut envisager la part de rapports dans lesquels on envisage plus particulièrement les conflits nationaux en liaison avec des territoires en litiges. On peut se contenter du cas de Teschen qui, à lui seul, focalise l’attention. Les évocations des autres contentieux ne seront que passagères et superficielles.

6 Rapport de Bernard de l'Escaille à Henri Jaspar, Varsovie, 7 novembre 1921, p. 3.

7 Il s’agit du ministre roumain des Affaires Etrangères.

8 Rapport de Bernard de l'Escaille à Henri Jaspar, Varsovie, 16 novembre 1921.

9 Rapport de Bernard de l'Escaille à Henri Jaspar, Varsovie, 31 août 1922, p. 3.

10 Rapport de Gaston de Ramaix à Paul Hymans, Prague, 17 septembre 1919.

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Légation de Prague (1919-1921)*

Importance relative accordée au conflit sur Teschen à des revendications territoriales et à la problématique des minorités par les diplomates en poste à Prague dans les rapports qu’ils ont rédigés eux-mêmes : approche chronologique

Année Minorités en général Conflits territoriaux

En 1919 (sept derniers mois**) 13 2 (15%)

En 1920 47 23 (49%)

En 1921 14 1 (7%)

* Pour les premiers mois de 1924, l’échantillon est extrêmement négligeable. De toute manière, le conflit trouve une solution temporaire dès 1921. C’est pourquoi le tableau ne dépasse pas cette date.

** avant, la légation n’est pas ouverte.

On constate aisément que l’intérêt suit très précisément la chronologie du conflit : en 1919, l’affaire ne se pose même pas à des Etats qui viennent d’émerger et qui ont d’autres chats à fouetter ; en 1921, ils trouvent déjà un terrain d’entente. Il en résulte tout naturel- lement que Maurice Michotte de Welle s’attelle presque seul à en expliquer les tenants et les aboutissants. Près de neuf dixièmes des rapports qui y sont consacrés. Mais quelle est sa position en la matière ? Partisan déclaré de la cause tchèque ou adversaire peu résolu de l’autonomie, pour quelle option marque-t-il ses préférences ? On retrouve ici un ton indubitablement favorable à la Tchécoslovaquie : un procès est mené à l’encontre des Polonais, accusés de mauvaise foi, d’emportement, de chauvinisme et de violence. Les Tchécoslovaques y sont présentés comme des hommes pondérés pratiquant une politique marquée du sceau de la pondération. En somme, tout un programme. Dès le 20 février 1920, ils esquissent le portrait des Polonais sur la défensive qui risquent de perdre le terri- toire contesté. Ainsi, si les polonophones sont majoritaires, certains d’entre eux s’apprêteraient à voter avec les Tchèques et les Allemands, faisant basculer la balance du côté des autorités pragoises. Il l’explique par la répulsion éprouvée par la minorité ślązak

11

à l’égard des gouvernements de Varsovie et de Berlin

12

. Jusqu’ici, il n’exprime aucune animosité à l’égard des autorités polonaises. Le lendemain, il dénonce l’agitation provenant des menées polonaises dans le Duché de Teschen soumis au plébiscite

13

. Cinq jours plus tard, il s’en prend à nouveau aux Polonais, accusés d’attiser les rancœurs réci- proques

14

. Il ne faut attendre guère plus de deux semaines pour que le procès soit étendu aux Alliés, pour leur impuissance face à leur attitude inadmissible envers un gouverne- ment tchèque qui garde son calme contre vents et marées

15

. Le grief s’atténue temporai- rement quand la commission interalliée parvient à un accord vague sur l’organisation de

11 Polonophone.

12 Rapport de Maurice Michotte de Welle à Paul Hymans, Prague, 20 février 1920.

13 Rapport de Maurice Michotte de Welle à Paul Hymans, Prague, 21 février 1920.

14 Rapport de Maurice Michotte de Welle à Paul Hymans, Prague, 26 février 1920.

15 Rapport de Maurice Michotte de Welle à Paul Hymans, Prague, 15 mars 1920.

(4)

la consultation populaire

16

. Mais le diplomate belge n’est toujours pas porté à plus de sympathie pour les Polonais. La critique se fait constante :

"C’est qu’en effet les Allemands qui sont au nombre de 80 000 environ, seront l’élément déterminant du plébiscite. Il est difficile de présager si, par leurs menées insidieuses les Polonais réussiront à détacher de la Tchécoslovaquie, vers laquelle il incline, l’élément al- lemande [étant] en force suffisante pour faire tourner la consultation plébiscitaire en leur faveur."17

Maurice Michotte de Welle ne cache d’ailleurs pas sa profonde préoccupation. Il prédit ainsi l’intransigeance accrue de Varsovie sur Teschen après sa victoire sur le front russe :

"L’avance victorieuse des armées polonaises à travers la Volhynie, la Podolie et l’Ukraine, ne rencontre pas ici les sentiments admiratifs et sympathiques qu’elle soulève en Occident. En effet, on se dit que ces brillants succès militaires vont exalter l’impérialisme de la nation voisine et la rendre plus intransigeante encore dans la question de Teschen où elle se montre déjà si âpre."18

Et, la seconde accusée, l’Entente, réapparaît. Les Tchèques conservent encore leur rôle de bons et patients, respectueux des mots d’ordre pondérés de leurs autorités et ne sortant de leur réserve que forcés :

"Pendant plusieurs semaines, la presse et l’opinion publique tchèques, tant dans le terri- toire contesté que sur celui de la République, ont observé la consigne qui leur était donnée d’en haut de ne pas répondre aux provocations et aux actes de violence de Polonais et d’attendre patiemment le verdict des populations appelées à se prononcer sur leur propre sort. Cependant, la lenteur des préparatifs de la consultation plébiscitaire et l’impuissance de la Commission interalliée à réprimer les excès commis contre les Tchèques et les tchè- cophiles (Szlonzaks ou Allemands) ont fait sortir ceux-ci de la réserve qu’ils s’étaient im- posés."19

Il admire l’attitude toujours modérée d’Edvard Beneš, convaincu de pouvoir rallier l’opinion tchèque, réticente, face à son projet d’arbitrage, en substitution du plébiscite. Il loue sa persévérance et la débauche d’énergie qu’il consacre à régler l’affaire. Il partage le point de vue du prestigieux ministre des Affaires Etrangères selon les circonstances qui prévalent, la consultation populaire préjudicierait l’intérêt national tchèque

20

. Il apprécie certainement ce comportement, conscient du péril que des litiges territoriaux portant sur des zones réduites en taille font peser sur la paix

21

. La solution intervient au milieu de l’été 1920, quand Etienne Ruzette est arrivé à la légation. Il ne prend nullement son pré- décesseur à contre-pied, mais ne laisse pas poindre son avis personnel. Tantôt, il relate la déception des Allemands à l’idée que l’arbitrage empêchera de faire chanter les Polonais

16 Rapport de Maurice Michotte de Welle à Paul Hymans, Prague, 28 mars 1920.

17 Rapport de Maurice Michotte de Welle à Paul Hymans, Prague, 3 avril 1920.

18 Rapport de Maurice Michotte de Welle à Paul Hymans, Prague, 8 mai 1920.

19 Rapport de Maurice Michotte de Welle à Paul Hymans, Prague, 28 mai 1920.

20 Rapports de Maurice Michotte de Welle à Paul Hymans, Prague, 5 juin (pour deux d’entre eux), 19 et 27 juin, 6 juillet 1920.

21 Rapport de Maurice Michotte de Welle à Paul Hymans, Prague, 20 juin 1920.

(5)

et les Tchèques

22

. Tantôt, il évoque la rancune des Tchèques face à une Entente accusée de les avoir lâchés dans le contentieux de Teschen

23

.

En bref, les Tchèques assument le bon rôle dans les conflits nationaux avec la Pologne. Il y a une véritable communion entre les diplomates belges en poste à Prague, les autorités, et, plus généralement, la population tchèques. Celle-ci sort probablement affermie de la sollicitation du roi Albert par les Tchèques pour trancher le litige de Teschen

24

.

2. La presse

A la lecture des données ci-dessus, on constate immédiatement l’intérêt relativement im- portant concédé au sujet, indépendamment de la langue et de la sensibilité politique.

Nombre de jours où le sujet est

traité

11.11.

18 31.01.19 01.06.19 05.07.19 01.09.19 20.09.19 20.11.19 30.11.19 23.02.20 29.02.20 01.06.20 07.06.20 08.09.20 14.09.20 15.12.20 21.12.20 25.03.21 31.03.21 25.07.21 31.07.21 24.11.21 30.11.21 01.04.22 07.04.22 08.08.22 14.08.22 15.12.22 21.12.22

Laatste Nieuws 1 1 1

Gazet Antwerp. 2 1 2 1

Standaard 7 2

Nation Belge 3 2 2

Dernière Heure 1 4 1 1

Libre Belgique 3 2

Le Peuple 2

La Dernière Heure illustre tout l’embarras que ce conflit suscite parce qu’il oppose deux Alliés. Dans un tel contexte, il n’y a rien de surprenant à retrouver beaucoup d’articles sans commentaires. La prudence s’impose. Néanmoins, la Pologne semble bénéficier d’une plus grande sympathie. En plus de donner des informations factuelles sur les diffé- rentes dimensions en jeu dans l’attribution de l’ancien duché de Teschen (la possession des mines et le contrôle des communications réclamés par Prague), le journal prend clai- rement parti sur le terrain de la nationalité de la population. Pour ce quotidien, près de la moitié est polonaise, le reste se répartissant inégalement entre Tchèques et Allemands.

Toujours dans l’article du 5 juillet 1919, le journal libéral manifeste son déception :

"A ces arguments de Prague, Varsovie répond qu’un autre chemin de fer peut être cons- truit, et qu’elle est disposée à vendre à ses compétiteurs tout le charbon nécessaire. Elle invoque le principe des nationalités et de la libre-disposition. Il s’ensuit que les deux par-

22 Rapport d’Etienne Ruzette à Paul Hymans, Prague, 23 juillet 1920, p. 3.

23 Rapport d’Etienne Ruzette à Paul Hymans, Prague, 10 août 1920, p. 3.

24 Rapport de Paul Hymans à quelqu’un probablement de la légation de Belgique à Prague, Bruxelles, 15 juin 1919, in Arch. Min. Aff. Etr. (B), SN. Tchéco-Slovaquie (10.724) 1919-1926.

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ties sont en désaccord même sur la procédure à suivre. La république tchéco-slovaque s’en remet à l’arbitrage des grandes puissances; Varsovie entend recourir au plébiscite; et là où l’Entente avait escompté la bonne intelligence, règnent l’intransigeance et l’irritation."25

La sévérité du jugement concerne donc les deux parties. Par la suite, l’auteur de l’article se permet même de relayer un avertissement d’un de ses confrères du Temps à propos du comportement que les négociations devraient adopter selon lui :

"Le correspondant du « Temps » qui se trouve sur les lieux, émet à ce sujet une judicieuse réflexion, en souhaitant qu’on ne voie pas se répéter, au sujet de Teschen, « les fautes commises dans les Balkans par les affranchis du joug turc ».

Cela donnerait raison jusqu’à l’évidence à ceux qui ont malveillamment prétendu que la Conférence travaillait sans le savoir, par ses hésitations et ses demi-mesures, à la «balka- nisation » de l’Europe. En tout cas, la cause « Prague contre Varsovie » donnera quelque fil à retordre à l’aréopage de la paix."26

Accentué, le parti pris polonais revient également dans le discours de la Nation Belge

27

: pour ce quotidien nationaliste publié à Paris, il ne fait aucun doute que Prague porte la responsabilité d’incidents dont Varsovie est la victime. Mais son jugement le plus sévère n’est pas dirigé contre les deux parties en présence. Après avoir souligné la gravité du problème, elle indique que les populations qui se disputent le territoire sont imbriquées et proches, ce qui les rend difficiles à distinguer :

"On sait que la répartition des races est extrêmement compliquée aux confins des ancien- nes limites de la Russie, de l’Allemagne et de l’Autriche. Les frontières ethniques sont d’autant plus difficiles à tracer qu’elles doivent départager des populations apparentées entre-elles ; celle-ci sont nettement différentes aux centres des territoires qu’elles oc- cupent, mais les divergences vont en s’atténuant à mesure qu’on se rapproche des frontiè- res, où elles arrivent à se fondre."28

Il fait ensuite le procès évident des Russes et des Allemands, mais aussi, plus étonnam- ment des Roumains. Le ton devient même très virulent :

"(…) la race envahissante, - laquelle est au Nord, l’Allemande, à l’[E]st la Russe et au Sud la Roumaine, - a refoulé les populations autochtones, en général au cours des siècles derniers. Le souvenir de ces dépossessions persistent chez les peuples opprimés. Ceux-ci voudraient rentrer dans les anciens territoires nationaux. Les nouveaux venus au contraire se réclament du fameux principe des nationalités pour justifier leurs dénaturalisations."29

25 "Prague contre Varsovie", in La Dernière Heure, 5 juillet 1919, p. 2.

26 "Prague contre Varsovie", in La Dernière Heure, 5 juillet 1919, p. 2.

27 Rubrique "Dernière Heure", in La Nation Belge, 31 janvier 1919, p. 3.

28 "Que faire des Slaves de Prusse et d’Autriche. Tchèques et Polonais se disputent la Silésie", in ibid., 11 janvier 1919, p. 3.

29Ibid., p. 3.

(7)

On constate qu’une fois encore, une attaque au principe des nationalités est décochée.

Pour celui qui n’aurait pas encore compromis, le journaliste présente les Tchèques comme la victime numéro un. Il poursuit son exposé avec les trois revendications concur- rentes :

"La Silésie, qui fut longtemps slave mais qui a été fortement germanisée depuis la conquête de Frédéric II, en 1742, appartint au royaume de Pologne jusqu’à la fin du XIIIe siècle. Elle fut alors incorporée au royaume de Bohême. Il y a ainsi trois compétiteurs : le Prussien qui se fonde sur la nationalité dominante de la population, le Polonais qui se ré- clame de la priorité de la possession, le Tchèque, enfin, qui a pour lui quatre siècles et demi du gouvernement commun."30

En bref, les Russes et les Allemands sont présentés comme ceux qui sont venus perturber par leur expansionnisme un jeu déjà complexe. Ils sont, avec les Roumains, présentés comme des agents de dénationalisation, ce qui est particulièrement grave au regard d’un quotidien qui s’appelle – rappelons-le – La Nation Belge. L’embarras suscité par ce conflit gagne même en ampleur dans les autres journaux, qui évitent soigneusement de prendre, même ponctuellement, trop clairement parti.

3. Les positions des décideurs belges

Parmi les Belges, les diplomates et les journalistes sont loin d’être les seuls à porter un intérêt sur la question. Si certains dossiers ne fournissent que des éléments fort fragmen- taires

31

, l’un d’entre eux regroupe l’ensemble de la documentation s’y rapportant.

Très vite, le ministère évoque le désir d’Edvard Beneš de recourir à l’arbitrage d’Albert Ier dans le contentieux qui oppose les Tchécoslovaques aux Polonais. Avisé par les autorités tchécoslovaques, Paul Hymans transmet l’information, dans un premier temps, au roi, avant d’en informer ses collègues du cabinet. Comme le souverain, il convient que, tant que la question de l’intervention de la Société des Nations n’[es]t pas résolue, une telle solution ne peut pas être envisagée. Mais les ministres conviennent unanimement que si le Conseil de la Société des Nations se ralliait à l’arbitrage par le Roi il conv[i]en[dr]ait que celui-ci accept[e] cette charge

32

. Or, il apparaît très vite que la consultation de l’institution internationale ne présente aucun caractère obligatoire :

30 "Que faire des Slaves de Prusse et d’Autriche. Tchèques et Polonais se disputent la Silésie", in La Nation Belge., 11 janvier 1919, p. 3.

31 Il s’agit notamment de documents tirés d’Arch. Min. Aff. Etr. (B), SN. Tchéco-Slovaquie 1919-1926 (dos- sier 10.724).

32 Note de Paul Hymans, Bruxelles, 15 juin 1920, in Arch. Min. Aff. Etr. (B), Question de Teschen. Tchéco- slovaquie. Prague divers. Plébiscite au Teschen. Arbitrage du Roi (dossier 10.886).

(8)

"Il résulte de cette disposition [l’article 91 du traité de Saint-Germain-en-Laye] que la souveraineté sur la région de Teschen a été attribuée aux principales puissances alliées et associées. Ce sont les Grandes Puissances, investies de la souveraineté, qui par une déci- sion du 27 septembre 1919 ont institué un plébiscite et c’est en leur nom que le Conseil des Ambassadeurs vient de décider de recourir à l’arbitrage et a émis le vœu que le Roi des Belges acceptât les fonctions d’arbitrage."33

Ensuite, il cherche à expliquer pourquoi la Société avait été consultée : Edvard Beneš voulait protester contre les violences polonaises à Teschen. Il en déduit que ceci ne remet nullement en cause la faculté de recourir à un arbitrage. Après la sollicitation de la part des Grandes Puissances, le titulaire des Affaires Etrangères ne pose plus qu’une condition à l’acceptation : le consentement des parties, tchèque et polonaise. Il exprime le souhait que cette dernière démarche soit menée dans la plus grande discrétion, puisque l’issue n’est pas connue

34

. La seule réaction alliée connue, française, se traduit par une approba- tion. Certes, l’interlocuteur concède qu’un fonctionnaire des Affaires Etrangères belge, Albert de Bassompierre, avait initialement éprouvé certaines réticences :

"Me parlant du projet d’arbitrage dans la question de Teschen, vous avez exprimé la crainte que la substitution de l’arbitrage au plébiscite ne constituât une première modifi- cation du Traité qui pourrait en entraîner d’autres et éventuellement donner à l’Allemagne un prétexte pour demander que le plébiscite à Eupen et à Malmédy, si elle le croyait contraire à ses visées, fût remplacé par un arbitrage que ses intrigues lui permettraient de rendre favorable."

Le Français exclut ce risque en arguant [l]a substitution de l’arbitrage au plébiscite dans la région de Teschen ne serait pas une modification au Traité, mais seulement à une déci- sion du Conseil Suprême des Principales Puissances Alliées et Associées qui a institué la procédure

35

. En bref, le Conseil Suprême peut modifier ce qu’il avait lui-même décidé.

Le doute semble l’apanage des milieux ministériels belges. Quant au fait que le gouver- nement ne s’exprime pas sur le fond de l’affaire, il faut se rappeler qu’une prise de posi- tion s’avérerait maladroite et inopportune dans la perspective d’un arbitrage. Pas tenue à la même réserve, les journaux n’ont pas la même attitude. Ainsi, dans son édition du 12 juin 1920, Le Soir déclare non seulement que le roi doit accepter l’arbitrage, même si cette tâche est ingrate, mais il adopte aussi un ton plus favorable aux Polonais qu’aux Tchèques. Il considère que les arguments historiques avancés par Prague font pâle figure face à ceux, économiques, culturels et ethniques, utilisés par Varsovie. La Nation Belge

33 Note de Paul Hymans au Roi, Bruxelles, 18 juin 1920, p. 1, in Arch. Min. Aff. Etr. (B), Question de Tes- chen. Tchécoslovaquie. Prague divers. Plébiscite au Teschen. Arbitrage du Roi (dossier 10.886).

34 Note de Paul Hymans au Roi, Bruxelles, 18 juin 1920, passim ; lettre d’A. de Selys (Direction Politique) à Paul Le Ghait, Bruxelles, 9 juillet 1920, in ibid.

35 Lettre de Pierre de la Margerie à Bassompierre, Bruxelles, 12 juin 1920, p. 1 (recto-verso), in Arch. Min.

Aff. Etr. (B), Question de Teschen. (…) (dossier 10.886).

(9)

n’adopte pas un ton plus nuancé. Sans jamais prendre explicitement parti pour cette der- nière, il décrit un partage du territoire qui livre cent mille Polonais aux Tchécoslovaques juste avant d’évoquer le désir de la Pologne que les principes des nationalités proclamés par Wilson finiront par triompher de l’injustice commise et que la question sera reprise à un moment donné

36

. Ces propos, tirés de l’édition du 3 août, ne dénotent absolument pas de celle du 31 juillet, où il affirme que les seuls éléments violents proviennent des mi- lieux nationaux-démocrates tant allemands que tchèques. Le parallèle n’est évidemment pas flatteur. En dépit de ces considérations, la proposition de la Conférence des Ambas- sadeurs est désormais acceptée par les deux parties (28 juillet 1920)

37

. Les archives de la SDN donnent à peine plus d’informations sur le sujet. Il se confirme simplement que la situation d’arbitre se révélerait bien inconfortable car les parties ne sont pas disposées au compromis. Ceci offre une piste explicative suffisante à elle seule pour comprendre le refus d’Albert Ier de trancher le litige au nom de la Société des Nations ou de la Confé- rence des Ambassadeurs. Les experts, aussi nombreux qu’ils puissent être, ne permet- traient pas d’ébaucher une solution acceptable pour les parties

38

.

La question de Javorzina, localité située dans les Tatra, ne semble pas intéresser autant les Belges. Il faut reconnaître que le territoire concerné s’avère bien plus réduit et les in- térêts miniers et industriels rencontrés minimes. Une décision intervient dès 1920, mais l’accord tarde à se réaliser. Les Alliés s’impatientent, mais changent simultanément de position :

"(…) la Conférence des Ambassadeurs chargea la Commission de délimitation de procé- der à l’abornement de ligne du 28 juillet 1920. En septembre 1922, la Commission pré- senta des propositions qui modifiaient d’une façon appréciable cette ligne. Elle attribuait le village de Javorzina à la Pologne et deux communes situées plus au nord, à la Tchéco- slovaquie. La Tchécoslovaquie protesta, estimant que la décision de juillet 1920 liait les deux parties, mais les juristes composant le Comité de rédaction de la Conférence des Ambassadeurs furent d’avis que la décision de 1920 avait laissé indéterminée une partie de la frontière dans le district de Javorzina."39

L’affaire prend alors une ampleur incroyable. Comme chaque fois qu’elle ne parvient pas à trancher un différend, la Conférence s’adresse au Conseil de la Société des Nations. Au cours de sa session d’août-septembre 1923, après accord des deux parties, celui-ci soumet la question de droit soulevée par la Tchécoslovaquie à la Cour permanente de Justice permanente. Cette dernière considère la décision de 1920 comme définitive et devant être appliquée intégralement. Pour s’y conformer, le Conseil abandonne son projet de 1922 et

36 Articles divers, in Arch. Min. Aff. Etr. (B), Question de Teschen. (…) (dossier 10.886).

37Ibid.

38 Arch. SDN, R562, surtout la correspondance de juin 1920.

39 Section de l’Information du Secrétariat de la Ligue des Nations (éd.), op. cit., pp. 38-39.

(10)

demande aux gouvernements représentés à la Conférence des Ambassadeurs de formuler des solutions en adéquation avec l’arrêt rendu. En mars 1924, le Conseil trace la frontière définitive : Javorzina demeure tchécoslovaque

40

. Comme dans le cas de la Haute-Silésie, une convention est adoptée par les deux parties pour s’assurer des facilités réciproques :

"Pour sauvegarder les intérêts économiques et les facilités de transit des communes si- tuées des deux côtés de la frontière, le Conseil recommanda aux Gouvernements intéres- sés de prendre en considération les intérêts réciproques des populations frontières, par la rédaction des protocoles spéciaux faisant partie intégrante de la décision qui fixait défini- tivement la ligne frontière."41

On ne peut pas vraiment préciser le rôle de la Belgique, mais il est probablement signifi- catif, vu qu’elle est représentée au sein du Conseil.

4. Difficile de choisir entre deux Alliés…

Si le discours des diplomates est globalement plus favorable aux Tchèques tandis que la presse marque une inclinaison certaine pour les Polonais, la Belgique se garde bien de s’impliquer dans le conflit. Pourtant, le roi avait été sollicité pour le trancher, mais il dé- cline l’offre d’arbitrage puisque les parties n’acceptent pas d’avance le compromis qui serait arrêté par le souverain belge. Aucune erreur ne peut être commise, puisque la déci- sion alliée intervient sans la Belgique.

Il faut dire que beaucoup d’éléments compliquent le choix. Tout d’abord, les deux ont combattu aux côtés de l’Entente, sont slaves par leur langue et leur culture, il y a des po- pulations du duché de Teschen qui représentent une sorte de continuum entre les deux grands peuples. Ensuite, les deux peuples sont appréciés. Chacun a son point fort : si les Polonais seraient considérés avec plus d’affection, les Tchèques compenseraient cela par leur pondération, si rare dans la région.

La Belgique ne participera pas. Comme souvent, elle ne sera pas conviée par les Grandes Puissances. En dépit d’une grande ignorance des tenants et des aboutissants de ladite pro- blématique, le sujet inquiète beaucoup à Bruxelles et dans les autres capitales. Le contexte est marqué par les périls bolchevique et allemand. La presse belge n’hésite pas à déplorer les tensions entre Varsovie et Prague. Parfois même, le ton devient sévère. Car, contrairement à ce qui se passe parfois dans le cas des Balkans, l’indifférence n’est pas de mise. Peut-être le gouvernement craint-il de soulever la désapprobation d’une partie de l’opinion sur base partisane ou linguistique ? Dans quel sens ? La réponse n’est pas aisée car personne n’a laissé de témoignages consistants. Ce n’est qu’une éventualité que les sources ne permettent ni de confirmer ni d’infirmer.

40 Section de l’Information du Secrétariat de la Ligue des Nations (éd.), op. cit., p. 39.

41Ibid., pp. 39-40.

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