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1. La position des diplomates

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La reconstitution d’un Etat polonais n’est pas évidente à l’issue de plus d’un siècle de partage, dans un monde marqué par une question nationale, aiguë. Elle a gagné en am- pleur, à travers un nombre plus élevé de peuples revendicateurs, et en intensité, à travers des exigences ou des souhaits formulés avec plus d’insistance et de passion que quelques décennies auparavant. La question prend aussi une dimension sociale, puisqu’elle oppose des élites foncières, polonaises ou polonisées depuis longtemps, à des paysans lituaniens, blancs-russiens ou ruthènes. Dans le cas des visées polonaises sur la zone de Vilnius, d’autres facteurs viennent s’ajouter : y étant né à la fin du XIXe siècle comme d’autres leaders politiques et militaires polonais, Józef Piłsudski y attache une grande valeur sen- timentale. A cela, il faut rajouter que les Polonais tentent d’utiliser le péril communiste pour justifier leur expansion à l’Est et que le traité de Versailles ne détermine pas encore les frontières orientales de la Pologne (article 87). Varsovie se brouille donc avec son dernier voisin. De son côté, chérissant son indépendance, la petite république de Kaunas n’est pas plus encline au compromis : elle rejette catégoriquement le fédéralisme et le plébiscite proposés par les socialistes polonais. Le fait que la république de Kaunas ait profité de l’offensive soviétique de 1920 pour occuper des territoires attribués à la Polo- gne par le Conseil Suprême ne joue évidemment pas en sa faveur. La situation dégénère justement quand lorsque les armées lituaniennes franchissent la ligne Curzon, établie le 8 décembre 1919, et occupe Suwalki. Le conflit était donc purement et simplement inévita- ble : les deux parties ne sont pas avares en coups de force et tiennent successivement le haut du pavé. Alors que la paix se dessine avec les Soviets, Józef Piłsudski envoie Lucjan Żeligowski s’emparer de la Lituanie centrale. L’objectif est clair : rattacher ultérieure- ment sa ville natale à la Pologne. Certes, celle-ci est polonaise et juive, mais les campa- gnes environnantes sont à dominante lituanienne et biélorusse. En 1922, Józef Piłsudski entérine une situation de non-retour : après une mascarade électorale et institutionnelle respectant une apparence d’autodétermination, la Lituanie centrale est rattachée à la Po- logne. Les Français et les Britanniques auront vainement protesté : Varsovie rejette leur projet d’une autonomie pour répondre au caractère multiculturel de la région. Les tentati- ves de la Société des Nations auront été vaines, mais méritent d’être étudiées en raison de la contribution belge aux tentatives successives de déblocage

1

.

1 BEAUVOIS, Daniel, op. cit., pp. 293-296, 301 ; ROLLET, Henry, op. cit., pp. 8-9 et 142-146, GARLIC- KI, Andrzej, op. cit., pp. 91-94, 96, 103-104 et 121 ; MOUTON, Marie-Renée, op. cit., pp. 208-221 ; et JED-RZEJEWICZ, Waclaw, op. cit., pp. 71-73, 77-79, 84, 91-108, 110, 119-122, 140 et 142 ; FENAUX, Robert, op. cit., pp. 276-282. Le passage ici mentionné de ce dernier ouvrage se consacre presque exclusi- vement à l’après-1918. Toutefois, il n’apporte pas d’éléments intéressants que les pièces d’archives ne livrent déjà. Au cours de l’exposé de la problématique, les références renvoient donc uniquement à ces dernières. Pour l’illustration cartographique du litige sur Vilnius, la carte 11 (p. 470) des annexes s’avère la plus intéressante.

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1. La position des diplomates

2

Si les Lituaniens ne se départent jamais de leur rôle négatif ou de manipulés par les Al- lemands et les Russes, les réflexions quant au comportement des Polonais méritent quel- ques lignes supplémentaires. En gros, on leur reproche d’être si mal inspirés qu’ils rui- nent leur bonne cause, à savoir la possession de Vilnius

3

. Le coup de force de Lucjan Żeligowski sur la ville et ses environs comme le silence de Józef Piłsudski sont pointés du doigt par Albert Remès

4

. Des nombreux rapports que Maximilien-Henri Van Ypersele de Strihou consacre à ce litige territorial à forte coloration nationale, il ressort qu’il est exactement sur la même longueur d’ondes : la Lituanie a tort et se comporte de manière inadmissible mais la Pologne ne sert pas toujours bien ses propres intérêts. Toutefois, la préférence continue à être portée sur les Polonais. En même temps, il met une fois de plus en évidence le jeu du gouvernement de Londres contre son homologue de Varsovie

5

. Non seulement il prend acte de la volonté d’une bonne part de la population de Vilnius d’être rattachée à la Pologne, mais il l’approuve aussi. Comme pour son prédécesseur, la recherche de l’unité nationale constitue une valeur. Il justifie les démarches de la popula- tion pro-polonaise :

"A Wilno[6] il ne s’agit pas seulement d’un territoire incontestablement polonais (…), d’une population d’un million 100000 habitants (63 % de Lithuaniens-Polonais ; 10% de Lithuaniens-Samogitiens, 27 % de Lithuaniens-Blancs Ruthènes et de Juifs) qui doit échapper au gouvernement de Kovno[7]. Il s’agit d’un territoire qui fait le sel de la terre polonaise et qui pour des raisons séculaires, intellectuelles et morales, profondes ne veut pas devenir la chose d’un gouvernement inspiré et à la solde de Berlin."8

Ce passage livre une information riche : la nation polonaise se définit par un passé, une volonté de vivre ensemble, une population et un territoire. Plus encore, le diplomate sou- tient leurs positions au nom de valeurs morales et intellectuelles, parallèlement à sa dé- nonciation des propagandes allemande et russe, jugées calomnieuses. Comme son prédé- cesseur, il ne présente une Pologne sous l’angle de la modération que lors des conflits avec la Lituanie

9

. En dehors de l’argumentaire strictement lié à la réalisation de l’idéal national, on doit noter que la germanophilie du gouvernement de Kaunas conduit à repré- senter ce dernier comme un ennemi potentiel de la Belgique autant que de la Pologne,

2 Sauf contre-indication, les rapports mentionnés dans ce point de ce chapitre sont tirés du dossier chrono- logique suivante : Arch. Min. Aff. Etr. (B), Corr. pol. Pologne/1919-1923.

3 Rapport d’Albert Remès à Henri Jaspar, Varsovie, 8 novembre 1920.

4 Rapport d’Albert Remès à Henri Jaspar, Varsovie, 16 octobre 1920.

5 Rapports de Maximilien-Henri Van Ypersele de Strihou à Henri Jaspar, Varsovie, 5, 18 et 27 février, 5, 7, 16 et 23 mars 1921.

6 En lituanien : Vilnius.

7 Nom polonais de Kaunas, capitale de la Lituanie pendant l’entre-deux-guerres.

8 Rapport de Bernard de l'Escaille à Henri Jaspar, Varsovie, 21 juillet 1921.

9 Rapport de Bernard de l'Escaille à Henri Jaspar, Varsovie, 11 août 1921.

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puisqu’il est supporté par le Teuton honni. D’ailleurs, quand Konstanty Skirmunt, minis- tre des Affaires Etrangères de Pologne, dénonce rien de moins qu’un génocide organisé par leurs adversaires

10

, il ne commente nullement l’accusation. En d’autres circonstances, face à d’autres adversaires, par exemple les Tchécoslovaques, il aurait probablement crié à l’exagération. On a tout lieu de supposer que la victoire polonaise soit de nature à ré- jouir Bernard de l'Escaille

11

.

Il ne s’écarte nullement de la position de son prédécesseur

12

, mais il est plus précis en matière de projets. En effet, ils s’éloignent des considérations générales de Maximilien- Henri Van Ypersele de Strihou et de sa focalisation sur la justesse de leurs revendica- tions. On peut distinguer trois facettes principales, qu’un seul et même document permet de découvrir. Primo, quand ils soutiennent l’option fédéraliste de Józef Piłsudski, les Po- lonais ont raison et les soutenir s’avérerait opportun face à ses dangereux adversaires. Ils défendent le meilleur projet :

"Ils [les Lituaniens Polonais] veulent que chaque idiome [polonais, lituanien] soit libre de se développer. Ils savent bien qu’en cas de liberté intérieure complète l’élément polonais civilisateur jouera de nouveau son ancien rôle. Cette grande Lithuanie, dans l’idée des Po- lonais Lithualiens, s’allierait de nouveau, comme par le passé, dans une union libre et au- tonome, à sa sœur la Pologne et une grande Puissance existerait entre la Russie et l’Al- lemagne. Les Blancs-Ruthènes éclairés partagent cette idée. Les Allemands le savent et font tout pour empêcher sa réalisation. Les Samogitiens, pauvre petit peuple, travaillé par la propagande allemande qui règne en maîtresse Kowno [Kaunas], sont leur instrument."13

Secundo, les Lituaniens sont mauvais, violents et injustes :

"Les députés polonais ont été roués de coups et ont du se retirer de la Diète où ils ont ces- sé de siéger.- En fait, le territoire de Wilno qui avait trois députés à la Diète de Kowno se trouve privé de la représentation."14

Tertio, les Polonais qui suivent l’idée de Roman Dmowski, un Etat plus petit mais ethni- quement plus homogène, s’égarent :

"Le parti national démocrate – parti de Dmowski – ne lui est pas favorable [au projet fé- déraliste]. Il croit que mieux vaudrait acquérir pour de bon la Lithuanie polonaise et faire des deux autres Lithuanies des états séparés.

Cette conception est basée sur le principe de l’Etat Nationaliste. Elle est facile à com- pre[n]dre pour les Occidentaux, elle a certainement sa valeur surtout dans les discussions et décisions actuelles qu’elle facilite. Mais qui connaît l’Orient sait qu’elle est difficile à exécuter. La conception historique et géographique de la Grande Lithuanie est toujours vivante. Beaucoup de Polonais en Pologne la reconnaissent comme seule juste en raison de cette circonstance que le passé polonais n’a jamais été ni nationaliste ni ethnographi- que mais fédéraliste au plus haut degré. Presque la moitié de la race polonaise vit en de- hors de la Pologne proprement dite. Elle est répandue dans les régions limitrophes appar- tenant à l’ancienne puissance polono-lithuanienne."15

10 Rapport de Bernard de l'Escaille à Henri Jaspar, Varsovie, 24 août 1921.

11 Rapport de Bernard de l'Escaille à Henri Jaspar, Varsovie, 14 janvier 1922.

12 Rapport de Bernard de l'Escaille à Henri Jaspar, Varsovie, 9 août 1921.

13 Rapport de Bernard de l'Escaille à Henri Jaspar, Varsovie, 21 juillet 1921, pp. 7-8.

14Ibid.

15Ibid., p. 8.

(4)

Quelques lignes de commentaires sur ce passage ne sont pas de trop. Tout d’abord, le diplomate appelle à tenir compte d’abord des dispositions et de la mentalité polonaises. Il envisage le problème de l’intérieur : on évoquait précédemment dans le cas tchécoslova- que l’empathie avec le pays hôte. On constate donc que l’idée sort renforcée de l’étude de la légation de Varsovie. Ensuite, les termes nationaliste et fédéraliste, sans prendre une connotation positive, ne servent plus à disqualifier un ou des acteurs. Associés à un sec- teur de la société polonaise, ils sont envisagés différemment : le premier pour qualifier un choix peu judicieux, le second pour indiquer la voie à suivre. L’optimisme n’apparaît nullement à son évocation. Enfin, tout en ne contestant jamais le caractère polonais du territoire (population et histoire principalement), il ne préconise pas la réalisation d’un Etat nationaliste ethnographique mais d’un Etat fédéraliste. Ce dernier adjectif sert donc à caractériser un projet qui ne renvoie pas à l’idée de Nation.

Si les Polonais ne sont certes pas systématiquement loués pour leur comportement, les Lituaniens, jugés intransigeants

16

, ne sont jamais épargnés :

"Les passions politiques sont en fait empreintes de moins de magnanimité, mais il n’y a pas lieu de faire grief plus à l’un qu’à l’autre de procédés violents tout aussi en honneur à Wilno qu’à Kowno. Les deux adversaires ont la même conception de la liberté électo- rale.17

Si son reproche s’était porté auparavant sur les positions nationales-démocrates, Bernard de l'Escaille critique dans ce même rapport du 7 décembre 1921 les chamailleries entre ceux-ci et les populistes de Józef Piłsudski, favorisant ainsi les menées russes et alleman- des :

"A Varsovie, après le vote de la Diète élargissant le territoire électoral, la campagne entre le Parti National démocrate partisan de l’annexion de Wilno et le groupe populiste fidèle à l’idée de la fédération chère à Pilsudski s’est à peine ralentie et chaque parti accuse son adversaire de trahir les intérêts sacrés de la Patrie. L’âpreté de la lutte a pris un caractère excessif ; les nationaux démocrates ont vu rouge dans la question de Wilno parce qu’ils ont vu un moyen d’atteindre le Chef de l’Etat. C’est ce qui explique la maladresse com- mise en s’opposant à tout élargissement du territoire électoral. Ils ont perdu de vue l’essence de la question qui présente cependant une importance suffisante pour faire taire les passions politiques car du sort de Wilno peut dépendre l’issue du plan patiemment poursuivi par Berlin, consistant à établir un pont entre la Russie et l’Allemagne. Toute l’affaire lithuanienne a en vue la construction de cette jonction. On ne pourrait assez le dire."18

Il ne prédit pas pour autant une issue malheureuse :

"Il semble cependant que l’on commence à se rendre compte à Berlin dans certains mi- lieux pangermanistes et à Kowno que ce plan pourrait ne pas réussir du côté de Wilno, et que l’on songe déjà à trouver un expédient du côté de Memel pour y remédier."19

16 Rapport de Bernard de l'Escaille à Henri Jaspar, Varsovie, 16 janvier 1922.

17 Rapport de Bernard de l'Escaille à Henri Jaspar, Varsovie, 7 décembre 1921.

18Ibid.

19Ibid., p. 3.

(5)

Si les résultats du plébiscite le confirment dans son pressentiment, il n’est pas vraiment satisfait du comportement des Polonais, accusés à nouveau de desservir leur cause, légi- time, par des attitudes préjudiciables. Ainsi, la population soumise à plébiscite et la Diète optent pour le rattachement pur et simple, en dépit des suspicions d’annexionnisme et de l’hostilité qu’il pourrait soulever à l’étranger. Le diplomate espère que le gouvernement ne devra pas mettre à exécution sa menace de démissionner si le Parlement ne revenait pas à la solution plus judicieuse que représente le fédéralisme et l’autonomie. Peine per- due, Konstanty Skirmunt, ministre des Affaires Etrangères, passe à l’action

20

. Dans son télégramme du 9 mars 1922, Bernard de l'Escaille résume en un mot l’impression qu’entraînerait l’annexion pure et simple : déplorable

21

. Quand le triomphe du gouver- nement semble se dessiner, il s’en réjouit. Il l’explique par la prise de conscience de tous les groupes – y compris les nationaux-démocrates – des conséquences graves d’une telle décision pour les politiques extérieure et financière par la démission du ministère en place

22

. Au contraire, l’annexion pure et simple – le choix final – a tout lieu de ne pas le réjouir, même s’il croit que le Royaume-Uni, cette fois, apporterait un soutien condition- né à la reconnaissance de la frontière orientale de la République

23

. Il est heureusement impressionné quand les Polonais paraissent renouer avec un peu plus de réalisme et de sens des responsabilités

24

.

En refusant l’issue de la consultation et ses conséquences – le rattachement –, les Litua- niens sont plus encore pointés du doigt : ils ne souhaiteraient pas la paix en présentant volontairement des conditions inacceptables

25

. Ils adoptent des comportements inadmis- sibles pour une cause indéfendable. Dans ces conditions, la préférence se porte par défaut sur la Pologne, plus ouverte à la discussion

26

. Cette décision est confortée par la prière adressée aux autorités belges par trois villages attribués à la Lituanie d’être rattachés à la Pologne. Bernard de l’Escaille y voit une preuve touchante de l’estime dont jouit notre pays, pour sa droiture et sa loyauté

27

.

20 Rapports de Bernard de l'Escaille à Henri Jaspar, Varsovie, 22 février, 2, 4 et 7 mars 1922.

21 Télégramme chiffré de Bernard de l'Escaille à Henri Jaspar, Varsovie, 9 mars 1922.

22 Rapport de Bernard de l'Escaille à Henri Jaspar, Varsovie, 27 mars 1922.

23 Comme contrepartie au soutien britannique, la Lituanie et la Galicie Orientale devraient jouir d’un ré- gime d’autonomie. Rapport de Bernard de l'Escaille à Henri Jaspar, Varsovie, 20 avril 1922.

24 Rapport de Bernard de l'Escaille à Henri Jaspar, Varsovie, 25 juillet.

25 Rapport de Bernard de l'Escaille à Henri Jaspar, Varsovie, 7 mars 1922. On peut ajouter que l’affaire de Memel atteint postérieurement son paroxysme et n’est pas vraiment très étudiée par les diplomates.

26 Rapport de Bernard de l'Escaille à Henri Jaspar, Varsovie, 7 février 1923.

27 Rapport de Bernard de l'Escaille à Henri Jaspar, Varsovie, 16 avril 1923.

(6)

2. La presse

On constate aisément qu’un intérêt relativement important est porté à la question, indé- pendamment des clivages linguistiques ou partisans. Mais, quant au fond, la presse n’hésite plus à prendre parti. Il faut rappeler que la première indépendance de la Lituanie contemporaine se produit à peu près au même moment que la révolution bolchevique et les accords de Brest-Litovsk. Pour des questions liées à la chronologie, la plupart des articles se rapportent au cas de Vilnius et de la Lituanie centrale, puisque le conflit autour de Memel éclate plus tardivement. On doit reconnaître que pour le petit Etat bourgeois allié aux Entendistes qu’est la Belgique, ce ne sont pas les meilleurs parrains possibles. A cela, il faut ajouter la place centrale de la Pologne dans le dispositif allié pour contenir les menaces allemande et russo-soviétique.

Nombre de jours où le sujet est

traité

11.11.

18 31.01.19 01.06.19 05.07.19 01.09.19 20.09.19 20.11.19 30.11.19 23.02.20 29.02.20 01.06.20 07.06.20 08.09.20 14.09.20 15.12.20 21.12.20 25.03.21 31.03.21 25.07.21 31.07.21 24.11.21 30.11.21 01.04.22 07.04.22 08.08.22 14.08.22 15.02.24 21.02.24

Laatste Nieuws 1 3 1

Gazet Antwerp. 1 4

Standaard 2 6 1 1

Volksgazet 1 2

Nation Belge 3 3 1 1 1

Dernière Heure 5 2

Libre Belgique 1 3 1 2 1

Le Peuple 2 1 1 5 1

Tout d’abord, comme dans le cas ukrainien, on retrouve un enthousiasme, parfois impli- cite mais indiscutable, lorsqu’on évoque l’avancée polonaise. Toutefois, l’intérêt des dé- pêches s’avère bien faible au regard d’autres commentaires, bien plus percutants. A cette tâche, La Dernière Heure n’est certainement pas la plus réservée. Voici ce qu’on peut lire dans l’article probablement le plus évocateur, intitulé Le Bolchevisme capitulera. Le pro- gramme de la paix. Conflit lithuanien :

"En présence des hostilités déclenchées à l’improviste par les Lithuaniens, les troupes polonaises qui avaient repris Suwalki et Snejni ont, d’après les ordres du haut comman- dement, commencé un mouvement de repli dans la direction d’Augustow afin d’éviter le contact avec les éléments lithuaniens. Cette mesure n’a toutefois pas mis les arrière- gardes polonaises à l’abri des attaques qu’ont effectuées le lendemain trois divisions li- thuaniennes s’avançant à leur suite à marche forcée. Les Polonais se sont bornés à re- pousser leurs agresseurs et leur action s’est limitée au contrôle de la frontière polo- naise."28

28La Dernière Heure, 9 septembre 1920, p. 1.

(7)

Et les titres des jours suivants ne rééquilibrent pas le rapport, mais le renforcent au contraire. Ainsi en première page, le lendemain, on peut lire les titres suivants : [u]n grand Polonais à Bruxelles. M. le professeur de Fiedorowicz, ou bien encore La Lithua- nie s’obstine. (…) Arbitre impartial. (…) refus lithuanien. La lecture de La Nation Belge nous amène aux mêmes constatations. Dans son article Les Polonais de Lithuanie

29

, ces derniers sont présentés comme les remparts de la civilisation européenne contre la barba- rie et l’invasion bolcheviste. Quant à la responsabilité du conflit avec Kaunas, elle est tout aussi bien établie : le 10 août 1922, le journal nationaliste titre Nouvelles attaques lithuaniennes contre la population polonaise

30

. L’accusation est d’autant plus grave qu’elle dépasse les simples institutions varsoviennes ou leurs relais dans la région : elle frappe les habitants. En plus de cela, La Nation Belge souligne que la population de Vil- nius réclame le droit d’être consultée. Il nie ainsi le droit aux seuls Polonais et Lituaniens de trancher la question. Il poursuit en insistant sur la collaboration entre les Lituaniens et les Bolcheviks. Il soutient également que la population ne s’est non seulement pas oppo- sée à l’arrivée de Lucjan Żeligowski, mais l’a saluée avec enthousiasme. Dans la tentative de règlement, il salue l’entreprise de Paul Hymans au nom de la Société des Nations

31

. Les deux sous-titres de l’article paru dans la Libre Belgique le 8 septembre 1920, Le conflit entre les Polonais et les Lithuaniens

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, ne sont vraiment pas tendres. Le premier commence par La duplicité des Lithuaniens tandis que le second prend la forme d’un impitoyable réquisitoire : Nouvelles agressions des Lithuaniens. – Au centre les Bolche- vistes renforcés reprennent l’offensive. Même Le Peuple évoque en des termes positifs l’action polonaise en Lituanie. Dans la rubrique consacrée aux événements de Pologne, la seconde partie nous en offre un témoignage éloquent. On peut effectivement lire que Le gouvernement polonais, à la demande du président de la Lithuanie a assumé l’administration de ce pays, évacué par les troupes allemandes

33

. Le quotidien socialiste semble même prendre fait et cause pour la Pologne contre les Soviets et une Lituanie, hypocrite, qui démentirait l’accord pourtant conclu avec les Soviets en vue d’agir contre Varsovie. On peut peut-être expliquer cette orientation par le fait que cette dernière se retrouve en position d’être attaquée au lieu d’attaquer

34

. La Pologne conserve même un

29La Nation Belge, 21 janvier 1919, p. 3.

30Ibid., 10 août 1922, p. 3.

31 "Zeligowski a quitté Vilna", in ibid., 27 novembre 1921, p. 3.

32La Libre Belgique, 8 septembre 1920, p. 2.

33 "Les Polonais occupent la Lithuanie", in La Libre Belgique, 18 janvier 1919, p. 2.

34 "L’Armée polonaise maintient ses positions (…) La Lithuanie s’unit à la Russie contre la Pologne", in Le Peuple, 1er juin 1920, p. 1.

(8)

bon rôle par la suite : elle accepte les ouvertures de paix de la Lituanie

35

. Mais si la Conférence de Bruxelles est effectivement abordée, le rapport qui en est fait diverge fon- damentalement de celui de La Nation Belge. Ainsi, non seulement le rôle de l’ancien mi- nistre belge évoqué ci-dessus est décrit dans des termes neutres, mais aussi les Polonais sont présentés comme ceux qui viennent en posant des réserves. Le soutien fait donc fina- lement place à une attitude plus expectative et plus tiède

36

.

Du côté flamand, on retrouve parfois un ton plus modéré. Globalement, on expose la si- tuation sans prendre position. C’est même le cas des libéraux. Mais des indices, certes plus discrets, laissent supposer une sympathie davantage portée à la Pologne. En effet, des liens sont suggérés entre la Lituanie d’une part, l’Allemagne et la Russie de l’autre

37

. Du côté de la Volksgazet, les journalistes ne prennent pas vraiment parti

38

. En revanche, la Gazet van Antwerpen livre des articles cinglants sur le rôle de Kaunas. On peut lire dans l’édition du 8 septembre 1920 que :

"Les Lituaniens ont franchit la ligne Curzon et attaqué la Pologne. Une guerre paraît en devoir être la conséquence inévitable. De son côté, la Pologne se déclare prête à laisser régler le différend à l’amiable. (De Lithauers hebben de Curzonlinie overschreden en de Polen aangevallen. Een oorlog schijnt daar het onvermijdelijk gevolg van te moeten zijn. Polen, anders, verklaart zich bereid, het geschil nog minnelijk te laten regelen.)"39

Cette fois, un même jour, on retrouve un quotidien catholique plus sévère qu’un libéral. Il faut toutefois noter que la Gazet van Antwerpen ne s’aligne pas toujours sur le discours des autres quotidiens catholiques. Son discours général sur la Pologne en atteste à mer- veille. Mais, dans ce cas, La Libre Belgique tient un discours similaire. Le ton de l’autre quotidien conservateur, le Standaard, livre une perception plutôt négative des deux camps. En effet, on ne retrouve pas vraiment de déclaration enthousiaste à l’égard de l’un d’eux. Par exemple, on évoque le refus de la Lituanie de donner suite à la proposition polonaise de plébiscite

40

, ou bien encore la critique de l’aventure de Lucjan Żeligowski

41

.

35 "La guerre Russo-Polonaise (…) Le conflit lithuanien vers l’Entente", in Le Peuple, 12 septembre 1920, p. 2.

36 "Le Sort de Wilna sera discuté à Bruxelles", in ibid., 27 mars 1921, p. 3.

37 "Gespannend toestand tusschen Polen en Lithauen", in Laatste Nieuws, 8 septembre 1920, p. 1.

38 Par exemple, une brève tirée de la rubrique "Kort & bondig", in Volksgazet, 1er-2 avril 1922, p. 2.

39 Rubrique "In weinige woorden", in Gazet van Antwerpen, 8 septembre 1920, p. 1.

40 "De Poolsche politiek in Lithauen", in Standaard, 2 septembre 1919, p. 2.

41 "De Wilna-kwestie", in ibid., 27 novembre 1921, p. 2.

(9)

3. Le positionnement contextualisé du ministère et de ses réseaux

Assurément, il s’agit du litige territorial qui recueille l’intérêt le plus manifeste parmi ceux présentés dans cette étude. De surcroît, le profil des sources s’avère un peu différent de celui rencontré dans les autres cas : l’essentiel des documents, dont les deux plus im- portants, proviennent d’archives personnelles, celles de Paul Hymans. Il s’agit, d’une part, d’un rapport que l’ancien ministre réalise à l’occasion des négociations de Bruxel- les. Il remonte au 10 juin 1921. De l’autre, le 21 septembre 1921, on retrouve le procès- verbal de la 18

e

séance plénière de l’Assemblée de la SDN, qui y est consacré. Lors de celle-ci, le Belge intervient encore, c’est-à-dire seulement trois jours après, le 24 septem- bre 1921. Apprécié dès le départ, l’ancien titulaire belge des Affaires Etrangères joue les premiers rôles

42

. Ces deux pièces, fort longues et fort détaillées, offrent un fil conducteur bien utile. A tout moment, l’institution internationale est devant un sérieux défi : résoudre un conflit dans lequel les deux parties campent sur leurs positions alors même que la Rus- sie soviétique et l’Allemagne revancharde sont à leurs portes dans le contexte d’une Eu- rope convulsée. Ces négociations s’annoncent donc des plus ardues. Dès le départ, les désaccords surgissent. Elles opposent non seulement les deux parties les plus directement concernées, polonaise et lituanienne, mais également chacune d’elles aux suggestions formulées par Paul Hymans au nom de la Société des Nations. C’est pourquoi la présenta- tion du cours des négociations s’opère sous forme de triptyque, permettant d’opérer plus facilement les parallèles nécessaires. Ceux-ci conduisent systématiquement à conclure qu’en dépit d’un accord de façade laborieusement obtenu, les divergences demeurent et le règlement des litiges est chaque fois reporté. En bref, on passe d’un sujet au suivant en adoptant des décisions qui n’ont de portée que théorique et partielle. Les deux parties témoignent d’une obstination qui rend futiles toutes les tentatives du président de la conférence, qui déploie une énergie colossale à esquisser des compromis admissibles pour les deux parties. Tout en relatant le cours des événements, les pages suivantes attes- tent de cette situation sans issue. La démonstration est appuyée par des extraits.

42 "Société des Nations. Différend entre la Lithuanie et la Pologne. Rapport présenté par M. Hymans sur la Conférence de Bruxelles (20 Avril – 3 Juin 1921)", Genève, 10 juin 1921, et "Assemblée de la Société des Nations. 18ème Séance Plénière. Samedi 24 septembre 1921, à 10 heures. Président : M. van Karnebeek.

Différend entre la Pologne et la Lithuanie", in Arch. ULB, Fonds Hymans, 01PP, 47. Pologne - Lithuanie.

Un rapport. SN. Un rapport (20 avril – 3 juin 1921). Un discours (24 septembre 1921) sur le différend polono-lithuanien. VAN KALKEN (publ.), Frans, et BARTIER, John (collab.), op. cit., p. 500. A côté de ces pièces, il faut également signaler l’existence de documents relatifs au sujet dans les archives de la SDN (boîtes R575-R582, R 588 et R600 principalement). Toutefois, hormis lorsqu’une information nouvelle est donnée, il ne sera pas fait mention de ces pièces, les sources étant déjà souvent nombreuses et concordan- tes. De surcroît, le travail de Marie-Renée Mouton y fait souvent référence. On reconnaîtra toutefois que leur consultation confirme le rôle de Paul Hymans. Plus encore, il apparaît incontournable. Le même com- mentaire peut être appliqué à l’ouvrage déjà mentionné d’Henri Rolin, pp. 33-36 (cf. p. 317).

(10)

Dans l’exposé du déroulement des événements qu’il livre fin septembre 1921 à l’Assemblée, Paul Hymans remonte bien plus loin que dans son rapport : il évoque les faits les plus marquants depuis la révolution russe. Ses propos sont favorables tantôt à la Pologne, tantôt à la Lituanie

43

. Ces propos équilibrés contrastent avec l’intense activité diplomatique déployée par Varsovie pour convaincre son ancien allié belge. En tout cas, cette observation demeure valable si l’on évoque la question précise de l’attribution du territoire de Vilnius

44

. Si l’on élargit la question à la reconnaissance du pays, on constate que la Belgique conserve la position défendue par l’Entente : toute reconnaissance de la Lithuanie par nous – même de facto – serait une erreur politique

45

. Quelques semaines plus tard, Kaunas sort encore plus discréditée, par les suspicions de la présence d’un nombre considérable d’Allemands parmi les troupes lituaniennes : d’après une source polonaise, il s’agit de trois mille officiers, sous-officiers et techniciens

46

. Cependant, plus que sanctionner telle ou telle partie, la SDN cherche le retour à la paix. Après avoir sug- géré aux belligérants la ligne Curzon comme ligne de partage provisoire, la SDN rem- porte une victoire éphémère : l’armistice est signé le 7 octobre 1920. Mais la déception frappe à nouveau : contournant la ligne de démarcation, Lucjan Żeligowski prend Vilnius avec vingt mille Polonais. Toujours si favorable à Varsovie, la France convainc le Conseil de ne pas exiger plus qu’un désaveu officiel et la promesse d’évacuer la ville en litige. Le général aventurier polonais n’en a cure puisqu’il occupe de vastes territoires – relativisons toutefois, la zone litigieuse couvrant environ 25 000 km², soit une petite Bel- gique. Quant à Józef Piłsudski, il décrit cette action comme le résultat d’un mouvement spontané, porté par le patriotisme des hommes du général et soutenu par tout le pays de Vilnius

47

.

Parallèlement, le Conseil aboutit très vite à la conclusion qu’une consultation populaire constitue peut-être la seule solution à cette situation si compliquée. Elle serait organisée sous ses auspices et son contrôle. Dans son rapport, Paul Hymans, modeste, ne s’attribue néanmoins pas le mérite d’une de ses recommandations, adoptée par le Conseil le 28 oc- tobre. Les deux parties expriment leur accord dès les premiers jours de novembre

48

. Le tableau ne doit pas être noirci immédiatement. Les premières phases s’avèrent même plu-

43 "Assemblée de la Société des Nations. 18ème Séance Plénière… (op. cit.), pp. 1-2.

44Arch. Min. Aff. Etr. (B), Traité polonais des minorités. 1919 à octobre 1920 (dossier 10.714/1)

45 Albert de Bassompierre, "Note pour M. le Ministre", Bruxelles, 19 octobre 1920, in ibid.

46 Rapport de la légation de Belgique à Berlin au ministère, Berlin, 9 décembre 1920, in Arch. Min. Aff. Etr.

(B), Conflit Polono-lithuanien, Plébiscite. Envoi d’un contingent international. 1920/1 (dossier 11.397).

47 MOUTON, Marie-Renée, op. cit., pp. 209-211.

48 "Assemblée de la Société des Nations. 18ème Séance Plénière… (op. cit.)", pp. 3-4 ; MOUTON, Marie- Renée, op. cit., p. 211.

(11)

tôt prometteuses. Ainsi, le Conseil de la Société des Nations parvient à faire signer, le 29 novembre [1920], un armistice

49

. L’ancien ministre belge se garde bien déclarer que celui ne se concrétise pas sur le terrain

50

. Mais une commission militaire s’interpose entre les deux parties et maintient des contacts avec chacune d’elles. Elle parvient même à créer une zone neutre. Plus encore, tout comme l’Espagne, la Scandinavie, la Grèce et ses deux principaux alliés, la Belgique participe à une première internationale. Pas prétentieux pour un sou, Paul Hymans omet de dire qu’il est parvenu à ce résultat en dépit des sérieux handicaps auxquels il était confronté. En effet, il n’a pas seulement à faire à une Pologne de mauvaise volonté puisqu’en force à Vilnius, mais aussi à des pays neutres qui n’ont jamais marqué d’empressement à constituer la force de police internationale : ils n’éprouvent aucune envie de se retrouver en conflit avec les Soviets

51

. Mais le représen- tant belge au Conseil triomphe de ces difficultés colossales. Ainsi, la Société des Nations lance non pas une expédition de guerre, mais une expédition de paix qui attestait la soli- darité des Membres de la Société. Juste avant, la mission de celle-ci est détaillée :

"Le Conseil, d’autre part, se préoccupe de maintenir l’ordre dans la région occupée par les troupes du général Zeligowski, région qui, une fois évacuée par celles-ci, confor- mément aux recommandations du Conseil, réclame évidemment la présence d’une cer- taine force de police. Il décide alors, initiative intéressante, l’organisation d’un corps de police internationale. La Grande-Bretagne, la France, la Belgique, l’Espagne, la Suède, le Danemark, la Norvège, la Grèce, offrent des contingents et le Gouvernement hollan- dais fait savoir qu’il est prêt à soumettre à son Parlement un projet l’autorisant à joindre ses efforts à ceux des puissances que je viens de nommer. Enfin, le Gouvernement fran- çais, qui possédait alors une base militaire à Varsovie, se charge du transport et du ravi- taillement des troupes."52

Le débat sur la participation belge ne porte pas sur la faiblesse des effectifs concernés, néanmoins significatifs au regard de la taille fort réduite du contingent international. Des discussions existent sur les aspects pratiques de l’organisation, mais l’envoi des troupes n’est pas remis en cause. Chacun à leur manière, le Royaume-Uni et la France proposent une aide

53

. La Belgique est également associée à l’organisation civile de la consultation :

49 "Assemblée de la Société des Nations. 18ème Séance Plénière… (op. cit.)", p. 4.

50MOUTON, Marie-Renée, op. cit., p. 211.

51Ibid., p. 211.

52 "Assemblée de la Société des Nations. 18ème Séance Plénière… (op. cit.)", p. 4.

53 Lettre de Paul Hymans (délégué à la SDN) à Henri Jaspar (ministre des Affaires Etrangères), Genève, 26 novembre 1920, in Arch. Min. Aff. Etr. (B), Conflit polono-lithuanien. Plébiscite. Envoi d’un contingent international (1920). En page 1 du document, on apprend que la promesse était de 100 hommes et que le comité militaire de la SDN pour la Lituanie réclame désormais une compagnie et une section de mitrailleu- ses. Télégramme chiffré de Paul Hymans à Henri Jaspar, Genève, 29 novembre 1920, in ibid. et divers télégrammes et lettres échangées entre le premier ministre et le titulaire des Affaires Etrangères d’une part, et Paul Hymans d’autre part, entre le 17 novembre et le 1er décembre 1920, in Arch. Min. Aff. Etr. (B), [Traité polonais des Minorités]. Novembre 1920 à 1921 (dossier 10.714/2 à 4). Paul Hymans, note, Ge- nève, 1er novembre 1920, in Arch. Min. Aff. Etr. (B), Conflit polono-lituanien (dossier 11.397). Léon Dela- croix a pris connaissance de celle-ci. Réponse d’Henri Jaspar à Paul Hymans, Bruxelles, 12 décembre 1920, in ibid.

(12)

"(…) le Conseil envoie sur les lieux une commission civile dans le but de régler la pro- cédure de la consultation populaire, c’est-à-dire de prendre les mesures administratives et politiques nécessaires pour qu’elle puisse avoir lieu.

Cette commission civile est présidée par le Colonel Chardigny, qui présidait déjà la commission militaire. A côté de lui se placent le général Burt, M. Brichanteau, le consul espagnol M. Saura, et mon compatriote le consul de Belgique M. Naze."54

L’affaire progresse assez bien, même si des conditions sont posées. En aucun cas, elles ne sont excessives : un contingent vraiment international et le payement de l’envoi et du maintien des troupes

55

. Paul Hymans demande à son successeur aux Affaires Etrangères de participer à la célébration du plébiscite dans un télégramme :

"Pouvez-vous me désigner une personnalité belge civile ou militaire de religion catholi- que connaissant autant que possible la langue et le pays qui accepterait de faire partie Commission. Durée des travaux deux ou trois mois rémunération assurée par la Société des Nations."56

Quand la situation tourne à nouveau au vinaigre, le délégué belge à la Société des Nations ne manque pas de marquer son amère déception quant à la tournure qu’ils prennent :

"Ce programme si libéral, si intéressant, marqué d’une si évidente pensée de solidarité et de paix, ne peut malheureusement pas être mis à exécution en raison des difficultés et des résistances qui surgissent de toutes parts, notamment de la part des deux gouverne- ments. La Lithuanie multipliait les objections et, d’autre part, les demandes pressantes du Conseil pour obtenir la réduction des troupes du général Zeligowski, qui occupaient le territoire où le plébiscite devait avoir lieu, restaient sans effet."57

A nouveau, les paramètres, modifiés, forcent à repenser la situation. Pour la normaliser et dissiper les influences créées par une longue occupation militaire, il faudrait un séjour prolongé du corps militaire international. Ce n’est qu’à ce prix que la population pourrait renouer avec une parfaite liberté morale. Or, cette hypothèse de travail n’est pas envisa- geable. Le rapporteur n’offre pas d’éclairage quant à cette affirmation. Mais, comme pour convaincre les sceptiques, il ajoute que de sérieuses difficultés pratiques s’opposent à la tenue de la consultation. Il cite entre autres l’indifférence des nombreux Blancs-Russiens vivant dans la région et l’imbrication extrême des langues et des races, qui empêcheraient d’obtenir des résultats clairs et précis qui permettraient de tracer une frontière logi- que. Enfin, pour couronner le tout, des contestations s’élèvent au sein du Conseil pour déterminer la zone soumise à plébiscite. Cette voie s’avère sans issue : l’institution inter- nationale se prononce pour les négociations directes entre Etats sous ses auspices

58

.

54 "Assemblée de la Société des Nations. 18ème Séance Plénière… (op. cit.)", p. 4.

55 Lettre à Paul Hymans (expéditeur non identifié), s.l., 16 novembre 1920, et celle à Arthur Balfour, s.l., 5 novembre 1920, in Arch. SDN, R575.

56 Télégramme chiffré de Paul Hymans à Henri Jaspar, Genève, 1er décembre 1920, in Arch. Min. Aff. Etr.

(B), [Traité polonais des Minorités]. Novembre 1920 à 1921. Décembre 1920 (dossier 10.714/3).

57 "Assemblée de la Société des Nations. 18ème Séance Plénière… (op. cit.)", pp. 4-5.

58Ibid., p. 5.

(13)

Très judicieusement, l’historienne Marie-Renée Mouton suggère un obstacle plus fonda- mental qui se dresse. Elle vise le refus d’obtempérer de la Pologne face aux ordres de la SDN, au premier chef l’évacuation de la zone litigieuse par Lucjan Żeligowski. Or, celle- ci est présentée comme un préalable. En effet, en acceptant cette situation, le Conseil n’est pas à même de se faire respecter et de dégager une solution convenant aux deux parties. Ce comportement apparaît rétrospectivement comme une faiblesse incompatible avec le statut d’arbitre du conflit. Ce constat s’avère d’autant plus grave que les rapports des commissions militaire et civile de l’institution internationale corroborent le reproche lituanien d’une duplicité des autorités varsoviennes dans la prise de Vilnius par Lucjan Żeligowski. Evidemment, représentant le Conseil, Paul Hymans ne peut le concéder dans son rapport : ce serait un aveu d’impuissance. Toutefois, les Alliés, même la France, dé- fendent l’idée que l’exigence doit être égale pour les deux camps, dans leurs intérêts par- ticuliers, mais aussi celui de la paix dans cette partie de l’Europe. Léon Bourgeois, le représentant français au Conseil, n’hésite pas à le répéter au président du conseil français.

Finalement, le président du Sénat français reçoit la promesse de retrait. Après son tête-à- tête avec le maréchal Józef Piłsudski le 4 février, il obtient le lendemain du prince Eusta- chy Sapieha, ministre polonais des Affaires Etrangères, l’assurance de la démobilisation des troupes de Lucjan Żeligowski. Il obtient également le transfert de l’administration aux autorités locales le temps de la consultation. Quant aux craintes relatives à l’attitude des Soviets formulées par la Lituanie, Varsovie estime qu’elles sont sans fondement puisque ceux-ci se sont déclarés désintéressés de tout litige entre la Pologne et la Lituanie lors des préliminaires de paix de Riga. Malgré toutes ces avancées, le plébiscite n’aura pas lieu

59

.

La prise de conscience de son impossibilité intervient assez rapidement : la méfiance rè- gne non seulement entre les deux parties, mais aussi entre celles-ci et les deux commis- sions, civile et militaire, de la SDN chargée d’apporter une solution au conflit. Chacun des camps craint d’être lésé par ses décisions. De surcroît, les Polonais ne concrétisent même pas la première partie de leur promesse, à savoir une réduction des effectifs sous la direction de Lucjan Żeligowski. Le colonel français Pierre-Auguste Chardigny, chargé par la SDN de préparer le plébiscite et d’assurer la liberté et la sécurité du vote à venir, demande dans ce contexte des renforts et des délais plus importants. Cela inquiète le Conseil. Réunis en séance privée le 24 février 1920, ses membres manifestent de sérieu- ses appréhensions et font face à plusieurs déconvenues. En effet, une note de Georghi Tchicherine relance l’angoisse à propos du comportement des Soviets. Alors que la

59 MOUTON, Marie-Renée, op. cit., pp. 212-213.

(14)

Suisse s’était déjà opposée au passage de troupes, de matériel ou de ravitaillement sur son territoire, les députés néerlandais interrompent le débat suite à la note du leader bolchevi- que. Le Britannique Arthur Balfour, l’Espagnol Jose Maria Quiñones de León mais aussi le Belge Paul Hymans expriment combien ils sont peu rassurés. En effet, la menace communiste vient se rajouter à une longue liste de facteurs peu favorables : l’éloignement du territoire, la disette qui y sévit en même temps que le typhus, le prix d’une telle expé- dition. Suivant la position de Pierre-Auguste Chardigny, le gouvernement propose de renoncer au plébiscite impossible. Après le réquisitoire de ce représentant, le délégué français à la SDN dénonce la vraie stratégie d’obstruction menée par les deux parties, qui rivalisent de mauvaise foi et de résistances pour repousser sans cesse l’exécution. Le 3 mars 1920, le plébiscite est définitivement enterré

60

.

Cette attitude moins favorable de la France s’explique facilement. La Pologne ne semble montrer aucune disposition à la discussion. Au contraire, elle témoigne d’un manque de diplomatie – et peut-être de reconnaissance – envers les Français. En effet, par une mala- dresse exceptionnelle, le premier secrétaire de la légation de Pologne à Paris s’excuse pour le criblage par œufs du colonel susmentionné en gare de Vilnius. Mais l’exaspération de la Pologne pointe : le Français est critiqué pour son manque présumé de tact et la SDN pour son ingérence dans les affaires de la Lituanie centrale. L’affront s’avère double : il ne se limite pas à l’ingratitude à l’égard de la France puisque l’institution internationale est également visée. Or, celle-ci se démène depuis des mois pour le règlement d’un conflit qui retarde la paix dans cette partie du Vieux Continent.

Cette fois, face à une Pologne à l’appétit territorial apparemment insatiable, la France et l’Angleterre convergent sur l’essentiel : les deux conviennent de la nécessité pour les deux Etats rivaux d’entretenir des rapports étroits et durables pour eux et la paix euro- péenne. Ils écartent le fédéralisme : quoiqu’estimant que cette solution offrirait les meil- leures garanties, ils sont conscients de l’opposition résolue des Lituaniens à cette option.

Ils prônent une union pour une durée déterminée, sur des points ciblés, entre partenaires égaux. Les deux grands Alliés souhaitent ainsi l’établissement d’une politique étrangère et d’une défense communes, éventuellement élargie aux affaires économiques et financiè- res d’intérêts communs. Ces matières seraient gérées par les délégations des parlements des deux pays, qui recourraient au Conseil de la SDN ou à la Cour internationale de Jus- tice en cas de désaccord. Quant au litige territorial, la Lituanie devrait accorder à Vilnius une large autonomie

61

.

60 MOUTON, Marie-Renée, op. cit., pp. 213-216.

61 Ibid., pp. 216-218 (217 pour les citations).

(15)

*

* *

Puisque des obstacles créés de part et d’autre rend[e]nt impossible d’organiser, dans les conditions d’équité requise une consultation populaire dans le territoire contesté de Vil- na, le Conseil de la Société des Nations confie à Paul Hymans la présidence des négocia- tions directes à tenir à Bruxelles, dans un délai d’un mois, pour dégager une solution à toutes les questions litigieuses. En bref, la Belgique se retrouve au centre du règlement, tant par le choix de la présidence que du site des discussions

62

. Trois mois plus tard, l’ancien ministre fait une relation particulièrement modeste de son rôle :

"Je n’étais ni un arbitre, ni un médiateur. Mon rôle était infiniment plus modeste. Je de- vais présider les négociations, les organiser, tâcher de les orienter. Je devais ajuster les rouages, faire marcher la machine, en surveiller le fonctionnement et verser de l’huile, beaucoup d’huile dans les engrenages. Cette tâche était évidemment assez simple. Pour la remplir, j’ai cependant rencontré bien des difficultés."63

Avant même le début de la conférence, il est en effet confronté à l’entêtement, l’obstination et l’absence de disposition au compromis des deux parties. Il constate que [s]ur cette question de Vilna (…) la violente opposition, le heurt brutal de deux thèses opposées et absolument inconciliables

64

. Dès lors, le report de l’ouverture des négocia- tions n’a rien de surprenant. Les négociations s’ouvrent finalement, avec près de trois semaines de retard, le 6 mai 1920. Elles dureront près d’un mois

65

.

Les négociations s’engagent très mal. Tout en feignant d’accepter les conditions posées par le Conseil des Nations à l’organisation de la réunion, les parties exigent tantôt davan- tage de leur adversaire, tantôt refusent d’en respecter elles-mêmes certaines les concer- nant

66

:

62 "(…) Rapport présenté par M. Hymans sur la Conférence de Bruxelles (20 Avril – 3 Juin 1921) (op.

cit.)", pp. 1-2.

63 "Assemblée de la Société des Nations. 18ème Séance Plénière… (op. cit.)", p. 6.

64Ibid. p. 6.

65 MOUTON, Marie-Renée, op. cit., p. 218.

66 "(…) Rapport présenté par M. Hymans sur la Conférence de Bruxelles (20 Avril – 3 Juin 1921) (op.

cit.)", p. 2.

(16)

Propositions de la SDN Objections de la Lituanie Objections de la Pologne E x i g e n c e s a d r e s s é e s a u x d e u x p a r t i e s

1. maintenir les administra- tions actuelles et,

2. sauf autorisation de Paul Hymans, interdiction d’organiser des élections

E x i g e n c e s a d r e s s é e s à l a P o l o g n e : 1. Żeligowski doit rentrer

dans la disciplineet 2. doit réduire ses troupes, 3. ne pas renforcer ses troupes régulières ;

Le maintien provisoire de ces troupes polonaises ne peut légitimer leur pré- sence.

Exprim[e] des réserves formelles sur les deux pre- miers points.

E x i g e n c e s a d r e s s é e s à l a L i t u a n i e : 1. pas plus de 2 divisions et

2. ravitaillement de la zone en litige sous le contrôle de la SDN.

Veut participer au contrôle de la distribution des vivres à la population civile.

Veut distribuer en dehors de tout contrôle les vivres lituaniens qui lui seraient vendus.

Sur les sept conditions reprises, trois seulement ne souffrent pas d’objections ; une qua- trième n’est critiquée que par la partie polonaise. Globalement, les dimensions politiques et administratives ne semblent pas poser de problèmes à court terme. Par contre, tant sur la question des troupes polonaises que sur celle de l’approvisionnement en vivres et en semence soulèvent des oppositions, mais en sens contraire. Malgré cette situation com- promise, le Belge ne perd pas espoir : en stipulant expressément que le débat sur le fond du litige serait précédé par une discussion en vue d’un accord sur le statut provisoire du territoire contesté, il parvient à convaincre les deux gouvernements d’envoyer à Bruxel- les, dès le 18 avril, des délégués munis de pleins-pouvoirs

67

.

Mais l’accord acquis péniblement pour la rencontre ne présage nullement de sa réussite.

Au contraire, la divergence sur les conditions préliminaires n’augure rien de bon. Toute- fois, Paul Hymans marque indéniablement un point. Victime d’une indisposition, le Pro- fesseur Szymon Aszkenazy doit laisser dans un premier temps sa place au ministre de Pologne à Bruxelles, le Comte Ladislas Sobanski, qui ouvre les négociations avec Ernes- tas Galvanauskas, ministre lituanien des finances, du commerce et des transports. Au tout début, lors de la première réunion, qui a lieu le 20 avril, deux jours après l’arrivée des deux délégations, le président de la Conférence progresse modestement, mais sûrement.

Ainsi, il obtient le retrait de l’ordre du jour du problème du ravitaillement [qui] avait perdu de son intérêt. La Pologne marque en réalité un point sur cette question. En contes- tant l’idée du Conseil en la matière, le temps utile pour l’envoi des semences est écoulé.

Or, même si des désaccords séparaient la délégation lituanienne et l’institution internatio- nale, les deux s’étaient prononcées en faveur d’un contrôle international, associant ou non

67 "(…) Rapport présenté par M. Hymans sur la Conférence de Bruxelles (20 Avril – 3 Juin 1921) (op.

cit.)", p. 2.

(17)

les autorités de Kaunas. Seule Varsovie s’y opposait : elle gagne cette bataille puisqu’en l’absence d’une décision en ce sens, les deux autres parties lui laissent une plus grande marge de manœuvre. Ce n’est pas une défaite personnelle de l’ancien ministre belge des Affaires Etrangères : il s’agit d’une condition préalable posée par le Conseil de la Société des Nations. Sur le point suivant, les Lituaniens prennent plus de précaution. Paul Hy- mans avait proposé comme solution de compromis la discussion combinée de l’occupation militaire et l’organisation de la région de Vilna d’une part et le règlement définitif de la question. Ils se réserv[e]nt le droit de soulever de nouveau les questions préliminaires

68

si les débats ne devaient pas aboutir. En conclusion, la première réunion aboutit à une petite victoire, très partielle, des Polonais tandis qu’un accord, certes pré- caire, permet de préciser plus encore la méthode censée être poursuivie.

Le Président de la Conférence n’adopte toutefois pas un ton euphorique. Lors de ses conversations privées avec chacune des délégations, il prend pleinement conscience des différences d’appréciation et des dispositions respectives qui allaient présider au débat.

Sans revenir sur celles-ci, exposées bien plus en détails un peu plus loin, il est intéressant de constater le fossé qui sépare les deux pays. La Lituanie n’est prête à accepter aucune restriction à sa souveraineté tandis que la Pologne plaide pour un lien fédéral entre la zone en litige et la Lituanie d’une part, entre cette dernière et la Pologne d’autre part

69

. A l’occasion de l’arrivée du professeur Szymon Aszkenazy, les deux parties adoptent une énième déclaration théorique : toutes deux reconnaissent que le principe d’égalité et de souveraineté des deux Etats (…) doit servir de base à toute solution des questions liti- gieuses. Les termes généraux et l’absence de contrainte laissent toute latitude à chacune.

Malheureusement, la solution ne progresse pas. En effet, la complexité de l’affaire en cause apparaît encore plus grande qu’au départ, puisque la fixation des frontières et la question des relations futures entre les deux Etats semblent inextricablement liées. Certes, il évoque l’idée que certains caressaient initialement : la réalisation d’une entente qui, sur les points essentiels, rapprocherait et harmoniserait les intérêts des deux nations voisi- nes

70

. Paul Hymans travaille de plus en plus sur des cas de figures hypothétiques, voire improbables. Il obtient des deux délégations d’envisager la question des relations futures, en partant de l’idée qu’une solution était déjà trouvée à la question épineuse des frontiè- res :

68 "(…) Rapport présenté par M. Hymans sur la Conférence de Bruxelles (20 Avril – 3 Juin 1921) (op.

cit.)", pp. 2-3.

69Ibid., p. 3.

70Ibid., p. 3.

(18)

"C’est pourquoi j’ai proposé de réserver provisoirement toute discussion sur le litige ter- ritorial, et de commencer par examiner, en supposant ce litige réglé à la satisfaction des deux parties, la question des relations à établir entre elles, sous le triple rapport de leur politique étrangère, de leur défense militaire et de leurs intérêts économiques."71

Les trois volets sont successivement envisagés. Les délégations présentent des projets systématiquement inconciliables. Ensuite, le président de la Conférence propose de pour- suivre plus tard des discussions. En bref, aucune question ne sort réglée. Le cas de l’économie s’avère édifiant en la matière

72

:

Demandes de Projet de la SDN basé sur les la Pologne

1. clause de la nation la plus favorisée, 2. facilités réciproques pour le transit, 3. accord monétaire quand les changes le permettront et

4. libre échange comme principe di- recteur

la Lituanie 1. une union douanière et 2. le libre échange n’a pas de sens

principes suivantes : 1. rapprochement économique, 2. entrée réciproquement libre des produits des deux pays et 3. liberté pour la politique doua- nière avec les pays tiers et 4. étude de la faisabilité de rap- prochement monétaire

Il ne propose qu’une étude. Comme annoncé ci-dessus, il n’y a pas de solution, même partielle, adoptée. Il reste dans des termes généraux. Certes, dans la foulée de l’adoption de la résolution du 9 mai reprenant les principes présentés dans la troisième colonne, il tente de proposer une formule plus détaillée :

"Je proposai de spécifier que l’accord ne devrait pas s’appuyer sur la clause banale de la nation la plus favorisée, mais prendre plutôt l’aspect d’un accord régional, justifié par des intérêts communs particuliers ; que l’objet à atteindre étant un rapprochement maximum des deux pays dans le domaine économique, la libre admission réciproque des produits devrait être la règle, avec les exceptions justifiées par la législation fiscale de l’un ou de l’autre Etat, ou par les conditions anormales du change ; et que, pour don- ner au système à la fois la continuité et la souplesse désirables, il conviendrait de pré- voir la création d’un organe technique permanent qui étudierait en même temps les questions monétaires."73

Mais cela amène à constater une fois de plus des divergences. Si la Pologne se prononce en faveur de la création d’un tel Conseil économique permanent, la Lituanie s’y refuse, soutenant au contraire l’idée d’un rapprochement économique spécial entre les deux pays, en dehors de la clause de la nation la plus favorisée. En conclusion, les négocia- teurs tournent en rond

74

. L’exemple pourrait être transposé aux aspects militaires et à ceux relatifs à la politique étrangère

75

. Le Belge n’arrive pas à bout de l’obstination des deux parties.

71"(…) Rapport présenté par M. Hymans sur la Conférence de Bruxelles (20 Avril – 3 Juin 1921) (op.

cit.)", p. 4.

72Ibid., p. 4.

73Ibid., pp. 4-5.

74Ibid., p. 5.

75Ibid., pp. 4-5.

(19)

Le président de la Conférence invite alors les deux délégations à revenir sur le sort de Vilnius, qui occupe les séances des 14 et 23 mai 1921. Pour l’attribution, chacun se mon- tre catégorique

76

:

Arguments de la Lituanie Arguments de la Pologne 1. histoire du Grand-Duché

de la Lituanie ;

2. renoncement des Soviets à la suzeraineté sur le terri- toire de Vilnius (Traité de Moscou, 12 juillet 1920) ;

3. Lituaniens majoritaires, seuls 20% de Polonais ; 4. dépendance économique de Vilnius et sa région et 5. récuse toute manifesta- tion pour la Pologne.

1. La Lituanie ethnographique et celle historique, qui n’a jamais eu de caractère national; association étroite de cette Lituanie à la Pologne depuis le XIV° siècle;

2. Rejette cet argument juridique, en se basant d’une part sur l’abrogation, antérieure, de tous les traités rela- tifs au partage de la Pologne (28 août 1918) et, d’autre part, le renoncement des Soviets à trancher un litige entre les deux pays à l’Ouest de la frontière établi par le traité de Riga (article 3) ;

3. soutien qu’il y a 60% de Polonais dans la région contestée, une ample majorité ;

4. Pologne nécessaire au relèvement de la région et rejet de l’argument lituanien de la dépendance économique et 5. Manifestation ardente de la population en faveur de la Pologne.

Le désaccord porte déjà sur les données initiales servant de base à des critères qui ne convergent que partiellement. Face à ces deux thèses absolues et irréconciliables, il uti- lise sa technique habituelle : il propose un énième vade-mecum pour déterminer comment progresser, un avant-projet d’accord qui pourrait servir de base de discussion sur tout l’ensemble des questions soumises à la Conférence. Celui-ci s’inspire de la pensée que la question territoriale et celle d’un rapprochement entre les deux Etats [ne] peuvent être réglées que conjointement

77

. Candidement, on pourrait croire à des avancées si les Etats venaient à marquer leur accord. Certes, Paul Hymans souhaite, pour faciliter et accélérer l’accord, que les deux Gouvernements [polonais et lituanien] se persuadent que le projet constitue un ensemble

78

. Pour lui, si les parties ne peuvent admettre que ce qui leur est favorable, les discussions emprunteront une voie sans issue. Toutefois, le 25 mai 1921, dans une note, il étale son pessimisme quant au résultat probable de la démarche :

"(…) il me paraît vraisemblable qu’aucune des délégations ne prendra la responsabilité de se dérober à la discussion du projet, mais qu’elles chercheront l’une et l’autre à en obtenir des modifications et à revenir ainsi plus ou moins à un programme répondant à leurs vues personnelles primitives."79

76"(…) Rapport présenté par M. Hymans sur la Conférence de Bruxelles (20 Avril – 3 Juin 1921) (op.

cit.)", p. 6.

77Ibid., p. 6.

78 Note de Paul Hymans, Bruxelles, 25 mai 1921, p. 1, in Arch. Min. Aff. Etr. (B), Pologne. Traité des Mi- norités. IV (dossier 10.714).

79Ibid., p. 1.

(20)

Face à tant d’adversité, il sollicite l’appui de ses alliés britannique, français et italien en leur demandant d’intervenir auprès des deux gouvernements, polonais et lituanien

80

. Cy- niquement, on pourrait affirmer que les seuls progrès qui sont constatés prennent la forme d’exclusion de certaines possibilités de solution, certaines d’être rejetées par l’une des deux parties

81

. Par exemple, les Lituaniens n’admettent pas l’option fédérale : ils crai- gnent la disparition ou l’absorption. La déception doit frapper Paul Hymans : non seule- ment, ses consultations l’avaient souvent orienté vers cette possibilité, mais il estime qu’elle offrait la solution la plus satisfaisante

82

. En dépit de ces déconvenues répétées, le sujet soulève des intérêts en dehors des cercles de l’ancien titulaire des Affaires Etrangè- res. En effet, le chef de cabinet du Roi prépare la réception du 4 juin. Il dresse des por- traits élogieux de plusieurs invités, tant des délégations lituanienne et polonaise, que des membres de la Société des Nations impliqués dans la tentative de résolution du litige. Par contre, il ne laisse filtrer aucune de ses opinions ni de celle de son souverain

83

. A la veille de la réception, ne voyant plus aucune issue, Paul Hymans s’en remet au Conseil. C’est le retour au point de départ

84

.

Ainsi, la Conférence sait ce qu’elle ne veut pas. La seule victoire réelle dont l’ancien mi- nistre des Affaires Etrangères peut se targuer porte sur l’appui supposé des Grandes Puis- sances à son avant-projet. Paul Hymans se retrouve bien malgré lui empêtré dans un li- tige où les parties adverses répugnent même à accepter une base, non contraignante, pour aborder l’objet de leur dispute. En effet, la Lituanie insiste sur le fait que son accord n’implique que l’acceptation du document comme base de départ. Mais la Pologne va encore plus loin : elle la conditionne. La délégation de Varsovie soutient que les négocia- tions ne sauraient être continuées qu’avec la participation, sur un pied d’égalité, d’une représentation de la population intéressée [celle de Vilnius et de sa région]. Le blocage contrecarre les plans du président de la conférence : la partie polonaise prie de surseoir aux négociations actuelles jusqu’au moment où les représentants légitimes de la popula- tion (…) de la Lithuanie centrale (…) pourraient y prendre part. Elle demande donc l’intervention d’une troisième délégation alors même que les troupes de son pays oc- cupent l’essentiel du territoire. Après le coup de force militaire, Varsovie s’apprête à opé- rer un autre à caractère diplomatique

85

.

80 Note de Paul Hymans, Bruxelles, 25 mai 1921, pp. 1-2 (op. cit.).

81 "(…) Rapport présenté par M. Hymans sur la Conférence de Bruxelles (…) (op. cit.)", p. 6.

82Ibid., p. 7.

83Arch. Palais Royal, Cabinet du Roi. Albert Ier (1909-1014 et 1919-1934). 841.

84 MOUTON, Marie-Renée, op. cit., p. 218.

85 "(…) Rapport présenté par M. Hymans sur la Conférence de Bruxelles (20 Avril – 3 Juin 1921) (op.

cit.)", p. 6.

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