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UNE DISPUTE GÉNÉTIQUE

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REVUE SCIENTIFIQUE

UNE DISPUTE GÉNÉTIQUE

Nous avons r a p p o r t é longuement comme un cas d' « hérédité dirigée », l'histoire des canards du Collège de France (1). Rappelons qu'il s'agit d'une série d'expériences faites par le professeur Jacques Benoit, qui enseigne l'histophysiologie, science des fonctions des tissus organiques. Elle consistait à croiser artificiellement deux races bien différentes de canards : le Pékin, de plumage blanc soufré et de bec orangé, avec le canard K h a k i Campbell, de plumage jaune brun et de bec noir v e r d â t r e . L'artifice était nouveau : on injectait aux cane- tons Pékin, toutes les semaines dès la sortie de l'œuf, une substance chimique le A D N K h a k i , constituant fondamental des chromosomes.

Logiquement on pensait que cette substance, porteuse des qualités héréditaires, devait être capable de modifier un sujet d'une autre race en l u i donnant tout ou partie de ces qualités. N'avait-on pas v u , en particulier par les belles expériences de B o i v i n à Strasbourg, qu'une espèce de bactéries avait été ainsi transformée en une autre ? Il fallait voir maintenant si la m ê m e transfusion génétique pouvait réussir chez des animaux plus évolués et, sans s'attarder aux innom- brables degrés intermédiaires, on s'attaqua à la classe des oiseaux.

Les r é s u l t a t s , publiés aux comptes rendus de l'Académie des sciences depuis le 29 avril 1957, furent encourageants. Certes, malgré la pureté et l'efficacité de l ' A D N employé, qui provenait des testicules du canard K h a k i , la descendance des sujets traités ne présentait pas de variation considérable. Il y avait création d'un type intermé- diaire chez 8 femelles sur 9 et seulement chez un mâle sur 31 parce que les mâles avaient reçu cinq injections de A D N au lieu de 19. Les caractères nouveaux de cette première génération étaient le brunisse- ment du bec, le blanchissement du plumage, le front bas et ovale de la t ê t e , l'allure moins élancée, le poids plus faible, bref un certain

(1) Revue du 1e r octobre 1957 et du 1e r novembre 1958.

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nombre de traits qui semblaient rapprocher du type K h a k i les sujets opérés. Chose curieuse : le plumage était devenu blanc de neige au lieu de brunir comme il aurait dû le faire si la m é t a m o r p h o s e avait été plus complète. La modification concernait surtout le bec, les pattes et la structure générale. Ajoutons que les sujets étaient physiologi- quement et sexuellement normaux.

Le croisement entre eux des produits de cette première génération donna vingt et un individus qui avaient subi une transformation plus accentuée du bec ; le fond n ' é t a i t plus orangé mais jaune sans présenter la teinte ardoisée des K h a k i et les taches sombres qui parsemaient le bec des parents. C'est désormais sur cet aspect du bec que se portèrent principalement les efforts du professeur Benoit et de ses collaborateurs en vue de prouver que l'injection de l ' A D N K h a k i avait vraiment modifié le patrimoine héréditaire des canards Pékin. Comme nous l'avions souligné naguère la démonstration était d'importance et on comprend que les génétistes, tous les biologistes m ê m e , s'intéressèrent à ce phénomène d'hérédité dirigée. La grande presse en fit mention comme une découverte majeure de notre époque.

Cependant les critiques se firent entendre. Les plus incisives furent émises par un distingué professeur à la faculté de médecine et à la faculté des sciences de Nancy, M. Robert Lienhardt. Ancien élève de Lucien Cuénot, il avait reçu de son maître une instruction génétique complète et il est actuellement un des savants les mieux initiés aux problèmes de l'hérédité. Ses travaux ont porté sur les vertébrés supérieurs et plus spécialement sur les oiseaux. Il était tout qualifié pour donner son opinion sur les canards du Collège de France.

Il l'a exprimée nettement dans une communication à l'Académie Stanislas de Nancy publiée avec des compléments en une brochure d'une cinquantaine de pages (1). Il y a suivi ligne à ligne et c o m m e n t é les notes scientifiques de son collègue parisien, au nombre de six publiées entre 1957 et 1960. Tout de suite il déclara que « les carac- tères p r é t e n d u s nouveaux apparus sur les canards traités n'offraient en réalité aucune caractéristique inconnue de l'espèce canard ». Pour l u i il s'agit de simples retours ataviques qui sont si fréquents chez ces oiseaux. Dans une note présentée devant la Société de biologie de Nancy, il exposa d'ailleurs « les modes héréditaires de la couleur du bec chez le canard sauvage et chez ses dérivés domestiques ».

Il y démontrait que ce genre d'hérédité ne dépendait pas de gènes simples, dominants ou récessifs, mais de deux modes i n d é p e n d a n t s relatifs l'un à l'hérédité de la panachure, l'autre à l'épaisseur des téguments.

Mais revenons à son dissentiment sans nous excuser d'entrer dans des détails qui ont tous leur importance. Le grief principal est que les animaux d'expérience n'offraient pas les garanties de p u r e t é raciale. Les canetons Pékin provenaient d'un élevage commercial qui, bien que spécialisé, pouvait avoir laissé s'adultérer les lignées.

(1) Imprimerie G. Thomas, Nancy.

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Les auteurs, dit M. Lienhardt, auraient dû préparer eux-mêmes leur matériel en partant d'un seul couple de canards adultes, faisant incuber les œufs fécondés et surveillant la constitution des produits pour les soumettre à des croisements consanguins, tout en prenant dans ces générations les oiseaux non traités destinés à servir de témoins. Faute de ces précautions scientifiques on s'expose à voir reparaître des caractères récessifs, c'est-à-dire latents, résultant d'hybridations antérieures parfois très lointaines. Les animaux domestiques, dont l'origine se perd dans la nuit des temps, ont subi en effet tant de croisements en vue d'améliorer la race, que leur hérédité n'est jamais à l'abri d'une disjonction fortuite des caractères anciens.

Depuis Naudin et depuis Darwin c'est là un p h é n o m è n e qui a été constaté souvent par les éleveurs et par les zoologistes ou les bota- nistes. Les races considérées comme fixées sont sujettes à ces retours anormaux. Isidore Geoffroy St-Hilaire, qui s'est beaucoup intéressé au problème, a cité le cas des vers à soie. Lorsque le ver à cocons jaunes fut introduit en France au x v me siècle, une sélection plus ancienne avait fait prédominer les vers à cocons blancs dans la pro- portion des neuf dixièmes. Malgré les sélections qui continuèrent on ne put jamais éliminer totalement les cocons jaunes, c'est-à-dire obtenir la lignée pure que l'industrie réclamait. Dans l'ignorance où l'on est des hybridations antérieures on attribue souvent à une muta- tion, c'est-à-dire à la variation subite d'un gène, due à une cause inconnue, ce qui n'est peut-être qu'un retour atavique. Le cas est fré- quent chez les oiseaux domestiques dont Guyénot a souligné la multiplicité et l'ancienneté des races. C'est pourquoi le professeur Lienhardt suspecte la lignée des canards Pékin du Collège de France.

Il indique que cette race est originaire d ' E x t r ê m e - O r i e n t et a été importée aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne vers 1870. Elle résultait du croisement d'un canard chinois autochtone et d'un autre canard blanc très r é p a n d u sous le nom de « Coureur indien » dans toutes les contrées. Les canes é t a n t très bonnes pondeuses, ce croisement a amélioré la race chinoise. Ce ne fut pas assez pour les consommateurs occidentaux qui reprochaient au canard de Pékin la qualité médiocre de sa viande. On le croisa donc aux Etats-Unis avec un canard blanc plus comestible et en Angleterre avec le canard d'Aylesbury, blanc de neige qui résultait de sélections soigneuses.

On voit que le canard de Pékin a de nombreux ancêtres et qu'il peut donner lieu à des retours ataviques. N'est-il pas possible que les inoculations chromosomiques pratiquées aient p e r t u r b é son patri- moine au point de favoriser une telle disjonction ? i

M. Lienhardt déclare que le canard de Pékin a « une descendance anarchique ». Pendant de nombreuses générations cette descendance ne fut guère homogène. La taille était inégale, la couleur du bec variait du jaune orange au jaune clair, le plumage du blanc cru et lisse au blanc crème frisé. L'aspect rappelait t a n t ô t la race d'Ayles- bury, t a n t ô t celle du Coureur indien. En outre ce canard de Pékin

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est encore à notre époque l'objet de croisements de « retrempe » avec cette dernière race pour accroître la ponte. Quant à la race K h a k i Campbell dont les expérimentateurs du Collège de France p r é t e n d e n t avoir transmis certains caractères à la race de P é k i n , ils sont le produit de croisements faits il y a un demi-siècle entre le canard indien de couleur fauve et le canard de Rouen de couleur claire. C'est aussi une race mal fixée et qui de plus présente une p a r e n t é étroite avec la race de P é k i n , car elles dérivent toutes les deux du Canard commun et du Canard indien. A cet égard son choix n ' é t a i t pas très recommandable pour une hybridation arti- ficielle.

Il y a davantage, selon le critique nancéien. La couleur ardoisée du bec, dans laquelle les e x p é r i m e n t a t e u r s voient l'action des chro- mosomes K h a k i , ne constitue pas du tout une preuve parce que les canards blancs communs p r é s e n t e n t parfois ce caractère anormal.

Ce serait un reste de panachure, chez des oiseaux au plurnage primi- tivement bariolé qui a ensuite passé progressivement au blanc. Il faut savoir en effet q u ' à côté de l'hérédité mendélienne toute simple dont les caractères se disjoignent en proportion a r i t h m é t i q u e dans les générations successives, il existe une hérédité en mosaïque, plus complexe, qui provoque le mélange des caractères à des degrés diffé- rents j u s q u ' à l'homogénéité apparente, comme chez les m u l â t r e s issus d'un blanc et d'une négresse. Selon L a n g ce ne serait point là une entorse aux lois de Mendel. Ce genre d'hérédité résulterait de la multiplicité des facteurs héréditaires et par suite d'un grand nombre de combinaisons statistiques. L'extension du blanc serait propor- tionnelle au nombre des facteurs en jeu dans les individus. En outre on a mis en cause des facteurs qui accentueraient ou réduiraient la panachure. Remarquons en passant que, les gènes é t a n t des parti- cules matérielles repérables e x p é r i m e n t a l e m e n t dans certaines conditions, on peut en imaginer tant qu'on veut en les douant des propriétés voulues pour justifier les exceptions aux règles. On sait combien Pierre Duhem s'est élevé contre cet abus de la théorie physique qui a recours aux facteurs cachés pour expliquer les p h é n o - mènes. En génétique on va j u s q u ' à supposer des gènes « modifica- teurs » qui transformeraient un caractère dominant en caractère récessif.

La pigmentation du bec chez les canards de Pékin inoculés peut donc être aussi bien un retour atavique de l'ancêtre K h a k i , et la couleur rose du fond un retour de l'ancêtre d'Aylesbury, sans faire intervenir les opérations pratiquées. Pour M. Lienhardt, qui a vu les oiseaux en question à l'élevage de Gif, la forme des « Blanche- neige » ne rappelle pas celle des canards donneurs, pas plus que celle de tout autre canard. La seconde génération présentait tous les types intermédiaires entre le type P é k i n et le type Aylesbury comme il résulterait de l'hybridation initiale. Un autre caractère, donné comme essentiel par les auteurs, é t a i t la disparition de la couleur jaune du bec Pékin et son remplacement par une couleur rosée ; cela pourrait

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être le retour au type anglais. Enfin l'apparition tardive de taches bleutées au bec des mâles et à la palmure des femelles, signalée dans la communication de janvier 1960 comme une anomalie imputable à l'inoculation, est aussi un caractère banal chez les canards des deux sexes, de race ou a b â t a r d i s . Ce serait un effet de panachure.

On le voit, la dispute génétique qui s'est élevée entre le profes- seur Benoit et le professeur Lienhardt est de caractère t r a n c h é . E l l e ne laisse entrevoir aucun compromis. Le premier persiste à croire que le développement pendant trois ans de son expérience originale prouve que la substance héréditaire, l'ancienne chromatine ou nucléine du noyau, est capable de modifier les races, m ê m e les espèces interfécondes, et que l'hérédité dirigée est possible dans les hauts degrés de l'évolution. Le second affirme au contraire, en s'appuyant sur lès connaissances puisées à l'école du grand Lucien Cuénot et dans de nombreux travaux personnels appréciés, que les m é t a m o r - phoses constatées au Collège de France, ne sont qu'un p h é n o m è n e d'atavisme dû à l'emploi d'une lignée impure, ne p r é s e n t a n t pas toutes les garanties minutieuses définies par Johannsen dans son mémoire célèbre sur les haricots. Il ne nous appartient pas de pren- dre parti dans ce différend. Nous nous bornerons à présenter quelques observations qui aideront peut-être les esprits curieux de biologie à se faire une opinion.

Ils pourront se demander d'abord si les progrès de la génétique qui sont énormes depuis quinze ans ne les y aideraient pas. On connaissait avant la guerre la structure des chromosomes et des gènes qui y sont a t t a c h é s en des points parfois exactement repéra- bles. On avait aussi observé en détail les phénomènes de la division et de la conjugaison des chromosomes lorsque l'œuf vient d'être fécondé. Ce qu'on a appris r é c e m m e n t c'est leur nature chimique, ainsi que celle des constituants du noyau, et tous les détails de l'acti- vité cellulaire. On sait la correspondance entre les gènes et certaines particularités du corps, — le plus souvent des déficiences. La subs- tance porteuse de l'hérédité est l'acide désoxyribonucléique ( A D N ) ; la substance complémentaire qui permet la synthèse des protéines est l'acide ribonucléique ( A R N ) . Elles se p r é s e n t e n t sous l'aspect de longues molécules doubles et torsadées qui sont réunies latérale- ment par des aminoacides, des sucres, des phosphates dans un ordre régulier.

Plus que la chimie, c'est la géométrie et la mécanique qui président aux échanges moléculaires et à la construction de l'organisme. On dessine des schémas pour expliquer comment l ' A D N s'élabore lors de la multiplication des cellules en informant les protéines du plan héréditaire, comment • le A R N sert de moule et de régulateur des constructions. On parle beaucoup d ' « information » dans cette repré- sentation architecturale. Répétons que ce mot, e m p r u n t é à la cyber- nétique, est un abus de langage, à moins de revenir au sens ancien qui est « donner une forme », et cela peut se faire par simple empreinte;

mais au sens moderne l'information est un renseignement qui exige

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l'activité de l'esprit, et c'est bien la confusion qu'on veut créer en biologie, en rapportant à des affinités physiques ce qui est le fait d'un principe organisateur. Quels que soient les progrès de l'anatomie microscopique, les représentations par figure et mouvement manque- ront toujours de cet élément soustrait aux dimensions de l'espace et qui seul a le pouvoir d'informer sans jeu de mots.

Dans sa recherche de la correspondance entre l'anatomie micros- copique et la structure ou le comportement de l'organisme, la généti- que a dû renoncer à considérer le gène comme une simple particule matérielle. Les choses sont autrement compliquées. Comme le remarque Cuénot avec un certain d é s a p p o i n t e m e n t dans son Evolu- tion biologique, l'action d'un gène s'étend à d'autres caractères parfois invisibles comme la vitalité et le psychisme. Lorsque plusieurs paires de gènes concourent à un même effet apparent les combinai- sons nouvelles croissent en progression géométrique. La génétique se m a t h é m a t i s e et devient une science difficile, comme le constate Cuénot en avouant qu'il en est resté de parti-pris au stade élémen- taire. En outre le gène ou le groupe de gènes n'exerce pas une influence parfaitement définie ; il peut être modifié par un certain territoire corporel ou par le milieu extérieur. La génétique expérimentale a encore de beaux jours devant elle avant de résoudre tous les pro- blèmes de l'hérédité.

T h é o r i q u e m e n t on s'explique mal comment l'inoculation de chromosomes étrangers en un point du corps peut, sauf quelque contamination locale, altérer l'œuf ou les spermatozoïdes d'un ani- mal, seuls agents de transmission de l'hérédité. Ce n'est qu'avec des animaux unicellulaires qui se reproduisent en dehors de la sexualité par multiplication qu'on a réussi à métamorphoser une espèce en une autre. On devrait essayer ces opérations sur des animaux infé- rieurs ayant déjà quelque degré d'organisation, entre espèces très voisines et interfécondes. Quant à appliquer l'hérédité dirigée à l'espèce humaine, ce qui est peut-être l'arrière-pensée de certains biologistes téméraires, voit-on où cela pourrait nous conduire ? Sous le prétexte d'eugénique, c'est-à-dire d'amélioration de la race, on entreprendrait d'inoculer, à la naissance et dans les premiers mois de la vie, la substance chromosomique e m p r u n t é e à des hommes tenus pour supérieurs. Le génie ne serait plus ainsi qu'une question de greffe. Sans insister sur le danger de fabriquer des génies en série, que d'autres risques mortels ne ferait-on pas courir aux pauvres opérés ? A force de vouloir asservir la nature à ses ambitions déme- surées, l'homme ivre de science ne finira-t-il pas par détruire son espèce ?

R E N É S U D R E .

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