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Malek Haddad et le voyage : «Ballade sur 3 notes».

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Academic year: 2022

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Des Langues et des Discours en question

Malek Haddad et le voyage : «Ballade sur 3 notes».

Préambule

La revue «Novembre »1a publié un écrit de Malek Haddad très particulier qui se situe entre la note de voyage et le témoignage. Dans cette impression s’intitulant «Ballade sur 3 notes » la mémoire orchestre les souvenirs des voyages effectués dans diverses villes du monde. Celles-ci ne sont pas décrites ; en fait, elles sont le prétexte à une intense expression émotionnelle éprouvée à chaque périple, au contact de chaque ville.

Pour ce faire, l’auteur recourt au sens profond des mots que seules la sensibilité et la poésie savent contenir.

Une poésie libre de toute contrainte, de tous procédés d’écriture étriqués, une poésie qui rejoint un air léger de chanson pour devenir une ballade.

Chaque ville visitée est rattachée à une marque distinctive puisée dans le patrimoine ou dans l’autobiographie. Ainsi Aix-en-Provence se distingue par deux signes : les «fontaines » et «les bachots »2 . Le lexème «fontaines » relié à cette ville du sud de la France se remarquait déjà dans le premier roman3 de M.

Haddad. En effet, Saïd le personnage central de la Dernière impression qui se rend de Constantine à Aix- en-Provence pour se recueillir sur la tombe de son amie Lucia, note la présence de ces monuments distinctifs :

«On ne meurt jamais pour quelque chose, se disait Saïd en regardant les fontaines qui disaient des prières. » p1154

1 N° 1 d'avril – mai 1964, Alger.

2 Qui font référence aux études de droit entamées par M. Haddad à Aix-en-Provence au début des années 1950.

3 La dernière impression. Paris, Julliard, 1958. réédition : Alger, Bouchène, 1989.

4 Edition Bouchène.

Benachour Nedjma

© Cahiers de la recherche du SLADD N°01 octobre 2002

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Ces fontaines, dans ce lieu si particulier et dans un moment de profonde émotion et concentration intérieure, jouent le rôle (dire des prières) qui incombe au narrateur.

Mais ces fontaines de la ville française ne sont-elles pas présentes dans cette note et dans le roman autobiographique pour raviver le souvenir d’une autre fontaine, celle du quartier de Sidi Djeliss où se trouvait l’école primaire de la ville natale ?

Dans «Ballade sur 3 notes », M. Haddad précise sa propre conception du voyage. Grand voyageur, 5 il a séjourné dans d’illustres capitales (Pékin, Paris, Tokyo, Le Caire, New Delhi, Moscou, etc.) phares historico-culturels et véritables carrefours de rencontres plurielles où la différence et la diversité sont une richesse d’un apport considérable.

Cependant, M. Haddad fait un constat : la connaissance de pays et de peuples différents offre au voyageur l’opportunité d’effectuer un voyage, d’abord, intérieur : «En fin de compte je n ‘ai voyagé qu’en moi-même.

L’histoire prenait le pas sur la Géographie et les statistiques faisaient la loi.

Elles font encore la loi et le poète vit dans un état de remords permanent dès qu’il sait tout ce que peut dissimuler un clair de lune, une aurore géniale, un crépuscule de magie. Son émerveillement le culpabilise, lui qui vient tout droit des pays de merveilles. » 6

A chaque voyage, le poète apprend à se connaître à la mesure de l’Autre. Si les paysages, les sites changent d’un pays à un autre, les hommes quant à eux s’accrochent immuablement aux même valeurs : «J’ai apporté de mes voyages un sentiment de réconfort : partout l’homme veut vivre, il est partout question de colombe et de liberté et partout, au plus profond de sa misère ou de sa détresse, l’homme veut faire beau. Il décore sa précarité. On dirait qu’il s’habille d’éternité. » pp. 22- 23.

Dans cet énoncé le voyageur associe les mots «colombe » et

«liberté ». Cet oiseau, symbole de diverses valeurs universelles, telles la pureté, la paix, la tendresse, est investi dans la littérature de Haddad de charges spécifiques. Colombe est la traduction du prénom de la mère de

5 Il a visité et séjourné dans différentes villes de divers pays et continents. Des pays tels la France, la Suisse, l’Inde, la Russie, la Chine, le Japon, la Tunisie, l’Egypte etc.

6 Ecrit Haddad dans «Ballade sur 3 notes », revue Novembre op. Cité. p22.

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Malek Haddad et le voyage : «Ballade sur 3 notes»

l’auteur (Hemmama). Il suggère le monde de la douceur maternelle mais aussi l’amour du pays enchaîné et qui aspire à la liberté. Dans Le malheur en danger7, Hemmama, la mère, est très vite récupérée par la symbolique que propose le mot «colombe ». J’ai relevé quelques vers où se donne à lire cette association :

«Ma mère est toujours belle Je l’accompagne tous les jours On l’appelle Colombe

Mais en arabe est son prénom8 » Ou

« Ma mère et la colombe Ont le même prénom

Ma mère pleure tous les jours

Ses cheveux blancs sont des gendarmes Elle sait des chansons

Qu’on écoute à voix basse Le malheur a bon dos Mais dites-moi son nom. »9 Dans un autre poème sans titre :

« Mon nom de guerre Est la colombe

C’est marrant ça alors…10 », le mot «colombe » est associé à la guerre qui, rattaché à l’extra - texte du Malheur en danger (celui de la guerre de libération), sous-tend le lexème «liberté » relevé dans «Ballade sur 3 notes ».

• CONSTANTINE DANS CE TEMOIGNAGE

Comment (et pourquoi) Constantine, ville natale de M. Haddad participe-t-elle à cette note - témoignage ?

7 Recueil de poèmes de M. Haddad. Paris, La NEF de Paris, 1956 ; réédition, Alger, Bouchène, 1988.

8 Le poème : «J’ai toujours écrit pour mériter ma mère » in Le malheur en danger, op. , cité p.38.

9 Ibid. p 57 (poème sans titre)

10 Ibid. p. 53 (poème sans titre.).

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C’est précisément le lexème «colombe » qui permet à la ville natale et maternelle de faire incursion dans le texte car tout voyage est ontologiquement vécu.

Dans chaque ville visitée, M. Haddad voit «Constantine ».

En effet séjournant au Caire, il constate : «Je n’eus a

ucun sentiment de découverte. Je connaissais cette ville, je me retrouvais chez moi. On ne frappe pas à la porte de son domicile. » p23

Cet écrivain qui a visité beaucoup de villes, ne décrit dans «Ballade sur 3 notes » que le Caire et Paris. Les autres capitales, telles Tokyo, New Delhi, Lausanne, Moscou, etc, sont signalées par des énoncés allégoriques faisant appel aux formules plus stéréotypées que personnelles : « Lausanne toute froissée dans sa sagesse, son lyrisme ordonné… » ; New Delhi écrasée par je ne sais quelle malédiction surréaliste, ses vaches convaincues de leur divinité… » ; «Je ne peux oublier Tokyo –technicolor …et l’infernal silence qui plane sur la plus grande fourmilière du monde. »…La neige sur Moscou récitait du Pouchkine et l’étoile était rouge, comme je l’avais imaginée sur le Kremlin de mes souvenirs scolaires. » ; p 23 etc.

Si pour donner ses impressions sur ces villes, M. Haddad utilise des figures de style consensuelles et universellement admises et comprises, il procède, par contre, différemment pour décrire le Caire et Paris. Le rapport à ces deux villes relève du particulier et du privé portés par des marques où le référentiel (relatif à certains quartiers, certaines rues, certains sites ou à des personnalités artistiques, etc.) est dissipé par la charge émotionnelle et intime : Je sens le Caire, je respire le Caire. Il me rend libre et presque moi- même…Au Caire les heures ne changent pas, tout simplement on change de décor…Je me suis confié au Nil…je marchais dans la joie des chemins retrouvés. Je pouvais prénommer chaque palmier, chaque boucle du fleuve. » ; Paris est ressentie ainsi : «A Paris j’ai réalisé qu’une ville, n'était pas l’œuvre des urbanistes mais celle des poètes. Les poètes donnent une âme à la maison et la rue de Seine ne serait qu’une artère qu’une artère étroite encombrée, obscure, sans Prévert. » p26

La place privilégiée qu’occupent Paris et le Caire dans cette note- témoignage, est due, d’une part, aux rencontres personnelles de l’auteur avec

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Malek Haddad et le voyage : «Ballade sur 3 notes»

l’histoire, la culture, la littérature, la chanson propres à ces deux capitales :

«Paris n’est qu’un phénomène littéraire et je donne à ces mots leurs dimensions scolaires, quotidiennes, débonnaires. Je ne peux séparer Vincent Scotto de Racine, Aragon de Léo Ferré. » ; et d’autre part, aux appels incessants de la ville natale. En effet, le poète n’est point dépaysé dans le Caire. La grandeur des Pyramides ne lui rappelle -t- elle celle du rocher, du site de Constantine ? : «Je jetais un regard distrait sur les Pyramides. On ne s’attarde pas à contempler un spectacle familier. »p 23. Le Nil ne fait-il penser au Rhummel ?

Cette «Ballade sur 3 notes », trois musiques «Paris de la chanson que j’écoute en passant. », n ‘est-elle pas une balade permise par trois notes de voyage où les trois fleuves, le Nil, la Seine et le Rhummel, donnent aux trois villes – mémoire la dimension grandiose qui leur sied : «Ballade sur trois notes, pèlerinage au creux du rêve et de la réalité, trois fleuves m’ont dit l’importance des gouttes d’eau. Trois fleuves comme trois phrases, trois paraphrases. » p 28

Si, comme je l’ai signalé ci-dessus, le lexème «colombe » ouvre le chemin, le mot «Rhummel » permet à Constantine de s’installer dans l’énonciation : «Le fleuve est un artisan de génie. Qu’il s’agisse du Nil, de la Seine ou du Rhummel, il est cette phrase qui coule, qui radote et qui ronge et rage et qui roucoule, cette phrase qui s’étale, qui s’enroule, au manuscrit des permanences, qui passe et qui s’en renaît toujours. Le fleuve est la mémoire des Hommes. » p23

Cet extrait est une parfaite démonstration du rôle énonciatif que joue le fleuve dans la stratégie d’écriture ; comme dans un manuscrit, il est la phrase- fleuve qui s’étale, qui coule. A l’image de certains textes de génie, il est la pérennité et la constance.

Aller à la rencontre des villes et des configurations spatiales étrangères, apporte un plus à la ville natale. En effet, le Caire et Paris visitées par M. Haddad ne diminuent pas les sentiments de fidélité et de fierté éprouvés pour Constantine et son site, comme le précise cet énoncé : «Le Caire, Paris et Constantine. Et surtout Constantine. Le Nil, la Seine et le Rhummel. Et surtout le Rhummel. Les horizons s’élargissent et s’étalent. » p27

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L’exclamation «Constantine est un chef-d’œuvre ! », marque le sentiment immuable de l’auteur envers sa ville. Constantine ainsi aimée ne peut être qu’une page choisie, « un chef-d’œuvre », et par conséquent un

« morceau » d’anthologie, un florilège : « Mon pays a du talent. Tous les pays ont du talent. Mais il faut bien se résigner à choisir parmi tous ces morceaux, choisir, et ce, sans préférer, mû seulement par l’instinct, par cette fidélité qui dépasse les mots.» p27.

A l’instar des villes inconnues qu’on découvre avec étonnement et curiosité, Constantine participe au même phénomène. A chaque retrouvaille cette ville natale est admirée avec un regard neuf : «Constantine m’émerveille et m’étonne et mes regards sont toujours neufs. Le paradoxe n’est qu’apparent, je reviens toujours à Constantine pour la première fois. » p27

Cet énoncé révèle l’incursion de la ville natale dans un texte qui se veut un témoignage mais aussi une note de voyage.11 Constantine que le poète connaît pour y être né, y avoir vécu, reste pourtant à découvrir. A chaque voyage effectué à l’étranger, M. Haddad éprouve le besoin de la revoir pour la mettre, [et se mettre] à l’épreuve. Le voyage, - la distance et la séparation- loin d’atténuer la relation entre le poète et sa ville, lui apporte, au contraire, un enrichissement considérable.

Le Rhummel et les rues de Constantine sont les touches essentielles ajoutées par l’artiste, au tableau « impressionniste ». Si les gorges, le ravin forment le site remarquable de Constantine, M. Haddad rend, ici, hommage à son artisan : le Rhummel.

Ce fleuve a façonné les lieux : « Il a laissé ses traces. Il a dédicacé ma ville. Il a mis du temps, mais le temps importe peu » p28. Cette capacité talentueuse est exprimée par des figures de style puisées dans les registres telluriques «il fulmine » et anthropomorphiques : «Alors il se refuse et s’en va. Il nargue les ponts…Et, si il n’a pas toujours d’encre dans son stylo, c’est qu’il attend l’orage pour écrire à sa place. Il n’est pas paresseux…Il n’est pas d’autre explication aux sanglots et à la colère du Rhummel. » p28

11 A travers diverses villes étrangères.

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Malek Haddad et le voyage : «Ballade sur 3 notes»

Ces procédés de mise en valeur, qui donnent aux phrases une sémiotique théâtrale faite de divers mouvements, insinuent le domaine de l’écriture. Tel un écrivain, l’eau du Rhummel « une encre de son stylo » « a dédicacé » Constantine en y laissant son propre cachet, son propre talent

«ses traces » . A l’instar des deux autres fleuves, Le Nil et la Seine, le Rhummel est «une phrase, un paragraphe. »

Ce procédé rhétorique n’est pas innocent. M. Haddad, poète, l’emprunte à ce qu’il a de plus précieux : sa propre pratique artistique, à savoir l’écriture. En effet, les rues de Constantine permettent à l’écrivain d’ancrer le texte dans son contexte social : celui des premières années de l’indépendance. Ces rues associées aux cigognes12 dépassent la simple toponymie afin d’être une véritable page d’histoire où sont portés les noms de ceux qui ont contribué à la libération du pays : «Et puis, les rues de Constantine. Et puis le lyrisme de Constantine. Et puis les cigognes des Constantine. Et des noms, beaucoup de noms, de quoi rebaptiser toutes les rues. Ben Badis, Ahmed Rida Houhou, et toi Saïd13, et toi mon frère.

L’Algérien Untel… Et je sais pourquoi les cigognes, en survolant la place des Martyrs,14 battent des ailes. C’est l’hommage et l’optimisme. Elles saluent mon drapeau. » p28

Cet ancrage social explique la note finale du texte. Les trois villes, chères à l’écrivain, sont portées par trois fleuves qui charrient l’histoire des peuples : « Trois fleuves m’ont dit l’importance des gouttes d’eau. Trois fleuves comme trois phases, trois paragraphes … Il faudrait recenser toutes les gouttes d’eau.

Pour mieux savoir les larmes, le sang, et la sueur des hommes. » p28 Cette note qui se veut une Ballade à travers des capitales étrangères et la ville natale est un triptyque. Cette triple attirance est la consécration de trois univers sociaux, à la fois différents et complémentaires où la culture française (Paris), arabe (le Caire), et constantinoise sont la clef au voyage davantage intérieur et ontologique que réel.

12 Il existait à Constantine une rue « des Cigognes ».

13 Personnage de La dernière impression.

14 Ancienne place de la Brèche.

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