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Academic year: 2022

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Trois notes égyptiennes

Alexandrie, l'Egypte et Rutebeuf

Le poète médiéval Rutebeuf a consacré un long poème de 1306 vers à la vie attribuée par l'hagiographie chrétienne à Sainte Marie l'Egyptienne. Sa plus récente édition critique est celle d'Edmond Faral et Julia Bastin, Œuvres complètes de Rutebeuf, Fondation Singer-Polignac, A. et J. Picard, Paris, 2 vol., 1976-1977. Elle figure au tome II, p. 9-591•

La littérature d'édification a souvent évoqué, en grec et en latin, puis, au Moyen Age, dans diverses langues, la figure de cette jeune Egyptienne qui aurait précocement quitté ses parents et la vallée du Nil pour venir se prostituer à Alexandrie. Après des années de débauche, elle se serait convertie et retirée au désert, en Palestine, où son renoncement et ses mortifications auraient attiré pèlerins et voyageurs.

Au début du poème, les vv. 39-42 (qui évoquent son départ de la maison familiale) méritent qu'on s'y arrête:

A douze anz lessa pere et mere Por sa vie dure et amere.

Por sa vie en fol us despandre2 Ala d'Egypte en Alixandre.

A en juger par les anthologies contemporaines et par l'édition Faral- Bastin, la séquence "ala d'Egypte en Alixandre" gêne ses lecteurs.

Dans une anthologie, retenue ici parmi d'autres (elle n'est ni meilleure ni pire que maints ouvrages du même type), celle d'André ChasteI3, j'en vois proposer la transposition "elle alla à Alexandrie d'Egypte"4, ce qui suppose une antéposition bien rude et peu vraisem- blable du déterminant géographique.

1 Les éditions critiques et commentaires de ce poème antérieurs à 1976 sont énumérés p.16.

2 "Pour dépenser sa vie en fol usage".

3 Elle s'intitule Trésors de la poésie médiévale textes choisis, établis, traduits et annotés par André Chastel, Le club français du livre, Paris, 1959. Elle groupe trois textes de Rutebeuf, dont les vv. 35-114 de la Vie de Marie l'Egyptienne p.706-711, dont elle appuie l'édition sur les Rustebuefs Gedichte d'A. Kressner Wolfenbüttel, 1885, et Les poésies personnelles de Rutebeuf d'Ho Lucas, Strasbourg, 1938.

40.1. p. 707.

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Si je passe à l'édition Faral-Bastin, j'en lis le commentaire suivant p. 21:

"Comme si Alexandrie n'était pas en Egypte. Erreur provenue de T, disant (v. 106): "s'enfuï en autre regné" et, plus loin (v. 113): "En Alisandre en est venue".

Dans la terminologie Faral-Bastin, la lettre T désigne un poème ano- nyme français de 1550 octosyllabesl , daté de la fin du XIIe siècle, qui raconte aussi, bien avant Rutebeuf, l'histoire de Marie l'Egyptienne. Or, ces deux éditeurs ont souligné que Rutebeuf lui a beaucoup emprunté, l'ordonnance générale de son poème2 et des vers entiers, voire des séries de vers3. Leur raisonnement est donc simple et d'une logique appa- remment rigoureuse: Rutebeuf a tiré son v. 42 ("Ala d'Egypte en Alixandre") des vv. 106 et 113 de T, préférant "Alixandre" de 113 à

"regné" de 106 probablement par goût du plus précis4. Alexandrie étant au bout de la vallée du Nil, Rutebeuf a répercuté l'erreur géographique de T, pensent-ils.

Les choses sont moins simples.

A juger par la bibliographie contemporaine qui lui a été consacréeS, le point de départ de la légende de Marie l'Egyptienne se situe proba- blement dans la première moitié du VIe siècle de notre ère : la rencontre avec la femme ermite en Palestine est rapportée par Cyrille de Scythopolis qui déclare la tenir de voyageurs et qui est mort vers 560. Le matériel dont la légende est faite s'est formé dans l'Egypte protobyzan- tine. Or, de la date de sa fondation à la fin de l'occupation byzantine,

1 Publié par A. T. Baker, Revue des langues romanes LIX, 1916-1917, p.283-379 (Cf. Faral- Bastin, p. 11 et note 2).

2 Dans les sources latines antiques (A, C, P dans la terminologie Faral-Bastin, p.10-11), dans leurs imitations, en vers latins, du Haut Moyen Age (F et H ibid.), le rôle principal était tenu par un moine, Zozimas : persuadé d'être parfait en ascétisme, il apprenait avec surprise qu'il y avait plus parfait que lui en ce domaine, au fond du désert palestinien, en la personne de Marie l'Egyptienne; il partait donc à sa rencontre, et, l'ayant trouvée, il écoutait, de sa bouche, le récit de ses anciennes débauches, de ses repentirs et de sa conversion, apprenant ainsi que l'ascète, même au sommet de sa pratique vertueuse, doit rester humble. C'est T qui a inversé les rôles, en mettant Marie au premier plan: son auteur y raconte la vie de l'Egyptienne au lieu de la faire raconter par elle-même devant Zozimas. Or, Rutebeuf suit fidèlement la disposition novatrice de T, ce qui prouve qu'il a eu son texte sous les yeux.

3 Apparats critiques de Faral-Bastin passim.

4 "Regné" est traduit par "royaume, fief' (Dictionnaire de l'ancienne langue française de Godefroy, VI 744 c-745 a) et "Reich" (Altfranzosisches Worterbuch de Tobler-Lommatsch, VIII 626-627).

5 Analecta Bollandiana, Inventaire hagiographique des tomes l à C (1882-1982), Bruxelles, 1983, p.273, sous la rubrique "Maria Aegyptia paenitens". La plus récente synthèse est apparemment celle de K. Kunze, Studien zur Legende der heiligen Maria Aegyptiaca im deutschen Sprachgebiet, Berlin, 1969 (compte rendu de G. Philipp art dans les Analecta 90, 1972, p.445-448). La première partie est consacrée à l'origine de sa légende et à l'évolution de ses formes jusqu'à son entrée dans le monde germanique (p. 15-39).

(3)

Alexandrie a toujours été administrée à part de l'Egypte, formant une circonscription distincte du reste du pays. Tous les historiens contempo- rains, qui ont traité du sujet, ont évoqué cette particularité!. Si on se place sur le terrain de l'histoire administrative, Rutebeuf a donc eu raison de distinguer Alexandrie de l'Egypte, le rédacteur de T aussi.

Avec raison, l'édition Faral-Bastin insiste sur la grande culture latine2 et théologique3 de Rutebeuf. Je verrais volontiers une autre preuve d'érudition précise et de solide culture classique dans cette distinction, historiquement exacte, entre Alexandrie et l'Egypte4 •

Petempetôs

Pétempétôs est la transcription grecque d'un anthroponyme égyptien dont l'étymologie demeure obscure (M. Pezin, Enchoria VIII/2, 1978, p. 11-12). Il n'yen a que deux références dans le Namenbuch de Preisigke col. 314, SB l, 5359 et 5549.

1 Je n'en cite que quatre ici: André Bouché-Leclercq, Histoire des Lagides nI/l, Paris, 1906, p. 147-148: "Alexandrie n'appartenait à aucun nome: c'était la ville (polis) par excellence, et on appelait ses habitants les politikoi, le reste de l'Egypte n'étant censé peuplé que de provinciaux (nomikoi) ( ... ). La région circonvoisine ( .. .) formait un nome dont le chef-lieu était Hermoupolis-la-Petite (Damanhour)". André Bernand, Alexandrie la Grande, Paris, 1966, p. 49-50 : "Peut-être fut-il [Alexandre] surtout séduit par le fait que la ville serait suffisamment près de l'Egypte pour profiter des richesses immenses de ce pays, et suffisamment loin pour préserver sa personnalité grecque et, surtout, pour échapper au danger des incursions arabes. ( ... ) Alexandrie était en effet protégée C.') par toute la largeur de ce delta, si difficile à franchir quand les eaux du Nil en faisaient une immense nappe d'eau (. . .). Le nom même qu'on lui donna témoigne bien de cette situation privilégiée. On ne disait pas, en effet, "Alexandrie en Egypte", mais "Alexandrie près de l'Egypte" : Alexandrea ad Aegyptum (...) ; l'appellation (...) montre bien la situation très particulière de la cité en marge de cette Egypte (. . .)". Pierre Jouguet, La vie municipale dans l'Egypte romaine, Paris, 1911, p. 10 et 119: "(. . .) la chôra peut être considérée par rapport à Alexandrie (...) comme un pays étranger" ; "Alexandrie reste tout à fait distincte (...)". Il vaut de souligner que la réforme justinienne de l'administration égyptienne (l'Edit XIII) est à peu près contemporaine de la période où se forma la légende de Marie l'Egyptienne. Or, tout en divisant la province en de nombreuses éparchies, Justinien laissa à Alexandrie "une place à part dans l'ensemble" (G. Rouillard, L'administration civile de l'Egypte byzantine, Paris, 1928, p. 28). La préface de l'Edit XIII (ibid., note 4) distingue très soigneusement "J'éparchie des Alexandrins" des "éparchies égyptiennes", ce qui prouve que la séparation administrative fut maintenue.

2 O. 1. l, p. 37.

3 Ibid., p. 39.

4 Dans la plus ancienne rédaction consacrée à la sainte, sa vie, attribuée (à tort ou à raison) à l'archevêque de Jérusalem Sophronios, la distinction est déjà soulignée. Cela ressort nettement du passage traduit par Migne (P. G. 87 ter col. 3710 paragraphe 18): "ego, frater, patriam habebam Aegyptum (...) veni Alexandriam" (Marie raconte ses débauches à Zozimas, d'où l'emploi de la première personne du Singulier).

(4)

Il convient donc, d'abord, d'essayer de mettre à jour la liste de ses attestations. On peut ajouter:

- SB III, 7003, 7004 et 7073 (que l'Onomasticon de Foraboschi a oubliés, v. p. 252) ;

- Les étiquettes de momies IFAO 67 + 92 (deux fragments raccordés) et 89 (publiées dans le BIFAO 74, 1974, p. 54 et 56-57) ;

- Une étiquette du Musée d'Amiens (Enchoria, ibid., n° 4, p. 10-12);

- Les étiquettes du Louvre CEML 271, 495, 498, 569, 589, 683 et 719 (CRI PEL 3, 1975, p. 156, 213, 214, 231, 236, 259; CRIPEL 4, 1977, p. 183).

On a actuellement quinze témoignages au moins de ce nom propre, auxquels on peut joindre un exemple du composé féminin Senpétempétôs, "la fille (sen-) de Pétempétôs", qui apparaît isolément sur CEML 610 (CRI PEL 3, 1975, p. 241). Et cette liste n'est peut-être pas complète.

Tous proviennent d'étiquettes de la région d'AkhmîmJPanopolis.

Comme M. Pezin l'avait déjà reconnu o. 1., p.11, c'était un nom de terroir, ce qui peut faciliter une enquête prosopographique.

Dans ce lot, j'ai déjà repéré une famille "possible"! (BIFAO 86, 1986, p. 65, généalogie n° XIII) en partant d'un couple formé d'un "prophète"2, Pétempétôs, et de son épouse, Tèroutèris: il apparaît dans le groupe IFAO 67 + 92 et 89, autour duquel on peut rassembler SB l, 5548-5549 et, par une association plus lointaine, CEML 275 publié dans le CRI PEL 3, 1975, p. 157.

De son côté, en rapprochant l'étiquette n° 4 d'Amiens3 de CEML 4984, M. Pezin, o. 1., p. 12, avait discerné également une filiation sur quatre générations :

Bèsis 1 Amiens 4 CEML498 Pétempétôs Amiens 4

CEML498 Bèsis 2 Amiens 4

CEML498 (mort à 37 ans) Senpétéminis Amiens 4

(morte à 13 ans).

1 Sur la fragilité des hypothèses de groupements fondées sur les seules concordances onomastiques, v. BIFAO 86, p. 52, § 9.

2 Sur l'emploi du mot grec "prophètès" pour traduire une fonction sacerdotale indigène, v.

par ex. le Dictionnaire de la civilisation égyptienne de G. Posener, S. Sauneron et J.

Yoyotte, Paris, 1959, s.v. "clergé", p. 58.

3 "[Momie de] Senpétéminis, fille de Bèsis, petite-fille de Pétempétôs, arrière-petite-fille de Bèsis, âgée de 13 ans".

4 "[Momie de] Bèsis, fils de Pétempétôs, petit-fils de Bèsis, âgé de 37 ans".

(5)

Je crois possible de la compléter de deux autres étiquettes:

1- CEML 719 concerne un "Hôros l'aîné, fils de Pétempétôs, petit-fils de Bèsis, âgé de 48 ans" qui pourrait avoir été un frère de Bèsis 2 et un petit-fils de Bèsis 1.

2 - CEML 495 concerne "Hôros le cadet, fils de Pétempétôs, et de Sérembèsis". S'il était le frère du précédent et de Bèsis 2, on connaîtrait le nom de l'épouse de ce Pétempétôs.

J'avoue ne savoir que faire du reste (CEML 271, 569, 589, 610, 683 ; SB l, 5359, et III, 7003, 7004). Toutes ces tablettes semblent isolées, pour l'instantI.

SB III, 7073, mentionne un couple Pétempétôs-Sényris, également isolé.

Sur une tablette de Copenhague (P. Haun. II, 44)

Publiée dans les P. Haun. II, p. 73-74, cette tablette de bois a la forme d'une plaque rectangulaire, prolongée sur un côté par une poignée percée d'un trou de suspension, au travers duquel pouvait passer une ficelle. Sa forme2 suggère que c'était une étiquette ayant servi au trans- port d'une momie, mais son formulaire, chrétien3, qu'elle avait tenu lieu d'épitaphe.

Cette ambiguïté a inspiré deux remarques à son éditeur, l'une, sur le formulaire ("C .. ) very common on Christian tombstones, but never, to my knowledge, found on mummy-Iabels", p. 74), l'autre, sur la nature de la tablette ("the classification of the object presents a problem. The shape and the string-hole point to its being a mummy-Iabel, but the contents are those of a funerary stele", p. 73).

Sur le premier point, on peut apporter un correctif: une autre tablette de bois, au Louvre, porte le même formulaire chrétien, complet cette fois.

C'est CEML 1115 (CRI PEL 5, 1979, p. 264): "[Momie d'] Artémidôra fille de Mikkalos et de Paniskiaina l'aînée. Elle s'est endormie dans le Seigneur".

1 CEML 569 et SB III, 7003, soulèvent un problème d'authenticité: le premier concerne un certain "Pétéminis le cadet fils de Pétempétôs", le second, un certain "Pétempétôs fils de Pétéminis le cadet". Dans le BIFAO 86, 1986, p. 74, note 5, j'ai évoqué, à leur propos, une présomption de falsification. On peut imaginer, en effet, un faussaire assez habile pour avoir copié un texte authentique en inversant les termes de la filiation. Mais, si falsification il y a eu (elle n'est nullement prouvée jusqu'à présent), il est impossible de discerner lequel des deux textes est le faux copié sur l'autre. Ce qui aiguise toujours le soupçon en matière d'étiquettes de momies, c'est le témoignage de l'égyptologue G.

Daressy, ASAE 26 1926, p.3, signalant la présence de spécialistes de la falsification sur bois (statues et étiquettes), à Akhmîm, dans la dernière décennie du XIXe siècle, époque où les antiquaires locaux ont vendu beaucoup d'étiquettes à l'étranger.

2 V. la planche XVI. J. Quaegebeur a consacré quelques lignes, dans PLB 19, 1978, p. 236, à décrire cette forme, déjà attestée par quelques planchettes.

3 "Le bienheureux Merkour (ios) s'est endormi".

(6)

Sur le second, il faut rappeler une évidence: les ateliers de momifi- cation, où se rédigeaient les étiquettes, et les ateliers de graveurs, où se taillaient les épitaphes, étaient proches, certainement, les uns des autres, dans les nécropoles ou à leurs portes. Ces étiquettes, atypiques parce qu'elles portent des formules ou une disposition matérielle inspi- rées des épitaphes, ne font probablement que révéler l'influence de graveurs sur leurs voisins embaumeurs. Pour témoigner de ces inter- actions, je me limiterai, ici, à deux étiquettes, SB X, 10389, et CEML 746 (CRIPEL 4, 1977, p. 190), qui imitent, par la disposition des mots, les colonnes verticales juxtaposées, caractéristiques de quelques stèles funérairesl .

La planchette de Copenhague n'est donc pas une exception. Elle trouve sa place parmi ces imitations, de même que l'étiquette, traduite plus haut, de la chrétienne Artémidôra, CEML 1115. A la différence de SB X, 10389 et CEML 746 qui imitent la disposition matérielle des épitaphes, l'étiquette de Copenhague et CEML 1115 imitent leur vocabulaire.

1 Sur ces points de contact, v. Anagennèsis III/l, 1983, p. 121-123.

B.BOYAVAL Université de Lille III

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