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Notes égyptiennes

Sur le décret en l'honneur de Damoxénos

On connaît le décret de Lindos qui accorde l'honneur de la proxénie au Naucratite Damoxénos. Voici la traduction la plus récente de cette décision, dans A. Bernand, Leçon de civilisation, Paris, 1994, p. 131 :

"Il a plu au Conseil et au Peuple. Despôn était secrétaire, Archéanax a proposé : que Damoxénos, fils de Hermôn, habitant en Egypte, soit inscrit comme proxène des Lindiens et comme bienfaiteur dans le sanc- tuaire d'Athéna, et qu'il ait l'exemption d'impôts, lui et ses descendants, le droit d'entrée et de sortie en temps de guerre et en temps de paix, et que l'inscrive aussi en Egypte, dans l'Hellénion, Polyklès, fIls de Halipolios, et qu'il transcrive ce décret sur une stèle de pierre".

A. Bernand y voit "une preuve de la consolidation des bons rapports entre une cité grecque et l'Egypte" (0.1. p. 130) et l'indice que "la poli- tique inaugurée par Psammétique a porté ses fruits" (0.1. p. 131).

Le texte n'en dit pas tant, me semble-t-il.

Certes, on ignore les étapes chronologiques de l'histoire de Naucratis, donc quand et comment ce qui n'était d'abord qu'un marché est devenu une polis; mais on admet communément que cette mutation était acquise vers 615-610 avant J.-C., à la fin du règne de Psammétique 1er (0.1. p. 217). Il est dès lors certain qu'à la date que son écriture et son formulaire assignent à ce décret (seconde moitié du

ve

siècle avant J.-C.) les Naucratites vivaient depuis longtemps dans une cité grecque de type usuel, avec des institutions autonomes par rapport au pouvoir égyptien.

Ce constat rend inutile l'hypothèse d'une intervention de ce dernier:

la proxénie était une procédure interne à chaque cité (p. Monceaux l'avait déjà souligné, en 1885, dans ses Proxénies grecques pp. 228, 308-310) et l'initiative est partie de Grecs (les Lindiens) à destination d'un autre Grec (Damoxénos) ; le pouvoir pharaonique n'avait donc pas à intervenir dans cette affaire. Le décret révèle tout au plus un rapprochement entre des Grecs de la côte est de Rhodes (où se trouve Lindos) et des Grecs du Delta (où se trouve Naucratis), rapprochement sans doute lié à un développement contemporain des relations commerciales entre les deux régions.

Je crois qu'A. Bernand surinterroge aussi le texte quand il écrit à son propos, 0.1. p. 130, que "le grec était un ciment renforçant cette amitié

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entre Egyptiens et Grecs qu'avaient voulu établir des rois comme Psammétique et Amasis". Dans l'esprit des Lindiens, ce texte était seulement destiné à l'usage interne d'une autre cité grecque souveraine et n'avait ni la valeur d'un instrument de propagande envers les allophones égyptiens ni l'ambition de cimenter une amitié politique avec eux.

La taxation des animaux

Le Tarif de Coptos énumère, à la date du 10 Mai 90 après J.-C., les montants des droits à percevoir sur les personnes, animaux et matériels qui empruntaient la route de Bérénice, à l'est de Coptos. Dans la liste, figurent deux animaux de transport, le dromadaire 1.21 (taxé 1 obole) et l'âne 1.27 (taxé 2 oboles). Comme la disproportion des droits exigés à Coptos a frappé tous les commentateurs (A. Bernand, Les portes du désert, 1984, pp. 204-208), il me paraît opportun de revenir sur le cas de ces deux animaux.

Intrigué par l'apparente anomalie qui consiste à taxer l'âne au double du dromadaire, A. Bernand vient de proposer cette explication: « C'est vraisemblablement parce que le dromadaire, avant le départ, faisait son plein d'eau et de nourriture, coûtant ainsi moins cher à l'organisation»

(La prose sur pierre dans l'Egypte hellénistique et romaine, 1992, tome II, p. 155).

Peut-on raisonnablement supposer que l'administration douanière romaine ait pris en compte les particularités alimentaires et physiologiques d'une espèce animale pour établir sa perception? Le transport de marchandises était du ressort de personnes privées, chameliers et âniers, qui composaient leurs caravanes selon leurs besoins ou ceux de leurs clients. L'administration n'avait donc pas à tenir compte de coûts qu'elle n'assumait pas, pour fixer ses tarifs.

N'ayant à intervenir, éventuellement, que pour l'escorte, afin d'assurer la sécurité dans le désert, elle les fixait certainement en fonction des seuls intérêts du pouvoir.

Je crois que la différence des deux tarifs tient moins aux bêtes qu'à leurs chargements. Aux ânes ont dû être réservées généralement les petites charges, aux dromadaires des charges plus lourdes, puisqu'ils étaient plus vigoureux et ne portaient pas leurs réserves alimentaires (C'est ce qui semble ressortir des tableaux de P.J. Sijpesteijn, Customs duties in graeco-roman Egypt, 1987, pp. 102-103, coll. VII-VIII, pour le cas du Fayoum). Parmi ces charges lourdes, elles aussi taxées, il devait y avoir des matériels destinés aux ports de la Mer Rouge et à sa surveillance par l'autorité. Dans cette hypothèse, j'imagine volontiers qu'une sous-taxation du dromadaire par rapport à l'âne pouvait être économiquement judicieuse, en n'alourdissant pas de frais excessifs des livraisons indispensables à l'armée et à l'administration.

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Les Romains ont favorisé le développement de cette route et l'on a des indices de cette politique (A. Bernand, Les portes du désert, pp. 5-10 et 285). Le tarif préférentiel offert aux chameliers pourrait bien en être un autre.

L'épitaphe de Tnouè

Dans Genava N. S. 38, 1990, 87-90, P. Cauderlier a publié, sous le titre "Epitaphe grecque d'une religieuse égyptienne morte à cent ans", et reproduit une plaque de bois ainsi traduite : "(En) mémoire de Tnouè, nonne; elle a vécu cent ans, décédant le 12 Tybi. N'aie pas de chagrin, nul n'est éternel".

Le document avait été acheté à Akhmîm-Panopolis par R. Forrer, qui en avait donné un fac-similé dans son opuscule intitulé Die frühchristlichenAlterthümer aus dem Griiberfelde von Achmim-Panopolis, Strasbourg, 1893, pL IXJ7, et l'avait ensuite vendu (1895) au Musée d'art et d'histoire de Genève.

En 1907, G. Lefebvre ne l'a pas mentionné dans son Recueil des inscriptions grecques-chrétiennes d'Egypte. En 1915, F. Preisigke a observé le même mutisme dans le tome I du Sammelbuch. Or, Lefebvre connaissait l'opuscule de 1893 qu'il cite (introd. XVIII) et il y a beaucoup de chances pour que Preisigke, "Telegraphendirektor" à Strasbourg de 1903:à 1915, ait connu Forrer, important collectionneur d'antiquités dans cette ville: il a même cédé des étiquettes de momies au Musée de Berlin'(G. Müller, Berliner demotische Texte l, 1913, 8-14).

Poùrquoi un siècle de silence?

Un oubli serait étonnant de la part d'un savant aussi documenté que Lefebvre et un second oubli, de Preisigke, invraisemblable puisqu'il a inséré les autres textes grecs de la collection Forrer dans le Sammelbuch

(1, 175, 3932-3935). Pour Cauderlier, Lefebvre a volontairement exclu ce texte, peut-être parce qu'il n'était pas sur pierre: "(. .. ) ce dernier n'a pas repris notre tablette dans son Recueil, peut-être à raison de son intention de le réserver au domaine de l'épigraphie (stèles sur calcaire, pierre)" (0.1. 90 note 1). Pourtant, par son contenu et l'intention du rédacteur, la plaque de Tnouè ne diffère en rien d'une épitaphe sur pierre.

Cette exclusion soulève le problème du rapport des textes à leur support matérieL Ici, la question à laquelle Lefebvre et Preisigke ont répondu par la négative était de savoir si on peut qualifier d'épigra- phique un texte funéraire transcrit sur un autre support que la pierre. Je crois que, contrairement à eux, on peut donner une réponse positive car le matériau n'était qu'un instrument au service des familles : elles

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utilisaient celui qu'elles avaient pu trouver et payer, le bois, si la pierre coûtait trop cher.

Le même problème se pose à propos des "étiquettes de momies"

(cf. CRIPEL 7, 1985, 91-94). Faut-il exclure de cette littérature des documents d'expédition de momies comme les P. Lille C 76/1-2 (ZPE 31, 1978, 118-120) rédigés non sur bois mais sur papyrus ? On les y inclurait sûrement, si on privilégiait leur fonction postale et identifi- catrice.

C'est l'identité de fonction, me semble-t-il, qui unifie des documents en un groupe homogène. Peu importe que les familles aient choisi le bois ou le papyrus pour accompagner une momie jusqu'à la tombe, le bois ou la pierre pour commémorer un défunt. Les matériaux sont contingents, les finalités ne le sont pas.

Le portrait et l'étiquette d'Eutychès

Très peu d'étiquettes de momies mentionnent une année de règne (BASP 18, 1982, 103-105). On les date donc quasiment toutes d'après leur écriture, la plupart des lIe-IVe siècles de notre ère (J. Quaegebeur, PLB 19, 1978, 240-241). Mais, à l'intérieur de ce trop large cadre qu'impose l'incertitude des critères paléographiques "a more precise dating of individual cases on this basis alone is not possible" (ibid. 241).

Quand j'ai publié une étiquette de momie grecque au nom d'Eutychion, "enfant nourri dans la maison" (threptos) de Kasianos (CRIPEL 3, 1975, n° 465, 206), j'en ai daté l'écriture du troisième siècle.

Il m'est ensuite apparu que cet Eutychion devait être le jeune Eutychès, affranchi (apeleutheros) de Kasianos, qui est mentionné dans la souscription, partiellement effacée, d'un portrait de momie à la cire sur bois, du Metropolitan Museum of Art de New-York, Egypt. Dpt, inv. 18- 9-2 (ZPE 33, 1979, 225-226). En effet, les deux textes ne diffèrent que par le style, moins "officiel", de l'étiquette : elle donne un diminutif, Eutychion, à l'adolescent défunt.

Le portrait et l'étiquette ont dû voyager ensemble du lieu de momi- fication au lieu d'inhumation, le portrait, encastré dans l'enveloppe du corps à hauteur du visage, l'étiquette, accrochée à son cou, comme nous le montrent d'autres exemples de double adresse (PLB 19, 238-239).

Ce portrait a suscité une vaste bibliographie depuis 1920 (cf. KI. Par- lasca, Repertoria d'arte dell'Egitto greco-romano, série B vol. I, Palerme, 1969, n° 167, 73). Dans le commentaire détaillé qu'il lui a consacré (ibid.

72-73), Parlasca s'est appuyé sur des critères iconographiques (position du corps, chevelure) pour le dater ainsi : "Lo stile permette una

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datazione fra i primi anni deI regno di Adriano e la prima età antoni- niana", ce qui nous ramène à la première moitié du Ile siècle.

Cependant, un autre détail iconographique, que Parlas ca signale sans y insister, peut s'opposer à une datation aussi précoce dans l'époque romaine : l'emplacement réservé à la souscription au nom d'Eutychès, sous le bord supérieur de sa tunique (v. la tav. 40 fig. 3). Un seul autre témoignage existe d'une telle disposition, sur une plaque au nom de Klaudianè (Musée des Beaux-Arts de Dijon, inv. GA 5), que Parlasca date "nel terzo trentennio circa deI II secolo" (ibid. n° 236, 90 et tav. 58 fig. 3). Si cette ressemblance dans le traitement des textes est le fait du même atelier, peut-être même d'un seul peintre (le portrait de Klaudianè vient d'Antinoé, apparemment, et Parlas ca suggère la même provenance pour celui d'Eutychès), il devient difficile d'isoler ces portraits aux deux extrémités du siècle.

Dans les Proceedings of the 20th International Congress of Papyrolo- gists, Copenhague 23-29 août 1992, Museum Tusculanum Press, Copen- hague 1994, 579, D. Montserrat est revenu sur le portrait d'Eutychès.

Constatant que les portraits de momies ont toujours été datés sur les seuls critères de l'habillement, des coiffures et parures des défunt(e)s, et qu'on a négligé les écritures de certains d'entre eux, il a cherché des parallèles graphiques à l'inscription du portrait d'Eutychès. Bien qu'il soit risqué de comparer un nombre limité de lettres en mauvais état à des textes papyrologiques plus longs, il a trouvé à son écriture une forte ressemblance avecP. Oxy. LI, 3643 (vers 170 après J.C.) et P. Lond. II, 341 (année 183).

La datation "iconographique" de Parlas ca est maintenant très isolée, au début du second siècle, tandis que les deux datations "graphiques"

nous renvoient à l'extrême fin du même siècle ou au suivant.

Or, dans un livre récent, Mumienportriits : ihre Datierung und kultu- relle Bedeutung im kaiserzeitlichen Agypten, G6ttingen, 1990 (référence dans les Proceedings, ibid.), B.E. Müller propose une date plus basse encore que celle de D. Montserrat, pour le portrait: entre le début et le milieu de l'époque des Sévères. Cet élargissement chronologique, qui peut nous faire descendre jusqu'aux dernières années de Caracalla, n'est pas contredit par l'écriture de l'étiquette.

Dès lors, une datation autour de 170-220 après J.-C. paraît la plus vraisemblable, à cause des écritures.

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La boîte de Kirwan

Beaucoup de documents d'Egypte ont longuement voyagé à travers le pays, des sites où ils avaient été découverts jusqu'aux boutiques des antiquaires où ils ont été vendus. Cette mobilité, qui a même affecté les stèles, pourtant pesantes et peu maniables, est, plus fréquemment encore, attestée dans le cas des papyrus et des ostraca, que leur légèreté rendait faciles à transporter, même si leur fragilité multipliait les risques.

Bien des étiquettes de momies ont voyagé, elles aussi: leurs bois les faisaient plus légères que les stèles et moins fragiles que les papyrus et les tessons.

Il existe une illustration, à mon avis très suggestive, de cette mobilité, dont les détours nous échappent presque toujours, dans un article de L.P. Kirwan, ASAE 33, 1933, pp. 54-58. Sous le titre "Some Roman mummy tickets", il y a proposé la première édition de quarante étiquettes de momies trouvées par lui au Musée Egyptien du Caire, dans les conditions que voici (0.1. p. 54) : "The collection of mummy tickets published below was stored in a tin box in the Museum, marked on the outside Assiut 31586. One of the tickets was inscribed with this number and it may be presumed that they aIl came originally from Assiut". Ces étiquettes ont été, ensuite, insérées au Sammelbuch V, 7697-7736, mais la notice initiale du lot (p. 107) introduit une réserve sur la provenance réelle de plusieurs d'entre elles : "Aus Assiut (in den Texten selbst wird der Herkunftsort der Mumien mehrfach Bompaè und Nèsos genannt)".

A l'évidence, l'éditeur allemand a signifié par là qu'il ne croyait pas à l'hypothèse de Kirwan, selon qui elles proviendraient toutes d'Assiout.

La seule qui en soit sûrement venue est SB 7708 (K. 315861),

puisqu'elle concerne un défunt qui y avait été transporté pour y être inhumé: "Longinus fils de Sarapion. Momie (à expédier) à Lyco(polis)2".

Plusieurs autres défunts, dans ce paquet, sont déclarés "originaires de Bompaé" ou "originaires de Nèsos3" : SB 7702, 7705, 7716, 7721, 7727, 7731, 7733-77354 .

1 L'abréviation K suivie d'un chiffre donne le numéro d'inventaire du Musée du Caire, fourni par K(irwan).

2 Lycopolis

=

Assiout.

3 Depuis les notices d'Ho Gauthier sur la géographie du Panopolite, BIFAO N, 1905, pp. 39-101, X, 1912, pp. 89-130, XI, 1914, pp. 49·63, on admet que Nèsos ("l'Ile") désigne le même site que la séquence Nèsos Apollinariados. Cette île a été localisée à la hauteur de Panopolis/Akhmîm, où le Nil se divise en plusieurs bras entourant des zones insulaires.

Faute de preuve, personne n'a pu confirmer ou démentir cette localisation.

4= K 60288, 60306, 60314, 60298, 60302, 60304, 60292, 60313 pour Bompaé ; K 60311 et 60313 pour Nèsos. Kirwan ne suit pas l'ordre des numéros d'inventaire.

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Or, Bompaé faisait partie du nome Panopolite5 , Nèsos aussi, plus que probablement (note 3). Dès lors, n'est-il pas plus vraisemblable de supposer que ces défunts aient été inhumés dans une nécropole de Panopolis et leurs étiquettes transportées de là au Musée du Caire, quand les fouilleurs ont exhumé leurs momies? C'est aussi ce qu'on peut penser de SB 7709 (K. 60324), qui concerne un dénommé "Paniskos soldat, Panopolitain".

Toutefois, on ne peut pas exclure l'hypothèse de quelques Panopo- litains inhumés à Assiout parce qu'ils avaient quitté leur nome d'origine depuis longtemps et installé leurs familles et leurs intérêts dans leur nouveau domicile. Les Egyptiens n'enterraient pas tous leurs morts au lieu de leur naissance ! Parmi d'autres, un bel exemple d'inhumation très loin du lieu de naissance nous est donné dans Et. Bernand, Inscriptions métriques de l'Egypte gréco-romaine, Paris, 1969, n° 26, pp. 143-147: un esclave noir (v. 3), né en terre éthiopienne où résidaient ses parents (v. 4), a été inhumé à Antinoé (v. 2), ville où il était venu travailler et où sa tombe a été retrouvée par C. Schmidt (p. 143). Ce qui s'est passé pour l'Ethiopien d'Antinoé s'est probablement produit à maintes reprises, ailleurs.

Ainsi, on le voit bien, même si son hypothèse est fort peu vraisem- blable, il n'est pas possible d'apporter la démonstration absolue que Kirwan s'est trompé. La boîte du Musée du Caire a donc l'intérêt de montrer que les toponymes d'origine (liA originaire de X"), qui appa- raissent sur nombre d'étiquettes de momies, ne donnent pas de vraie certitude sur le lieu d'inhumation des défunts. Pour qu'il y ait certitude, il faut que s'ajoute au toponyme l'exacte connaissance du lieu de découverte de l'étiquetteS.

Agamos, Ateknos en Egypte

Sur les épitaphes en prose, c'est la rareté extrême d'agamos linon marié" qui frappe. En 1976, nous l'avions déjà constatée, dans les trois sites les plus productifs en épithètes funéraires, Kom Abou Billou, Tell el Yahoudijeh et Alexandrie (ZPE 23 pp. 225-230). Vingt ans après, la reprise de l'enquête sur les épitaphes ajoutées dans les volumes récents du Sammelbuch griechischer Urkunden aus Aegypten (XII, 1977, et sui-

5 Ex. SB I, 1248, qui porte la séquence "Bompaé du Panopolite".

6 Les mêmes remarques valent pour les étiquettes à onomastique panopolitaine, inspirée de noms de divinités locales, Min ou autres : Pétéminis (SB 7703, 7714, 7728, 7736), (Sen)pbèkis (SB 7718, 7726), Pétermouthès (SB 7723, 7726), ainsi que pour le défunt isolé du nome Chousite (SB 7722).

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vants) confirme l'impression première. En 1976, agamos était absent de Kom Abou Billou et Tell el Yahoudijeh (ZPE 23 p. 226) ; il n'était attesté qu'à Alexandrie, deux fois (1 homme et 1 femme, ibid. p. 227). Et les fouilles de sauvetage des années 70-80 dans la zone funéraire de Kom Abou Billou n'en ont ajouté aucun témoignage, bien qu'elles aient au moins doublé le nombre des autres épitaphes du secteur (CE LXVII fasc. 134, 1992, p. 329 et note 2). Or, les stèles en prose constituent la quasi-totalité du matériel funéraire grec d'Egypte, puisqu'Et. Bernand, pour tout le pays, n'a pas pu dépasser la centaine de parallèles en vers, dans ses Inscriptions métriques de l'Egypte gréco-romaine, Paris, 1969 (lM dans les lignes suivantes).

On ne trouve guère plus de traces du regret d'être ateknos ("sans descendance"), dans ces sites qui représentent pourtant trois compo- santes essentielles de la population hellénistico-romaine de l'Egypte : indigènes de la campagne (Kom Abou Billou) , dominante grecque de la ville (Alexandrie) et colons juifs de l'arrière-pays (Tell el Yahoudijeh). En 1976, ateknos apparaissait une fois à Kom Abou Billou (1 femme), deux fois à Tell el Yahoudijeh (1 homme et 1 femme) et il était absent d'Alexandrie (ZPE 23 pp. 226-227) ; en 1994, ses attestations sont modestement passées à deux (1 homme et 1 femme) à Kom Abou Billou.

Aussi peut-on légitimement refuser d'appliquer à l'Egypte l'affirmation d'Et. Bernand, lM p. 124 : "La crainte religieuse de manquer de descen- dants susceptibles d'assurer le culte funéraire" ( ... ) "apparaît fréquem- ment7 dans les épitaphes relatives aux agamoi".

Sur les épitaphes en vers, agamos et les périphrases de même sens, sont à peine moins rares, mais offrent l'avantage d'apparaître dans des contextes plus détaillés et plus précis.

Mis à part lM 84, qui commémore une jeune Israélite de Tell el Yahoudijeh, décédée le jour de son mariage et qui n'a donc pas droit à ce qualificatif, on n'en dénombre que cinq témoignages sûrs:

lM 22, II,13

Le pédotribe Hermocratès, fils d'Hermaios (Hermoupolis-la-Grande, Ile siècle après J.-C. ou peut-être début du Ille) "n'a pas même laissé d'enfant car il est mort avant d'être marié, sans épouse" (v. 13)8, ayant vécu "trois fois onze années" (v. 14).

7 C'est nous qui soulignons.

8 Les traductions sont celles d'Et. Bernand.

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lM 45, 6

Hôraia est morte à Tell el Yahoudijeh ("haute époque impériale"), ayant vécu "trois décades d'années" (v. 3), en même temps que sa fille

"Eirènè ( ... ) à qui il ne fut pas donné de se marier" (v. 6).

lM 67,1-2

D'Hérakleidès de Naucratis, mort à un âge non indiqué ("haute époque impériale"), il est dit (v. 1-2) : "Ni un rideau couleur de safran, ni des torches ne t'ont introduit dans la chambre nuptiale qui respire le désir".

lM 83, 3-4 et 16

Lysandrè, de Karanis ("basse époque hellénistique d'après l'écri- ture"), morte à "deux fois dix ans" (v. 3), rappelle (v. 3-4) ''je ne suis pas parvenue jusqu'au lit du mariage dans la chambre nuptiale" et exhorte ainsi les lecteurs de son épitaphe : "Pleurez ma jeunesse disparue prématurément avant le mariage".

lM 94,4

Un jeune Israélite de Tell el Yahoudijeh ("haute époque impériale"), mort à 5 ans (v. 3) rappelle comme suit sa condition (v. 4) : "Depuis peu ( ... ) sans même avoir eu part au mariage, je repose dans la tombe".

Il y a là 3 hom:mes (22, 67, 94) et 2 femmes (45, 83) ; deux des hommes sont d'âge 'connu au décès (33 et 5 ans), une des femmes avait 20 ans (83) et la fùIe d'Hôraia ne peut pas en avoir eu beaucoup plus de 15, puisque sa mère est morte à 30 (45). Hormis l'aberrante déploration sur le célibat du gamin de 5 ans (94)9, les autres âges appellent un rapprochement avec ce qu'on sait de la nuptialité égyptienne du tempslO.

Le beau livre de Roger S. Bagnall et Bruce W. Frier, The demography of Roman Egypt, 1994, Cambridge Studies in Population, Economy and

9 Cette aberration a suscité une remarque d'Et. Bernand o. 1. p. 371 : "Le thème de la mort avant le mariage est banal dans les épigrammes relatives à des morts prématurées. Il étonne quelque peu dans l'épitaphe d'un enfant. Il est manifeste que le poète emprunte un lieu commun à la littérature épigrammatique, sans trop se soucier s'il convient ou non au sujet" (c'est nous qui soulignons). Ce n'est pas la seule formulation surprenante de cette épitaphe peu commune. Au v. 8, le versificateur va jusqu'à affirmer que cet enfant était déjà célèbre: "Lui que sa valeur extrême n'a cessé de rendre illustre".

10 Une remarque philologique au passage: agamos est employé indifféremment pour les deux sexes. Or, l'usage, rappelé par les dictionnaires (ex. le Liddell-Scott·Jones, éd. 1968, p. 5) était de réserver agamos aux hommes et d'employer anandros pour les jeunes filles.

Ce dernier n'étant attesté sur aucun des trois sites, faut-il en déduire que la langue avait d'elle· même opéré une simplification?

(10)

Society in Past Time n° 23, nous apporte de nouvelles lumières sur ce point, grâce aux informations fournies par les kat 'oikian apographai, où on dénombre 206 âges de femmes vivantes déclarées mariées et 218 d'hommes dans la même situation (0.1. table B p. 337-339). Voici les chiffres jusqu'à l'âge adulte:

Femmes mariées Hommes mariés

13-18 ans 15 = 7,2 % 19-28 ans 16 = 7,3%

19-28 ans 22 = 10,6 % 29-34 ans 22 = 10 % 29-34 ans 18 = 8,7 %

Total 55 = 26,5 % Total 38 = 17,3%

Le découpage à 13 et 19 ans n'a qu'une cause : les plus jeunes épouses attestées ont 13 ans, le plus jeune mari 19. Si on rassemble ces témoignages en groupes quinquennaux selon la pratique contemporaine, on obtient:

Femmes mariées Hommes mariés

10-15 ans 4= 1,9 % 0

16-20 ans 18 = 8,7 % 1= 0,4 %

21-25 ans 10 = 4,8 % 11= 5 %

26-30 ans 15 = 7,2 % 14 = 6,4 %

31-35 ans 14 = 6,7 % 15 = 6,8 %

Total à 20 ans

22 = 10,6 % 1= 0,4 %

Total à 35 ans

61 = 29,6 % 41 = 18,8 %

Même d'aussi maigres effectifs montrent nettement que les filles étaient mariées plus tôt que les garçons, les pourcentages féminins restant supérieurs à 35 ans. La différence est particulièrement nette à 18 ans (15 femmes mariées, aucun homme) et dans la répartition des femmes entre 13 et 18 (8 femmes mariées de 13 à 16, dans le tableau Bagnall et Frier, soit la majorité de ce groupe aux âges les plus juvéniles de la tranche). Inversement, dans le groupe 19-28, le marié de 19 ans est un isolé et il faut attendre 20 ans pour qu'apparaisse un effectif de 7 hommes (cf. même tableau). Au vu de ces chiffres, il n'y a pas à s'étonner que la déploration épigraphique du célibat ait prioritairement concerné les âges féminins et les plus juvéniles (Lysandrè et Eirènè). Il n'est pas surprenant, non plus, que le seul homme concerné ait été le pédotribe de 33 ans, car, dans les listes de Bagnall et Frier, les hommes déclarés mariés n'apparaissent que tardivement et progressivement:

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10-19 ans 20-29 ans 30-39 ans 40-49 ans

1

=

19 27 33

0,4 % 8,7 % 12,3 % 15,1 %

Ainsi, malgré leur nombre dérisoire, les témoignages épigraphiques d'agamos semblent correspondre assez exactement à la pratique nuptiale du tempsll.

De cette rareté des témoignages, faut-il conclure que l'agamia et l'ateknia ne jouaient pas un rôle important dans l'appréciation de la vie passée des défunts ? L'explication de cette discrétion est à chercher probablement ailleurs.

Dans ses Laudatory epithets in greek epitaphs, ABSA 46, 1951, pp. 182-190, M.N. Tod a montré que les Grecs ont toujours souhaité que l'épitaphe eût une fonction prioritairement "laudative". Les Gréco- Egyptiens de la vallée du Nil ont perpétué cette tradition, puisqu'ils ont surtout vanté la convivialité et la sociabilité de leurs défunts, dans la famille et le village (ZPE 23 pp. 229-230 et CE LXVII pp. 330-331). Dès lors, la phraséologie funéraire ne laissait guère de place à l'agamia ou à l'ateknia, qui étaient au plus des définitions sociologiques sans effet laudatif. C'est ce qui pourrait expliquer qu'il y ait si peu d'allusions épigraphiques à ces deux situations, parmi les décédés juvéniles de l'Egypte gréco-romaine.

L'arrondissement des âges à Kom Abou Billou (indice de Whipple)

Des cinq nécropoles de l'Egypte gréco-romaine qui nous ont fourni le plus d'âges déclarés au décès (Kom Abou Billou, Alexandrie, Tell el Yahoudijeh, Tehneh et Akhmîm) celle de Kom Abou Billou était déjà la plus riche d'informations sur le sujet en 1976 (recensement dans ZPE 21 p. 219)12. Des fouilles de la décennie 1970-1980 sont sorties plusieurs centaines d'épitaphes supplémentaires et quatre contributions récentes ont porté l'essentiel de celles-ci à notre connaissance: S.A.A. El Nassery et G. Wagner, BIFAO 78, 1978, pp. 235-258 ; A. El-Sawy, J. Bouzek et L. Vidman, AO 48, 1980, pp. 330-355 ; Abd El-Hafeez, Abd El-Al, J.-Cl. Grenier et G. Wagner, Stèles funéraires de Kom Abu Bellou,

11 Sur l'image du mariage dans les apographai, v. Bagnall et Frier, o. 1. p. 112 et notes 7-8 (filles), 116 et notes 21-23 (garçons).

12 La Térénouthis des textes grecs.

(12)

Recherche sur les civilisations, mémoire 55, Paris, 1985 ; H. Riad, BSAA 44, 1991, pp. 169-20013 .

C'est ainsi que les 169 âges de 1976 sont devenus 308 en 1995, par l'addition de 139 données nouvelles. Kom Abou Billou dépasse mainte- nant de si loin les totaux obtenus sur les autres sites14 qu'on peut lui appliquer la méthode de Whipple sur l'arrondissement des âges déclarés au décès15.

Elle consiste à dénombrer les âges de 23 à 62 ans16 dans un groupe de documents, puis tous ceux qui, parmi eux, sont divisibles par 517 (25, 30, 35 etc.). Après quoi, par une simple règle de trois, on évalue le nombre d'âges arrondis qu'on obtiendrait sur un effectif théorique de 500 individus. Les démographes de l'ONU, qui utilisent couramment la méthode de Whipple, ont, depuis longtemps, établi que l'indice est faible dans les pays développés (autour de 100 âges arrondis sur 500), mais s'élève au-dessus de 100, dès qu'on aborde les témoignages du passé ou les recensements du Tiers Monde contemporain 18.

Voici les résultats à Kom Abou Billou : sur 308 âges recensés en 1995, 163 sont échelonnés de 23 à 62 inclusivement, dont 69 divisibles par 5 (42,3 %). La règle 69 x 500 : 163 nous donne un indice de 211,6.

La tendance à arrondir les âges a donc été très forte dans la pratique funéraire de Kom Abou Billou. Mais on ne peut pas pousser l'analyse plus avant, notamment en distinguant des variations d'indices par sexes et tranches d'âges: à ce niveau, les effectifs deviennent dérisoires. Pour élevé qu'il soit, cet indice n'est ni anormal ni surprenant. Au recense- ment de 1974, le Bangladesh le dépassait très largement, avec 31619 !

Si on compare les données de Kom Abou Billou à celles des kat' oikian apographai de l'Egypte romaine 20, on trouvera dans les premières

13 L'article de H. Riad a été abondamment corrigé par G. Nachtergael, CE 68, 1993, pp. 229·

233, et G. Wagner, ZPE 101, 1994, p. 113·119, mais d'après les photographies (très mauvaises) du BSAA et sans possibilité de recours aux originaux.

14 V.le tableau de ZPE 21, 1976, p. 223.

15 "A simple, yet highly sensitive, index ( ... ) relatively free from consideration of factors not connected with the accuracy of age reporting", United Nations, Demographie Yearbook 40, 1988, p. 9.

16 Sur les raisons d'éliminer les âges inférieurs à 23 et supérieurs à 62, v. C. Newell, Methods and Models in Demography, New·York, 1988, p. 24.

17 Puisqu'on arrondissait usuellement aux multiples de 5 dans l'Egypte gréco·romaine.

18 Liste des résultats nationaux dans United Nations, Demographie Yearbook 40, 1988, pp. 19·20.

19 V. note précédente.

20 Comparaison parlante, mais qui demande une réserve : les deux séries de chiffres ne sont pas de même nature; les épitaphes fournissent des chiffres "clos" (par la mort) ; les kat'oikian apographai des chiffres "ouverts", puisque les recensés ont tous vécu un laps de temps inconnu de nous, après la date de leurs recensements.

(13)

une preuve complémentaire du sérieux des secondes: Roger S. Bagnall et Bruce W. Frier21 y ont recensé 322 âges de 23 à 62 ans, dont seulement 80 divisibles par 5 (24,8 %) soit 80 x 500 : 322

=

124,2, un chiffre remarquablement bas22 •

Quelque cause qu'on lui suppose23 , l'indice élevé de Kom Abou Billou ne confIrme pas seulement le peu de fIabilité des enregistrements épigra- phiques, il suggère surtout, par le contraste24 avec les données des apographai, qu'il serait opportun sans doute de soigneusement distin- guer les dossiers épigraphiques, quand on aborde le sujet des âges. En renfort, on peut citer l'indice, également très élevé, du dossier des étiquettes de momies. Un recensement de 1975 (ZPE 18 pp. 63-66) rassemblait 532 âges déclarés au décès dont 242 de 23 à 62 ans parmi lesquels 113 divisibles par 5 (46,6 %). Le même calcul donne 233,4 !

Le dernier état du dossier funéraire de Kom Abou Billou En 1996, la nécropole de Kom Abou Billou groupe 308 âges au décès.

En effet, aux 169 qu'elle comptait en 1976 (ZPE 21 p. 219), il faut ajouter les 139 qu'ont produits les fouilles de sauvetage de la décennie 1970-8025.

Or, le nouveau dossier, par rapport à l'ancien, présente de nettes différences sur deux points : la répartition des sexes et celle des groupes de décédés.

La répartition des sexes par grands ensembles a l'avantage de met- tre en évidence les ,deux tendances qu'on a depuis longtemps tenues pour caractéristiques de toute épigraphie funéraire antique : la surreprésen- tation des jeunes femmes et des hommes âgés.

21 The Demography of Roman Egypt, Cambridge Studies in Population, Economy and Society in Past Time n' 23,1994, p. 45.

22 A titre de comparaison, les deux savants américains mentionnent 100,9 (USA) et 156 (philippines) aux recensements de 1960 (0.1. p. 45 note 47).

23 Bagnall et Frier, o. 1. p. 46, y voient l'illettrisme, comme les démographes travaillant sur d'autres régions ou périodes.

24 Contraste d'autant plus saisissant que les deux séries sont à peu près contemporaines (Haut· Empire romain) et à peu près aussi nombreuses (308 témoins à Kom Abou Billou et 322 sur les apographai).

25 Nouveautés rassemblées pour l'instant dans quatre contributions: S.A.A. EI·Nassery et G. Wagner, BIFAO 78, 1978, pp. 235-258 ; A. El Sawy, J. Bouzek, L Vidman, AO 48, 1980, pp. 330-355 ; Abd EI-Hafeez, Abd El-Al, J.-Cl. Grenier, G. Wagner, Stèles funéraires de Kom Abu Bellou = Recherche sur les civilisations, mémoire 55, Paris, 1985 ; H. Riad, BSAA 44, 1991, pp. 169-200, ce dernier article longuement corrigé sur photographies par G. Nachtergael CE 68, 1993, pp. 229-233, et G. Wagner, ZPE 101, 1994, pp. 113-119.

(14)

J'ai donc, à dessein, conservé les mêmes seuils qu'en 1976 (0.1.

p. 228), 24 ans pour clore la jeunesse et 50 pour l'entrée dans la vieil- lesse. Voici les résultats:

1976 1996

Hommes Femmes Hommes Femmes

0-24 24 32 62 55

25-49 35 24 54 51

50 etc. 25 15 41 25

84 7126 157 131

En 1976, la surreprésentation des jeunes mortes jusqu'à 24 ans n'apparaissait qu'en trois sites d'Egypte, sur les cinq les plus productifs d'épitaphes, et j'avais alors souligné (0.1. p. 229) qu'il serait aventureux d'en faire une caractéristique universelle en pays nilotique. Mais Kom Abou Billou figurait parmi les trois (rapport 24-32), avec Tell el Yahoudijeh et Akhmîm. Vingt ans plus tard, le rapport s'est inversé en faveur des hommes (62-55) et la surreprésentation des jeunes mortes a disparu de cette nécropole, alors que celle des vieillards s'y maintient.

Voici maintenant les deux états successifs de la répartition des décédés par groupes décennaux. Le premier tableau mêle les deux sexes:

1976 1996

(0.1. p. 230)

0-9 ans 34 20,1 % 69 22,4 % = + 2,3 %

10-19 17 30,1 39 35 = + 4,9

20-29 26 45,5 50 51,2 = + 5,7

30-39 25 60,3 44 65,5 = + 5,2

40-49 23 73,9 36 77,2 = + 3,3

50-59 21 86,3 34 88,3 =+2

60-69 14 94,6 23 95,7 = + 1,1

70-79 5 6

80-89 3 6

90 etc. 1 1

L'état de 1996 nous donne donc une image constamment plus sombre de la mortalité, surtout entre 10 et 39 ans.

26 Les totaux, 155 en 1976, 288 en 1996, excluent les défunts de sexe indéterminé (noms nouveaux qu'on ne peut pas sexualiser parce que ce sont des hapax, noms bisexués ou mutilés), 14 sur 169 en 1976 (0.1. p. 219), devenus 20 sur 308 en 1996.

(15)

Voici les résultats qu'on obtient, en distinguant les sexes :

Hommes Femmes

1976 1996 1976 1996

0-9 ans 13 15,4 % 31 19,7 % 18 25,3 % 31 23,6 %

10-19 17 20,2 50 31,8 30 42,2 49 37,4

20-29 33 39,2 77 49 39 54,9 70 53,4

30-39 45 53,7 95 60,5 50 70,4 94 71,7

40-49 59 70,2 116 73,8 56 78,8 106 80,9

50-59 70 83,3 136 86,6 63 88,7 117 89,3

60-69 80 95,2 151 96,1 66 92,9 124 94,6

70-79 82 154 69 127

80-89 83 156 71 131

90 etc. 84 157

Il y a aggravation générale de 1976 à 1996, sauf pour les femmes jusqu'à 29 ans. Cette aggravation, particulièrement lourde chez les hommes de 10 à 49 ans, est symbolisée par le signe + dans le tableau suivant:

0-9 ans 10-19 20-29 30-39 40-49 50-59 60-69

Hommes +4,3 %

+ 11,6 + 9,8 + 6,8 + 3,6 + 3,3 + 0,9

Femmes -1,7 % - 4,8 - 1,5 + 1,3 + 2,1 + 0,6 + 1,7

Les 139 âges nouveaux, rassemblés depuis 1976, comportent de nombreux décès masculins jusqu'à la trentaine. Ce sont eux qui ont gonflé les effectifs des premières lignes de la coloillle de gauche.

Pour expliquer le phénomène, on pourrait invoquer une particularité de Kom Abou Billou : la remarquable abondance des épitaphes à défunts multiples datées d'un 11 Hathyr d'un an 20. Quelque cause qu'on lui suppose, brusque épidémie, accident collectif etc.27, il n'y a pas de raison de les exclure de l'analyse. Les épidémies, les éboulements de maisons, les naufrages de felouques dans le Nil, faisaient partie du quotidien de la vie égyptienne, comme les accidents d'automobiles chez nous. Il faut donc les intégrer aux calculs, car ils contribuaient à façonner la mortalité en pays nilotique. D'autres accidents parallèles ont, sans nul doute, identiquement agi sur la mortalité des différents sites égyp-

Zl Sur ces stèles, v. en dernier G. Nachtergael, 0.1. p. 230 et note 4.

(16)

tiens, mais seul le hasard de la conservation des stèles nous permet d'en avoir encore quelque idée à Kom Abou Billou.

L'augmentation du nombre des jeunes décédés a des répercussions parallèles sur les pourcentages décennaux de survivants:

1976 1996

(0.1. p. 234)

0 169 308

1-9 ans 166 98,2 % 304 98,7 %

10-19 135 79,8 239 77,5

20-29 118 69,8 200 64,9

30-39 92 54,4 150 48,7

40-49 67 39,6 106 34,4

50-59 44 26 70 22,7

60-69 23 13,6 36 11,6

70-79 9 5,3 13 4,2

80-89 4 2,3 7 2,2

90 etc. 1 0,59 1 0,3

Ici aussi, l'écart des pourcentages se creuse dès la tranche 10-19, pour atteindre ses maxima entre 20 et 49 : 4,9 % de survivants en moins à 20-29, 5,7 à 30-39, 5,2 à 40-49. Ensuite, il se rétrécit peu à peu: 3,3 % à 50-59, 2 à 60-69, 1,1 à 70-79.

Je ne crois pas utile de compléter ce qui précède d'un tableau des âges moyens et de l'espoir de survie. A celui de 1976 (0.1. p. 235), le nouveau ne ferait qu'ajouter des baisses de moyennes proportionnelles à celles des pages précédentes.

En 1976, la comparaison des cinq sites à épitaphes les plus produc- tifs d'Egypte révélait des images si contrastées de la mortalité nilotique qu'ils en étaient tous disqualifiés (0.1. p. 238). En 1996, ce sont deux états successifs du dossier de Kom Abou Billou qui produisent des discordances semblables sur la répartition des sexes et des décédés.

Quand chaque trouvaille nouvelle de stèles bouleverse les résultats, faut-il persévérer dans l'interrogation démographique?

Les grands vieillards d'AkhmÎm

En recensant, il y a vingt ans, les âges au décès fournis par les cinq sites les plus productifs en épitaphes de l'Egypte hellénistique et romano-byzantine, j'avais noté que l'un d'eux, Akhmîm-Panopolis en Haute-Egypte, représentait les défunts de 80 ans et davantage plus largement que les quatre autres (Alexandrie, Tehneh, Kom Abou Billou,

(17)

Tell el Yahoudijeh) : 8 octogénaires akhmimiques et 11 partout ailleurs ; sur les huit, 2 étaient déclarés morts à 85 ans, 2 à 95, 1 à 100 et 1 à 115 ! (ZPE 21, 1976, 233-234). Depuis, d'autres épitaphes du même site ont ajouté de nouveaux chiffres extrêmes; par exemple celle de Marthe (Musée de Brooklyn), que tout désigne comme akhmimique (CR/PEL 6, 1980, 253), lui attribue généreusement 117 ans! Une autre, aujourd'hui génevoise mais sûrement akhmimique puisqu'elle fait partie de l'ancienne collection Forrer28 , donne 100 ans à la nonne Tnouè (Genava N.S. 38, 1990, 87)29.

Le dossier d'AkhmÎm est presque entièrement chrétien (ZPE 21, 241 note 74) et tardif (certainement pas antérieur au Ive siècle après J.C.)30.

Parmi les grands vieillards de ce dossier, figurent beaucoup de gens d'église: un archiprêtre (archipresbyteros)31 crédité de 100 ans (Lef. 259), une nonne (monachè) morte à 85 ans (Lef. 307), une autre à 100 (la stèle génevoise). Un défunt de 95 ans (Lef. 340), s'il n'était pas d'église, n'en avait pas moins un lien étroit avec la pratique chrétienne, puisqu'il était ermite (anachorètès).

Pour expliquer les surévaluations en général, on a avancé diverses explications (absence d'enregistrement, tendance à dater d'après l'appa- rence physique, à arrondir des âges au chiffre supérieur, prestige du grand âge, oubli des années passées etc.). Pour expliquer celles des âges ecclésiastiques, certains ont fait valoir que les gens d'église se prolongent plus longtemps que les autres à cause des règles strictes de vie que la discipline chrétienne leur impose, argument retenu par M. Hombert et Cl. Préaux32 et récemment repris par R. Kastenbaum33 .

28 Collectionneur allemand d'antiquités égyptiennes, qui vécut à Strasbourg à la fin du XIxe siècle et acheta divers objets à Akhmîm. On lui doit, en particulier, une brochure intitulée Die frühchristlichen Alterthümer aus dem Graberfelde von Achmim-Panopolis, Strasbourg, 1893.

29 Je ne cite que deux de ces stèles nouvelles, car mon propos n'est pas de dresser une liste exhaustive de tous les records de longévité connus, en 1996, sur ce site. Il me suffit de constater ici qu'ils se multiplient au fil des éditions de stèles akhmimiques.

30 M. Naldini, Il cristianesimo in Egitto, 1968, 34 et note 3, pense qu'aucune épitaphe du Recueil de Lefebvre n'est antérieure au Ive siècle, donc aucune des épitaphes akhmimi- ques de ce même Recueil. Celles-ci forment, encore aujourd'hui, l'essentiel du matériel funéraire trouvé sur ce site (nO 238-350).

31 J'ai éliminé le qualificatif de presbyteros car on ne peut pas savoir s'il signifiait "l'aîné"

ou "prêtre" sur certaines épitaphes chrétiennes.

32 Chronique d'Egypte 39-40, 1945, 141·142 : "( ... ) beaucoup d'épitaphes chrétiennes proviennent des cimetières monacaux. Or, c'est une chose bien connue que les moines atteignent en moyenne un âge plus avancé que les gens vivant dans le siècle".

33 International Journal of Aging and Human Development, 30/2, 1990, 106 : "The "mix" of saints through much of the history of the Roman Catholic Church has been decidedly different than the general population ( ... ) more who selected an unusual life-style, often including self-imposed restrictions on food and drink".

(18)

Quelques motivations qu'on imagine (plusieurs peuvent avoir joué simultanément), dans l'hagiographie occidentale, les saints de plus de 85 ans semblent une "spécialité" des Ve et VIe siècles selon Kastenbaum. Les saints martyrisés étant hors statistique, dans son tableau (0.1. 107 et commentaires 108-109), les saints octogénaires sont très inégalement répartis: 1 au 1er siècle, 2 au Ille, 5 au Ve et 3 au VIe, soit 8 sur Il groupés dans la période la plus tardive34 ; les chiffres s'abaissent violemment aussitôt après (1 au VIle siècle, 1 au VIlle) et il faut attendre les xe, XIe et XIIe siècles pour retrouver une nouvelle poussée de saints recordmen de longévité (13 dans ces trois siècles). Sur les cinq premiers siècles de l'ère chrétienne, Kastenbaum aboutit à 13 % de saints octogénaires, un pourcentage qui doit son amplitude à la productivité du Ve siècle en canonisés "prolongés".

Toutes réserves d'avance formulées sur des statistiques qui englobent d'aussi maigres effectifs35, il n'est pas interdit d'établir un parallèle entre la tendance occidentale à vieillir les saints et la surévaluation de quelques âges ecclésiastiques ou plus largement chrétiens en pays nilotique. Bien plus, les saints occidentaux "longest-lived" sont crédités de 113 et 116 ans (0.1. 113), des évaluations qui ressemblent fort aux 115-117 ans d'Akhmîm et aux longévités de l'hagiographie copté6 . A notre connaissance, ces grands vieillards d'Akhmîm n'étaient pas des saints et n'ont pas prétendu, probablement, à la sainteté. Mais, vivant dans l'Eglise ou selon les règles qu'elle recommandait à ses fidèles, ils ont pu bénéficier de l'aura qui s'attachait à des figures contemporaines et marquantes de l'Eglise, tant en Occident qu'en Egypte.

Cette coïncidence rend vraisemblable une datation du gros des épitaphes d'Akhmîm aux ve_VIe siècles37 .

Bernard BOYAVAL Université de Lille III

34 Kastenbaum 109,6: "Of the male centenarians, the largest concentration can be found in the period of the early Church. Not only does it appear "unchance·like" that nine of the twelve would appear between the first six centuries, but even more unusual that five were born in the fifth century".

35 Ceux de Kastenbaum sont aussi maigres que ceux de l'Egypte.

36 Kentron 7/4,1991,117.

37 Les critères de datation de l'épigraphie funéraire chrétienne sont si fragiles que G. Lefebvre n'avait proposé aucune chronologie pour les stèles d'Akhmîm, dans son Recueil.

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