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Valeur, prix et coût : l'oncologie s'interroge et propose

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322 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXV - n° 7 - juillet 2016

TRIBUNE

Valeur, prix et coût : l’oncologie s’interroge et propose

L

a science et la technologie appliquées à l’oncologie progressent, ouvrant de nouvelles perspectives au bénéfice des patients tant en matière de diagnostic – on pense à l’imagerie ou au séquençage du génome – qu’en matière de thérapeutique, qu’il s’agisse de chirurgie assistée, de radiothérapie stéréotaxique, ou, bien sûr, de thérapies ciblées et d’immunothérapie, voire de leur association. Si l’apport de ces innovations, incrémentales ou de rupture, à la prise en charge des malades atteints d’un cancer ou d’une hémopathie maligne est indiscutable, une controverse agite les milieux professionnels comme les associations de patients et, au-delà, l’opinion publique quant à leur coût.

Force est de constater en effet que le progrès a un coût. La question que l’on est en droit de se poser se décline en fait en 2 interrogations : comment apprécier

équitablement la valeur d’une innovation, et comment déduire de cette valeur un prix acceptable ?

En fait, chacun des termes de ce double questionnement mérite une réflexion autant qu’une définition.

Les organisateurs du congrès, qui rassemble à Chicago plus de 35 000 spécialistes du cancer, se sont investis dans cette réflexion voici déjà 2 ou 3 ans. En 2015, ils ont proposé une version préliminaire d’un outil d’évaluation de la valeur d’une innovation thérapeutique, au vu des résultats d’essais cliniques comparatifs, randomisés et prospectifs.

Plus de 400 médecins, payeurs, défenseurs des patients, représentants de l’industrie pharmaceutique et d’autres membres de la communauté du cancer ont contribué à l’enrichissement de ce cadre, qui est donc présenté cette année dans une version actualisée.

Ce cadre définit la valeur comme une combinaison des bénéfices cliniques, des effets indésirables et de l’amélioration des symptômes du patient ou de la qualité de vie dans le contexte du coût. Sur ce fondement sera développé un logiciel qui sera mis à la disposition des prescripteurs pour les aider à décider de leurs choix thérapeutiques conjointement avec leurs patients.

Même si cet outil est primitivement conçu pour le système de santé américain, le concept et la philosophie du programme sont largement susceptibles d’être repris en Europe. Le cadre révisé intègre en effet les éléments suivants :

➤ Le Net Health Benefit score (score net de bénéfice en santé) évalue de manière pondérée les avantages et les effets indésirables liés au traitement. Il est conçu de manière à bien mettre en évidence les différences entre traitements. Dans cet esprit, le modèle utilise les hazard-ratios (rapports de risque) plutôt que les mesures de survie absolue.

➤ Le modèle tient aussi compte du bénéfice à long terme sur l’évolution de la maladie.

➤ Tous les effets indésirables sont pris en compte, et non pas seulement les plus sévères, soit les toxicités de haut grade. Il en résulte une meilleure appréciation réelle de la qualité de vie des patients. Concrètement, des points sont attribués non seulement pour

l’amélioration des symptômes, mais aussi pour l’amélioration de la qualité de vie.

Économiste de la santé, université Paris-Descartes.

Jean-Jacques Zambrowski

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➤ À cet égard, les auteurs du modèle regrettent que trop peu d’études comportent un volet représentant l’opinion et le degré de satisfaction des patients. Il serait judicieux et légitime d’inclure, autant que possible, un tel volet dans les études futures. En effet, l’opinion du patient doit être prise en compte dès lors qu’elle est susceptible de pondérer le score évalué par l’oncologue sur le fondement du bénéfice clinique en termes de durée de survie et des effets indésirables.

Les débats sur le sujet amènent à la conclusion que les modèles fondés sur les résultats – appréciés globalement et non seulement en termes de survie globale – seraient plus légitimes. Il faut donc promouvoir les expérimentations qui vont dans ce sens.

Les responsables de Medicare, le système d’assurance maladie publique qui finance une bonne part des soins du cancer aux États-Unis, annoncent à cet effet une expérimentation sur 5 ans, qui devait débuter symboliquement au cours de ce Congrès 2016. Le principe est de rémunérer la valeur plutôt que le volume des services fournis. On paiera donc selon la valeur au sens large, évaluée au-delà du seul bénéfice en durée de survie globale.

À ce sujet, on peut prendre comme exemple le principe de calcul de la valeur présenté par le Dr Robert W. Carlson, CEO du National Comprehensive Cancer Network (NCCN), qui rassemble 27 des principaux centres américains de lutte contre le cancer, dont la Mayo Clinic Cancer Center, le Memorial Sloan Kettering Cancer Center, le University of Texas MD Anderson Cancer Center, etc. Ce principe de calcul de la valeur est fondé sur une mesure en 5 dimensions : la première est l’efficacité, la deuxième est la sécurité (en détaillant les difficultés ou les toxicités liées au traitement), la troisième reflète la quantité et la qualité des données qui supportent l’introduction du nouveau traitement dans les protocoles, la quatrième est la cohérence de l’information qui appuie cette recommandation, et la cinquième est celle de l’accessibilité pour le système de soins ou la société.

Les oncologues français ne seront pas étonnés d’apprendre que beaucoup de leurs confrères américains ou de responsables d’un établissement prenant en charge des malades atteints d’un cancer regrettent que le modèle expérimental proposé comporte l’inclusion des médicaments dans les forfaits de prise en charge. Ils craignent en effet que cela ne manquera pas de dissuader les prescripteurs de recourir aux traitements les plus onéreux, alors qu’ils auraient pu être bénéfiques pour les patients, en particulier ceux présentant des mutations ou des cancers difficiles à traiter.

Au reste, lorsqu’ils entendent parler de la “liste en sus” et des potentielles radiations en suspens dans notre pays, ils estiment qu’une telle décision, dans le contexte

américain, déclencherait immédiatement une violente campagne de presse et une cascade de procès aux organismes responsables pour “perte de chance”. Mais la France n’est pas l’Amérique, n’est-ce pas, c’est bien connu…

Cela étant, une chose est d’évaluer la valeur d’une innovation, autre chose est d’en fixer le juste prix.

Le prix moyen mensuel des traitements du cancer aux États-Unis est passé de 4 500 $ en 2003 à plus de 10 000 $ en 2013. Selon une étude de 2011 de l’Institut national du cancer américain, si les tendances actuelles concernant l’incidence, la survie et les coûts se maintiennent, le coût des soins oncologiques atteindrait près de 173 milliards de dollars en 2020, soit une augmentation de 39 % par rapport aux dépenses de 2010. Dès lors, tous les acteurs – payeurs, industriels, associations de patients et professionnels – recherchent de nouveaux modèles de paiement, acceptables par les différentes parties.

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On évoque donc de plus en plus des systèmes de paiement à la performance, personnalisés. Cela suppose de recueillir au préalable les éléments d’une vaste base de données en condition de “vie réelle”, qui servira de référence. Le prix dépendrait alors du patient, de son statut, des traitements associés, des comorbidités, du résultat du traitement, de sa tolérance, etc.

Il est en outre indispensable d’introduire dans le modèle de financement le paramètre majeur qu’est la qualité des soins, non seulement en termes techniques, mais aussi en termes d’investissement des médecins au bénéfice de leurs patients, notamment à travers la mise à disposition de la vaste palette des soins de support et de toutes les mesures et méthodes d’accompagnement. Plusieurs études présentées cette année montrent à quel point le résultat en dépend, mais aussi les coûts engagés pour y parvenir, l’un et l’autre étant au demeurant liés.

Sur ce même sujet du prix, il faut savoir que les interrogations sur le niveau des prix des traitements en oncologie, telles qu’elles ont donné lieu en France à une prise de position inquiète de 110 oncologues, sont présentes dans de nombreux pays. Pour autant qu’il soit urgent que les parties en cause s’accordent sur un nouveau mode de fixation des prix et, au-delà, de financement de la prise en charge du cancer, il importe que ce nouveau mode comme les expérimentations qui pourraient être proposées afin d’y parvenir tiennent compte des impératifs légitimes des uns et des autres.

Au demeurant, des pistes de remboursement liées à la valeur apportée par le médicament en oncologie sont à l’étude, tel le PRM (Personalized Reimbursement Models, ou modèles de remboursement personnalisé). Ces approches innovantes ont été remarquées, et leur intérêt relevé dans le Rapport sur la réforme des modalités d’évaluation des médicaments rédigé par Dominique Polton (1), en décembre dernier, à la demande de la ministre de la Santé.

Stigmatiser exclusivement les profits des industriels n’aurait de sens que si les entreprises en question affichaient des résultats supérieurs à ceux des autres secteurs industriels créateurs de progrès et d’innovation, comme la haute technologie et l’informatique ou l’aérospatiale. Or, ce n’est pas le cas, leur performance mesurée sur la dernière décennie est identique, alors que le niveau de risque, les aléas de la recherche et du développement sont plus élevés dans l’industrie pharmaceutique.

On ne saurait pour autant ne pas tenir le plus grand compte des contraintes qui pèsent sur les établissements de soins, et au-delà sur l’Assurance maladie, ni perdre de vue que l’objectif même de notre système de santé et de protection sociale est d’offrir à chaque patient un accès équitable aux soins les plus performants adaptés à son état.

À ce sujet, il faut bien avoir à l’esprit que le prix d’un médicament ne résume pas le coût du traitement. Dès lors, le jugement sur le coût, qu’il soit le fait du prescripteur, du gestionnaire d’établissement ou du payeur, devrait tenir compte de tous les coûts – mais aussi de toutes les économies s’il y a lieu – liés au recours à un traitement donné : préparation, logistique, administration, durée de séjour, coût des transports, effets indésirables, reste à charge éventuellement associés, effet sur le cours évolutif de la maladie et les coûts associés, effet sur la productivité du patient, comme créateur de valeur direct s’il travaille ou indirect s’il est consommateur, effets économiques sur l’entourage, etc.

On le voit, l’émergence de nouveaux moyens à la disposition des oncologues impose, assurément, de redéfinir le cadre et les responsabilités de chacun. Comme le dit avec justesse notre collègue et ami Joseph Gligorov, le temps est sans doute venu de “repenser le cancer”.

1 Rapport sur la réforme des modalités d’évaluation des médicaments – Décembre 2015.

Disponible en ligne : http://www.

ladocumentationfrancaise.fr/

rapports-publics/154000858/

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