• Aucun résultat trouvé

La biologie, acteur politique

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "La biologie, acteur politique"

Copied!
3
0
0

Texte intégral

(1)

Article

Reference

La biologie, acteur politique

FALL, Juliet Jane

Abstract

Une initiative fédérale vient d'être lancée par l'association Ecologie et population (EcoPop) qui lie environnement et immigration. Son but est de stabiliser la population suisse en liant directement la question de l'immigration à la perte de qualité environnementale. Après avoir été désigné comme principaux responsables de la hausse de la criminalité, du prix croissant des logements, du taux de chômage ou encore de l'augmentation du trafic urbain les étrangers en Suisse sont maintenant aussi collectivement responsables de la crise écologique. La question est cadrée en termes d aménagement du territoire. Cette intimité entre métaphores sociales et méfiance de l'étranger joue sur le registre de la peur et de l'insécurité. La nostalgie d'une pureté originelle perdue concerne tant les humains que les non humains et joue sur la capacité du langage et des catégories à transporter du sens au-delà de l'émetteur originel. Il faut dénoncer les risques des dérapages de liens faits entre immigration et environnement. Les périodes sombres de l'histoire européenne et l'étiquetage de personnes en tant [...]

FALL, Juliet Jane. La biologie, acteur politique.

Le Temps

, 2011

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:34181

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

1 / 1

(2)

JULIET FALL (Le Temps, 26.5.2011) La biologie, acteur politique

Une initiative fédérale vient d’être lancée par l’association Ecologie et population (EcoPop) qui lie environnement et immigration. Son but est de stabiliser la population suisse en liant directement la question de l’immigration à la perte de qualité environnementale. Après avoir été désigné comme principaux responsables de la hausse de la criminalité, du prix croissant des logements, du taux de chômage ou encore de l’augmentation du trafic urbain les étrangers en Suisse sont maintenant aussi collectivement responsables de la crise écologique. La question est cadrée en termes d aménage- ment du territoire.

Alors que les politiques environnementales sont pensées progressivement à l'échelle du globe dans le cadre des négociations climatiques notamment, l’initiative repose sur une conception de l’environnement enracinée dans l’Etat. Car qu’est ce qui nous dit qu’un immigrant en Suisse aurait un impact environnemental plus élevé que s’il vivait ailleurs? Peu importe cette question, par ailleurs contentieuse mais intéressante, puisque l’argument des initiants est avant tout lié aux enjeux poli- tiques internes. L’environnement est réduit au patrimoine national. Un contrôle global des nais- sances doublé d’un contrôle des frontières s’imposerait.

L’initiative propose donc de limiter la migration vers la Suisse, de renoncer aux traités internationaux qui contreviennent à ces mesures et de cibler 10 % de la coopération internationale sur la planifica- tion familiale à l’étranger. Si cette alliance entre partisans d’un contrôle musclé de l’immigration et écologie date des années 70 en Suisse, elle a souvent pris la forme de vifs débats dans d’autres pays.

Des leaders politiques d’extrême droite comme Nick Griffin ou Marine Le Pen font de même. Cette dernière informe sur son site Internet «qu’on peut parfaitement nourrir des sentiments écolo- giques sans être partisan de l’ouverture totale des frontières et du droit de vote des étrangers.» Ce sont loin d’être les seuls.

Hors de la politique des partis on se rappellera également les débats sanglants qui avaient déchiré le Sierra Club, une des organisations de conservation de la nature les plus anciennes et les plus respec- tées aux Etats Unis. En 2004 l’association avait été la cible d’une tentative infructueuse de changer sa position officielle par un recrutement massif de nouveaux membres issus de mouvements politiques anti-immigration. Quelques années plus tard le directeur exécutif Cari Pope invitait ses membres à rejeter «le virus de la haine.»

Tant l’initiative suisse que le cas américain posent la question du glissement des termes entre les domaines de la nature et du politique. Parler d’infection, de virus ou d’écosystèmes saturés suppose de transposer des mots de biologie aux phénomènes sociaux et ce vernis d’objectivité en masque ou en évacue les dimensions idéologiques. Bien entendu, d’un point de vue strictement épistémolo- gique les catégories et concepts développés par les biologistes sont non transposables au monde social, mais une belle métonymie d’invasion ou d’infection est diablement efficace pour mobiliser l’opinion. Dans l’autre sens, des glissements s’opèrent vers les sciences naturelles qui s’approprient des termes à connotation politique chargée. Des biologistes n’hésitent pas à parler d’invasions biolo- giques, de pullulation d’espèces étrangères.

S’il est incontestable que les écrevisses américaines ou les renouées du Japon viennent d’ailleurs, ce n’est pas leur altérité qui est par essence dérangeante. Il ne s’agit pas ici de faire le procès de ces termes décidés quelquefois naïvement ou dans l’optique opportuniste de mettre à l’agenda politique une question de spécialistes.

Quand des chercheurs caractérisent une plante ou un animal comme invasif ils réfléchissent dans le cadre d’un paradigme disciplinaire, celui de l’écologie, par exemple. Ils ne sont pas en train de parler métaphoriquement d’un rapport à l’étranger. Pourtant ces discours sur l’étrangeté de l’étranger résonnent. Face à l’insinuation de racisme, de nombreux biologistes ont pris conscience des risques d’un tel vocabulaire d où les termes moins émotifs et moins efficaces de néophyte ou de néozoaire.

Cet exemple des espèces venues d’ailleurs n’est pas anodin. Il y a une étrange proximité entre la Liste noire suisse des espèces animales et végétales envahissantes rédigée par la Suisse en tant que signa- taire de la Convention sur la diversité biologique et la Liste noire officieuse de pays dont les ressortis-

(3)

sants sont déboutés automatiquement par l’Office fédéral des migrations pour des visas de longue durée. Une liste noire au statut incertain mais qui circule néanmoins dans les administrations.

Cette intimité entre métaphores sociales et méfiance de l’étranger joue sur le registre de la peur et de l’insécurité. La nostalgie d’une pureté originelle perdue concerne tant les humains que les non humains et joue sur la capacité du langage et des catégories à transporter du sens au-delà de l’émetteur originel.

Il faut dénoncer les risques des dérapages de liens faits entre immigration et environnement. Les périodes sombres de l’histoire européenne et l’étiquetage de personnes en tant que fardeau Fremdkörper et menace pour la société ont amené directement à leur extermination. Il est bon de s’en souvenir. L’association entre immigration et environnement repose donc de manière perfide et profonde sur la prévalence d’un certain type de vocabulaire que l’on associe indifféremment au monde de la nature et au monde de la société.

Références

Documents relatifs

En 2022, le budget du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation progresse de près de 700 M€ par rapport à 2021, et ce sans tenir compte

Par exemple, une longue période de chômage élevé, par exemple suite à une profonde crise économique comme celle de 2008-2009, peut peser sur la qualification de nombreux chômeurs

Les évolutions mensuelles des séries corrigées des variations saisonnières et des effets des jours ouvrables (CVS-CJO) peuvent différer de la tendance de moyen terme des séries ;

Blanche Segrestin (UMR i3, MINES ParisTech PSL Research University, Chaire Théorie de l'Entreprise) et Philippe Lefebvre (UMR i3, MINES ParisTech PSL Research University,

La Chambre de Commerce suisse en France, avec la collaboration de l'Office suisse d'Expansion commer- ciale cherche à organiser à nouveau une Section suisse à la Foire de Paris du

[r]

▪ au Professeur Krzysztof MATYJASZEWSKI, pour son travail sur les polymères et notamment sur la polymérisation radicalaire par transfert d’atomes qui a révolutionné la

En comparaison annuelle (février 2020 – février 2021), l'effectif des chômeurs augmente de 46,5% à Genève (augmentation de 42,5% au plan suisse) et celui des demandeurs d'emploi