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Le libéralisme genevois, du Code civil aux Constitutions (1804-1842)

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Le libéralisme genevois, du Code civil aux Constitutions (1804-1842)

DUFOUR, Alfred (Ed.), ROTH, Robert (Ed.), WALTER, François (Ed.)

DUFOUR, Alfred (Ed.), ROTH, Robert (Ed.), WALTER, François (Ed.). Le libéralisme genevois, du Code civil aux Constitutions (1804-1842) . Bâle : Helbing & Lichtenhahn, 1994, 262 p.

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:73333

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LE LIBERALISME GENEVOIS,

DU CODE CIVIL

AUX CONSTITUTIONS (1804-1842)

Publié par

DROIT ET HISTOIRE

1

Helbing & Lichtenhahn

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El

COLLECTION GENEVOISE

Actes du Colloque organisé les 19, 20 et 21 novembre 1992 par

les Facultés de droit et des lettres

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1

COLLECTION GENEVOISE

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El

COLLECTION GENEVOISE

Alfred Dufour, Robert Roth et François Walter

Le libéralisme genevois, du Code civil aux constitutions (1804-1842)

Helbing & Lichtenhahn Bâle et Francfort-sur-le-Main 1994

Faculté de Droit de Genève

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Catalogage en publication de la Deutsche Bibliothek

Le libéralisme genevois, du code civil aux constitutions (1804-1842): [actes du colloque organisé les 19, 20 et 21 novembre 1992 par les Facultés de Droit et des Lettres]/ pub!. par Alfred Dufour ... -Bâle; Francfort-sur-le-Main : Helbing et Lich- tenhahn, 1994

(Collection genevoise) ISBN 3-7190-1359-6

NE: Dufour, Alfred [Hrsg.]; Université <Genève> 1 Faculté de Droit

La publication de cet ouvrage a été facilité par un généreux subside du Fonds Rapin de l'Etat de Genève.

Tous droits réservés. L'œuvre et ses parties sont protégées par la loi. Toute utilisation en dehors des limites de la loi demande l'accord préalable de l'éditeur.

ISBN 3-7190-1359-6 Numéro de commande 210 1359

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TABLE DES MATIERES

Liste des auteurs ... 7 Avant-propos ... 9 Cyprian BLAMIRES

Influence de Bentahm et influence anglaise

dans la pensée d'Etienne Dumont ... 25 Etienne HOFMANN

Coppet et Genève ... 39 Olivier PATIO

Identité nationale et question religieuse

dans la Genève de la Restauration ... 61 Irène HERRMANN

Le sentiment national genevois et l'ouverture

de Genève vers la Suisse ... 73 Alfred DUFOUR

Les libéraux genevois et la politique suisse ... 97 Alain Ph. ZOGMAL

Egalité devant la loi: les liens entre la Constitution

de 1814 et le Code Civil de 1804 ... 139 Danielle HUYSSENS

Des arts trop beaux pour l'Etat? .... .. ... .. .... .... ... ... 161 Marco,_ MAR CA CCI

Lieux de sociabilité: l'exemple des sociétés d'étudiants ... 183 Giovanni BUSINO

La société politique et la société civile ... 201 Alexis KELLER

La sensibilité à la question sociale:

le cas d'Antoine-Elisée Cherbuliez (1797-1869) ... 209

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Vincent BARRAS

Pratiques de la santé et hygiène publique ... 231 Jean BATOU

Un libéralisme conservateur? ... 247 Index ... 253

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LISTE DES AUTEURS

Alfred DUFOUR Professeur à la Faculté de droit, Université de Genève

Robert ROTH Professeur à la Faculté de droit, Université de Genève

Cyprian BLAMIRES Research Fellow, Bentham Project, University College, London

Etienne HOFMANN Professeur à la Faculté des sciences sociales et politiques, Université de Lausanne OlivierFATIO Professeur à la Faculté de théologie,

Université de Genève

Irène HERRMANN Assistante à la Faculté des lettres, Université de Genève

Alain Ph. ZOGMAL Assistant à la Faculté de droit, Université de Genève

Danielle BUYSSENS Assistante de recherche, Musée d'Art et d'Histoire, Genève

Marco MARCACCI Giovanni BUSINO Alexis KELLER Vincent BARRAS

Jean BATOU

Collaborateur au Dictionnaire Historique de la Suisse, Berne

Professeur à la Faculté des sciences sociales et politiques, Université de Lausanne

Assistant à la Faculté de droit, Université de Genève

Maître-assistant, Institut Louis Jeantet d'histoire de la médecine, Université de Genève

Maître-assistant, Faculté des sciences économiques et sociales, Université de Genève.

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AVANT-PROPOS

Du 19 au 21 novembre 1992 s'est tenu à Genève un colloque consacré au «libéralisme genevois, du Code civil aux constitutions (1802-1842)».

Il trouve son origine dans une manifestation connexe à une précédente rencontre scientifique. En novembre 1990 avait en effet eu lieu, égale- ment à Genève, un premier colloque interdisciplinaire consacré à Jeremy Bentham et à l'utilitarisme1En lever de rideau, plusieurs participants s'étaient réunis pour faire le point et tenter un bilan historiographique sur le milieu sur lequel Bentham exerça son influence à Genève, à savoir le

«milieu libéral». Cette riche après-midi de discussion, animée par ses initiateurs Cyprian Blamires et Alain Ph. ZogmaF, méritait de se prolon- ger d'une manière plus structurée. L'idée du colloque «libéralisme genevois» venait de naître. Elle s'est réalisée sous l'égide des Départe- ments d'histoire générale et d'histoire du droit et des doctrines juridiques et politiques, ainsi que du Centre d'étude, de technique et d'évaluation législatives de 1 'Université de Genève3

Les travaux rassemblés dans le présent volume sont issus des com- munications4 proposées lors du colloque de novembre 19925Dans notre avant-propos, nous aimerions tout à la fois décrire quelques-uns des enjeux qui se dégagent de la confrontation entre ces travaux et dessiner le contexte historiographique dans lequel ils s'inscrivent. Deux sujets

1 Les actes de ce colloque sont parus sous le titre: Regards sur Bentham et l'utilitarisme, aux éditions Droz, Publications de la Faculté des lettres de Genève, en 1993.

2 Voir leurs contributions ci-après pp. 25 et 139 ss.

3 Le colloque a bénéficié d'un soutien financier de la commission administrative de 1 'Université. Que cet organisme et son président le vice-recteur Bernard Levrat soient ici remerciés. Merci également à M. Alain Ph. Zogmal pour son travail de préparation intensif.

4 Chaque série de trois communications a été suivie d'un exposé de synthèse, présenté par MM. Jean-Claude Fa vez, Louis Binz, Giovanni Busino et Jean Batou.

Les deux derniers nommés ont accepté que leur exposé soit publié dans le présent volume.

5 Les communications de MM. Bernard Lescaze («Le libéralisme genevois et son rayonnement») et David Hi! er («Genève et la Révolution industrielle, analyse d'un blocage relatif») n'ont malheureusement pas pu être rédigées dans les délais prescrits. Elles ne figurent donc pas dans le volume.

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seront un peu développés, alors que le troisième ne sera qu'esquissé: en premier lieu, 1 'originalité des libéraux genevois vis-à-vis de leurs homo- logues français en particulier; puis les caractéristiques de la «génération libérale» et le contexte helvétique; enfin, la dimension de pédagogie législative de leur action.

1. Singularité des libéraux genevois

Dans 1 'histoire des doctrines politiques comme dans 1 'histoire cons- titutionnelle helvétique, les libéraux genevois présentent une double singularité, qui les apparente davantage aux Doctrinaires français et à leur héritiers, les Orléanistes, qu'aux modérés des autres Cantons suisses.

Dans l'histoire des doctrines politiques pour commencer, comme ces

«Messieurs du Canapé» - Royer-Collard, Guizot, Barante, Broglie, Rémusat, Serre et Camille Jordan, qui auraient tenu à eux tous sur un canapé, comme on le disait plaisamment des Doctrinaires -les libéraux genevois-E. Dumont, P.F. Bellot, Sismondi, P. Prévost, P. Rossi, Chs.

de Constant, A.P. de Candolle et J.J. Rigaud- ne constituent d'abord nullement un parti, voire un «bloc parlementaire»6, mais ils ne forment qu'un groupe d'intellectuels «entrés en politique»7, sans aucune «forme d'organisation électorale»8; en fait de doctrine ensuite, réunis par çles

«affinités morales et intellectuelles» et une «commune confiance dans les bienfaits de la liberté»9, ils n'ont guère en commun, à 1 'instar des Orléanistes français, qu'un «état d'esprit» (A. THIBAUDET)10, marqué philosophiquement au sceau de 1 'éclectisme et politiquement à celui du juste milieu11; quant à leur politique enfin, tenants d'un régime capaci-

6 Cf. W.E. RAPPARD, L'avènement dè la démocratie moderne à Genève (1814- 1847), Genève 1942, p. 66.

7 Cf. L. GIRARD, Les libéraux français 1814-1875, Paris, 1985, p. 70. Sur les liens et les affinités de ce groupe d'intellectuels, avec le Groupe de Coppet, voir la contribution d'E. Hofmann, ci après, pp. 39 ss.

8 Cf. W.E. RAPPARD, op. cit., loc. cit.

9 Ibid.

10 Cité parR. REMOND, Les droites en France, Paris 1982, p. 94.

11 Cf. R. REMOND, op. cit., p. 96.

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taire, également hostiles à la perpétuation des privilèges d'Ancien Régime et à l'universalité du droit de suffrage - «Quant au suffrage universel considéré comme un droit inhérent à la qualité de citoyen du pays», écrira P. Rossi dans leur organe Le Fédéral le 20 avril 1832, en se faisant 1 'écho de leurs préjugés capacitaires, «nous ne saurions y voir un prétendu droit politique acquis par droit de naissance. Nous ne concevrions pas comme (sic) un Genevois aurait le privilège de naftre bon électeur, pas plus qu'on naft bon juge ou bon conseiller d'Etat ...

Le suffrage universel pourra être un droit lorsqu'il sera prouvé que tous les citoyens sont aptes à exercer avec discernement et indépendan- ce les fonctions électorales» 12- ils prônent et pratiquent un parlemen- tarisme pragmatique, celui qu'E. Dumont leur aménage dès la fin 1814 au coeur du régime de la Restauration par son règlement des séances du Conseil Représentatif13, qui réajustera les rapports entre les pouvoirs établis par le «farrago inintelligible» (A.P. DE CANDOLLE)14 de la Consti- tution de 1814.

Dotés de la même indépendance d'esprit que les Doctrinaires fran- çais, partageant les mêmes affinités morales et intellectuelles et la même confiance dans les bienfaits de la liberté, imbus des mêmes principes éclectiques et modérés, les libéraux genevois parviendront ainsi parado- xalement, à 1 'instar de ces «Messieurs du Canapé»- c'est ce qui fera la singularité de leur place dans 1 'histoire des doctrines politiques - à

«défendre les libertés publiques sans faire appel à la philosophie indivi- dualiste et universaliste des droits de 1 'homme» comme à «défendre la liberté politique ... en écartant toute notion de Souveraineté nationale ou populaire» 15

Artisans dans cette perspective pragmatique d'une série de réformes constitutionnelles qui élargiront les libertés publiques et étendront le droit de suffrage, les libéraux genevois permettront par là à Genève de faire jusqu'en 18411' économie d'une Révolution- ce qui ne contribuera pas peu à leur singularité dans 1 'histoire constitutionnelle helvétique-

12 Cf. Le Fédéral, Ière année, n° Il, du vendredi 20 avril 1832, article «Cens électoral».

13 Voir l'excellente analyse qu'en donne W.E. RAPPARD, op. cit.(I), pp. 63-64 ss.

14 Cf. Mémoires et souvenirs d' A.P. de Candolle, Genève 1862, p. 249.

15 Cf. J.J. CHEVALLIER, Histoire de la pensée politique, Paris 1993, p. 770.

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justifiant du même coup la formule avancée et maintes fois reprise par J.J. Rigaud du «bonheur d'un quart de siècle» dont Genève aurait ainsi eu le privilège.

Forts de cette expérience et de ces réussites, les libéraux genevois imagineront alors pouvoir étendre au règlement des Affaires fédérales et cantonales leurs maximes de gouvernement. Mais les vertus sur le plan local genevois d'une politique tout à la fois faite de modération et d'attentisme ne devaient pas tarder à révéler leurs limites sur le plan helvétique. C'est d'abord que, sur ce terrain, les libéraux genevois ne pourront guère bénéficier de la conjoncture exceptionnelle de cohésion nationale et d'égalité civile réalisée à Genève sous 1 'égide de la Restau- ration par le rétablissement de 1 'indépendance politique de la Républi- que, source d'un nouveau patriotisme, et par le maintien simultané du régime juridique égalitaire et libéral du Code civil français, ciment de la société civile. C'est ensuite et surtout qu'ils auront à affronter sur ce nouveau théâtre, champ de tension entre la «résistance aveugle» des Cantons dits «rétrogrades» et le «besoin immodéré d'innovation» des Cantons dits du «mouvement»16, 1 'irrédentisme de 1 'esprit de parti, imperméable à tout sens de la mesure comme à tout «système de conciliation» (J.J. RIGAUD)17, l'échec en 1833 du Projet de révision du Pacte fédéral défendu par P. Rossi scellant celui d'une politique sur le plan fédéral: la politique de modération du <<progrès graduel»; mais c'est aussi qu'ils devront par ailleurs faire face, sur ce nouveau théâtre, à une nouvelle politique, victorieusement illustrée à Bâle comme à Neuchâtel dès 1832, à laquelle 1 'attentisme de leurs maximes de gouver- nement, marquées au sceau de la prudence dans le progrès et à celui du discernement dans la lecture des événements, ne les préparaient guère:

la politique du «fait accompli» qui aura tôt fait de réduire leur politique du «progrès graduel» à une politique du «progrès à reculons». C'est ce dont certains d'entre eux finiront par prendre conscience, ainsi qu'en témoignent les aveux tardifs de J.J. Rigaud reconnaissant dans ses Mémoires, en 1845, face à l'universalisation du fait démocratique et à 1 'inéluctabilité du suffrage universel, 1 'impérativité de «modifications

16 Cf. Le Fédéral, Ière année, n°83, du vendredi 28 décembre 1832, Editorial «Le Comité du Fédéral au public».

17 Cf. F.A. CRAMER, Jean-Jacques Rigaud, Ancien Premier Syndic de Genève, Genève 1879, p. 427.

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constitutionnelles ( ... ) qui auraient retardé toute crise violente» et soulignant: «Je me sers à dessein du mot retarder»18

Ces aveux confirment le constat de 1 'historiographie récente, qui a inspiré plusieurs auteurs des contributions ici rassemblées: le contenu idéologique de ce que 1 'on a appelé le «libéralisme genevois» reste à définir précisément. Les libéraux sont-ils des «progressistes», dont 1 'héritage sera détourné au

xxe

siècle par les conserva te urs qui à leur tour revendiqueront 1 'étiquette «libérale»19? Ou faut-il admettre avec P.Rosanvallon que le conservatisme est déjà «la grande idée du XIXe siècle»20 et que nos libéraux prennent leur part dans 1' édification de cette grande idée? Tentons ici une esquisse de réponse.

Amalgame d'éclectisme et de juste milieu, et politiquement en porte à faux en une période où «la démocratie coule à pleins bords» (RoYER- CoLLARD) de par le paradoxe de sa doctrine extensive des libertés publiques et capacitaire du droit de suffrage, force est de se demander si ce n'est pas dès le principe que le libéralisme genevois, tenant d'un parlementarisme pragmatique, recèle en fait de politique du <<progrès graduel» une politique de «progrès à reculons», en raison directe de son attentisme, porté à devancer pour ne pas suivre les événements - à cet égard, c'est dès décembre 1832 que le censeur le plus perspicace de la politique du «progrès graduel» au Conseil représentatif, le professeur A. Duvillard (1760-1842), faisant le procès de l'étrange conception de la prudence qui 1 'inspire, remarquera avec pertinence et non sans quelque prophétisme: «La prudence que je me suis permis de blâmer n'est pas celle d'un gouvernement qui, sans forces constitutionnelles, faible et délaissé, croit devoir céder aux volontés d'une faction qui le menace, mais celle qui, par excès de précaution, prend elle-même 1 'initiative du mal encore éloigné et incertain, dans 1 'espoir de 1 'adoucir en le dirigeant, sans s'apercevoir que chaque concession faite à 1 'esprit novateur, loin de le désarmer, lui met en main une arme offensive de plus»21

18 Cf. Mémoires de J.J. Rigaud, Ancien Syndic, Copie, t.2, Ms. suppl. 1291, BPU Genève, p. 210.

19 Voir le rapport de J. Batou, pp. 247 ss.

20 P. RosANVALLON, Le moment Guizot, Paris, 1985, p. 279

21 Cf. Mémorial des séances du Conseil Représentatif, 1832, V, n°45, p. 576; voir à ce sujet les réflexions de J.J. RIGAUD, in Mémoires, op. cit., tome cit., pp. 17-18.

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Mais poser cette question revient à se demander si le libéralisme genevois, ne représentant ni unpartini unedoctrine, mais répondant aux nécessités d'une conjoncture politique singulière, celle de la Genève de la Restauration, ne représente pas en définitive qu'un «moment» dans 1 'histoire genevoise de la première moitié du XIXème siècle: le «moment Rigaud».

2. La révolution culturelle d'une génération

«Nulle part la révolution démocratique qui agite le monde nes 'était produite au milieu de circonstances si compliquées et si bizarres», écrit Tocqueville à propos de la Suisse, dans un article largement diffusé qui rapportait en 1848 sur le livre célèbre de Cherbuliez22Opinion partagée par l'historien libéral vaudois Juste Olivier qui a cette formule dans la Revue des Deux Mondes de 1844: «L'histoire suisse ressemble à une vallée des Alpes, elle ne révèle toute sa beauté qu'au terme des plus sinueux détours»23Voilà qui justifie 1 'attention privilégiée prêtée aux avatars genevois du libéralisme tout comme on 1 'a fait en Suisse romande pour le libéralisme fribourgeois24 ou plus anciennement pour le canton de Vaud et le Valais25Contrairement à ce que laissent entendre aujourd'hui certaines modes vaguement inspirées de la «micro-histoire», le cas genevois n'est pas seulement un moyen de retrouver comme dans un miroir le tout d'une société et d'une époque. Le microcosme genevois renvoie certes à la grande histoire mais le changement d'échelle histori- que placera aussi la micro-société du bout du lac du côté de ces irréductibilités sur lesquelles ne cesseront de buter, pour leur plaisir et notre intérêt, les historiens locaux.

22 A. DE TocQUEVILLE, «Rapport sur 'La Démocratie en Suisse' de Cherbuliez>>, in Oeuvres, t. 1, Paris, 1991, p. 635 (Bibliothèque de la Pléiade). L'ouvrage de CHERBULIEZ a paru en 1843.

23 J. OLIVIER, «Mouvement intellectuel de la Suisse»,in Revue des Deu,;~.: Mondes, 15 mai 1844.

24 R. RuFFIEUX, «Les années 1830 à Fribourg. Aspects politiques et sociaux de la Régénération», in Annalesfribourgeoises, 57 (1986/87).

25 G. ARLETTAZ, Libéralisme et Société dans le Canton de Vaud 1814-1845, Lausan- ne, 1980 et Groupe valaisan de Sciences humaines,Histoire de la démocratie en Valais(1798-1914),Sion, 1979.

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Genève est le plus petit des cantons romands au milieu du siècle. Avec soixante-quatre mille habitants, il regroupe à peine 2.7 %de la popula- tion suisse. Cette modestie donne le ton à la vie politique dont il ne faut pas oublier qu'elle conserve, ici comme ailleurs en Suisse, même dans des cantons plus peuplés, des traits marqués de paternalisme. «Vérita- blement il serait difficile de trouver un pouvoir qui se rapprochât davantage de celui qu'exerce un père de famille» remarquait Stendhal de passage en 1837, tout en rendant justice à la «bonne logique» des Genevois dont la ville «a produit plus d'hommes remarquables que Lyon sa voisine, ville de deux cent quatre mille habitants»26. Le «touriste»

exagère sans doute quand il prétend que chacun excelle en économie politique au point de traduire et commenter Ricardo, auteur que les négociants millionnaires de France auraient tort, pense-t-il, de ne pas lire.

Sous l'Ancien Régime, ces traits paternels suffisaient à qualifier le bon gouvernement. Le jeune Jean de Muller, en séjour en 177 6 à Genthod chez Charles Bonnet, pensait qu'un surcroît de «lumière» permettrait aux régimes suisses de surseoir à la révolution par «un esprit encore plus paternel.»27 L'historien mettait au premier rang des principes éclairés la publicité des actes du gouvernement. Cette rupture avec le «mystère», digne selon Muller «d'un imbécile Roi du Maroc» mais pas des «chefs d'une nation libre», Genève est la première à 1 'accomplir en Suisse, dès 1793. Le principe n'en n'est plus oublié par la suite, même s'il faut attendre 1826 pour lire dans la presse la teneur des débats du Conseil représentatif. Genève est encore le premier canton à abolir la censure.

Comme en écho aux conseils de 1 'historien schaffhousois, Genève sut ainsi éviter les répercussions mouvementées de la chute de Charles X en 1830.

Rapprocher ainsi Stendhal et Jean de Muller a plus que la vertu du florilège. L'allusion même sommaire aux origines culturelles du libéra- lisme nous plonge bien entendu au coeur d'un long dix-huitième siècle et nous rappelle qu'avant la variante libérale de la République des années 1830, les cantons ont vécu à l'heure de la République éclairée, après

26 STENDHAL, Voyages en France, Paris, 1992, pp. 439,450 et451 (Bibliothèque de la Pléiade).

27 J. DE MuLLER, Vue Générale de la République Fédérative des Suisses, [1776- 1777], Zürich, 1991, p. 104.

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avoir mûri quelques siècles sous le régime de la République aristocrati- que28. Tocqueville, toujours lui, féroce dans ses jugements et pour une fois peu perspicace, estime «que la Suisse est un des pays de l'Europe où la révolution avait été la moins profonde, et la restauration qui la suivit la plus complète.»29 A vrai dire, le retour à l'Ancien Régimes 'est avéré très partiel. C'est plutôt d'une continuité par delà l'épisode de la République helvétique dont ils' agit, continuité dont rendent bien compte les permanences du personnel politique. Dans la plupart des cantons, une oligarchie de «Capacités» ou de «volontés intelligentes» comme disent les textes d'époque assurent la pérennité de l'idéologie des Lumières, reposant sur les vertus de la propriété et du savoir et hostile aux options populistes et démocratiques. Au fond, seul Fribourg recouvre un régime

«ultra» par un rétablissement formel du patriciat. Partout ailleurs domine le conservatisme éclairé ou le libéralisme conservateur. Cette conjonc- tion des contraires est un moyen de transiger avec la nécessité de clore la période de la révolution tout en préservant un acquis30N'était-on pas sorti, grâce à la révolution, du blocage institutionnel qui figeait les gouvernements d'avant 1798?

C'est néanmoins durant les années 1815-1830 que commencent à s'opposer deux «systèmes», comme on disait alors, aux contours encore flous. L'unfranchement hostile à la Révolution et à sa prétention de construire un nouvel ordre constitutionnel se rattache à la vieille concep- tion patriarcale et aristocratique de 1 'Etat et insiste sur le concept de légitimité, sur la liberté des peuples et les droits historiques de la religion.

D'une manière générale, être conservateur signifie s'opposer au change- ment. L'autre tendance, celle des idées libérales, repose sur la conviction que les hommes ont vocation à la liberté et doivent décider de 1 'étendue du pouvoir que la société exerce sur 1 'individu. Plus que des courants organisés, il s'agit de deux consciences différentes de la société civile, l'une critique, l'autre défensive. Ce sont d'abord des cultures plus que

28 Sur ces questions, voir F. WALTER, «L'idée de République en Suisse»,inActes du Ile Symposium humaniste international de Mulhouse, Mulhouse, 1991, pp. 85-95 et aussi «Mythe & Réalité de 1 'Egalité en Suisse», in Actes du 3e Symposium humaniste international de Mulhouse, Mulhouse, 1992, pp. 191-199.

29 TocQUEVILLE, op. cit., p. 639.

30 Voir R. RuFFIEUX, «Fédéralisme et liberté en Suisse durant la première moitié du XIXcsiècle», in Le concept de liberté de 1815 à 1914 dans l'espace rhénan supérieur, Mulhouse, 1976.

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des doctrines. Elles se délimitent sur des questions avant de définir des politiques. Ainsi, 1 'école, 1' assistance, les «Heimatlosen», les péages et surtout les affaires religieuses (les rapports Eglise-Etat) polarisent peu à peu les opinions entre ceux qui craignent la déstabilisation et ceux qui prônent le développement d'un «esprit public», autre terme à connota- tion franchement libérale.

Ce pragmatisme bien helvétique peut seul rendre compte de 1' évolu- tion qui touche de nombreux cantons dès la fin des années 1820, même quand ils passent pour conservateurs. L'histoire a retenu le nom de ceux qui ont changé leurs constitutions, sous la métaphore de «régénération», mot d'usage sylvicole qui renvoie indéniablement aussi au cortège sémantique de la Révolution française. Schaffhouse en 1826 et Lucerne en 1829 sont les premiers touchés par les velléités libérales mais c'est surtout le Tessin qui innove en révisant sa constitution durant la première moitié de 1 'année 1830. Ensuite, les événements de juillet à Paris provoquent la consternation en Suisse, avant qu'à 1' automnes' amorcent spontanément des mouvements populaires. «Nous étions à la veille d'une révolution et nous ne nous en doutions pas le moins du monde», avoue Jean-Pierre Henry dans ses Souvenirs31Le résultat est spectacu- laire puisqu'en moins d'une année onze des plus importants cantons (soit plus des deux tiers de la population) introduisent dans leurs constitutions révisées le principe de la souveraineté du peuple et la démocratie représentative. Jusqu 'en 1834, ils seront quatorze cantons et un demi- canton à se régénérer.

Mais surtout, les mouvements de 1830 règlent définitivement un problème spécifiquement helvétique, celui de la domination des villes souveraines sur les campagnes. Les mouvements de masse qui précèdent les modifications institutionnelles, la mobilisation des paysans, réunis en assemblées dans les petites villes et les bourgs, ont pour finalité de faire admettre aux anciennes oligarchies de la capitale que le temps est révolu où 1' on pouvait ignorer la représentation de la campagne. En cela, la régénération est révolution authentique, victoire des campagnes et des bourgs, triomphe d'hommes nouveaux et de méthodes nouvelles de penser la politique, d'en finir une bonne fois avec «le régime des

31 J.-P. HENRY, Jean-Pierre et les promesses du monde. Souvenirs d'un enfant de Meyrin (Genève) 1814 à 1835, Lausanne, 1978, p. 161.

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perruques et des calottes» selon le mot d'un doctrinaire bernois321830, c'est véritablement la fin de 1 'Ancien Régime, ce que signifie le libéral Juste Olivier lorsqu 'il écrit uneHistoire de la Révolution helvétique qui court de 1780 à 1830 précisément33Il n'est pas anodin non plus que dans des villes comme Berne ou Zurich, 1' avènement de la génération libérale au Grand Conseil coïncide avec la décision symbolique d'abattre les murailles de la capitale, sorte de matérialisation du pouvoir insolent du

«parti réactionnaire». Ce type d'événements permet de comprendre 1 'impression forte qu'ont eue les contemporains de renouer avec les anciennes libertés des Suisses et le véritable idéal républicain, que la mainmise des oligarchies urbaines avait en quelque sorte «dégénéré»34

Il n'est d'ailleurs pas fortuit que, dans les années 1830, on assiste au transfert dans les nouvelles règles institutionnelles des droits anciens du veto et du referendum sous la forme moderne que ces droits avaient reçu dans les institutions américaines et sous la Révolution française. Ce tout de 1 'héritage historique, les historiens libéraux 1 'ont fortement intériorisé pour aussitôt le transcrire dans une conception de 1 'histoire suisse finalisée sur son achèvement, à savoir les révolutions de 1830. La période 1798-1814 n'estplus qu'une parenthèse malheureuse, l'Ancien Régime une phase de «décadence progressive» et les années 1815-1829 celles de la «nouvelle décadence de la Suisse»35Ce télescopage des conceptions libérales modernes et de la vieille tradition républicaine pourrait démontrer qu'il n'existe pas un libéralisme mais bien plutôt des aspirations et des tendances libérales.

Parfois, cas le plus spectaculaire, ce flou idéologique s'est soudain incarné dans un mouvement populaire, a été porté par une génération libérale et par des associations à but spécifique, s'est matérialisée par un renouvellement du personnel politique, s'est inscrit dans des institutions

32 La Régénération est donc beaucoup plus que la simple révocation de la Restaura- tion dont parle dans son chapitre sur la Suisse 1 'historien anglais C.H. CHURCH, Europe in 1830. Revolution and Political Change, London, 1983, p. 69.

33 J. OLIVIER, Histoire de la Révolution helvétique dans le cantons de Vaud ou du Léman ( 1780-1830 ), Lausanne, 1842.

34 Ce que montre notamment E. GRUNER, Das bernische Patriziat und die Regenera- tion, Bern, 1943.

35 Découpage caricatural chez H. ZscHOKKE, Histoire de la Nation suisse, Paris, 1836. Ils 'agit d'une édition «augmentée des événements de 1815 à 1833» par le traducteur C. MONNARD, lui-même historien libéral.

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plus ou moins durables. En Suisse romande, Fribourg et Vaud ont vécu en 1830 le renouveau libéral. Le Valais le connaîtra en 1839. Neuchâtel échappe en 1831-32 à ce que la propagande royaliste appelle le «mons- trueux principe de la souveraineté du peuple». Quant à Genève, il réussit à se maintenir provisoirement à 1 'écart des mouvements révolutionnaires de la décennie libérale, grâce à 1 'expérience originale du «progrès graduel». Il n'est d'ailleurs pas le seul à vivre d'une autre manière que par le changement de constitution la fermentation libérale. Des cantons comme Zoug, par exemple, connaissent des phénomènes analogues36

Il n'y a pas un libéralisme mais un climat libéral. La chronologie purement politique et institutionnelle ne réussit pas à en délimiter le champ. Les attitudes libérales dépendent largement du contexte. Durant la première moitié du 19e siècle, la Suisse appartient ainsi sans aucun doute à 1 'Occident libéral avec la Grande-Bretagne, la France, les Etats- Unis. Or, ces sociétés libérales ne sont en général pas démocratiques. La variante représentative de la démocratie à laquelle se convertissent une partie des cantons suisses est certes un acquis des années 1830. Mais les régimes changent et plusieurs cantons qui furent les ténors de la généra- tion libérale vivront le début des années 1840 à 1 'heure de la réaction37

Zurich donne le signe du reflux en 183938Déjà en 1831, lorsqu 'il est question en Diète de la garantie à accorder aux constitutions révisées les clivages et les contradictions firent la une des débats39 Face aux extrêmes, face à 1 'inexorable politisation des dossiers religieux40, la

36 Ce que démontre la thèse récente de R. MoRosou, Zweierlei Erbe. Staat und Politik im Kan ton Zug 1803-1831147 na ch den E1jahrungen von Ancien Régime und Helvetik, Zug, 1991. Le titre de son livre fait allusion au double héritage dont nous avons esquissé quelques traits ci-dessus: 1 'héritage de 1 'Ancien Régime et celui de la République helvétique.

37 C'est le cas notamment de Lucerne. Voir K. BücHI, Die Krise der Luzerner Regeneration 1839-1841, Zürich, 1967.

38 Voir par exemple G.A. GRAIG, Geld und Geist. Zürich im Zeitalter des Liberalis- mus 1839-1869, München, 1988.

39 Cf. la contribution de A. Dufour pp. 97 ss. L'enjeu libéral est également bien analysé à partir du cas de la partition de Bâle dans Base/land vor 150 Jahren.

Wende und Aufbruch. Ne un BeitJ·age mit Chronologie der Bas/er Wiri·enund der eidgenossischen Regenerationszeit 1830-1833, Liestal, 1983.

Pour Genève, cf. la contribution de O. Fatio pp. 61 ss.

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doctrine du juste-milieu inspirée de la monarchie de juillet eut aussi ses adeptes dans les cantons.

Mais qui pouvait prévoir la fantastique contamination libérale? On assiste dans les années 1830 et 1840 à la naissance de la vie politique en Suisse avec 1 'adoption par les grandes familles d'idées, libérales et conservatrices, des méthodes d'action et de formation de 1 'opinion, expérimentées pour la première fois au moment de la Régénération. Les nouvelles générations politiques, celles des radicaux d'un côté et des catholiques conservateurs de l'autre, ont parfaitement compris le parti qu'on pouvait tirer d'une dynamique du changement. A n'avoir pas toujours perçu 1 'accélération de 1 'histoire, certains courants libéraux, à Genève, dans le canton de Vaud et à Neuchâtel en particulier, seront, ironie de 1 'histoire, réputés conservateurs dans le second dix-neuvième siècle.

Conscients de la multiplicité des enjeux libéraux, les organisateurs du colloque ont voulu inscrire le phénomène dans une perspective large. On verra, au gré des contributions, que les attitudes libérales régénèrent tout autant et peut-être plus durablement la culture, 1 'économique et le social que 1 'idéologie politique41Ainsi, pour ne prendre qu'un exemple, les opérations d'urbanisme autour du projet des Bergues et le lancement des premières sociétés immobilières ont une portée symbolique considéra- ble. Les transformations du visage de pierre de la Cité matérialise, mieux qu'un code ou une constitution, une conversion typiquement libérale à la modernité. Dans une belle étude, André Corboz est allé jusqu 'à parler de

«refondation» de Genève par le recentrement du tissu urbain sur le polygone dont le coeur est une «île sans mémoire» dont on fait en 1835 1 'île Rousseau42Par là s'opère, après 1 'étonnante filiation des Genevois avec les Anciens Confédérés, évoquée par plusieurs intervenants43, un deuxième transfert non moins important, celui de 1 'héritage des Lumiè- res. En lisant les contributions de ce colloque qui explorent de manière neuve le versant suisse de 1 'histoire genevoise, on retrouve aussi le souffle long de 1 'histoire européenne. Même sans révolution, même dans

41 En particulier les contributions de D. Huyssens pp. 161 ss. et de M. Marcacci pp. 183 ss.

42 A. CoRBOZ, «La Refondation de Genève en 1830 (Dufour, Fazy, Rousseau)», in Genava, XL (1992), p. 55-85.

43 Cf. les contributions de A. Dufour pp. 97 et de I. Herrmann pp. 73 ss.

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l'attente de la «révolution inachevée» de 184244, une relecture parfois iconoclaste de 1 'histoire genevoise révèle les virtualités de la pensée libérale, une sorte de révolution des mentalités.

3. Une pédagogie législative?

Si elle distingue une génération, 1 'idéologie du progrès graduel s'inscrit dans la continuité des «passions genevoises». Comme la plupart de ses prédécesseurs, le projet politique des libéraux genevois du XIXème siècle exprime également une ambition de nature pédagogique.

Rien de plus logique: le libéralisme politique possède toujours un caractère utopique45; son objectif ultime est 1 'abolition des castes selon l'expression courante au début du XIX• siècle- le Premier Ministre conservateur britannique parle aujourd'hui d'une «société sans clas- ses»46. Il s'agit d'une utopie pragmatique (si les deux mots supportent le mariage): le progrès graduel est une entreprise de maturation pro- gressive de 1 'opinion publique, la préparation à un changement social en douceur. La réforme intellectuelle précède la réforme politique47, ce qui ne heurte pas, bien au contraire, la fascination atavique de l'élite genevoise envers la pédagogie.

La passion de la péd~gogie mène-t-elle à celle de la réforme législa- tive? L'exemple illustre de Condorcet souffle une réponse affirmative48.

Mais à la «passion positive» des Idéologues49 s'oppose une tradition de passion négative, qui s'inspire largement de l'enseignement de B. Constant, qu'actualisera à notre époque F.Hayek: «Les lois ne sont pas seulement pernicieuses en ce qu'elles ne laissent pas faire la nature; plus

44 Voir D. HILER et B. LESCAZE, Révolution inachevée. Révolution oubliée.J842. Les promesses de la Genève moderne, Genève, 1992.

45 Pour paraphraser le titre d'un autre ouvrage clef de P. RosANVALLON, Le capitalis- me utopique, Paris, 1979.

46 Déclaration de John Major au moment de sa prise de fonction.

47 Cf. la contribution d'A. Keller pp. 209 ss.

48 Cf. A. JARDIN, Histoire du libéralisme politique, de la crise de l'absolutisme à la Constitution de 1875, Paris, 1985, pp. 146-147.

49 Cf. J. CARBONNIER, «La passion des lois au siècle des Lumières»,in Essais sur les lois, Paris, 1979, pp. 221-222.

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gravement, elles la corrompent»50L'opposition au rationalisme (légis- latif) que 1 'on. qualifiera en termes hayekiens naïf ou constructiviste se traduit dans un antipositivisme, aux termes duquel «les lois ne font qu'enregistrer et traduire un état social et moral déterminé»51

Passion positive ou passion négative? Le bilan que dresse A. Ph.

Zogmal de l'activité législatrice des libéraux genevois52les situe «dans le courant( ... ) nettement conservateur, mieux orléaniste, de la première moitié du

xrxe

siècle».

Positive ou négative, la passion ne doit pas être nivelée. Comme le montre encore A. Ph. Zogmal, il y a loi et loi: les libéraux genevois établissent- telle est sa thèse- une hiérarchie entre le Code Napoléon,

«charte de la société civile» et la Constitution, expression de la société politique, au bénéfice du premier. Cette affirmation de la «primauté de la société civile sur la société politique» est remise en cause par G .B usino dans son rapport53A l'inverse, les libéraux seraient attachés, au-delà de leurs divergences quant au contenu de 1 'ordre politique qu'ils souhaitent instaurer ou maintenir à la primauté de cet ordre dans la société et donc à la «supériorité de 1 'Etat sur la société». Un beau débats 'est ouvert là, dont on découvrira avec profit les premiers échanges.

Un constat traverse nombre de contributions rassemblées dans ce volume, qui débouche sur un appel: malgré 1 'importance de la recherche sur le libéralisme genevois du début du

xrxe

siècle; dont ce livre porte témoignage, les travaux sur la pratique des libéraux sont encore insuf- fisantes: «recherche prosopographique sur les élites genevoises» 54

; étu- de de 1 'impact réel de mesures de politique sanitaire telles que la vaccination; mise en place de la «médicalisation hospitalière»55, etc. Si le présent ouvrage parvient à susciter ou à donner 1 'impulsion à de tels travaux, le colloque dont les actes sont ici présentés aura rempli sa

50 J.CARBONNIER, «Toute loi en soi est un mal?»,in Essais sur les lois, op. cit., p. 292.

51 P. RosANVALLON, Le moment G~izot, op. cit., p. 45.

52 Cf. sa contribution pp. 139 ss.

53 Cf. ci-dessous, pp. 201 ss.

54 Cf. rapport de G. Busino, PJ,J· 201 ss.

55 Cf. la contribution de V. Barras, pp. 231 ss .

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double fonction: dresser le bilan de quelques décennies de riche produc- tion historiographique et éveiller de nouvelles vocations.

Alfred DUFOUR François WALTER Robert ROTH

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INFLUENCE DE BENTHAM ET INFLUENCE ANGLAISE DANS LA PENSEE

D'ETIENNE DUMONT

Cyprian BLAMIRES

A partir de 1814, le Conseil Représentatif était parmi les symboles les plus puissants del 'influence anglaise à Genève, dans la sphère politique tout au moins. Par son titre même, cette nouvelle institution gouverne- mentale donnait expression à une innovation sans précédent dans la vie politique genevoise. Genève avait dès maintenant (et pour la première fois) un gouvernement représentatif, ce qui voulait dire au fond que Genève avait opté pour le modèle du parlementarisme anglais. Ce système avait été vivement critiqué par Jean-Jacques Rousseau1, le plus célèbre de tous les écrivains genevois du dix-huitième siècle, et peut-être de tous les temps. Celui-ci avait une nette préférence pour la démocratie directe, coeur du mythe politique genevois. Vous vous rappellerez sans doute qu'à Genève au dix-huitième siècle la souveraineté appartenait théoriquement au Grand Conseil de tous les citoyens; je ne veux pas étudier ce système à fond aujourd'hui, je veux seulement rappeler qu'en réalité le gouvernement était dans les mains d'une petite élite d'ancien- nes familles qui gardaient la plupart des places pour elles et qui préféraient le plus que possible éviter de faire réunir le Grand Conseil.

Et, en fait, le rôle du Grand Conseil est devenu de plus en plus théorique avec le temps, bien que son droit à la souveraineté ne fût pas contesté. Ce qui voulait dire que Genève pouvait garder 1 'apparence d'une vénérable tradition démocratique même si en réalité le pays était gouverné par une aristocratie. Mais les Genevois étaient fiers de 1 'idée que leur république était une démocratie, c'était par là et par leur religion protestante qu'ils se voyaient comme différents des grandes monarchies catholiques voi- sines comme la France, l'Autriche, la Savoie. Donc l'abandon de ce vieux système si lié à leur identité politique n'était pas facile à accepter.

1 RoussEAU, J.-J.,Le Contrat Social, Paris, Garnier, 1966, livre III, ch. XV, pp. 134- 137.

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Un rôle très important a été joué dans 1 'inauguration du nouveau système politique à Genève par Pierre-Etienne-Louis Dumont (1759- 1829), disciple et traducteur du philosophe et réformateur anglais Jeremy Bentham (1748-1832). William Rappard a attiré notre attention sur la contribution de Dumont; il croit même que celui-ci a pu sauver l'indépendance du Conseil Représentatif2Car c'est surtout Dumont qui a eu la responsabilité de composer le règlement pour le Conseil, et ill' a construit d'une telle façon que le Conseil a pu saisir l'initiative politique même si le Conseil d'Etat l'avait théoriquement. Certains éléments très importants du règlement, et qui aidaient à soutenir cette indépendance du Conseil Représentatif, étaient certainement d'inspiration anglaise, par exemple la règle des trois débats - selon laquelle chaque nouvelle mesure devait être discutée trois fois à la chambre avant qu'il ne fût question de voter3De plus, le règlement a créé un instrument de liberté assez puissant en envisageant la création de commissions nommées du sein du Conseil pour examiner les propositions du Conseil d'Etat à chaque fois qu'une telle commission serait demandée par cinq membres du Conseil Représentatif4Cela voulait dire que le Conseil d'Etat ne risquerait pas facilement des propositions qui n'avaient aucune chance de survivre à un tel examen.

Je ne peux ni tenter une étude approfondie du règlement du Conseil Représentatif ni considérer si l'opinion de Rappard, qui attribuait une si grande importance à ce règlement dans la préservation de la liberté genevoise sous la Restauration, était fondée ou non. Ce que je veux faire, c'est surtout montrer que, dans le cas de Dumont, influence anglaise et influence de Bentham ne sont pas forcément la même chose; autrement dit, présenter quelques exemples qui feront sentir à quel point Bentham était lui-même hostile aux traditions de pensée de son propre pays, tandis que Dumont était souvent bien plus proche de ces mêmes traditions; en même temps je lierai ce phénomène un peu paradoxal avec celui de la Révolution Française, qui est intervenue entre l'époque de la composi-

2 RAPPARD, W., L'Avènement de la démocratie moderne à Genève, Genève, 1942, pp. 63-65.

3 Règlement pour le Conseil représentatif de la ville et république de Genève, Art.

xxii. Voir DUMONT, P.-E.-L. (éd. et tr.) Tactique des Assemblées législatives, 2e éd., 2 vols., Paris, 1822,1, p. 270.

4 Règlement op. cit., Art lv-lxiii; et voir Tactique, 1, p. 278.

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ti on originelle par Bentham des manuscrits utilisés plus tard par Dumont, et l'époque du travail d'éditeur que celui-ci a entrepris. Les exemples que je vais discuter,je les tirerai del 'ouvrage dans lequel Dumont a édité les manuscrits de Bentham sur l'organisation des assemblées politiques;

cet ouvrage, c'est la «Tactique des Assemblées Politiques Délibéran- tes», et il se trouve dans le premier volume de Tactique des Assemblées Législatives5Je laisserai de côté le deuxième volume de cet ouvrage, qui contient à la fois les Sophismes Politiques-où il s'agit de sophismes utilisés par les orateurs parlementaires pour bloquer toute réforme- et les «Sophismes Anarchiques» qui critiquent la Déclaration des Droits de l'homme.

Le premier volume contient donc trois textes :-le texte du Règlement du Conseil Représentatif dont je viens de parler; une traduction du règlement de la Maison des Communes; et la «Tactique des Assemblées Politiques Délibérantes». Celle-ci est la version faite par Dumont du

«Political Tactics» de Bentham, dont le manuscrit original anglais est perdu. Bentham en a fait imprimer un fragment en 17916, mais il semble attribuer la perte du manuscrit à Dumont, selon une lettre qu'il écrit à Jacob-Louis Duval en 18297, à l'occasion de la mort de Dumont, dont Duval était le neveu. Sans le manuscrit original de Bentham, nous ne savons pas toujours dans cet ouvrage quelle est la voix du penseur anglais et quelle est la voix de son disciple. Nous savons qu'au cours de ses travaux d'éditeur, Dumont retranche des parties des textes de Bentham mais aussi qu'il doit compléter des sections que Bentham a laissées inachevées8Heureusement nous verrons que de temps en temps Dumont dit lui-même quand il ajoute quelque chose.

La «Tactique des Assemblées Politiques Délibérantes» n'est pas bien connue aujourd'hui, mais elle est un des rares ouvrages qui a fondé une

5 Cf. note 3.

6 Essay on Poli ti cal Tactics, Londres, 1791.

7 Jeremy Bentham à J.-L. Duval, 20 octobre 1829, Bibliothèque Publique et Univer- sitaire, Genève, Ms. fr 3787.

8 Voir DuMONT, P.E.L. (éd. et tr.),Traités de législation civile et pénale, 3e édition, 3 tomes, Paris, 1822, I. «Discours préliminaire», pp. ii-iv pour la manière dont Dumont traite les textes de Bentham.

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nouvelle science, - la science de la procédure parlementaire9Avant l'époque où écrivait Bentham, il n'existait pas de manuels de pratique parlementaire. Jefferson n'a publié son manuel qu'en 180110, tandis que Bentham a déjà écrit la plus grande partie de son texte en 1788-89. Ille destinait aux membres des Etats Généraux, mais il n'a pas pu le terminer à temps. Il savait l'importance et la difficulté d'une discipline dans les débats, et son «Political Tactics» avait pour but de contribuer à résoudre ce problème pour la nouvelle assemblée en France 11Les Etats Généraux avaient vraiment besoin d'être secourus dans ce domaine12, mais ils n'avaient aucune intention de recevoir des conseils d'Outre-Manche;

même si Bentham avait terminé son livre à temps, il n'aurait pas été écouté13

A la fin, c'est à Genève qu'est revenu l'honneur d'avoir provoqué la publication (en 1816) de cette pensée de Bentham dans la version de Dumont. Après le départ des Français de Genève, Dumont a quitté Londres, où il vivait depuis 1786, pour rentrer dans son pays : il a été élu au nouveau Conseil Représentatif, il a servi dans la commission qui devait produire les règles de ce conseil, et cela 1' a poussé à terminer son travail sur le «Political Tactics» de Bentham, travail qu'il avait commen- cé et même presque achevé en 180014

Quelle était la base de ce manuel de procédure parlementaire? Au fond, c'était une étude de lapratiquedes deux Chambres Anglaises15Et cette pratique, Bentham la regarde d'un oeil critique, sous la lumière du principe de l'utilité, sans aucun sentiment traditionaliste. En cela, il se

9 Voir la préface de C. BENOIST à: MOREAU, F. et DELPECH, J. (éd. et tr.), Les Règlements des Assemblées Législatives, Paris, 1906, pp. i-xxxii.

10 JEFFERSON, T., M anual of P arliamentary Practice, Washington, 1801.

11 Jeremy Bentham à André Morellet, 25 février 1789, in MILNE, A.T. (éd.), The Correspondence of Jeremy Bentham, vol. IV, London, 1981, (The Collected Works of Jeremy Bentham) pp. 30-32.

12 Voir C. BENOIST, Préface à: F. MOREAU et J. DELPECH, op. cit., pp. i-xi.

13 Op. cit., pp. xxxi-xxxii.

14 Dumont à Bentham, c 20 août 1808, DINWIDDY, J. R. (éd.), The Corresponde nee of Jeremy Bentham, vol, VII, Oxford, 1988, (The Collected Works of Jeremy Bentham) p. 529.

15 JeremyBenthamàLordWycombe, 1 mars 1789,TheCorrespondenceofJeremy Bentham, IV, p. 33.

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sépare non seulement de ses contemporains conservateurs du style Edmund Burke, mais aussi de certains radicaux comme Cartwright, dont la pensée politique se basait plutôt sur le droit naturel ou bien sur de prétendus droits anciens, qu'auraient possédés les Anglais avant l'inva- sion normande16Ainsi, l'ouvrage de Bentham était nouveau dans deux sens : d'abord en étant la première étude de la discipline des assemblées politiques; ensuite en prenant pour guide le principe de l'utilité.

Il faudrait ajouter que Bentham prenait ses exemples non seulement chez les Anglais mais aussi chez d'autres nations, y compris la France, dont il citait la pratique des anciens Etats Généraux et les assemblées provinciales instituées par Necker. En fait, c'est l'observation de ce qui s'est passé dans ces assemblées provinciales qui lui a donné pour la première fois l'idée d'un «Political Tactics»; il en énonce déjà le projet dans une lettre à son frère Samuel en 177817

La méthode de Bentham dans la fondation de cette nouvelle science diffère d'une façon assez frappante de sa méthode dans le domaine de la réforme juridique. Dans ce dernier domaine, il ne tente pas de se baser sur les traditions juridiques anglaises, il les refuse complètement - et surtout le Common Law18, vu par beaucoup comme la gloire du système juridique de notre pays 19Il rejette totalement les traditions anglaises qui, selon lui, ne peuvent en aucune façon être accordées avec la raison. Il faut construire des codes neufs basés sur le principe de l'utilité, en poursui- vant les conséquences de ce principe jusqu'au bout, et sans faire de compromis avec les lois existantes.

16 CARTWRIGHT, F. D. (éd.), The Life and Correspondence of Major Cartwright, 2 vols., London, 1821, I 90. Voir aussi HALEVY, E., La Formation du Radicalisme Philosophique. 1 La Jeunesse de Bentham, Paris, 1901, pp. 220-276.

17 Jeremy Bentham à Samuel Bentham, 14 août 1778, SPRIGGE, T.L.S. (éd.), The Correspondence of Jeremy Bentham, vol. II, London, 1968, (The C ollected Works of Jeremy Bentham) p. 157.

18 VoirBowRING, J. (éd.), The Works of Jeremy Bentham, Il vols., Edinburgh, 1838- 43, V, p. 235; BuRNS, J.H. et HART, H.L.A. (éds.), A Comment on the Commenta- ries, London, 1977 (The Collected Works of Jeremy Bentham), p. 320.

19 Comme par CARTWRIGHT, par exemple, qui voyait «English Constitution» et

«Common Law» comme des soeurs; voirThe Life and Correspondence of Major Cartwright, loc. cit.

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Pourquoi ces attitudes contrastées dans les deux domaines du droit et de la politique? Dans sa jeunesse, Bentham est beaucoup plus conserva- teur dans la politique qu'il ne l'est dans la sphère du droit. Plus tard, il admet que dans sa jeunesse il avait accepté aveuglément les mythes du jour sur la supériorité du système politique anglais, dont le prestige était très élevé à l'époque20A partir de 1791, il avait fait une expérience personnelle très douloureuse de ce système, en essayant de faire accepter par les autorités sa prison panoptique, et cette expérience l'a poussé de plus en plus loin dans la direction du radicalisme. Ce processus a été accéléré, semble-t-il, par sa rencontre avec James Mill, père du célèbre John Stuart Mill, en 1809. A partir de cette date, son ancienne sympathie pour la Constitution de son pays s'est évanouie21 .

Si nous considérons maintenant le rapport entre la pensée de Bentham et celle de Dumont tel qu'il se fait sentir dans les pages de la «Tactique des Assemblées Politiques Délibérantes», nous constatons quelque chose d'assez surprenant. C'est que Dumont le Genevois se montre beaucoup plus anglophile que Bentham lui-même. Et pour illustrer ce phénomène, je vais prendre l'exemple de la division des assemblées législatives. Au fil de son ouvrage, Bentham se demandes 'il vaut mieux avoir une seule assemblée législative ou bien deux22. D'abord il dit qu'il y a des raisons pour et contre le bicaméralisme, mais Dumont nous dit explicitement que Bentham a fourni des raisons contre sans donner de raisons pour; celles-ci, c'est Dumont lui-même qui les fournit23Etant donné que Bentham n'ajamais eu de bien a dire de la Chambre des Pairs, le fait qu'il s'est abstenu de donner des arguments pour un système bi- caméra! semble plein de sens. Je veux examiner cette question de plus près, pour montrer la complexité des rapports entre la pensée de Dumont et celle de Bentham.

Voyons d'abord les raisons que Benthamdonne pour s'opposer au bi- caméralisme24.

20 Jeremy Bentham à Etienne Dumont, 6 septembre 1822, Bibliothèque Publique et Universitaire de Genève, Ms. DUmont 33/1, 167-8.

21 Voir note 33.

22 Tactique des Assemblées Législatives, 1, pp. 46-56.

23 Ibid., p. 49 note.

24 Ibid., pp. 46-49.

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1. Une majorité d'un seul vote dans une assemblée peut bloquer une décision unanime de 1' autre. Autrement dit, «Ce serait souvent un moyen de donner à la minorité l'effet de la majorité».

2. Si les chambres sont distinguées sur la base de différents ordres -de noblesse et communes, par exemple-, cette division favorisera les intérêts d'un ordre sur le reste de la nation.

3. «Chaque assemblée sera privée d'une partie des informations qu'elle aurait eues dans un état de réunion ... L'auteur d'une proposition, qui a fait de son sujet une étude profonde, ne sera pas présent dans 1 'assemblée où 1 'on fait des objections contre elle».

4. Surtout, là où ils 'agit d'entendre des témoins et d'examiner des documents, les deux assemblées ne peuvent examiner une même ques- tion simultanément, ce qui entraînera des longueurs inutiles.

De plus il y aura des disputes au sujet de la préséance et des prérogatives respectives qui perdront du temps et qui «fourniront sou- vent des moyens pour les frapper toutes deux d'immobilité».

5. «Le résultat final de cette division est d'opérer une distribution de pouvoirs qui donne à l'une des assemblées l'initiative, et réduit l'autre à une simplenégative. Source naturelle et féconde d'oppositions indues, de querelles, d'inaction et de perpétuité d'abus».

Cette hostilité au bi-caméralisme est certainement basée sur la façon dont Bentham concevait la Chambre des Pairs. Au fond, c'est une critique de cette Chambre.

Pour sa part, Dumont donne trois raisons principales en faveur du système bi-caméraF5

Il dit tout d 'abordqu 'une telle division «est un moyen assuré de brider la précipitation et de prévenir les surprises». Car une assemblée unique n'observe ses propres règlements qu'autant qu'il lui plaît. «L'expérien- ce a prouvé qu'elles 'en départ facilement, et que 1 'urgence des circons- tances lui fournit un prétexte toujours prêt, et un prétexte populaire pour faire tout ce que veut le parti dominant, c'est-à-dire pour obéir aux passions du jour». De quelle expérience s'agit-il ici? Evidemment,

25 Ibid., pp. 49-56.

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Dumont songe à son expérience de la Révolution Française. Cela est très important. Car, en 1789, Bentham a devant lui surtout 1 'expérience britannique, dont il est non seulement le mémorialiste mais également le critique, certes beaucoup moins qu'il ne le sera plus tard, - et il écrit avant la Révolution.

En revanche, Dumont, en éditant le manuscrit de Bentham vers 1800, a devant lui surtout 1 'expérience révolutionnaire, dont il a vécu person- nellement quelques-uns des pires excès26Et la Révolution a choisi de ne pas tenir compte de 1 'expérience britannique, elle a voulu créer quelque chose de nouveau, elles' est cru appelée à construire un nouvel ordre des choses. Il dit que «là où il y a deux assemblées, les formes seront observées, parce que si l'une venait à les violer, elle donnerait à l'autre une raison légitime pour rejeter tout ce qui lui serait présenté avec une innovation suspecte». Autrement dit, si la Révolution avait suivi 1 'exem- ple britannique, elle aurait bénéficié de freins au despotisme contenus dans le système anglais. Bentham examine le système de son pays à la lumière de la «raison», tandis que Dumont le considère, ce même système, à la lumière des excès de la Révolution. Et il ajoute «que des discussions multipliées dans une assemblée unique ne présentent pas la même sécurité que celles qui passent par des . corps différents. La diversité des intérêts et des vues, des préjugés et des habitudes, est absolument nécessaire pour envisager les objets sous tous leurs rapports.

Des hommes qui agissent longtemps ensemble contractent des liaisons et des manières de voir, un esprit de routine et de corps, qui a son correctif naturel dans une autre association».

Le second avantage que prévoit Dumont dans un système bi-caméral, c'est celui de restreindre le pouvoir d'une assemblée unique. Car une assemblée servirait de frein à 1 'autre, et le danger de la démagogie serait amoindri, puisque le même individu ne saurait exercer la même influen- ce dans les deux corps. De plus il y aurait émulation entre les deux corps et finalement «la jalousie même d'une assemblée devient dans ce cas une sauvegarde contre les usurpations de l'autre, et la constitution est conservée par des passions qui agissent en sens contraire.» Ici, nous semblons n'être pas si loin de Montesquieu ... C'est en effet de 1 'équilibre

26 Voir ses Souvenirs sur Mirabeau et sur les deux premières Assemblées Législa- tives, publiés pour la première fois après sa mort en 1832, puis réédités en 1951 par J. BENETRUY.

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des pouvoirs qu'ils' agit, théorie du gouvernement que Bentham rejette explicitement ailleurs27Dumont semble penser qu'un tel équilibre aurait été un obstacle aux pires excès de la Révolution.

En troisième lieu, Dumont préfère un système qui opère une sépara- tion entre les représentants des ordres. Car, dans un système uni- caméra!, on court le risque de voir accorder trop de prépondérance à la noblesse dans les élections, par le crédit du rang ou de la fortune. De plus, 1 'influence des grands dans un tel système opère sourdement, à couvert, et «leurs votes particuliers se cachent dans le vote général»; tandis que là où les deux ordres discutent séparément, le public peut se rendre compte de leur intérêt de caste, et «le refus d'une loi populaire les expose à la sévérité du jugement de la nation entière». A l'époque, Bentham construisait une doctrine utilitaire de la représentation et cette doctrine parlait de tout autre chose que de la hiérarchie de naissance28Il n'y avait pas de place dans sa doctrine pour une noblesse. Mais Dumont accepte ici l'existence d'une classe noble comme chose donnée, il n'essaie pas de polémiquer contre le phénomène même.

Dumont continue en se demandant quel a été 1 'apport à 1 'Angleterre de la Chambre des Pairs. Il admet qu'on pourrait citer plusieurs exem- ples de bonnes lois qui ont été bloquées par ce corps, mais il refuse d'en conclure que son existence a été tout simplement un malheur. Car, selon lui, nous devons creuser un peu au-dessous de la surface pour compren- dre quelle a été la vraie puissance de la Chambre des Pairs. Ainsi, l'existence de son droit de veto veut dire que les Communes ne tentent même pas de demander là où elles sont d'avance assurées d'être refusées. «Une constitution devient stable, parce qu'il y a une puissance établie pour la protéger. Si l'on n'avait aucune preuve positive du bien que fait la Chambre des Pairs, on aurait toujours à lui attribuer, en partie, la modération de la Chambre des Communes dans 1 'usage de son pouvoir, le respect qu'elle montre pour les limites de son autorité, très peu déterminées, et son assujettissement constant aux règles qu'elle s'est prescrites à elle-même». Autrement dit, 1 'existence de cette secon-

ri Voir JAMES, M., «Bentham' s Democratie The ory at the ti me of the French Revol- ution», Bentham Newsletter, juin 1986, no 10, pp. 6-8.

28 VoirHALEVY, E.,op. cit.,pp. 272-6etAppendixiV, pp.424-39; JAMES, M.,op. cit., pp. 8~12.

Références

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