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I. Production artificielle d’éléments radioactifs - II.
Preuve chimique de la transmutation des éléments
Irène Curie, F. Joliot
To cite this version:
I. PRODUCTION ARTIFICIELLE
D’ÉLÉMENTS
RADIOACTIFS
II. PREUVE
CHIMIQUE
DE LATRANSMUTATION
DESÉLÉMENTS
Par Mme IRÈNE CURIE et F. JOLIOT. Institut du Radium de Paris.
Sommaire. 2014 Le bore, le magnésium et l’aluminium, après irradiation par les rayons 03B1 du polonium
montrent une radioactivité durable qui se manifeste, dans le cas de B et Al, par l’émission de positrons,
tandis que dans le cas de Mg il y a émission d’électrons négatifs et de positrons. Des radioéléments ont été créés par transmutation.
Leur destruction suit une loi exponentielle; la décroissance de moitié a lieu en 14 min., 2 min. 30 sec., 3 min. 15 sec., pour B, Mg et Al respectivement. Elle est indépendante de l’énergie des rayons 03B1 excitateurs.
Le rayonnement émis par Al et B irradiés est exclusivement composé de positrons sans électrons
négatifs, et forme un spectre continu comme le spectre naturel de rayons 03B2 des corps radioactifs. L’énergie
maximum du rayonnement de positrons est de l’ordre de 1,5 106 eV pour B, 3 106 eV pour Al. Les électrons positifs et négatifs de Mg forment deux spectres continus et correspondant sans doute à la transmutation de deux isotopes de Mg.
Ces éléments radioactifs nouveaux sont probablement des noyaux 137N, 2714Si, 2813Al, 3015P, formés à
partir des noyaux
105B,
2412Mg, 2512Mg et 2713Al.On a séparé chimiquement, du bore et de l’aluminium, les éléments radioactifs qui s’y forment par
irradiation, lesquels présentent, comme il était prévu, les propriétés chimiques de l’azote et du phosphore
respectivement. Ces expériences constituent la première preuve chimique des transmutations artificielles. On propose d’appeler radioazote, radiosilicium, radioaluminium, radiophosphore les nouveaux radio-éléments.
Nous avons montré récemment que certains élé-ments
légers
(glucinium,
bore,
aluminium)
émettent des électronspositifs
lorsqu’on
les bombarde avec lesrayons a du
polonium
(1).
Le
glucinium
émet des électronspositifs
etnégatifs,
d’énergies
comparables, atteignant plusieurs
millions d’électron-volts. Nous avons attribué l’émission de cesélectrons à la « matérialisation interne » du rayon-nement y de
grande énergie quantique
(5
X ’105eV)
émis par leglucinium.
L’aluminium
émet,
aucontraire,
seulement desélectrons positifs,dont l’énergie positifs 3X lOGe V.
Les électronsnégatifs
observés sont tous attribuablesau
polonium (électrons
émis par conversion interne durayonnement y)
et leurénergien’excèdepas
0,9X106eV.
Nous avons considéré les électrons
positifs
comme de véritables « électrons de transmutation » dont l’émis-sion intervient dans la transformation nucléaire.Au cours
d’expériences
faites en vue de déterminerl’énergie
minimum des rayons a excitant lespositrons
del’aluminium,
nous nous sommes aperçus quel’émission n’est pas
instantanée,
mais elle ne sepro-duit
qu’après quelques
minutes d’irradiation et sesuitquelque
temps
après
la cessation de l’irradiation(2).
On irradie une feuille d’aluminium avec les rayons «d’une forte source de
polonium pendant quelques
mi-nutes ;
quand
on retire lafeuille,
ellepossède
une(1) Irène CURIE et F. Jonoi, J.
phys.
et Rad.(1933), 4,
494.(3) Irène CURIR et F, G’. R. (1934), 198, 254.
activité
qui
décroît de moitié en 3 min. 15sec. ;
lerayonnement
émis,
que l’onpeut
observer au moyend’un
compteur
ou àl’appareil Wilson,
est constitué pas des électronspositifs.
Le bore et le
magnésium
irradiéprésentent
aussiune radioactivité
durable,
depériodes
14 min. etrespectivement.
La décroissance suit une loi
exponentielle.
Fig. i .
Les courbes de la
figure
1représentent
la variation dulogarithme
des intensités en fonction dutemps.
Nous sommes donc en
présence
de radioéléments nouveaux et d’un nouveautype
de radioactivité avecémission d’électrons
positifs.
L’intensité initiale du
rayonnement
observé croit154
avec le
temps
d’irradiation t,jusqu’à
une valeur limite100’
suivant une loi I =J 00 (1
-e-11)
comme,par
exemple,
l’accumulation du radon dans le radium. On atteint l’activation limiteaprès quelques périodes
du corps radioactif formé(environ
unquart
d’heurepour
l’aluminium,
une heure pour lebore).
Si on active à saturation sur une source de
polonium
de 60 millicuries et si l’onplace
immédiatement lasource
près
d’uncompteur
à fenêtre mincepermettant
de
compter
lesélectrons,
le nombred’impulsions
est du mêmeordre,
environ 150 parminute,
avec lebore,
l’aluminium et le
magnésium.
Onpeut calculer,
en tenantcompte
del’angle
solideutilisé,
que cecicor-respond
à un rendement de création de noyaux actifsde l’ordre de 10-6 par
rapport
au nombre de rayons exincidents,
comme onpeut s’y
attendre pour unphéno-mène de transmutation.
Malgré
les rendements d’activation peu différents pour lebore,
lemagnésium
etl’aluminium,
lesexpé-riences sont
plus
difficiles ave,c lemagnésium
enrai-son de la décroissance
plus rapide
de l’activité. Avec les élémentsH,
Li, C, Be, N,
0,
F, Na, Ca, Ni,
Ag,
aucun effet n’a été observé. Pour certains de ceséléments le
phénomène
ne seproduit probablement
pas, pour d’autres la
période
de décroissance estpeut-être
trop
courte outrop
longue,
car il faudrait alors unelongue
irradiation.Le
rayonnement
émis par Al est absorbé enmajeure
partie
dans 1gr/cm~
;¿de
cuivre,
celui i de B etMg
dans0,26
gr/em2.
Le
rayonnement
de l’aluminium et de boreirradiés,
photographié
par la méthode de Wilson dans unchamp
magnétique,
s’est montrécomposé uniquement
depositrons,
sans électronsnégatifs.
S’il y avait émis-sion d’électronsnégatifs,
ils devraient être très rares, ou bien leurénergie
devrait être inférieure à ~00 000 eV. Voici les courbes derépartition
del’énergie
desélec-trons
positifs
observés.Fig. 2. -
Radiophosphore.
Pour Al les électrons sont
répartis
suivant unspectre
continuprésentant
un maximum d’intensitévers 10e eV et une limite
supérieure d’énergie
voisine de 3 XI -106 Pour le bore le maximum d’intensitéest vers
0,5
X 10n eV et la limitesupérieure
d’énergie
voisine de1,5
X 106 eV.Fig. 3. - Radioazote.
Le
magnésium
irradié émet des électronsnégatifs
et des électronspositifs,
formant deuxspectres
con-tinus
d’énergie
maximum environ2,2
X 106 eV et1,5
x 106 eVrespectivement.
Nature des éléments formés. - Sur la nature des éléments
formés,
onpeut
faire deuxhypothèses :
les noyaux actifs sont desisotopes
instables decer-tains éléments
légers,
ou des noyaux stables connus,créés dans un état d’excitation
particulier. ’
La pre-mièrehypothèse
nousparaît
laplus
vraisemblable.Voici les réactions nucléaires que nous admettons en accord avec notre
première interprétation
des élec-tronspositifs
de transmutation.Les noyaux
"’B, 24 ’ng, 2’Al
subissent unetransmuta-tion,
aveccapture
de laparticule a
et émission d’unneutron
Les
isotopes
~P
ne sont pas connus. Ce sontprobablement
des noyaux instablesqui
se détruisent avec émission depositrons
en donnant les noyauxIl est très
probable
que le fluor et le sodium"F
et
"Na
qui
émettent desprotons
et desneutrons,
sousl’action des rayons a, donnent des
isotopes
instables§§Na
et16 AI
qui
se détruisent avec émission deposi-trons en donnant les noyaux stables
’2Ne
et Lapériode
des éléments instables n’estprobablement
pas favorable pour l’observation.Le radioélément émetteur de
rayons g
créé dans lemagnésium
irradié estprobablement
un noyauformé à
partir
de’5Mg
parcapture
de laparticule a
etémission d’un
proton.
Les électronsnégatifs
étantplus
nombreux que lespositifs,
il estprobable
que lapériode
de 2 mn 15 s observéecorrespond
à ce radio-élément.En raison de la loi de conservation de
l’énergie
etdu
spin,
il faudra sans doute admettre que l’émissiondes électrons
positifs
estaccompagnée
de celle d’unneutrino,
comme dans le cas duspectre
derayons J3
des radioélémentsordinaires,
oupeut-être
ici un« antineutrino » de Louis de
Broglie.
En
effet,
l’émission d’unproton
de transmutation de Al parexemple,
aurait lieu suivant la réactionCelle d’un neutron suivie de celle de l’électron
posi-tif conduirait au même noyau Dans le second mode de
transmutation,
l’émission duproton
serait doncremplacée
par celle d’un neutron et d’un électronpositif.
Leproton,
le neutron et l’électronpositif
étantsupposés
avoir unspin 1/2,
ceci n’estpossible qu’à
condition d’admettre l’émission d’une autreparticule
de
spin
1/~.Si nos
hypothèses
concernant les transformations nucléaires sontexactes,
l’énergie
minimum des rayons anécessaire pour créer les radioéléments nouveaux doit
être la même que
l’énergie
minimum d’excitation des neutrons.Des
expériences
ont été faites en excitant lerayon-nement de
B,
Mg
et Al par des rayons a ralentis par des écrans minces. Lapériode
des radioéléments for-més nedépend
pas del’énergie
des rayons Y. incidents.On n’a pas non
plus
établi de différence dans lapéné-tration du
rayonnement.
L’énergie
minimum desparticules a
nécessaire pour l’excitation des neutrons est de 2 X 106 eV pour B(1
cm deparcours), 4
à4,5
X 106 eV pourMg
et Al(3
cm deparcours).
PourMg
etAl,
la limite d’émission des électronspositifs
a été trouvée la même que celle des neutrons dans la limite deprécision
desexpé-riences. Pour
B,
on a observé l’excitation des électronspositifs
pour des rayons a d’environ 3 X 106 eV(~
cmde
parcours),
et il est trèsprobable
que seul leman-que d’intensité
empêche
’de les observerjusqu’à
2 X
106 eV.Preuve
chimique
des transmutations. - Lesphénomènes
de transmutation artificielle des élémentsse
présentent
à nous avec un caractère de certitude. Lesexpériences
dephysique
ont démontré l’existence deces
phénomènes
et ont mêmepermis
de conclure que lesparticules qui
produisent
la transmutation sontcapturées
dans le noyau, ainsi que lesexpériences
de Blackett l’ont montré tout d’abord pour la transmutationde l’azote pour les rayons a avec émission d’un
proton.
Cependant,
la réalité des transmutations n’ajamais
pu être vérifiée par la voiechimique
comme dans lecas de la
désintégration
naturelle des éléments radio-actifs. Cela tient à ce que lepetit
nombre d’atomesproduit
lors de ces transmutationsartificielles,
nepeut
être décelé par aucun
procédé d’analyse
et,
parconsé-quent,
on nepeut
reconnaître leurspropriétés
chimi-ques.
Ici,
aucontraire,
nous obtenons en irradiant dubore,
dumagnésium
et del’alumi~nium,
des noyauxdifférents,
en trèspetit nombre,
mais que leurspro-priétés
radioactivespermettent
de déceler.Nous nous sommes
proposés
de contrôler leshypo-thèses que nous avons faites sur la nature de ces
élé-ments en déterminant leur
espèce chimique (1).
Transmutation du bore . Lebore,
constitué degrains
très durs et peuattaquables,
seprête
mal auxexpériences.
Nous avons irradié de l’azoture de bore(l’azote
neproduit
pasd’effet).L’azoture
de bore BN estdécomposé
par la soude à chaud et l’azote est libérésous forme
d’ammoniaque.
Cetteopération
peut
être effectuée enquelques
minutes. On constate que le boreperd
son activité.L’ammoniaque dégagée
est recueillie dans un tube àparois
minces que l’on mesure avecl’électromètre
Hoffmann,
sur une chambre d’ionisation fermée par une feuille mince d’aluminium. Tenantcompte
de la décroissance de l’activitépendant
l’opé-ration,
on constatequ’une
grande partie
de l’activité seretrouve dans le tube. Le radioélément
présente
doncles propriétés chimiques
del’azote;
il s’estdégagé
sousforme d’azote ou sous forme
d’ammoniaque,
entrainépar
l’ammoniaque
inactif.Transmutation de l’aluminiunl: Une feuille mince d’aluminium irradié est dissoute dans HCI. Le sel d’alu-minium immédiatement séché est presque
complète-ment inactif.
L’hydrogène dégagé
peut
être recueilli dans un tube àparois
minces et l’on constatequ’il
aentraîné l’activité. Il faut
opérer
très vite en raison dela décroissance
rapide
del’activité;
onpeut
effectuerl’opération
en 3 minutes.Le radioélément
qui
doit avoir lespropriétés
duphosphore
a dûpartir
à l’état gazeux sous formed’hy-drogène
phosphoré
produit
parl’hydrogène
naissant. Si l’on dissout Al en milieuoxydant
HCI+ N03H,
l’acti-vité reste avec l’aluminium. ,Cependant
les réactions ci-dessus seproduiraient
de la même manière si le radioélément avait lesproprié-tés du
silicium,
car, en ce cas,l’hydrogène
silicié serait formé.(1) Irène CCRIE et F. JOLIOT, C. R, 1934, 198, 559.
156
On
peut
aussi dissoudre l’aluminiumirradié,
ajouter
duphosphate
de soude etprécipiter
par un sel de zir-conium. Lephosphate
dezirconium,
qui
précipité
ensolution faiblement
acide,
entraîne l’acidité. Il est doncprobable
qu’il
s’agit
bien d’unisotope
duphosphore.
Pour lemagnésium,
nous n’avons pas vérifié lanature
chimique
des éléments formésqui
doiventêtre,
nous l’avons vu, des
isotopes
du silicium et de l’alu-minium.Nous proposons
d’appeler
radioazote,
radioalunli-niul1l,
radiosilicium,
radiophosphore
les radioélémentsnouveaux, émetteurs de
positrons
ou de rayons8.
Les
expériences
ci-dessus donnent la preuve chimi-que1° que
l’élément formé par transmutation est diffé-rent de l’élémentinitial,
2° que laparticule
a a étécapturée
dans le noyau.Conclusions. - Il ebt
probable qu’un
certainnom-bre de noyaux
isotopes
d’éléments connus, sont desradioéléments
qui
n’existent pas dans la nature enrai-son de leur
instabilité,
mais que l’on pourra créer par transmutation d’éléments ordinaires au moyen depar-ticules irradiantes diverses :
protons,
deutons, rayons a,neutrons et
peut
être d’autres encore. Onpeut
penserque ces radioéléments ne sont pas tous émetteurs de
positrons
ou de rayons;3,
mais que certains d’entre eux émettent desparticules
plus
lourdes. Peut-être existe-t-il aussi des éléments dérivant les uns des autresqui
constituent de véritables famillesradioacti-ves inconnues.
Un même élément radioactif
peut
sansdoute,
êtrecréé par
plusieurs
réactions nucléaires différentes.Cockroft,
Gilbert et Waltonayant
essayé,
à la suite de nosexpériences,
de créer des radioéléments nouveauxpar bombardement au moyen de
protons,
ontobtenus,
en irradiant ducarbone,
un radioélément émetteur depositrons,
depériode
10, ~ minutes;
ces auteurssuppo-sent
qu’il
s’agit
du radio-azote que nous avons créé àpartir
du bore et ilsexpliquent
la différence depériode
par un état différent d’excitation. Cetteinterprétation
nous semble
improbable
et nous pensonsqu’il s’agit
plutôt
d’un autre radioélément.L’étude de ces
phénomènes
nepeut
manquerd’ap-porter
une contributionimportante
auproblème
de lastabilité des noyaux.
De
plus,
lesénergies
et les intensités obtenues actuellement dans les tubesproducteurs
departicules
accélérées, permettent
de considérer commeproche
lemoment ou l’on pourra
créer,
au moyen de cesparti-cules,
des radioéléments d’intensité derayonnement
supérieure
à celle despréparations
deradioéléments,
naturels,
utilisables pour desapplications
médicalesou pour d’autres usages. Ces radioéléments
seront,
nonseulement émetteurs de
positrons,
mais aussi durayonnement
y d’annihilation despositrons,
soit2
quanta
de 500 000 eV parpositron
émis. Il constitue-ront donc depuissante
sources derayonnement
péné-trant.
Nous remercions Mme Pierre Curie pour l’intérêt
qu’elle
apris
à ce travail et M. Preiswerk pour l’aideefficace