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Lire le nom propre dans le roman médiéval : onomastique et poétique dans le roman arthurien tardif en vers (Les Merveilles de Rigomer, Claris et Laris, Floriant et Florete, Cristal et Clarie, Melyador)

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Lire le nom propre dans le roman médiéval : onomastique et poétique dans le roman arthurien

tardif en vers

(Les Merveilles de Rigomer, Claris et Laris, Floriant et Florete,

Cristal et Clarie, Melyador)

Thèse soutenue le 01 décembre 2016 devant le jury composé de :

Mme Christine Ferlampin-Acher

Professeur, Université Rennes 2/ directrice de thèse

Mme Corinne Fug-Pierreville

Professeur, Université Jean Moulin Lyon 3

M. Denis Hüe

Professeur, Université Rennes 2

M. Richard Trachsler Professeur, Université de Zurich Mme Karin Ueltschi-Courchinoux

Professeur, Université de Reims Champagne-Ardenne

présentée par

Adeline Latimier-Ionoff

Équipe de recherche EA 3206

Centre d’Études des Littératures et Langues Anciennes et Modernes

Université Rennes 2

THÈSE

sous le sceau de l’Université européenne de Bretagne pour obtenir le titre de DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ RENNES 2

en littérature française École doctorale Arts, Lettres et Langues

(2)

UNIVERSITÉ RENNES 2

Unité de Recherche EA 3206, Université Rennes 2

Centre d’Études des Littératures et Langues Anciennes et Modernes École Doctorale

Sous le sceau de l’Université Bretagne Loire

Lire le nom propre dans le roman médiéval

poétique dans le roman arthurien tardif en vers (Les Merveilles de Rigomer

Présentée par Adeline LATIMIER

Directeur de thèse : Christine FERLAMPIN

Jury :

Mme Corinne FUG-PIERREVILLE

M. Denis HÜE Professeur, Université Rennes 2

M. Richard TRACHSLER Professeur, Université de Zurich Mme Karin UELTSCHI-COURCHINOUX

Mme Christine FERLAMPIN-ACHER

UNIVERSITÉ RENNES 2 – HAUTE BRETAGNE Unité de Recherche EA 3206, Université Rennes 2

Centre d’Études des Littératures et Langues Anciennes et Modernes Doctorale - Humanités et Sciences de l’Homme Sous le sceau de l’Université Bretagne Loire

Lire le nom propre dans le roman médiéval : onomastique et poétique dans le roman arthurien tardif en vers

Les Merveilles de Rigomer, Claris et Laris, Floriant et Cristal et Clarie, Melyador)

Thèse de Doctorat Discipline : Littérature française

Présentée par Adeline LATIMIER-IONOFF

Directeur de thèse : Christine FERLAMPIN-ACHER Soutenue le 01 décembre 2016

IERREVILLE Professeur, Université Jean Moulin Lyon 3 Professeur, Université Rennes 2

Professeur, Université de Zurich

OURCHINOUX Professeur, Université de Reims Champagne

CHER Professeur, Université Rennes 2 (directrice Centre d’Études des Littératures et Langues Anciennes et Modernes

: onomastique et poétique dans le roman arthurien tardif en vers

Floriant et Florete,

Professeur, Université de Reims Champagne-Ardenne Professeur, Université Rennes 2 (directrice de thèse)

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REMERCIEMENTS

Au seuil de ce travail, je souhaite adresser quelques mots à celles et ceux qui y ont pris part à mes côtés, d’une façon ou d’une autre.

Mes remerciements vont tout d’abord à Mme Christine Ferlampin- Acher, directrice de cette thèse, dont l’exigence, la bienveillance et les encouragements m’ont accompagnée depuis le master et m’ont permis de produire une recherche qui me paraît fidèle à mes aspirations.

Le travail de longue haleine que constitue ce doctorat doit aussi beaucoup à l’accueil réservé par toute l’équipe du CETM et aux rendez-vous réguliers de son séminaire, le jeudi, dans une petite salle adossée à une petite bibliothèque. Ces moments à la fois réconfortants et stimulants, dont le calendrier rythme depuis un certain temps mes années universitaires, ont été vécus comme des pauses nécessaires et enrichissantes.

Dans une petite salle encore, un étage plus haut, se trouve le local de l’association des doctorants du CELLAM. Mes pensées vont à ses habitants, réguliers ou de passage. Nos discussions et les mois passés à lire et rédiger côte à côte ont permis la réalisation de ce travail dans des conditions le plus souvent paisibles et sereines. Merci en particulier à Gaëlle d’avoir formé avec moi un duo de rédactrices à toute épreuve. Notre énergie commune m’a été d’une grande aide.

Quelques mots aussi pour mes proches, famille et amis, dont le soutien constant et discret m’a donné l’énergie qui pouvait manquer à certains moments, et pour mes relecteurs dans et hors de l’université, d’un chapitre ou de toute la thèse (le courageux). J’adresse ainsi toute ma gratitude à Caroline, à Fabienne Pomel, ainsi qu’à Jacqueline et Bertrand, mes parents, qui ont bien voulu s’immerger dans un univers étranger et prendre le temps de découvrir mon travail.

Dans une petite salle − toujours ! −, il y a longtemps, je suivais mes premiers cours d’ancien français. Je dois à Karin Ueltschi-Courchinoux un intérêt aussi vif qu’inattendu pour les textes et la langue du Moyen Âge. La

« vie » de la spirante et les aventures du Bisclavret sont les racines de cette thèse. Qu’elle soit remerciée pour cette si belle rencontre.

Le plus grand merci va enfin à Joachim, curieusement entré dans ma vie au même moment que l’ancienne langue, depuis lors témoin inlassable et compréhensif de chaque étape, des beaux comme des moins beaux moments.

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4

S

OMMAIRE

SOMMAIRE ... 4

INTRODUCTION ... 9

PREMIÈRE PARTIE : MATÉRIALITÉ DU NOM PROPRE ... 40

A. Définitions du nom propre ... 41

1. Syntaxique, morphologique et sémantique ... 41

2. Le nom dans la grammaire médiévale ... 44

3. Le nom dans les arts poétiques médiévaux ... 48

4. Typologie des noms propres relevés dans le corpus ... 50

a) Quantité, fréquence et densité des noms propres ... 50

b) Noms d’hommes et noms de bêtes ... 53

c) Toponymes ... 55

d) Noms abstraits ... 56

e) Noms de nations, de communautés, d’ethnies ... 61

f) Noms d’ordres ... 62

g) Dates, fêtes, événements ... 63

h) Noms de saints et mentions religieuses ... 67

i) Hésitations entre nom propre et nom commun ... 71

B. Le nom propre dans le manuscrit ... 75

1. Majuscules ... 77

2. Initialeset ornements ... 80

3. Abréviations ... 83

4. Ponctuation ... 85

C. Dans l’entourage du nom ... 86

1. Nom propreseul ... 86

2. Nom propreavec expansion ... 88

3. Nom propreavec déterminant ... 95

4. Emphases et mise en valeur ... 99

a) Jeux de rimes ... 99

b) Rejets et enjambements ... 104

c) Présentatifs ... 108

5. Terminologie et sens du renom ... 112

D. Introduire le nom dans le récit... 121

1. Termes introducteurs ... 122

2. Le moment… ... 134

a) Au fil du texte ... 134

b) Par anticipation ... 139

c) Mise en suspens ... 142

3. …Et le lieu ... 145

a) Dans le récit ... 145

b) Dans le discours d’un personnage ... 149

c) Dans le discours du référent ... 151

E. Maintenir le nom dans le récit ... 152

1. La stabilité du nom ... 153

2. Fluctuations de la dénomination ... 158

a) Selon la progression de l’intrigue ... 159

(7)

5

b) Selon les nécessités du récit ... 163

c) Selon la focalisation ... 168

3. Postures de la voix conteuse ... 171

a) Partialité de la voix conteuse ... 171

b) Lacunes et refus de la voix conteuse ... 171

F. De l’indigence à l’opulence : absence et présence du nom ... 175

1. Inconnus et anonymes ... 175

a) La foule sans nom ... 175

b) Non-lieux ... 179

c) Demoiselles, écuyers et messagers ... 182

d) Protagonistes de second ordre et quêtes multiples ... 185

2. Personnages nommés : diversité des relations entre le nom et le référent ... 190

a) Étiquettes illusoires ... 191

b) Efforts de particularisation ... 193

c) Noms riches, noms complexes : un indicateur sur le statut du référent ? ... 194

d) Le nom écrit ... 203

3. Les relais du nom ... 206

a) Les armes ... 206

b) Autres signes distinctifs ... 214

DEUXIÈME PARTIE :IMAGINAIRE DU NOM PROPRE ... 219

A. Évolution et perception du nom propre au Moyen Âge ... 220

1. Identifier les hommes : le nom, le surnom et les armes ... 220

2. Philosophies du nom ... 223

a) À l’origine ... 223

b) La « philosophie dans le langage » ... 231

3. Individu, personne et personnage au Moyen Âge ... 234

4. Pratiques de lecture au Moyen Âge ... 237

B. Aux sources du nom romanesque ... 239

1. Reprises ... 239

a) Reprise et emprunt : difficultés et problématiques ... 239

(1) Repérage ... 239

(2) Un héritage au second degré ... 242

(3) Formes de la reprise ... 243

b) Noms issus du réel ... 253

(1) Cartographie ou anthroponymie vraisemblables ... 253

(2) Provenance et origines prestigieuses ... 267

(3) Un refus des pratiques contemporaines ? ... 273

c) Noms issus de la matière arthurienne ... 276

(1) Tradition arthurienne et noms arthuriens ... 276

(2) Le nom arthurien : une entrée dans la fiction et une caution pour le récit ... 283

(3) Le retour des noms : la cohérence et le maintien d’un univers fictionnel ... 289

(4) Quelques effets du retour sur le personnage ... 295

d) Noms issus d’autres sources ... 305

(1) Ancrage du récit dans une tradition, une matière ... 306

(2) « Pro-récits » éclairant la mise en place de l’intrigue ... 316

e) De l’efficacité de la reprise ... 325

2. Créations à partir de modèles ... 327

a) Dérivés de noms identifiables ... 328

b) Affixes productifs ... 331

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6

c) Variations autour de sèmes féconds ... 332

d) Constructions descriptives ... 338

e) Associations phonétiques ... 342

3. Créations originales ... 346

C. Lectures du nom dans le roman ... 347

1. Motivation et lisibilité du nom ... 348

a) Pratiques d’interprétation au cœur des textes ... 348

(1) Une caractéristique donne naissance au nom ... 351

(2) Le nom annonce ou prédit une caractéristique ... 353

(3) Détournements de la lecture du nom ... 355

b) Critères retenus pour l’étude ... 358

2. De la transparence à l’opacité ... 361

a) Noms transparents ... 361

(1) Lectures à sens unique ... 362

(2) Lectures symboliques ... 364

(3) Surenchères ... 368

b) Motivation voilée ... 371

(1) Étymons atténués ... 371

(2) Allusions mythiques ... 375

(3) Superpositions ... 377

c) Déceptions ... 381

TROISIÈME PARTIE :LE NOM DANS LORDENANCE DU RÉCIT ... 384

A. Le tissu des noms et la cohésion du récit ... 385

1. Relations familiales et filiations ... 385

2. Relations actantielles ... 387

3. Relations amoureuses ou de compagnonnage ... 388

4. Une étoffe irrégulière ... 394

B. Les listes de noms : de l’expansion à la dilution ... 396

1. Contexte, composition, variations ... 396

a) Rimes, rythmes, et structure interne de la liste ... 397

b) Récurrences et variations d’une liste à l’autre : mémoire et cohérence du texte . 399 c) « Effet liste » et listes véritables ... 402

2. Peindre le monde arthurien ... 405

a) Un rêve encyclopédique ... 406

(1) Liste modèle, modèles de liste ... 407

(2) L’illusion de l’exhaustivité ... 411

b) Témoigner d’un présent radieux : unité et longévité d’une communauté idéale . 416 (1) Cohésion des listes, unité de la communauté ... 416

(2) Destinées parallèles et force d’attraction... 420

3. Des énumérations épiques ... 425

a) Grandeur et contraintes des listes de noms en contexte épique ... 425

b) Jeux de miroir : les armées jumelles ... 428

c) De la présentation des troupes au champ de bataille ... 430

4. Un univers décadent ... 435

a) L’absence de sélection ... 435

b) Sclérose du monde arthurien et dilution du personnel ... 439

C. Le nom dans les rouages du récit ... 444

1. Le nom : déclencheur et finalité de l’aventure ... 444

a) Le nom objet de quête : le motif de l’initiation ... 446

(9)

7

(1) Validité et limites de l’idée d’initiation ... 447

(2) Modalités du parcours initiatique ... 453

(3) Place du nom et sens de la quête ... 461

b) Le nom au cœur des péripéties ... 470

(1) Scènes de mesconnaissance ... 470

(2) L’incognito et la dissimulation d’identité ... 476

(3) Le quiproquo ... 488

c) Le nom performatif : invocations et apparitions ... 495

d) Le nom comme rêverie : digression et cohésion ... 500

2. Du nom au renom ... 503

D. Après le nom : une quête à réinventer ... 514

1. Blocages et dévoiements ... 518

a) Le paradoxe du renom... 518

b) L’accusation de recreantise ... 522

c) L’obsession du renom ... 525

2. Alternatives et renouvellements ... 532

a) Bannir le nom ... 532

b) Restaurer son identité ... 537

CONCLUSION ... 545

BIBLIOGRAPHIE ... 558

Annexe A : Remarques sur les index consultés ... 582

Annexe B : Typologie et quantité des noms dans le corpus et dans les romans de Chrétien de Troyes ... 591

Annexe C : Mentions religieuses, allégories, dates et fêtes citées dans le corpus ... 592

Annexe D : Le nom dans le manuscrit ... 594

Annexe E : Enrichissements du nom ... 602

Annexe F : Expression du renom ... 603

Annexe G : Introduction du nom propre dans le roman ... 604

Annexe H : Exploitation des personnages arthuriens dans le corpus ... 605

Annexe I : Listes de noms dans le corpus ... 611

Index des noms de personnes, de personnages, d’ethnies, de nations et d’ordres ... 615

Index des noms de lieux et des fêtes ... 625

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8 La reproduction qui orne la page de couverture de ce travail est issue de la numérisation par la BnF du manuscrit Français 1447, f° 67. Elle montre le jeune Laris en charge du service à table se couper le doigt, distrait par la beauté de Lydaine.

Abréviations des titres du corpus utilisées dans les exemples et les citations : CL : Claris et Laris

CC : Cristal et Clarie

LMR : Les Merveilles de Rigomer FF : Floriant et Florete

Mel. : Melyador

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9

I

NTRODUCTION

Deux chevaliers s’affrontent sur les terres irlandaises. D’un seul coup d’épée, l’un d’eux fend le heaume de son adversaire jusqu’à entamer la coiffe. Une oreille tombe à terre :

« Sainte Bride », fait il, « ajue!

A cui est ço que pris me sui? »

Mais l’auteur du coup ne souhaite pas encore révéler son nom, et exprime seulement son désir de vengeance :

« C’est cil cui vos tolistes ier Cleres armes et biel destrier.

Ancui le vos volrai chier vendre Et si n’en cuier ja denier prendre. »

Le blessé renouvelle sa demande. L’adversaire se fait plus mystérieux encore.

« Donc iestes vos ? » − « D’outre les flos. »

À la troisième requête, l’inconnu lève enfin le voile sur son identité :

« Com’avés non ? » − « Jou Lanselos. » (LMR, v. 955- 957)

Ce nom, fameux au-delà des frontières du royaume de Logres, annonce la sévérité du châtiment à venir. La façon dont Lancelot se met en scène dans cet extrait montre que l’auteur a parfaitement conscience des pouvoirs du nom de son personnage, aussi bien sur les autres actants du récit que sur le lecteur. Les noms disséminés au cœur d’un texte, comme ici celui de Lancelot, comptent ainsi peut-être parmi les éléments du récit les plus à même de retenir l’attention au cours de la lecture. Le nom d’un auteur et, les textes n’ayant souvent pas de titre au Moyen Âge, les noms présents dans le prologue d’un roman constituent souvent la première rencontre du lecteur avec l’œuvre et font naître en lui un « horizon d’attente »1. Ces noms au seuil de l’œuvre ont valeur de promesse. Les noms des lieux et des individus participent à la construction de l’univers diégétique en donnant corps à ce qui est décrit, et entraînent parfois le lecteur au-delà de ses frontières lorsque des références extérieures au récit, des exemples illustres, donnent leur appui à l’univers créé. Des noms fantômes surgissent aussi, qui ne sont pas proprement inscrits dans l’œuvre et qui se manifestent au gré de rapprochements et d’associations d’idées dans l’imaginaire du lecteur. Il s’agit d’autres noms ou d’autres textes avec lesquels ceux qu’il est en train de lire cherchent à dialoguer.

1 Hans Robert Jauss, « Littérature médiévale et théorie des genres », Théories des genres, Gérard Genette (dir.), Paris, Seuil, 1986, p. 38-76.

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10 Avant le texte, en son cœur, hors de lui : les noms propres auxquels le lecteur est susceptible d’être confronté sont légion, et d’une variété potentiellement infinie.

Plusieurs études leur ont été consacrées, qu’il s’agisse de chapitres ponctuels ou de vastes analyses que la critique leur a entièrement dévolues, et nombreuses sont les disciplines qui se sont penchées sur la question. Nous nous concentrerons pour notre part sur les études envisageant le nom propre dans le texte, c’est-à-dire celles portant sur la langue et la littérature, et convoquerons d’autres angles d’approche au fil de la recherche, selon les besoin de notre propos1. La thèse d’Yves Baudelle, soutenue en 1989, s’attache à montrer la puissance suggestive et la richesse sémantique des noms propres dans un corpus moderne allant de Balzac à Céline2. En amont, la démonstration logique de Saul Kripke, parue en 19803, avait déjà alimenté la réflexion en définissant le nom comme un « désignateur rigide », c’est-à-dire qu’il désigne le même objet dans tous les mondes possibles4. Cette question est aussi étudiée sur le plan linguistique à peine quelques années plus tard dans le volume que la revue Langages consacre au nom propre en 19825. À la même période paraissent des articles épars mais non moins importants, à l’image de la synthèse que fait Eugène Nicole sur les problématiques liées au nom propre en littérature, ou de l’étude de Francis Corblin sur « les désignateurs dans le roman », parus dans un numéro de Poétique en 19836. Dans ce sillage, la décennie suivante voit naître un certain nombre d’ouvrages majeurs. La revue Langue française choisit le nom propre comme objet d’étude en 1991, sous la direction de Marie-

1 Seront notamment convoquées les études sociales et anthropologiques qui nous éclairent sur l’importance du nom propre dans la relation que les hommes nouent entre eux et dans la formation de la société, des enquêtes portant sur l’aspect juridique du nom propre et sur son usage dans les divers documents administratifs, seules aptes à nous donner une idée de ce qu’était et de ce que représentait la nomination pour un individu ayant vécu au Moyen Âge. Sur le premier point, voir Claude Lévi-Strauss, La Pensée Sauvage, dans Œuvres, Vincent Debaene, Frédéric Keck, Marie Mauzé et Martin Rueff (éd.), Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2008, p. 555- 875. Sur les aspects historiques et juridiques, voir Genèse médiévale de l’anthroponymie moderne, Publications de l’Université de Tours : Monique Bourin et Pascal Chareille (dir.), t. 1 : Études d’anthroponymie médiévale, 1989 ; t. 2 : Persistance du nom unique : le cas de la Bretagne. 1. L’anthroponymie des clercs. 2.

Désignation et anthroponymie des femmes. Méthodes statistiques pour l’anthroponymie, 1992 ; t. 3 : Enquêtes généalogiques et données prosopographiques, 1995 ; Patrice Beck (dir.), t. 4 : Discours sur le nom : normes, usages, imaginaire (VIe- XVIe siècles), 1997, t. 5 : Lectures anthroponymiques : serfs et dépendants au Moyen Âge (VIIIe-XIIe siècles), 2002 ; George T. Beech, Monique Bourin, Pascal Chareille (dir.), Personal Names Studies of Medieval Europe, Social Indentity and Familial Structures, Studies in Medieval Culture XLIII, Medieval Institute Publications, Western Michigan University, 2002 ; Anne Lefebvre-Teillard, Le nom, droit et histoire, Paris, Presses Universitaires de France, « Léviathan », 1990 ; Albert Dauzat, Les Noms de personnes, origine et évolution. Prénoms, noms de famille, surnoms, pseudonyme, quatrième édition, Paris, Librairie Delagrave, 1932.

2 Sémantique de l’onomastique romanesque, thèse soutenue en 1989 à la Sorbonne nouvelle.

3 Saul Kripke, La Logique des noms propres, Naming and Necessity, Pierre Jacob et François Recanati (trad.), Paris, Les Éditions de Minuit, 1980.

4 Ibid. p. 65.

5 Jean Molino (dir.), Le Nom propre, Langages, 66, 1982.

6 Eugène Nicole, « L’onomastique littéraire », Poétique, 54, 1983, p. 233-253 ; Francis Corblin, « Les désignateurs dans les romans », Ibid., p. 199- 212.

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11 Noëlle Gary-Prieur1. Trois ans plus tard, son livre, Grammaire du nom propre, ainsi que la thèse de Kerstin Jonasson, deux références concernant le nom propre en linguistique, paraissent à leur tour2. Signe peut-être que les problématiques soulevées par le nom propre commencent à saturer le paysage des études linguistiques, Marc Wilmet, après des travaux antérieurs sur le nom3, publie en 1995 un article synthétique intitulé « Pour en finir avec le nom propre ? »4. Les réflexions menées sur le plan linguistique se retrouvent simultanément dans le domaine de la littérature, en témoigne la parution de trois volumes collectifs consacrés au nom propre en 1994, 1995 et 19965. Ces analyses, enrichissantes par bien des aspects, ne s’intéressent toutefois qu’à un corpus majoritairement moderne.

Les études s’attachant aux textes médiévaux, développées par exemple par Roger Sherman Loomis, adoptent une perspective qui leur est propre et consistent en la recherche de l’origine des noms propres cités dans les textes. On trouve ainsi dans ses livres, mobilisées au cours de l’analyse ou rassemblées en annexe, les provenances possibles des noms arthuriens, toponymes et anthroponymes, analysés d’un point de vue philologique6. L’étude du nom y est une recherche de sa racine et, par l’observation de l’évolution et des graphies successives et simultanées d’un même nom, une réflexion sur la transmission des textes. L’idée d’une poétique du nom propre, riche en interprétations sans qu’il soit nécessaire de se fonder sur son étude historique, émerge un peu plus tard, au tournant des années 1970 et au début des années 1980. François Rigolot affirme ainsi dans Poétique et onomastique, l’exemple de la Renaissance7 que le nom propre fait constamment l’objet de « remotivations » qui

1 Marie-Noëlle Gary-Prieur (dir.), Syntaxe et sémantique des noms propres, Langue française, 92, 1991.

2 Marie-Noëlle Gary-Prieur, Grammaire du nom propre, Paris, Presses Universitaires de France, « Linguistiques nouvelles », 1994 ; Kerstin Jonasson, Le Nom propre : constructions et interprétations, Louvain-la-Neuve, Duculot, « Champs linguistiques », 1994.

3 Par exemple, « Arbitraire du signe et nom propre », Annexes des Cahiers de linguistique hispanique médiévale, 7, 1988, p. 833-842.

4 L’Information grammaticale, 65, 1995, p. 3-11. Il est vrai que la même remarque revient sans cesse dès lors qu’on s’intéresse au nom propre : il échappe à toute tentative de le définir, de le classer, de le situer avec exactitude dans les parties du discours.

5 Michèle Noailly (dir.), Nom propre et nomination, Actes du colloque de Brest, 21-24 avril 1994, Paris, Klincksieck, 1995 ; Martine Léonard et Elisabeth Nardout-Lafarge (dir.), Le Texte et le nom, Montréal, XYZ Éditeur, « Documents », 1996 ; Johanne Bénard, Martine Léonard, Elisabeth Nardout-Lafarge (dir.), Les Noms du roman, Actes du colloque « Nom propre et discours romanesque » tenu à Charlestown en mai 1992 au XXXIVe congrès de l’Association des professeurs de français des universités et collèges canadiens (A.P.F.U.C.C), Montréal, Publications d’Études françaises de l’Université de Montréal, « Paragraphes », 1994.

6 Voir par exemple Celtic Myth and Arthurian Romance, New York, Columbia University Press, 1927; Arthurian Tradition And Chrétien De Troyes, New York, Columbia University Press, 1949; The Development of Arthurian Romance, Londres, Hutchinson University Library, 1963. Voir également William A. Nitze et Harry F.

Williams, Arthurian names in the Perceval of Chrétien de Troyes, Analysis and Commentary, University of California Publications in Modern Philology, 38:3, 1955, p. 265-298.

7 François Rigolot, Poétique et onomastique, l’exemple de la Renaissance, Droz, Genève, « Histoire des idées et critique littéraire », 1977.

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« renforcent la cohérence du sens global du texte »1. Cette approche est aussi appliquée au texte médiéval dont Jacques Ribard2, Roger Dragonetti3 et Robert Guiette4 s’attachent à montrer le fonctionnement symbolique. Le nom propre y est décrit comme un pilier du sens du texte en ce qu’il traduit la nature et le destin du personnage, posant ainsi des jalons dans le parcours du texte et dans sa compréhension. D’une grande plasticité, il peut être manipulé à l’envi et la recherche de paronomases, d’anagrammes et de métaphores dans les textes alimentent les analyses littéraires des trois critiques5. Le nom propre s’étudie en contexte, pris dans un ensemble de sonorités et de sémantismes qui dialoguent avec lui. Pour Roger Dragonetti, « les mots ne “signifient” rien par eux-mêmes, mais ne commencent véritablement à parler qu’au moment où, intégrés au verbum de la période, leur sens est accueilli comme effet de résonance du rythme dont la lettre propage les vibrations »6.

Des analyses mêlant linguistique et philosophie étaient ces lectures en montrant l’étendue et l’importance de pratiques telles que l’étymologie au Moyen Âge. Dans la lignée des travaux d’Ernst Curtius, parus à la moitié du XXe siècle7, Howard Bloch8 et Claude Buridant9 s’intéressent de près à la conception médiévale de l’étymologie et en tirent des conclusions précieuses pour l’étude des textes. Tissant des liens entre la pensée du mot et la généalogie, qu’il envisage en particulier par le biais de la Table Ronde10, Howard Bloch prouve la parenté entre l’analyse du langage et celle des structures humaines au Moyen Âge.

Paraissent parallèlement à ces travaux les recherches d’Irène Rosier-Catach11 notamment, sur

1 Ibid. p. 23.

2 Jacques Ribard, Le Moyen Âge, Littérature et symbolisme, Paris, Champion, « Essais », 1984. En particulier

« La symbolique du nom », p. 71 sqq.

3 La Vie de la lettre au Moyen Âge (Le Conte du Graal), Paris, Seuil, « Connexions du champ freudien », 1980.

En particulier « Noms et surnoms », p. 13 sqq. ; « La Musique et les lettres » : Études de littérature médiévale, Genève, Droz, « Publications romanes et françaises », 1986, en particulier « Propos sur l’étymologie », p. 59-99.

4 Robert Guiette, Forme et senefiance, Genève, Droz, 1978, en particulier « L’invention étymologique dans les lettres françaises au Moyen Âge », p. 110 sqq. Voir également Michel Pastoureau, Couleurs, images, symboles.

Études d’histoire et d’anthropologie, Paris, Le Léopard d’Or, 1989, et Une Histoire symbolique du Moyen Âge occidental, Paris, Seuil, « La librairie du XXIe siècle », 2004.

5 Voir par exemple Jacques Ribard, Le Moyen Âge…, op. cit. p. 84. Il compare notamment les noms « Logres » et « Gorre », ainsi que « Gauvain » et « Galvoie ».

6 La Musique et les lettres…, op. cit. p. 87. Voir son étude des noms « Rutebeuf », « Soredamor » et « Énide » dans La Vie de la lettre au Moyen Âge…, op. cit.

7 Ernst Robert Curtius, La littérature européenne et le Moyen Âge latin, Jean Brejoux (trad.), Paris, Presses Universitaires de France, 1956. En particulier « L’étymologie comme forme de pensée », p. 600-607.

8 Étymologie et généalogie, Une anthropologie littéraire du Moyen Âge français, Béatrice Bonne et Jean-Claude Bonne (trad.), Seuil, Paris, 1989.

9 Claude Buridant (dir.), L’étymologie de l’Antiquité à la Renaissance, Lexique, 14, Lille, Presses Universitaires du Septentrion, 1998, en particulier « Les paramètres de l’étymologie médiévale », p. 11-56.

10 Étymologie et généalogie…, op. cit. p. 271 sqq.

11 Irène Rosier-Catach, La Parole comme acte, Sur la grammaire et la sémantique au XIIIe siècle, Paris, Vrin,

« Sic et Non », 1994 ; et avec Nicole Bériou et Jean-Patrice Boudet (dir.), Le Pouvoir des mots au Moyen Âge : Études réunies, Turnhout, Brepols, « Bibliothèque d’histoire culturelle du Moyen Âge », 2014. Voir aussi sur une question qui touche au nom propre, avec Alain de Libéra, « L’analyse de la référence dans la pensée

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13 la grammaire et la pensée de la langue au Moyen Âge, qui éclairent encore davantage les enjeux du langage pour les médiévaux. Ces approches historiques croisent des recherches plus précisément concentrées sur la littérarité des textes.

Le nom propre en littérature est à l’origine d’un ensemble de motifs et de procédés narratifs que la critique a en partie pu mettre au jour. L’intérêt pour le nom propre se déplace alors de son interprétation et de sa sémantique au rôle structurant qu’il peut jouer au sein de l’intrigue, notamment dans l’élaboration des personnages et de l’univers fictionnel. Donald Maddox interroge spécifiquement les rencontres dans les récits qui permettent au héros de se découvrir et de prendre conscience de son être1. Florence Plet-Nicolas établit quant à elle que les noms propres du Tristan en prose sont des outils particulièrement efficaces pour parvenir à

« la création d’un monde »2. Ils situent dans le temps et dans l’espace, et positionnent les personnages sur l’échiquier de l’intrigue. Jane Bliss, dans sa thèse publiée l’année suivante3, recense les motifs et situations types liés à la présence ou à l’absence du nom propre4 dans la littérature médiévale. Selon elle, les schémas se reconnaissent d’un texte à l’autre et montrent l’affection des auteurs pour cette notion. Richard Trachsler, étudiant les « interférences » à l’œuvre dans la littérature médiévale, établit qu’ils doivent en outre être envisagés comme des

« marqueurs » de matière5. Enfin, Vanessa Obry6 et Madeline Jeay7 se focalisent sur les modes de désignation dans les textes − les noms propres, mais pas uniquement − comme point de départ de la construction du personnage pour Vanessa Obry, de la figure de l’auteur pour Madeleine Jeay. L’intérêt de ces deux études repose notamment sur la façon dont elles confrontent le nom propre aux autres moyens possibles de désigner un être.

Il faut ajouter à ce panorama critique de nombreuses analyses ponctuelles, notamment lexicales et syntaxiques, qui gravitent autour de la question du nom propre et nourrissent la réflexion sur ses emplois dans le récit. Sur la syntaxe du nom propre, signalons notamment

linguistique médiévale », Histoire des idées linguistiques, Sylvain Auroux (dir.), t. 2 : Le développement de la grammaire occidentale, Liège, Éditions Pierre Mardaga, 1992, p. 127-158.

1 Donald Maddox, Fictions of Identity in Medieval France, Cambridge, Cambridge University Press, 2000.

2 Florence Plet-Nicolas, La Création du Monde, Les noms propres dans le roman de Tristan en prose, Paris, Honoré Champion, 2007.

3 Naming and Namelessness in Medieval Romance, Cambridge, D.S. Brewer, 2008.

4 Pour un inventaire des motifs liés au nom propre, voir l’index d’Anita Guerreau-Jalabert, Index des motifs narratifs dans les romans arthuriens français en vers, XIIe-XIIIe siècles, Genève, Droz, 1992.

5 Richard Trachsler, Disjointures – Conjointures, Étude sur l’interférence des matières narratives dans la littérature française du Moyen Âge, Gottingen, Tubingen und Basel, 2000, p. 20.

6 Et pour ce fu ainsi nommee, Linguistique de la désignation et écriture du personnage dans les romans français en vers des XIIe et XIIIe siècles, Genève, Droz, « Publications romanes et françaises », 2013.

7 Poétique de la nomination dans la lyrique médiévale, « mult volentiers me numerai », Paris, Classiques Garnier, « Recherches littéraires médiévales », série « Le Lyrisme de la fin du Moyen Âge », 2015.

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14 l’article de Michèle Perret sur la référence1, ainsi que l’étude que Dominique Lagorgette consacre aux « expressions qui prédiquent le nom »2. Concernant le lexique susceptible de graviter dans son entourage, citons l’étude lexicale de Lucien Foulet sur l’emploi des titres sire et mesire3, ainsi que le volume de Médiévales sur la renommée4. Ces analyses, issues d’un travail de relevé et de classification minutieux, sont particulièrement utiles au moment d’entrer dans les plus fins détails des textes, lorsqu’il faut éclairer le sens d’occurrences délicates, ou distinguer les emplois relevant d’une écriture codifiée de ceux pouvant être imputés à l’œuvre de création des auteurs.

Tout aussi détaillées et précises sont les analyses plus proprement littéraires consacrées à un personnage, une œuvre ou un motif lié au nom. On ne peut que remarquer combien la thématique est prégnante et semble travailler un nombre conséquent de récits.

Pour s’en tenir au Moyen-Âge et au roman, outre les monographies de Vanessa Obry et de Florence Plet déjà citées portant sur les romans en vers du XIIe et XIIIe siècle et sur le Tristan en prose5, nous recensons des études sur le Bel Inconnu6, le Chevalier aux deux épées7, L’Âtre périlleux8, les romans de Chrétien de Troyes9, les personnages de Lancelot10 et de Sagremor11 et quelques personnages secondaires types12. Le numéro de Senefiance sur le personnage13 permet également d’aborder, de manière plus ou moins directe, la dénomination du personnage et la construction de son identité. Cette vue d’ensemble n’est pas exhaustive. Elle permet néanmoins de constater l’importance des questions soulevées par le nom propre dans

1 Michèle Perret, « Histoire, nomination, référence », LINX, 32, 1995, p. 173- 189.

2 Dominique Lagorgette, « Avoir a non : étude diachronique de quelques expressions qui prédiquent le nom », Ibid. p. 113- 132.

3 Lucien Foulet, « Sire, Messire », Romania, 281 :1, 1950, p. 1-48 et p. 180-221. Voir également Marie-Luce Chênerie, Le Chevalier errant dans les romans arthuriens en vers des XIIe et XIIIe siècles, Genève, Droz,

« Publications romanes et françaises », 1986, p. 37 sqq.

4 La Renommée, Médiévales, 24, 1993.

5 Voir également Damien de Carné, « Le carnaval des écus dans le Tristan en prose », Revue des Langues Romanes, 113, n° 2, 2009, p. 413–34.

6 Michèle Perret, « Statut du nom propre dans Le Bel Inconu », Le Chevalier et la merveille dans Le Bel Inconnu ou le beau jeu de Renaut, Jean Dufournet (dir.), Paris, Champion, 1996, « Unichamp », p. 91- 110.

7 Douglas Kelly, « The Name Topos in the Chevalier aux deux épées », “Por le soie amisté”, Essays in Honor of Norris J. Lacy, Keith Busby, Catherine M. Jones (dir.), Amsterdam/ Atlanta, Rodopi, 2000, p. 257- 268.

8 Annie Combes, « L’Âtre périlleux : cénotaphe d’un héros retrouvé », Romania, 113 :1-2, 1992-1995, p. 140- 174.

9 Danièle James-Raoul, Chrétien de Troyes, La Griffe d’un style, Paris, Champion, 2007, notamment p. 319 sqq.

10 Marie-Luce Chênerie, « L’anonymat de Lancelot du Lac dans les préludes d’une carrière héroïque », Littératures, 1984, 11, p. 9-17 ; « Le thème du nom dans la carrière héroïque de Lancelot du Lac », Littératures, 1985, 12, p. 15-29.

11 Marie-Luce Chênerie « Sagremor encore… », L’Œuvre de Chrétien de Troyes dans la littérature française, Réminiscences, résurgences, et réécritures, Claude Lachet (dir.), Paris, Champion, p. 59-72.

12 Bénédicte Milland- Bove, La demoiselle arthurienne. Écriture du personnage et art du récit dans les romans en prose du XIIIe siècle, Paris, Champion, « Nouvelle Bibliothèque du Moyen Âge », 2006.

13 Chantal Connochie-Bourgne (dir.), Façonner son personnage au Moyen Âge, Actes du 31e colloque du CUER MA, 9, 10 et 11 mars 2006, Aix-Marseille Université, Presses Universitaires de Provence, « Senefiance », n° 53, 2007.

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15 l’approche des textes mais aussi, sans doute, dans le processus de leur création. À notre tour, nous souhaitons explorer ce pan de la création littéraire médiévale, en nous penchant sur un corpus moins étudié, composé de romans arthuriens en vers tardifs des XIIIe et XIVe siècles.

La fin du Moyen Âge central voit se consolider le système de double dénomination formé d’un prénom et d’un patronyme tel que nous le connaissons aujourd’hui1. Elle connaît aussi des évolutions politiques qui font vaciller les certitudes de la noblesse et modifient la perception que certaines classes sociales peuvent avoir du rôle qui leur revient dans la société2. Parallèlement à ces modifications d’ordre juridique et social, d’autres se mettent en place sur le plan moral et religieux. Michel Zink3 observe l’émergence de la notion d’individu à partir du XIIe siècle, ainsi que le développement d’une sensibilité et d’une subjectivité dont on trouve les traces dans les textes, en particulier les romans arthuriens. La scolastique médiévale constitue également un horizon intéressant. Faisant suite aux réflexions menées de longue date sur le langage par les auteurs antiques ou par Isidore de Séville, les philosophes médiévaux, avant même le XIIIe siècle, s’interrogent sur la transparence et la motivation du langage, et sur son lien avec les réalités qu’il permet d’énoncer. Traversant tout le Moyen Âge, la querelle des universaux questionne notamment l’existence concrète de mots qui nous permettent de classer et de saisir le monde qui nous entoure4. Lors de la production de nos textes, dont les plus anciens datent du dernier tiers du XIIIe siècle, une tension demeure. S’il apparaît que la théorie de l’arbitraire du signe gagne du terrain dans le domaine de la philosophie spéculative, la permanence, dans la pratique, de références à Isidore de Séville et sa présence dans les manuels scolaires5 maintient une forme de motivation du langage. Cet écart entre idées du temps et pratiques héritées nous paraît digne d’intérêt6. Situé à la croisée de considérations sur l’identité, la subjectivité et le langage, le nom propre est un angle d’étude pertinent pour développer notre compréhension du texte médiéval, en particulier lorsqu’il est question de textes tardifs.

1 Anne Lefebvre-Teillard, Le nom, droit et histoire, op. cit.

2 Dominique Boutet, Formes littéraires et conscience historique, Aux origines de la littérature française, 1100- 1250, Paris, Presses Universitaires de France, « Moyen Âge », 1999 ; et avec Armand Strubel, Littérature, politique et société dans la France du Moyen Âge, Paris, Presses Universitaires de France, préf. Jacques Le Goff, 1979.

3 La Subjectivité littéraire autour du siècle de Saint Louis, Paris, PUF, 1985. Voir également Édouard-Henri Wéber, La Personne humaine au XIIIe siècle, l’avènement chez les maîtres parisiens de l’acception moderne de l’homme, Paris, Vrin, 1991 ; Marie-Étiennette Bély et Jean-René Valette (dir.), Personne, personnage et transcendance aux XIIe et XIIIe siècles, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1999.

4 Voir Alain de Libera, La querelle des universaux, de Platon à la fin du Moyen Âge, Paris, Seuil, « Des Travaux », 1996.

5 Voir Jacques Elfassi et Bernard Ribémont (dir.), La réception d’Isidore de Séville durant le Moyen Âge tardif (XIIe- XVe s.), Cahiers de Recherches Médiévales et Humanistes, 16, 2008.

6 Chacun de ces aspects du contexte est développé ultérieurement. Voir p. 220 sqq.

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16 Les Merveilles de Rigomer, vraisemblablement écrit vers 12701, met en scène les héros arthuriens, en priorité Lancelot et Gauvain, chargés par leur roi de venir en aide à une demoiselle en mettant fin aux sortilèges de la cité de Rigomer. Cristal et Clarie, datant des mêmes années2, raconte les aventures de Cristal, jeune chevalier épris d’une femme qu’il a vue en rêve et dont il ignore le nom. Sa quête vers Clarie, qui les mène tous deux à un mariage, est l’occasion pour l’auteur, qui emprunte certains passages notamment à Chrétien de Troyes, d’élaborer un centon de citations. Floriant et Florete et Claris et Laris auraient aussi été créés durant la même décennie3. Floriant, jeune prince orphelin élevé par Morgane ignore son identité et découvre qui il est après avoir rejoint la cour d’Arthur. Il venge son père assassiné et épouse une jeune femme, Florette. Après quelques mois d’un mariage heureux, Floriant reprend les chemins de l’errance accompagné de Florette pour réaffirmer ses qualités de chevalier. Claris et Laris met aussi en scène une union indéfectible, illustrée cette fois par deux amis. Claris et Laris, éduqués à la cour de Gascogne, décident de parfaire leur apprentissage en se rendant auprès d’Arthur. Au cours des trente mille vers qui constituent ce roman, ils se trouvent confrontés à tous types d’aventures, surmontent les séparations, et parviennent au terme de leur initiation chevaleresque et amoureuse couronnés de gloire.

Melyador est le roman le plus tardif de l’étude et le seul dont nous connaissons le nom de l’auteur. Sa première version est située vers 13604, soit près d’un siècle après les quatre autres récits. Il se focalise sur la réussite d’un jeune chevalier qui donne son nom au roman et dont les prouesses lui permettent de remporter le prix d’une quête de cinq ans, la main de la belle Hermondine.

L’unité du corpus repose à la fois sur l’appartenance des textes à la matière de Bretagne et à la tradition arthurienne, sur leur postériorité aux grands cycles en prose, et sur une forme d’expression commune, l’octosyllabe. Notre recherche se veut ainsi complémentaire des travaux de Florence Plet qui s’intéresse à la prose et à une seule œuvre, et de ceux de Vanessa Obry, qui examine la désignation dans des romans en vers plus anciens et

1 Les Merveilles de Rigomer, W. Förster et H. Breuer (éd.), Dresde, « Gesellschaft für romanische Literatur », 1908-1915, 2 t.

2 Cristal et Clarie, altfranzösischer Abenteuerroman des XIII, H. Breuer (éd.), Dresde, « Gesellschaft für romanische Literatur », 1915.

3 Corinne Pierreville situe la création de Claris et Laris également aux alentours de 1270, voir Claris et Laris, Corinne Pierreville (éd.), Paris, Honoré Champion, « Classiques français du Moyen Âge », 2007. La composition de Floriant et Florete est située après 1268 par ses éditeurs, Floriant et Florete, Annie Combes et Richard Trachsler (éd. et trad.), Paris, Champion, « Champion classiques, Moyen Âge », 2003. Les deux romans présentent des vers en commun, voir notamment Floriant et Florete, éd. cit. p. XLIV.

4 Froissart, Melyador, roman en vers de la fin du XIVe siècle, Nathalie Bragantini-Maillard (éd.), Michel Zink (pref.), Genève, Droz, « Textes littéraires français », 2012, 2 t.

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17 n’appartenant pas à une même matière1. Sélectionner plusieurs romans autonomes − leurs intrigues respectives ne dépendent d’aucune autre et aucun ne prétend s’insérer dans un cycle − nous permet d’examiner, dans une démarche comparative, comment différents récits choisissent de se greffer sur une production existante et, parallèlement, de rendre compte de ce que leurs auteurs ont identifié comme les marques du roman arthurien. À première vue, celles-ci varient selon les textes. Claris et Laris et Les Merveilles de Rigomer, deux romans à quêtes multiples, partagent un usage de la conjointure qu’on ne retrouve pas dans les autres romans2. Froissart choisit une temporalité inédite dans les romans en vers en plaçant son intrigue avant les exploits de la Table Ronde et l’entrée en scène de Merlin (v. 28-37).

Floriant et Florete choisit de mettre en lumière Morgane, absente ou presque des autres textes. Cristal et Clarie, qui n’utilise aucun nom arthurien mais présente un schéma narratif tout à fait comparable à ceux des autres romans du corpus, s’intéresse plutôt à des épisodes précis des romans de Chrétien de Troyes, comme le combat contre le serpent cracheur de feu dans Yvain, qu’il compile aux côtés d’extraits d’autres œuvres. Ces quelques divergences laissent penser que la réception du roman arthurien diffère selon les auteurs, et nous invitent à définir plus précisément la matière arthurienne d’après l’usage qu’ils en font dans leurs textes.

La versification est aussi une ressource pour l’analyse du nom. Les noms propres apparaissent tantôt exhibés à la rime et rehaussés par de nombreux échos dans le texte, tantôt rejetés en début de vers et comme atténués. Les procédés rhétoriques pouvant nourrir le sémantisme d’un nom sont ainsi plus aisément perceptibles lorsqu’ils sont pris dans le vers.

Le choix de l’octosyllabe manifeste en outre une orientation esthétique particulière, que partagent les cinq textes. Alors qu’à partir du XIIIe siècle la prose est couramment employée, et que le roman se déploie volontiers en longues sommes structurées par une finalité eschatologique, nos romans continuent d’utiliser une forme désuète et décrivent un monde sans fatalité ni graal. La chevalerie qu’on peut y découvrir est une chevalerie terrienne, noble de sang et de cœur, ayant une haute idée de sa fonction et de la conduite qu’elle doit adopter, mais jamais religieuse. Le recours au vers, loin de simplement réunir nos romans au moyen d’un critère formel, indique aussi, malgré les particularités de chacun, que les récits à l’étude conçoivent l’univers arthurien d’une manière similaire.

D’autres spécificités, outre la façon dont chaque œuvre s’approprie la matière arthurienne, viennent nourrir la confrontation des textes. La longueur variable des différents

1 Le Conte de Floire et de Blanchefleur, Ille et Galeron, Galeran de Bretagne.

2 Voir Douglas Kelly, « Multiple Quests in French Verse Romance : Merveilles de Rigomer and Claris et Laris », L’Esprit créateur, 9- 4, été 1969, p. 257-267.

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18 romans est une première source de diversité. Les plus courts, Cristal et Clarie et Floriant et Florete, sont d’une longueur comparable à celle des romans de Chrétien de Troyes1 tandis que les Merveilles de Rigomer, d’un peu plus de dix-sept mille vers, Claris et Laris et Melyador, tous deux longs de près de trente mille vers, semblent chercher à concurrencer, par leur ampleur, les sommes en prose. Ces écarts ne sont pas sans conséquence sur la narration. Si des motifs semblables se retrouvent d’un récit à l’autre, force est de constater que leur traitement varie et peut être mis en relation avec la longueur du texte. Alors que les récits les plus courts restent le plus souvent focalisés sur leur héros, les romans les plus longs, pour éviter que le récit ne devienne monotone ou pour produire une compilation de tout ce qui se fait de mieux dans le roman arthurien, n’hésitent pas à fragmenter davantage la trame de la narration. La succession d’aventures des romans les plus brefs se complique ainsi dans les textes les plus développés d’un travail de conjointure qui donne à voir les exploits de différents personnages en produisant l’illusion de leur simultanéité. Ces enchevêtrements, qui s’appuient souvent sur la hiérarchisation des aventures et de leurs héros selon différents niveaux de narration, modifient l’approche du nom propre et de la dénomination. Plus le roman est long et complexe, plus il devient nécessaire de rappeler régulièrement les caractéristiques et le rôle des personnages, et plus il devient difficile de les situer sur l’échiquier de l’intrigue. À cela s’ajoute une forte tendance à multiplier les personnages, au risque de ne plus pouvoir les différencier de manière efficace. Le rôle classificateur du nom propre, qui est aussi vecteur de l’unicité de celui qui le porte, est mis en péril. Des stratégies particulières en matière de dénomination, propres à ces textes, sont alors mises en œuvre pour remédier aux défauts causés par les longueurs et pour soutenir l’architecture du roman.

Différentes tonalités et formes littéraires sont par ailleurs mobilisées par nos récits, qui influencent l’univers arthurien proposé par chacun et lui donnent une coloration particulière.

L’épique apporte ses combats grandioses dans Claris et Laris et Floriant et Florete. Il redessine les contours du couple de héros dans Claris et Laris dont les protagonistes réécrivent à la fois le type du chevalier solitaire et l’idéal du couple courtois. Il infléchit aussi quelque peu le modèle de l’ennemi dans Floriant et Florete en faisant de l’opposant majeur un sénéchal traître et déloyal tel qu’on en rencontre dans les chansons de geste. Cristal et Clarie préfère une inspiration allégorique qui enrichit la thématique courtoise du roman. Le long prologue écrit à la première personne décrit les douleurs provoquées par la flèche d’Amour, et la quête trouve son mobile dans le songe liminaire du héros, qui aperçoit en rêve

1 Les romans de Chrétien de Troyes font de 6702 vers pour Cligès à 9066 vers pour le Conte du Graal. Floriant et Florete compte 8278 vers, et Cristal et Clarie 9084 vers.

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19 une jeune femme dont il s’éprend immédiatement. Froissart développe lui aussi la dimension courtoise du roman arthurien en ayant en particulier recours aux formes lyriques. L’insertion de virelais, de rondeaux et de ballades composés et chantés par les personnages enrichit le récit de réflexions sur l’art poétique et donne aux scènes d’introspection amoureuse, qui se développent volontiers aux abords des poèmes, une intensité particulière. Les décalages que l’on décèle dans les Merveilles de Rigomer confèrent au texte une tout autre orientation et sabotent par endroit les tentatives de ses personnages d’acquérir un plus grand prestige.

Empruntant parfois au fabliau, comme lorsque Lancelot court un ustensile de cuisine à la main suivi de son hôte et de son hôtesse nue, en pleine nuit, après des voleurs (v. 3350-3414), ce roman se définit surtout par sa propension à la parodie. Qu’il détourne des lieux communs du roman arthurien1, ou qu’il tisse des relations intertextuelles plus précises2, ce texte désacralise l’univers d’Arthur et fait de ses chevaliers les plus prestigieux des êtres parfois ridicules et capables d’erreur.

La datation du corpus, composé de quatre récits écrits vers la fin du XIIIe siècle, et du dernier roman arthurien en vers, écrit près d’un siècle plus tard, permet aussi d’envisager les textes dans une perspective diachronique. Il s’agit d’esquisser modestement à la suite d’autres travaux3, et pour autant qu’une étude sur le nom permette des conclusions aussi générales, quelques lignes de l’évolution de la matière arthurienne. Les statistiques et analyses effectuées à partir de nos textes, comparées entre elles et à celles que nous produisons à partir des œuvres de Chrétien de Troyes, peuvent contribuer à nourrir cette réflexion.

1 Il retravaille notamment le motif de la demoiselle demandant de l’aide qui devient une mauvaise demoiselle critiquant, à peine le prologue achevé, l’incompétence des chevaliers. La fin de la quête est aussi détournée : Gauvain, élu de Rigomer, refuse le mariage avec celle qu’il a délivrée ainsi que la couronne qu’on lui propose.

2 On devine Rainouart sous les traits du Lancelot cuisinier, et l’ensemble de la quête ainsi que la sélection de l’élu possède plusieurs points communs avec la quête du Graal tout en en proposant une version résolument laïque. Voir notamment Isabelle Arseneau, « Lancelot échevelé: la parodie dans Les Merveilles de Rigomer », La chevelure dans la littérature et l'art du Moyen Âge, Chantale Connochie-Bourgne (dir.), Aix-en-Provence, Publications de l'Université de Provence, « Senefiance », 50, 2004, p. 9-21 ; Richard Trachsler, « Lancelot aux fourneaux : des éléments de parodie dans Les merveilles de Rigomer », Vox romanica, 52, 1993, p. 180-193 ; Neil E. Thomas, « The Secularisation of Myth : Les Merveilles de Rigomer As a Contrafactura of the French Grail Romances », Myth and its Legacy in European Literature, Françoise Le Saux et Neil E. Thomas (dir.), Durham, University of Durham Press, 1996, p. 159-169 ; Adeline Latimier, « Les Merveilles de Rigomer : un

“ conte ridicule “ ? », Parodies courtoises, parodies de la courtoisie, Margarida Madureira, Carlos Clamote Carreto, Ana Paiva Morais (dir.), Paris, Classiques Garnier, « Rencontres », 2016.

3 Voir notamment Beate Schmolke-Hasselmann, The Evolution of Arthurian Romance, The Verse Tradition from Chrétien to Froissart, Margaret et Roger Middleton (trad.), Cambridge University Press, 1998; Keith Busby, Douglas Kelly, Norris J. Lacy (dir.), The Legacy of Chrétien de Troyes, Amsterdam, Rodopi, 1989, 2 t.;

Christine Ferlampin-Acher, « La matière arthurienne en langue d’oïl à la fin du Moyen Âge : épuisement ou renouveau, automne ou été indien ? », Bulletin Bibliographique de la Société Internationale Arthurienne, 2011, p. 258-294.

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20 Certains textes, dont la présence s’imposait à première vue dans le corpus principal, peuvent paraître faire défaut. Escanor est sans doute de ceux-là. C’est pour ne pas briser l’unité d’un corpus qui rassemble des textes autour d’une vision assez commune de l’univers arthurien que ce roman a été laissé de côté. Composé vers 12801, ce récit est le dernier roman arthurien en vers avant Melyador. Si sa forme versifiée et la date de sa création lui permettaient de figurer légitimement dans notre étude, d’autres critères nous ont conduits à l’en écarter2. Qu’Escanor soit écrit en vers ne doit pas masquer sa parenté avec les textes en prose, dont il tire une partie de son personnel. Une définition eschatologique du temps soumis à la fatalité y concurrence le cadre mythique que l’on trouve habituellement dans les romans en vers, et qui prévaut largement dans ceux de notre corpus. Inscrits dans le temps, les personnages sont de fait marqués par leur passé, ce qui nourrit une thématique de la vengeance rare dans nos textes où domine l’idéal courtois. À la tonalité profane du début du récit se substitue, notamment en fin de roman, une inspiration beaucoup plus religieuse. Après la mort de son épouse et pour lui rendre hommage, Escanor a renoncé à ses richesses et à sa position dans le siècle, et vit une retraite spirituelle dans un ermitage3, comme le feront aussi après lui Girflet et son épouse. Les trajectoires de nos héros dans les romans qui leur sont consacrés s’acheminent au contraire vers l’acquisition d’un statut toujours plus prestigieux, d’une renommée toujours plus grande, qui se solde pour les nouvelles recrues de la Table Ronde par un mariage avec une fille de roi pour Melyador et Cristal, un couronnement pour Claris et Laris, un empire pour Floriant. Cette évolution dans le roman de Girart d’Amiens rapproche considérablement sa création des cycles en prose et modifie la coloration de motifs traditionnels, comme certains éléments du merveilleux. Les visions qu’Escanor reçoit au terme de sa vie4, avant de mourir saintement, contrastent ainsi avec celles que l’on rencontre dans notre corpus. Dans Claris et Laris et dans Les Merveilles de Rigomer, les rares apparitions qui nous sont données à lire sont le fruit d’enchantements féeriques destinés à embrumer l’esprit5, ou constituent l’amorce de scènes prometteuses contrecarrées par une

1 Girart d’Amiens, Escanor, Richard Trachsler (éd.), Genève, Droz, « Textes littéraires français », 1994, 2 t.

2 Ibid. t. 1, p. 81 sqq.

3 À partir du vers 24685.

4 Il voit des anges et des archanges accueillir l’âme de l’ermite après sa mort, puis voit son épouse également décédée lui rendre visite juste avant de mourir (v. 24841- 916 ; v. 25140-190).

5 Dans Claris et Laris, la fée Madoine trompe les hommes pour les disperser dans la forêt de Brocéliande.

Gauvain croit par exemple voir son père mort (v. 16984-17277). Certains sortilèges de Rigomer ne doivent également être constitués de mécanismes escamotables ou d’illusions optiques puisqu’ils s’évanouissement à l’arrivée de Gauvain (v. 14425-500). On y rencontre le terme « engien » à plusieurs reprises (v. 14428, 14440, 14498).

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21 chute parodique1. Les visions d’Escanor relèvent de la catégorie du miracle, tandis que celles de nos personnages correspondent plutôt à la définition du mirabilis païen2.

Il faut surtout signaler que ce texte se prête peut-être moins à l’étude du nom propre que ceux que nous avons retenus. Bien que le récit nous donne à lire le lignage de son protagoniste3, ce qui permet d’étudier le nom en tant qu’il est pris dans un système, l’analyse est restreinte par le fait que l’intrigue principale a peu à voir avec une quête du nom. Elle ne repose ni sur l’initiation d’un jeune chevalier, ni sur la nécessité pour un combattant aguerri de reconquérir une gloire perdue. Ces deux motifs narratifs habituels du roman arthurien et qui structurent les récits du corpus sont absents d’Escanor. Les cheminements vers la révélation du nom ou les moyens par lequel un renom s’accroît, s’entache ou se restaure, centraux dans nos textes, y sont nettement moins développés. Certaines problématiques sont tout de même abordées, notamment l’incognito. Keu condamne ainsi, assez tôt dans le roman, les chevaliers qui ne portent pas leurs propres armes et empêchent leur identification4. Lui- même pourtant, lors d’un tournoi quelques temps plus tard, choisit de combattre équipé d’autres armes que les siennes et suscite émerveillement et interrogations5.

Si Escanor se distingue trop des romans sélectionnés pour être étudié avec eux d’une manière qui soit cohérente et qui rende justice à chaque texte, il apparaît aussi qu’il ne peut être complètement exclu de notre travail. Il serait de même intéressant de convoquer de temps à autres d’autres œuvres pour faire dialoguer notre corpus avec la production du Moyen Âge.

L’étude comparée des différentes réalisations d’un même motif ou d’une aventure semblable, notamment dans les romans contemporains6 de nos récits, pourrait certainement être profitable à notre analyse. De même, la convocation d’autres genres pourrait aussi enrichir notre propos. Nous avertissons cependant notre lecteur. Cette volonté, présente dès les premiers moments de la recherche, n’a pu que partiellement être mise en œuvre. Il s’est avéré au fil de l’analyse que la minutie et l’attention au détail exigées par l’étude des noms propres dans le corpus ne permettait pas l’examen précis et systématique de textes supplémentaires.

L’intérêt d’une telle entreprise ne fait aucun doute ; elle n’apparaît toutefois dans ce travail que sous une forme embryonnaire. Outre les romans à l’étude, nous avons ainsi concentré

1 Dans Les Merveilles de Rigomer en particulier, des bruits de chasse se font entendre en pleine nuit et en pleine forêt, alors que Lancelot est parfaitement seul et qu’il avait commencé à dormir. On s’attend à voir surgir une maisnie Hellequin. C’est une simple bête sauvage qui saute d’une broussaille et termine aussitôt sa course cuisinée sur le feu de Lancelot (v. 1190-1230).

2 Jacques Le Goff, « L’imaginaire médiéval », Un autre Moyen Âge, Paris, Gallimard, 1999, p. 466.

3 V. 13479-620.

4 V. 1377.

5 V. 3448- 3851.

6 Voir bibliographie.

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