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P REMIÈRE P ARTIE : MATÉRIALITÉ DU NOM PROPRE

F. De l’indigence à l’opulence : absence et présence du nom

Le jeu entre la présence et l’absence2 du nom a déjà été étudié par Florence Plet-Nicolas, Vanessa Obry, et Danièle James-Raoul3. Il nous importe à notre tour d’étudier la diversité des noms propres représentés dans notre corpus selon leur richesse ou, au contraire, leur pauvreté. Certains noms propres s’imposent à la lecture parce qu’ils correspondent à un personnage fortement individualisé ou parce qu’ils apparaissent systématiquement à des moments cruciaux du roman. D’autres, au contraire, ne retiennent guère l’attention et ne sont cités que le temps d’un épisode, pour donner artificiellement corps à un être de papier. Le nom, plus simplement, refuse parfois d’apparaître. Nombre d’actants se voient ainsi condamnés à l’anonymat. Trois axes d’analyse se dégagent à l’examen des occurrences. Le lien entre le nom propre et son référent conduit à étudier le mode de création des actants et le soin apporté à l’élaboration d’un « effet-personnage »4. La longueur du nom, sa fréquence dans le texte ainsi que la présence éventuelle d’enrichissements mènent également à une classification des noms et de leurs référents. L’étude du nom propre dans la structure du récit, et en particulier sa place en des lieux clés de l’intrigue, conduit enfin à mettre en relation sa distribution dans la narration et le travail de conjointure de l’auteur. Chacune de ces approches mène à une hiérarchisation des noms selon des critères qui lui sont propres.

Devant la diversité du traitement du nom, nous choisissons de commencer l’analyse qui suit par l’étude de son absence et de ses effets. Puis nous observerons quels critères permettent à un référent l’acquisition d’un nom, et dans quels contextes celui-ci peut s’enrichir. Notre intérêt se portera pour finir sur les alternatives au nom, armes, portraits ou cicatrices, qui complètent le système de désignation du récit et pallient les défauts du nom propre.

1. Inconnus et anonymes

a) La foule sans nom

1 Il nous semble en effet que ce quatrième nom (s’il existe !) pourrait être celui de Gauvain.

2 Nous parlons de l’absence permanente de nom, d’un bout à l’autre du roman, et non de la mise en suspens du nom, traitée avec le motif de l’incognito p. 476 sqq.

3 Voir Florence Plet, La création du monde…, op. cit. p. 99 sqq., Vanessa Obry, Et pour de fu ainsi nommee…, op. cit. p. 99 sqq., Danièle James-Raoul, Chrétien de Troyes…, op. cit. p. 314 sqq.

4 Vincent Jouve, L’effet-personnage dans le roman…, op. cit.

176 Il existe dans chaque roman des référents dont l’anonymat1 est conservé d’un bout à l’autre du récit. Cette absence de nom s’illustre différemment selon les œuvres et les contextes envisagés. En contexte courtois, ou lors d’épisodes épiques, l’anonymat ne pèse pas sur des actants isolés mais sur des groupes entiers formés de combattants ou de spectateurs assistant aux tournois et aux duels. Indistincts, les référents convoqués se fondent en un ensemble qui agit comme un seul actant, tous occupant la même fonction au même instant dans le récit. La foule telle qu’elle apparaît dans un cadre courtois tient ainsi deux rôles. Spectatrice d’un tournoi ou d’un duel, elle focalise l’attention sur les personnages en action. Par le biais du regard appuyé de la foule, que son intérêt pour le fait d’armes et la prouesse attire sur les lieux des affrontements, les protagonistes se trouvent mis en valeur. Le procès se dédouble dans le récit, à la fois conté par le narrateur et commenté par les spectateurs dont il nous rapporte simultanément les déclarations. Dans le roman de Melyador, avant même de connaître une gloire diffusée par le discours des hérauts, les performances des chevaliers entrés dans la compétition sont une première fois validées par les commentaires du public. Les demoiselles, assistant au combat entre Camel et Gratien, se livrent à une expertise :

Les damoiselles qui la sont

Dïent : « Vela cop bien jetté ! » (Mel. v. 5967-68)

Leur regard revêt une importance telle que l’action s’interrompt tant que les spectatrices n’ont pas pris place :

On attendi tant que Floree Et ses damoiselles ossi Se furent mises ou parti La ou d’usage elles venoient Quant les batailles regardoient

Des chevaliers aventureus. (Mel. v. 5931- 36)

Aux côtés de Florée, personnage essentiel du roman, se tient une assemblée féminine dont l’approbation est nécessaire au bon déroulement de la quête. Ce ne sont pas seulement les victoires accumulées qui signalent la compétence du chevalier. La qualité des coups portés, l’attitude et l’allure générale du combattant importent. Les délibérations qui ont lieu avant la remise des prix le montrent bien et les témoignages du public féminin sont cruciaux. La narration de la voix conteuse ne suffit pas ; l’excellence semble ne pouvoir être reconnue que

« devant dames et demoiselles » (v. 5940)2. Dans Les Merveilles de Rigomer, le public

1 Pour une étude de l’avènement de l’anonymat dans la littérature médiévale, voir Danièle James-Raoul

« L’anonymat définitif des personnages et l’avènement du roman : l’apport de Chrétien de Troyes », Façonner son personnage au Moyen Âge…, op. cit. p. 135- 144.

2 Le nom des domaines accueillant certains de ces tournois est évocateur : « Signandon » et « la Garde » soulignent l’importance du regard, du spectacle et de l’interprétation dans le monde dépeint par Melyador.

177 constitué de ducs et de comtes se presse pour assister au duel entre Lancelot et le « Chevaliers as Armes Trebles » :

Quant li pars fu aparelliés Et tous li pules arengiés, Ensi con jou le vos devis, Les .ij. chevaliers, ço m’est vis,

Commanda l’on aller ensamble. (LMR, v. 5515-19)

À nouveau, l’affrontement, signalé par le son du cor, ne peut avoir lieu si aucun témoin n’est présent1. La position du lecteur, à ce titre, fait en quelque sorte l’objet d’une projection dans le récit. Spectateur-auditeur d’événements dont il semble qu’ils prennent vie sous ses yeux grâce à la spontanéité de la voix conteuse, il se trouve lui aussi convié à la consécration des héros du roman.

La foule anonyme, qui n’est finalement constituée d’après les informations qui nous sont données dans le texte que de référents d’un rang social élevé, fait de la quête de la

« Bleue Dame » comme de la quête de Rigomer de véritables spectacles2. L’errance individuelle cède ainsi la place au milieu mondain. La foule, en plus de constituer un ensemble d’individus indéterminés sur lequel se détache l’unicité du héros parfaitement individualisé et doté d’un nom, permet l’introduction du faste et de la fête dans le récit. Dans le roman de Froissart, des messagers envoyés par Arthur annoncent la tenue d’un banquet :

Par tout s’espardent ces nouvelles As dames et as damoiselles,

As signeurs et as chevaliers. (v. 2560- 62)

La circulation de l’information et l’emploi sur deux vers des catégories sociales privilégiées par le roman courtois, montrent le prestige de la cour arthurienne. Plus loin dans le roman,

« [d]amoiselles et damoisiels » (v. 13156) revêtent également leur plus belles parures pour un souper au château. La permanence de ces figurants, toujours nombreux, rehausse le récit en rendant attractif l’univers romanesque dépeint. Peuplé de gens de noble naissance avides de se divertir et d’admirer les actions d’éclats qui contribuent à la réputation de leur classe, l’univers fictionnel tel qu’il apparaît dans le roman dresse un portrait pour le moins flatteur du monde courtois.

1 Plusieurs catégories sociales sont mentionnées. Le public est ainsi constitué de « chevaliers », de « puceles », de « sergents », de « dames » et de « borgois » (v. 5412-16). La noblesse et l’apparat dominent cependant : « Ne vos avroie hui mais conté/ Le ricoise qui iluec fu./ La peust on avoir veu/ Tant chevalier de grant vallance,/

Tante dame cortoise et france,/ Tante puciele de valor/ A gent cors, a fresce color! » (v. 5420-26).

2 Voir Nathalie Bragantini-Maillard, « Les tournois de Melyador, ou l’originalité d’une stéréotypie stylisée », Le Moyen français, revue d’études linguistiques et littéraires, 68, 2011, p. 12-22.

178 La complète indistinction toutefois semble impossible. Peuplant à moindre coût des romans aux univers particulièrement vastes, les masses mises en mouvement par le récit demandent, au moins, à être quantifiées. Deux procédés sont repérables. Le premier consiste à citer, sans qu’ils prennent corps dans le texte d’une manière ou d’une autre, un certain nombre d’actants, des chevaliers vaincus le plus souvent, qui soulignent par leur échec la grande vaillance de celui qui sort vainqueur de l’épreuve. Dans le roman de Floriant et Florete, vingt chevaliers (v. 1421) ont ainsi tenté, en vain, d’anéantir le Pellican avant que le jeune héros n’arrive sur les lieux.

Une seconde approche impose de dénombrer cette fois les actants en présence. Si le recours à l’indétermination et au pluriel permet déjà l’introduction du grandiose dans la description d’une cour, la mention de nombres considérables ajoute encore au faste exprimé.

Dans Floriant et Florete, mille dames séjournent au palais (v. 1326), et vingt-six rois prennent place à table (v. 6156) sans qu’ils soient nommés. Le procédé est aussi fécond en contexte épique où les différentes compagnies, menées par les protagonistes et les grands noms de la matière arthurienne, semblent s’enrichir à l’envi d’inconnus qui accourent et gonflent les rangs. Des chevaliers par centaines, voire par milliers, déferlent sur les champs de bataille. Le roman contrebalance alors l’indistinction des référents par la mention de quantités hyperboliques. Dans Les Merveilles de Rigomer, un tournoi en préparation aux portes de Rigomer accueille sept-cents chevaliers (v. 10104), puis la voix conteuse en dénombre deux mille (v. 10153). Lors du combat qui fait s’affronter les Bretons et les forces maléfiques de Rigomer, Keu assiste au débarquement de créatures fantastiques et monstrueuses. Plus de quatre mille de ces gardiens s’attaquent aux Bretons (v. 10449). Des ethnies, fictives et merveilleuses dans l’ensemble1, caractérisent ces êtres, mais aucun n’est individualisé ni pourvu d’un nom propre. Leur appartenance à des tribus imaginaires produit un sentiment d’altérité2 qui renforce encore la bravoure de ceux qui les combattent. Au-delà de la simple mise en valeur d’un protagoniste, qui ne paraît que plus exceptionnel placé au milieu d’inconnus similaires, une altérité peut naître de l’anonymat et souligner la mise en danger du héros. Participant du faste et de l’épique de certains épisodes, l’anonymat sert donc aussi la tonalité fantastique en signalant, par l’absence de nom, l’incapacité à définir et à identifier le référent.

1 « Li Chenelius », « li Pismëis », « li Covus », « li Torvains », « li Boncus », « li Popelicans », « li Cornus », « li Moines » (v. 13669 sqq.)

2 Voir Danièle James-Raoul, « L’anonymat définitif des personnages et l’avènement du roman … », art. cit.

p. 354. L’altérité naît aussi bien d’un référent monstrueux ou d’une créature inhumaine, que d’un référent humain d’une autre culture, les deux se confondant d’ailleurs souvent.

179 b) Non-lieux

Vanessa Obry considère à juste titre que « le sens de l’attribution d’un nom ne peut être considéré comme identique pour chaque personnage ni pour chaque œuvre. »1 Il en va de même, parfois, pour l’anonymat. La plupart des romans à l’étude montrent un goût particulier pour la mention de toponymes jusqu’à couvrir pour certains une part importante du monde connu. Un texte se démarque de ces volontés d’expansion et présente, contrairement aux autres romans, une toponymie plutôt restreinte. Cristal et Clarie, pour la quinzaine d’aventures narrées dans le roman, donne treize toponymes. Plusieurs de ces noms ne relèvent pas de la géographie de l’intrigue. Quatre noms ont une fonction rhétorique et intègrent une comparaison ou une hyperbole (la France et l’Angleterre v. 7494 et 4710, la « Romenie » v. 5875, et « Paenime » v. 5960). Deux indiquent la provenance prestigieuse d’une étoffe (« Alexandrie » v. 3318, et « Constantinople » v. 4677). Parmi les sept autres, seuls cinq indiquent un territoire traversé par le héros : « Valfondee », nom du domaine de la belle Olympa, les noms du « Castel Malpas »2 et de sa forêt « Maltrepas », ainsi qu’« Abilant », nom du royaume du père de Clarie. Les deux derniers toponymes indiquent quant à eux l’origine de Cristal (« Zuave ») ou intègrent le surnom d’un opposant (« Brias de la Froide Montagne »). Sur les quinze aventures, seules six sont donc associées à un toponyme.

Contrairement à la cartographie de l’Irlande et au cheminement clairement balisé de Lancelot dans Les Merveilles de Rigomer, lui aussi en quête d’un objet inconnu et fantasmé, la cartographie du roman de Cristal et Clarie semble bien pauvre. Si quelques noms ont vocation à spatialiser l’intrigue en délimitant zones de confort et zones de danger3, ils demeurent rares dans le roman et ne suffisent pas à offrir au récit un ancrage concret, ni à feindre la circulation du personnage d’un domaine à l’autre. Comparé aux récits de Chrétien de Troyes, le roman de Cristal et Clarie ne semble pourtant pas si lacunaire. Comme nous avons déjà pu le constater, les récits du maître champenois sont bien plus modérés que les romans tardifs quand il s’agit de nommer4. Cristal et Clarie semble pris entre deux traditions, celle des premiers romans ne citant que peu de noms propres, et la tendance des romans tardifs en vers, auxquels pourtant il appartient, qui se distingue par un afflux de noms conséquent. La faible densité des noms le démarque donc des textes contemporains. Sa parenté avec les premiers textes demande aussi à être examinée :

1 Et pour ce fu ainsi nommee…, op. cit. p. 122.

2 Qui devient par la suite « Castel Preudon ».

3 De manière assez évidente pour « Mal Pas », « Mal Trepas », et « Froide Montagne ».

4 Voir annexe B.

180

If, to the author and his audience, it encapsulated the essence of medieval romance, to many modern scholars who regard romance as a literary form with a social and moral function, Cristal et Clarie might be said to preserve the trappings of romance without its real essence.1

Le roman de Cristal et Clarie s’approprie de nombreux éléments relevant de la matière de Bretagne et semble à première vue suivre les étapes traditionnelles du roman arthurien : un jeune homme prometteur et de haute naissance mais dont le talent n’a pas encore été éprouvé s’aventure en territoire inconnu, en quête d’une demoiselle. Initiation chevaleresque et amoureuse vont ainsi de pair. Le rythme des aventures et leur contenu ressemblent à ce que l’on peut lire ailleurs dans les récits arthuriens. Malpas existe également, sous une forme différente, dans le Tristan et Yseut de Béroul, et l’association d’un opposant à l’imaginaire de la montagne est aussi un topos2.

Toutefois, la pauvreté des noms de lieux modifie les données habituelles du roman arthurien. Comme désincarné, le roman ne cherche pas à enraciner son récit dans un univers fictionnel construit, luxuriant, établi sur une toponymie traditionnelle. Il ne comporte pas non plus ces quelques touches de réel apportées par des toponymes réalistes qui donnent corps aux aventures décrites. Placer au centre de l’intérêt l’initiation amoureuse du personnage plus encore que son apprentissage de la maîtrise des armes peut avoir modifié le fonctionnement du récit. Le sentiment de déréalisation qui se dégage à la lecture de ce roman naît en effet dès le prologue. Un long développement sur l’amour précède le récit à proprement parler.

Nombreux sont les romans qui présentent un discours allégorique en prélude à la narration3 mais ces passages demeurent assez courts et les allégories convoquées, distribuant éloges et blâmes aux temps passés et présents sont d’un emploi topique. Le propos allégorique qui débute Cristal et Clarie diffère de ces prologues en ce qu’il se déploie sur plus de quatre cents vers et fait entendre un discours qui, s’il reste convenu, est rédigé à la première personne et se concentre non sur les maux d’une époque ou sur la nostalgie d’un passé mais sur l’amour exclusivement. Ayant écarté d’emblée les valeurs chevaleresques qui se trouvent ailleurs convoquées dès le prologue sous la forme de noms abstraits4, le roman se tourne vers un sentiment unique et personnel, sans ancrer son propos dans le discours collectif et les idéaux

1 Busby Keith, « Cristal et Clarie : a Novel Romance ? », art. cit. p. 99-100.

2 Ajoutons, comme le remarquent l’éditeur du roman et Géraldine Toniutti (voir Pour une poétique de l’implicitation…, op. cit.), les nombreuses « implicitations » du roman qui paraît chercher à s’approprier, sans utiliser pourtant aucun marqueur identifiable tel que le nom propre, la matière arthurienne. Plusieurs romans de Chrétien de Troyes, tels que le Chevalier au Lion ou Érec et Énide sont copiés à la lettre et intégrés au texte qui, pas le nombre et la taille de ses emprunts, ne semble être qu’un tissage de morceaux choisis.

3 Pour ce qui est de notre corpus, Melyador, Claris et Laris ou encore Floriant et Florete se livrent tous trois à l’exercice (voir p. 56 sqq.).

4 Honneur et Prouesse sont parmi les plus fréquents.

181 sociaux du Moyen Âge. Là se trouve un premier écart, qui déplace subtilement le point de vue adopté habituellement par le roman de chevalerie.

En outre, succède à ce prologue déjà abstrait un rêve qui donne naissance à la quête principale du roman1. Le départ en quête ne s’appuie donc pas sur l’obligation morale de secourir une demoiselle ou de venir en aide à un chevalier. Il ne se fonde pas non plus sur la venue d’un étranger à la cour : la motivation du roman reste intérieure, née dans l’esprit du personnage. La dynamique entière du roman en semble bouleversée. La quête décrite est avant tout la poursuite d’un rêve et la tentative de l’élucider. Les pensées du héros2, livrées lors de son cheminement entre deux épreuves, allant d’une obsession absurde à la révélation du sentiment amoureux, constituent déjà une progression narrative, peut-être même la seule ou du moins la plus importante du roman. Cristal est parfait en tout point dès le début du récit.

Les péripéties et les combats ne constituent dès lors que des passages obligés, des motifs attendus du lecteur mais ils ne constituent pas l’enjeu de la quête. Le cheminement du héros, toujours voué à la réflexion sur l’amour et aux désordres qu’il provoque, toujours tendu vers Clarie, représente la finalité principale du récit. Les repères spatiaux, au même titre que certaines aventures creuses et convenues, perdent de leur utilité dans la mesure où le processus qui retient l’intérêt se fait au sein de la conscience.

Si elle peut sembler le signe d’une usure ou d’une transgression du modèle courtois3, la carence du texte en toponymes peut aussi bien manifester le déplacement d’un centre d’intérêt. Le récit, maintenant en apparence la forme d’un roman chevaleresque nourri de tradition, puise aussi son énergie à d’autres sources4 et n’investit pas complètement le modèle sur lequel il se construit. S’ouvrant sur un discours subjectif où s’élabore un « je » sentimental, fondé sur une expérience onirique, le roman s’émancipe de codes qu’il ne reprend que partiellement. La succession des aventures vécues par Cristal, pour un lecteur imprégné des romans de Chrétien de Troyes comme des romans postérieurs, peut paraître une

1 Voir Mireille Demaules, La Corne et l’Ivoire, Étude sur le récit de rêve dans la littérature romanesque des XIIe et XIIIe siècles, Paris, Champion, « Nouvelle Bibliothèque du Moyen Âge », 2010, p. 217 sqq.

2 Elles prennent souvent la forme de monologues dans lesquels le personnage s’interroge sur les sentiments qu’il sent se développer en lui.

3 On ne se donne plus la peine de nommer et de distinguer des lieux topiques presque interchangeables et un peu

3 On ne se donne plus la peine de nommer et de distinguer des lieux topiques presque interchangeables et un peu

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