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L'ÉTRANGE MONSIEUR STEVE -

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Academic year: 2022

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L'ÉTRANGE

MONSIEUR STEVE -

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DU MÊME AUTEUR

Aux Éditions de la Pensée Moderne : CALIBRE 475 EXPRESS (50e mille).

Chez d'autres éditeurs :

LATITUDE ZÉRO (adaptation cinématographique).

DEUX VISAS POUR L'ENFER.

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M A R C E L - G . P R Ê T R E

L'ÉTRANGE

MONSIEUR STEVE

ROMAN

ÉDITIONS DE LA PENSÉE MODERNE PARIS

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Un film, produit par la firme Pécéfilms, a été tiré de ce roman, sous le titre : L'Etrange monsieur Steve.

Les principaux interprètes étaient : MME Jeanne MOREAU

MME Anouk FERJAC M. Philippe LEMAIRE M. Armand MESTRAL

Droits de reproduction réservés pour tous pays, y compris l'U.R.S.S.

@ 1957 by Editions de la Pensée Moderne, Paris.

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I

Cela faisait deux ans que je travaillais à la London Co Ltd, succursale de l'avenue des Ternes. Excellente maison où l'on pouvait honnêtement se la couler douce avec le minimum d'ennuis. Aussi je ne pensais pas à la quitter avant l'âge de la retraite, encore bien lointain.

J'étais aux «Coupons M, c'est vous dire si j'avais des loisirs : j'aurais pu concourir pour le Prix de la plus Belle Cocotte en papier, j'étais le gagnant haut la main.

J'avais vingt-huit ans et les paraissais à peine. Et mon existence était des plus simples. Depuis la mort de ma mère, je vivais seul dans notre petit apparte- ment ; j'en avais seulement liquidé le mobilier par trop vieillot, que trop de souvenirs imprégnaient pour mon goût, et tout remplacé par du moderne, de chez Lévitan. J'avais fait changer le papier, et le petit logis de mon enfance était devenu quelque chose de tout à fait nouveau où je ne craignais plus de me cogner à toutes les arêtes vives du passé.

A la. London, à deux travées de mon guichet, une fille timide noircissait de chiffres des rames de papier.

Comme elle avait une allure agréable, un gentil sourire

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et paraissait ne pas attendre de la vie plus qu'une femme raisonnable ne peut lui demander, je m'étais mis vaguement en tête de l'épouser un jour. Sans fatuité, je savais que mon heure serait la sienne : j'ai une figure qui plaît aux femmes, et ce genre « petit Français honnête et coquin » — vous voyez ce que je veux dire — qui les ravit. Au surplus, je m'efforçais de paraître ce que j'étais tout naturellement alors, un garçon affable, aimant rire, et galant à l'occasion.

Elle s'appelait Mireille : ça fait bien un peu calen- drier des Postes, d'autant qu'elle était brune et qu'elle adorait le rouge. Mais je l'imaginais très bien chez moi

— chez nous — avec un séchoir à linge dans la cuisine et des restes de viande bien en ordre dans le frigo.

Les choses étaient toutes simples : nous continuerions de travailler à la Banque, chacun à son ratelier. On mettrait des sous de côté, juste de quoi nous offrir un gosse, et ce serait une douce petite vie sans histoire, meublée de plaisirs sains et de bonheurs simples, une 4 CV, un poste de télévision, de temps en temps une soirée chez des amis, le cinéma ; bref, je voyais par avance mon avenir tout tracé sans avoir besoin d'aller consulter les cartomanciennes. Il était écrit bien lisi- blement tout autour de moi, sur les colonnes Moriss et les plans du métro, sur les places et les avenues, et dans ce ciel de Paris que traversent sans trêve des nuages délicats qui ne doivent jamais aller plus loin que Montrouge ou Aubervilliers.

Et j'aimais déjà ce destin rose-bonbon. je l'aimais

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parce que j étais exactement fait à sa mesure. Parce que depuis des années, des années ou des siècles, des générations de Villard avaient sans le savoir préparé cette parcelle de vie, ce moi d'aujourd'hui dans l'in- concevable éternité des temps... Un destin ne tient pas dans un jour, ni dans une vie, c'est en regardant loin derrière soi qu'on comprend ce qu'il est.

De temps à autre, j'attendais Mireille, en bas. je dis en bas, parce que tous nos bureaux étaient à l'étage, au 3e, ce qui est plutôt rare pour une banque.

Mais notre succursale était une petite agence à qui suffisait ce vaste étage dans un immeuble cossu, avec ascenseur pour nous seuls.

Parfois j'offrais l'apéritif à ma camarade, ou bien je l'accompagnais jusque chez elle, dans l'île Saint-Louis.

je la laissais à la pointe de l'île, à cet endroit un peu romantique qui ressemble (c'est les poètes qui le disent) à la proue d'une caravelle, au cœur même de la France. Quand j'évoque Mireille, je nous revois tou- jours, marchant par les rues froides de l'hiver. Sous les branches dénudées, nous échangions quelques bai- sers furtifs. Ses lèvres avaient un goût de neige, et sa petite frimousse gelée faisait sur ma joue une caresse glacée qui fondait vite en tiédeur tendre.

je n'avais jamais parlé mariage, mais pour une brave fille comme elle, la chose ne faisait pas un pli et elle attendait, sans impatience je crois, que je donne à nos relations une orientation plus précise.

Oui, tout allait bien pour moi.

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Tous les matins, quittant mon logis de la rue Marguerite, j'allais prendre mon petit déjeuner dans un Tabac des Ternes. « Salut, monsieur Georges ! » me disait familièrement le garçon, tout comme le patron, du reste. J'étais un ami.

Au fond du café, étroit et long, on avait installé un billard électrique et, comme nombre de petits employés, j'usais à ce jeu bruyant mes quelques minu- tes de battement entre mon café-crème et mon entrée au bureau. Et c'est autour de ce stupide appareil que je fis la connaissance de Steve, c'est-à-dire de l'homme qui allait faire de moi ce que je suis devenu.

La première fois où je le vis, un matin, il était adossé près du billard, l'air un peu méprisant, avec tout au fond du regard quelque chose d'attentif, presque d'amical. Il semblait jeune, malgré quelques cheveux grisonnants. Il portait avec élégance un complet bleu marine bien coupé et cossu, une cravate verte sur une chemise blanche, et tout cela s'harmonisait fort bien. Un chapeau mou charmant, un peu incliné sur l'oreille, renforçait agréablement son air insolent et sûr de soi.

Il venait d'actionner l'appareil lorsque je me suis approché. J'engageai ma piécette dans la fente et tirai le déclencheur. Les billes partirent dans un joyeux tapage. je poussai le levier de commande afin d'en

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lancer une, je tirai, et elle escalada d'un trait la pente luisante pour déboucher sur le plateau hérissé d'obsta- cles lumineux. Les trente-six sonneries de l'appareil se mirent à carillonner follement les unes après les autres. Mes billes paraissaient obéir non au hasard, mais à une sorte de volonté attentive qui les faisait se déplacer adroitement à travers toutes les embûches du jeu. Et mes gains s'enregistraient au cadran à une cadence vertigineuse. Je crois aujourd'hui que cet espèce de feu d'artifice symbolisait assez bien ce qui devait m'arriver. En effet, ces chiffres fulgurants devant mes yeux éblouis, c'est assez bien l'image de mes relations avec Steve.

Les billes suivantes n'enregistrèrent pas de gains aussi brillants, mais l'avance prise par la première fut largement suffisante pour me faire gagner la partie.

J'ai souvent pensé, même avant de connaître Steve, que ces billards électriques sont un peu à l'image du destin : ce qu'ils nous permettent, c'est une continuité, on ne se bat en somme avec ces billes de fer que pour avoir le droit de poursuivre le jeu. Steve avait fait un pas.

— Bravo ! fit-il. Vous manœuvrez cette mécanique de main de maître. Moi, je ne suis pas fichu d'en tirer rien.

je souris pour le remercier de son compliment. Nous sommes tous vaniteux, et même lorsque c'est le hasard qui travaille pour nous, nous sommes sottement ravis comme si nous le devions à notre seul mérite.

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je jouai donc la partie gratuite que j'avais gagnée, sous le regard aigu de mon compagnon d'un instant.

Mais sa présence me gênait et je n'apportais plus au jeu cette âpre allégresse qui doit encourager le sort. je perdis cette seconde partie.

— Le type qui a inventé ça n'était pas un idiot, conclut mon camarade de jeu, comme pour me consoler.

— J'ai comme l'idée que c'était un tourmenté ! lui répondis-je en riant. Vous ne croyez pas ?

Nous échangeâmes encore quelques réflexions de ce calibre sur les vertus du billard électrique, mais un coup d'œil à ma montre mit brusquement fin à ces considérations transcendantes : j'avais tout juste le temps de trotter jusqu'à ma Banque.

Saluant hâtivement mon supporter d'un instant, je réglai mon petit déjeuner en vitesse, sans plus penser à Steve. Au moment où je passais le seuil du bistrot, il démarrait doucement au volant d'une Porsche. Mais je ne m'attardai point, car il ne s'agissait pas d'arriver en retard à mon business, et, trop près de ma Banque pour emprunter un bus, je m'élançai à toute allure vers l'avenue des Ternes.

C'est bien ma veine : le feu rouge s'inscrivait au signal lumineux juste au moment où j'allais traverser.

Furieux, je m'immobilisai, mais m'entendis héler : * c'était mon type en bleu marine, stoppé lui aussi au carrefour, et qui me faisait signe. je m'approchai de

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sa voiture basse, rangée le long du trottoir, et il passa la tête à la portière :

— Vous êtes bien pressé ! Puis-je vous rapprocher de quelque part ?

— Merci, mais cela dépend de votre itinéraire...

— je vais Porte Maillot.

— Epatant ! Ça colle, je vais avenue des Ternes.

Sans un mot, il ouvrit la portière, et je m'engouffrai dans sa voiture.

— Encore merci, lui dis-je, c'est trop gentil de votre part ; sans vous je risquais d'être en retard, ce qui ne m'est jamais arrivé, mais je serais désolé d'être indis- cret.

Il esquissa un petit geste de chasse-mouches pour balayer mes scrupules. En trois minutes, j'étais devant la London.

— J'espère bien, dis-je en le saluant, avoir le plaisir de vous offrir l'apéritif un de ces jours...

— Et pourquoi pas ? fit-il cordialement. Alors, à bientôt...

je regardai disparaître sa belle petite voiture grise, puis m'enfilai gaillardement sous le porche. je n'avais jamais roulé dans une voiture sport, et bien que nous n'ayons fait que quelques centaines de mètres, j'étais un peu étourdi.

Toute la matinée, à mon guichet, je sentis cette luxueuse odeur de cuir et de mécanique bien huilée.

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II

je revis Steve dès le lendemain à midi, dans le même Tabac, et comme convenu je lui offris l'apéritif. Il me rendit la politesse, et c'est alors qu'il m'apprit son nom. Par la suite, il me dit qu'il était dans les affaires, et en garçon bien élevé, je n'eus pas la curiosité de lui demander lesquelles.

C'était un homme déroutant, mais agréable. Ce qui frappait surtout chez lui, c'étaient ses yeux : tout ce qu'on pouvait dire d'eux, c'est qu'ils étaient clairs, car leur couleur changeait sans cesse. Quand il les posait sur vous comme pour vous examiner, ils devenaient d'un bleu intense, mais presque inexpressif. A d'au- tres moments, quand il semblait s'abîmer dans de mystérieuses réflexions, ils étaient d'un bleu délayé.

En somme, ils reflétaient tous les sentiments sans jamais en laisser deviner aucun. Bref, Steve n'était pas un type ordinaire. Sans cesse, il semblait absorbé — par quoi? Parfois son visage frémissait imperceptiblement comme au souffle d'une crainte vague, et il sursautait pour des riens. Enfin, il m'impressionnait, d'abord parce que je le sentais riche, mais surtout parce que je

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le devinais étonnamment intellligent. Il comprenait tout, très vite, si vite que lorsque vous lui parliez il savait ce que vous alliez dire avant que vous ne ter- miniez votre phrase, et semblait s'en désintéresser.

Drôle de garçon !

je n'arrivais pas à lui donner d'âge. La quarantaine peut-être, peut-être beaucoup plus, peut-être moins...

Nous nous revîmes plusieurs jours de suite, et cela devint vite une habitude. Un soir, il me dit que sa femme était en voyage, et me demanda de dîner avec lui, au restaurant. Il me conduisit chez Lasserre, et je fus bien malheureux pendant tout le repas : la plupart des convives étaient en smoking (comme les maîtres d'hôtel !), et j'avais à tout bout de champ une peur affreuse de commettre des bévues. Tandis que Steve, lui, ça se voyait à sa parfaite aisance, avait une magni- fique habitude de ce genre d'endroits. Et je remarquai que cette aisance était faite, à la manière de certains étrangers distingués et désoeuvrés, de nonchalance et de dédain. Les femmes le regardaient beaucoup.

Son invitation, qui m'avait un peu étourdi, au fond m'ennuyait, car j'avais la certitude désagréable de ne pouvoir naturellement la lui rendre, mes moyens se situant bien en deça du homard flambé et des per- dreaux aux choux. M'eussent-ils permis ces fastes gastronomiques, que je n'aurais su où l'emmener ni comment composer un menu, ni comment parler au maître d'hôtel.

Après le dîner, excellent bien sûr, nous finîmes la

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soirée dans une boîte chic des Champs-Elysées où plu- sieurs personnes le saluèrent amicalement au passage : à n'en pas douter, Steve était quelqu'un de très bien, et il fallait que je lui sois rudement sympathique pour qu'il trouve quelque agrément à me faire faire la tournée des grands-ducs.

Tout de même, cette sympathie m'étonnait, et je n'arrivais pas à me l'expliquer à moi-même. Steve n'était certainement pas de mœurs équivoques ; il suf- fisait pour en être sûr de voir quel regard appuyé et connaisseur il braquait sur les jolies filles. En affaires, je ne pouvais lui être d'aucune ressource. je conclus de mes réflexions qu'il menait en dandy une existence futile et blasée, et qu'il trouvait amusante ou repo- sante, pour un temps, la fréquentation d'un bon petit bougre dans mon genre. Ça le changeait du grand monde. — Franchement, qu'auriez-vous pensé à ma place ?

Ce fut au cours de la semaine suivante que la chose arriva. Très exactement un jeudi soir, après mon travail.

Depuis plus d'une semaine — depuis le jour du billard électrique — je ne raccompagnais plus Mireille à la sortie des bureaux. je trouvais plus agréables, je l'avoue, mes rencontres avec Steve. Mireille, elle, était inamovible, j'étais sûr de la retrouver quand je vou- drais, tandis que mon nouvel ami avait l'attrait du provisoire et de l'incertain qui me faisait tout lâcher pour lui.

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Nous étions donc, ce soir-là, à la terrasse d'une bras- serie, quand deux personnages indéfinissables s'appro- chèrent de nous, sans hâte : vêtus d'imperméables, encore que le temps ne fût manifestement pas à la pluie, coiffés de feutres fatigués, aux bords à demi rabattus, ils s'immobilisèrent placidement devant notre table, fixant Steve avec une insistance et un sans-gêne surprenants.

Paraissant aussi intrigué que je l'étais moi-même, il leva sur ces visiteurs insolites un regard innocent.

— Que signifie... ? s'inquiéta-t-il sèchement.

L'un des hommes s'assit sans façon à notre table, sur le coin d'une chaise, simplement pour être à notre hauteur et pouvoir parler plus commodément. Le dia- logue entre Steve et lui fut d'ailleurs aussi court que discret.

— Vous êtes bien Steve, Albert Steve ?

— Oui. Et alors ?

— Alors, pas d'histoire. Police !

Et il plaça discrètement sous le nez de Steve une plaque que depuis un moment il devait tenir dans le creux de la main. Steve y jeta un regard discret et comme indifférent, haussa les épaules et soupira.

— Villard, me dit-il très posément, je vais être obligé de vous fausser compagnie plus tôt que d'habi- tude.

Un des policiers se penchait pour saisir l'avant-bras de Steve. Ce dernier se dégagea, sans brusquerie, d'un geste lent mais plein d'autorité.

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— Ah ! non, je vous en prie..., murmura-t-il.

J'étais médusé. je doutais de ce que je voyais et qui me parut un rêve effarant. Steve arrêté ! Cet homme en qui j'avais mis peu à peu une telle confiance, irrai- sonnée certes, mais spontanée ! Cet inconnu dont je sentais à quel point il me dominait déjà !...

— Ecoute, reprit le policier, on n'aime pas faire le cirque, et si tu te tiens pépère, on ne te passera pas les menottes. Tu saisis ?

— Merci pour tant de prévenance, sourit Steve.

— Tâche de ne pas jouer au mariole, l'avertit l'autre. On y va ? Bon. Tu te mets entre nous deux, et on s'en va tous les trois en petits pères tranquilles jusqu'à la traction qui attend là-bas, tu vois ? D'accord ?

— Entendu. Comptez sur ma docilité.

— Ça va, maintenant boucle-la, tu parleras plus tard, l'occasion ne te manquera pas. Allons-y !

— Un instant, le stoppa calmement Steve, avec un demi-sourire.

Et sans attendre l'acquiescement des policiers, il sortit son portefeuille d'où il retira la carte grise de sa voiture, qu'il me tendit, avec les clefs.

— Ne faites pas cette tête-là, Villard ! Il s'agit d'un simple malentendu...

— Tu parles ! goguenarda celui des deux flics qui était resté debout près de notre table.

Les consommateurs, même les plus proches, ne paraissaient s'être aperçus de rien. Tout demeurait extraordinairement calme autour de nous, j'étais appa-

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remment le seul témoin du drame. S'adressant toujours à moi, Steve poursuivait paisiblement :

— Je vais vous demander un grand service, bien entendu avec la permission de ces Messieurs : ce serait d'aller prévenir ma femme de ce qui se passe. Vous lui remettrez aussi ma carte grise et les clefs en lui expliquant où la voiture est stationnée, pour qu'elle vienne la reprendre... Vous voulez bien ?

Mon « oui » eut de la peine à sortir. C'était un

« oui » misérable, mal dit, le « oui » d'un homme qui vient de recevoir un immeuble sur le coin du crâne et à qui l'on demande s'il a mal.

Mais Steve, me tendant sa main ferme aux ongles bien taillés, sourit :

— A très bientôt, Villard.

Et voilà. Il s'était placé entre les deux hommes qui l'emmenaient, et tous trois s'éloignèrent sans préci- pitation, comme de braves gens qui discutent... Je les vis descendre du trottoir, où une marchande de billets de la Loterie Nationale promettait la fortune aux passants.

Quand ils eurent disparu, je sentis couler en moi comme une espèce de froid paralysant. J'étais assommé par ce que je venais de vivre. Ah ! pour une aventure, c'en était une !

Bien sûr, Steve m'avait toujours fait l'effet d'un homme pas comme les autres. Mais de là à imaginer...

Eh bien, oui! c'était un repris de justice, un malfai-

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teur, je ne sais quoi, qu'on arrêtait tout bêtement comme la dernière des crapules...

Avec des gestes de somnambule, je réglai nos consommations et me levai sans finir mon verre. J'au- rais laissé sur le guéridon la carte grise et les clefs de l'auto, si le garçon, en me rendant la monnaie, ne m'y avait pas rendu attentif ; j'allais oublier dans mon désarroi le service que venait de me demander Steve, mais je n'eus pas, je dois le dire, un moment d'hési- tation. Il ne m'avait pas donné son adresse, mais elle figurait sur la carte grise : 16, boulevard Gouvion- Saint-Cyr... C'était à deux pas, et je m'y rendis à pied, comme poussé par une sorte de force fébrile.

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III

Immeuble luxueux, grandes baies vitrées, porte cochère monumentale. En franchissant le hall, tapissé de rouge 'et décoré de hautes plantes vertes, je me sentais flageoler sur mes jambes. Au fond, on distin- guait une cour intérieure avec pelouses, grands arbres, vasques et statues.

Au concierge solennel qui, devant ma timidité, s'était froidement enquis du but de mon intrusion, j'expliquai que j'étais porteur d'un message urgent pour madame Steve.

— Au troisième, daigna-t-il m'indiquer, en me dési- gnant l'ascenseur.

Ce qui me flatta : il ne m'avait pas pris pour un four- nisseur ; mais après coup, j'ai supposé que je devais cette manière d'égard, étant donné ma mise bien modeste à ses yeux, à mon air godiche et un peu hagard...

La cabine de l'ascenseur était large comme ma salle à manger et très luxueuse. J'évitai de me regarder dans les glaces qui la garnissaient, tant mon image m'appa- raissait falote au milieu de tant d'opulence. Même là,

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