128 | La Lettre du Pneumologue •
Vol. XIX - n° 3 - mai-juin 2016ONCO-PNEUMOLOGIE
© La Lettre du Cancérologue 2015;
XXIV(10):508-13.
La maladie métastatique et 5 nouveaux défis
en cancérologie
Metastatic disease: five new challenges
F. Goldwasser*
* Service d’oncologie médicale, groupement hospitalier Cochin-Port- Royal, Paris ; faculté de médecine Paris Descartes ; unité Inserm 1016, institut Cochin, Paris.
L a prise en charge du patient atteint d’une maladie cancéreuse métastatique est bouleversée par de multiples et profonds changements. Le progrès médical se manifeste princi palement en cancérologie par une augmen- tation spectaculaire du nombre de patients pouvant vivre avec un cancer métastatique, sans perspective de guérison mais avec la possibilité d’une survie longue et longtemps de bonne qualité.
Les changements à considérer découlent de la possi- bilité de disposer de traitements systémiques suscep- tibles de prolonger la vie avec la maladie métastatique dans des proportions nouvelles. L’énoncé binaire de l’objectif thérapeutique, curatif ou palliatif, est dépassé, et l’aptitude du cancérologue à le traduire dans sa communication indique à quel point il s’ap- proprie cette évidence : un troisième objectif émerge, la durée de vie de qualité, objectif composite, abou- tissant à “vivre avec” le cancer, ce qui suppose à la fois deuil de la guérison et éloignement de la menace du décès. Pourtant, aujourd’hui, près de 80 % des patients atteints d’un cancer du poumon métastatique ne sont pas informés que l’objectif du soin n’est pas la guérison (Velter et al., travaux soumis).
La vie des patients atteints d’un cancer pulmonaire non à petites cellules avec mutation de l’EGFR, d’un cancer de la prostate résistant à la castration ou d’un cancer colorectal avec atteinte hépatique non rése- cable d’emblée, rejoint progressivement la situation des patientes atteintes d’un cancer du sein, quant à l’existence de plusieurs lignes de traitement systé- mique augmentant la vie en situation métastatique.
L’apparition d’une maladie cancéreuse chronique en situation de cancer avancé donne lieu à de nouvelles questions et de nouvelles stratégies. Ce champ, passionnant, est encore en construction, et cet article propose de souligner plusieurs défis nouveaux générés par l’augmentation de la durée de vie avec métastases.
Comment penser
la prise en charge globale, systématiquement,
et dans la durée
d’une maladie chronique ?
Les patients peuvent bénéficier de nouveaux trai- tements systémiques validés sur des cohortes de patients sélectionnés strictement, en particulier en ce qui concerne l’état clinique et les comorbidités.
Les cas de la “vraie vie” sont plus complexes, et l’effet des traitements antitumoraux est moins prévisible.
La consultation de cancérologie a été conçue pour être centrée sur l’évaluation de l’efficacité du trai- tement antitumoral et sa tolérance. L’augmen- tation actuelle et à venir du nombre de patients atteints de cancer ne présage pas de la possibilité de consultations plus longues et plus ouvertes à d’autres dimensions cliniques en routine. Le dispo- sitif d’annonce a permis d’envisager une évaluation systématique des besoins des patients, en consi- dérant un processus structuré, pluriprofessionnel, au-delà de la consultation du cancérologue : les apports de la psychologue, de la diététicienne et de l’assistante sociale permettent − étape 3 du dispositif d’annonce − l’accès aux soins de soutien. Souvent envisagés “en dérivation” (autre lieu, distinct du lieu de consultation et du lieu de traitement, et non situé entre les 2), et à la demande, ceux-ci gagnent à être pensés “en série” (sur le chemin ou sur le lieu du traitement) et systématiquement.
Un élément supplémentaire apparaît après l’évalua- tion des besoins : la nécessaire évaluation des risques.
Ceux-ci sont fortement sous-estimés en consulta-
tion de cancérologie, et peuvent difficilement être
évalués par le cancérologue. Nous avons rapporté
plusieurs exemples de situations justifiant d’ouvrir
La Lettre du Pneumologue •
Vol. XIX - n° 3 - mai-juin 2016| 129 à d’autres expertises l’évaluation préthérapeutique
(qui aboutit au “OK chimio”).
➤ Survenue d’une ischémie aiguë mésentérique chez un patient traité par sunitinib en première ligne pour un cancer du rein métastatique. Le cancéro- logue a appliqué la procédure normale pour la pres- cription, dans le cadre de l’AMM, mais n’a pas évalué la sévérité de l’athérome, et le sunitinib a provoqué la déstabilisation d’une plaque d’athérome située sur l’artère mésentérique supérieure (1). L’évaluation du lit artériel et des prescriptions cardiovasculaires à associer est nécessaire, mais n’est pas envisageable dans le cadre restreint de l’oncologie médicale.
➤ Survenue d’interactions médicamenteuses annulant l’efficacité et générant des toxicités, sous inhibiteurs de tyrosine kinase (ITK) [2, 3]. Ces inter- actions peuvent, pour certaines, être détectées par une analyse de base de données, qui suppose du temps – mais elles ne le sont pas toutes. L’apport du pharmacien, pour des patients dont beaucoup prennent jusqu’à 10 médicaments indispensables, est important. Nous avons ainsi observé un arrêt respiratoire puis cardiorespiratoire, réversible, chez une patiente traitée à long terme par paroxétine (molécule qui inhibe le CYP 2D6), débutant une chimiothérapie par des substrats du 3A4 (doxo- rubicine) et un inhibiteur du 3A4 (aprépitant), traitée pour des douleurs intenses par oxycodone par voie intraveineuse. L’oxycodone, normalement éliminée par les voies du CYP 2D6 ou du 3A4, s’est accumulée, du fait du double blocage (paroxétine + aprépitant).
➤ La surface corporelle et le poids sont inadaptés pour prédire l’exposition aux antitumoraux. Et que dire lorsque la dose est fixe et identique pour tous (ITK…) ? La masse maigre, l’âge, le rapport masse grasse/masse musculaire influencent considérable- ment l’exposition plasmatique et la toxicité (4, 5).
Le traitement antitumoral et la sécurisation du parcours de soins supposent une évaluation pluri- disciplinaire des risques plus “lente” (6) :
➤ avis pharmaceutique sur les risques d’interactions médicamenteuses, majeurs avec les thérapies orales ;
➤ avis gériatrique sur la vulnérabilité et la gestion de l’intercure d’une personne fragile ;
➤ évaluation de l’état nutritionnel, qui a une valeur pronostique et prédictive pour la toxicité ;
➤ avis de spécialistes médicaux concernant des comorbidités fréquentes en cancérologie et d’appari- tion souvent antérieure au cancer (diabète, maladies cardiovasculaires, obésité) ;
➤ avis de l’équipe de médecine palliative concer- nant la souffrance du patient, ses volontés anticipées ou des symptômes de contrôle difficile.
L’ensemble de ces risques retentit sur la sécurité de la prescription des antitumoraux. Envisager séparé- ment leur évaluation, ou la réaliser à la demande, ou au cours du traitement, conduirait à une prise en charge morcelée pour le patient, un manque de synthèse et d’efficacité pour le cancérologue.
C’est pourquoi l’ensemble de ces experts ont la même revendication : pouvoir intervenir tôt.
Un des défis que doit relever chaque équipe de cancéro logie est donc de penser l’organisation nouvelle requise pour faciliter l’intervention rapide des expertises nécessaires. C’est l’esprit du programme ARIANE, de l’hôpital Cochin. Tout comme pour le dispositif d’annonce, l’évaluation des risques se fait “en série” et non “en dérivation”
(en adressant le patient à différentes personnes) : le patient ne quitte pas une chambre d’hôpital de jour, et les experts requis pour l’évaluation des risques se succèdent à son chevet, avant une synthèse permettant la prescription définitive du traitement antitumoral envisagé.
Mais, dès lors que les traitements sont prolongés, la question de l’analyse des risques ne se réduit pas à la situation initiale : la question des conditions du suivi et de la sécurisation du parcours de soins se pose.
Des initiatives de suivi à distance par télé médecine, par outils nomades, par objets connectés, se multi- plient et devraient sans doute, après évaluation, déboucher sur des changements de pratiques dans le suivi à distance des patients traités à long terme (7).
Comment intégrer
les nouvelles thérapeutiques dans la vraie vie ?
Des médicaments qui inhibent une anomalie molé- culaire précise étant disponibles, il est tentant de les proposer à des patients dont la maladie tumorale compétences en pharmacologie, immunologie, génétique. Les progrès de la chirurgie, de la radiologie inter- ventionnelle et, surtout, de la radiothérapie sont aussi décisifs que l’apparition des nouveaux médicaments.
Un nouveau mariage des thérapies systémiques et locales se dessine, offrant de nouvelles stratégies et déjà illustré par l’organisation de pluridisciplinarités par site métastatique.
Traitements
Summary
Metastatic cancer, most often considered to be incurable and to progress toward a fatal outcome, is a dreaded diagnosis. But its clinical management is undergoing fundamental changes. Rela- tion to time changes with the possibility of chronicity in the advanced stage of the disease, requiring that cancerology brings together all the medical fields kept separate until then.
The recent quickening of transfer from biology to clinical care of new cancer treatment drugs requires new know-how in pharmacology, immunology, genetics. Progress in surgery, in interventional radiology and, above all, in radiotherapy has been just as crucial as the deve- lopment of new drugs. New ways of combining systemic and local therapies are being introduced; they provide new strategies, already apparent in the organisation of pluridiscipli- nary approaches to every site of metastasis.
Keywords
Metastatic
Challenge
Treatments
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Vol. XIX - n° 3 - mai-juin 2016La maladie métastatique et 5 nouveaux défis en cancérologie
ONCO-PNEUMOLOGIE
présente cette anomalie. Mais la transposition du caractère létal du blocage de cette anomalie en dehors du contexte moléculaire de la maladie initia- lement étudiée est hasardeux, et donc non efficient.
Les programmes nationaux, comme l’Acsé, sont une solution intéressante pour accumuler et partager rapidement des connaissances et améliorer notre interprétation de la signification de ces anomalies chez un patient donné. Des réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP) intégrant un cancérologue biologiste pour interpréter les résultats deviennent nécessaires. Le biologiste expert en génétique soma- tique des tumeurs devient aussi indispensable au cancérologue pour interpréter un profil mutationnel que le bactériologue et son antibiogramme, guidant l’infectiologue ou le réanimateur. La France a une enviable diffusion des plateformes d’analyse molé- culaire des tumeurs sur son territoire ; le nouveau défi est désormais que le prescripteur puisse être accompagné à bon escient dans l’interprétation des résultats et la juste prescription.
À côté de ce changement lié à la caractérisation moléculaire de cibles thérapeutiques, le cancéro- logue doit prendre la mesure de la situation, sans précédent, des conditions de la prescription du médicament. Par logique commerciale, les indus- triels ne mettent à disposition qu’un seul dosage pour certains médicaments oraux. Cette logique du “one fits all” n’est malheureusement ni scienti- fique ni rationnelle. La variabilité interindividuelle de l’expo sition réelle au produit absorbé est telle que la même prescription conduit, chez les uns, à l’absence complète d’exposition au principe actif et, chez les autres, à un niveau d’exposition menaçant la vie (1, 2, 6, 8-10). Le cancérologue doit donc envi- sager les prescriptions de traitements systémiques en prenant la mesure de l’incertitude des effets induits.
Par exemple, l’âge, la masse maigre, la masse mus- culaire influencent fortement l’exposition (8-10).
Autre élément de pharmacovigilance élémentaire : combien de temps peut-on utiliser des médicaments en l’absence de données sur leur toxicité cumulative et à long, voire très long, terme ? Un exemple est l’usage des bisphosphonates injectables contre les métastases osseuses de cancer, proposés “jusqu’à progression ou événement osseux”, ce qui peut prendre des années, tandis que le risque d’ostéo- nécrose ou d’insuffisance rénale est influencé par la durée d’exposition. La transposition des données de l’essai clinique à la maladie métastatique à long terme exige une certaine prudence. De même, l’administration à très long terme des “thérapies ciblées” qui se révèlent en fait associées à des toxi-
cités bien réelles, en particulier à long terme (11), musculaires (12) et artérielles (13), impose de bien peser le rapport bénéfice/risque du traitement.
Comment considérer l’enjeu nutritionnel et musculaire ?
La maladie cancéreuse métastatique est principa- lement perçue en clinique en tant que proliféra- tion tumorale multifocale, incontrôlée, pouvant générer une défaillance d’organe par envahissement.
L’augmentation de la survie observée avec les trai- tements systémiques antitumoraux valide en partie cette représentation, mais en révèle également les limites : dans la grande majorité des cas, le traite- ment n’est pas curatif et, par son mécanisme d’ac- tion même, qui comprend une dépense d’énergie chimio-induite, il accélère la fatigue, la dénutrition, la fonte musculaire, la précachexie, puis la cachexie, et, finalement, peut précipiter une cause de décès concurrente du syndrome tumoral. La chimiothérapie chez le patient d’indice de performance (PS) supé- rieur à 2 doit donc être pesée à l’aune de ce risque d’effet délétère, largement sous-estimé.
La dénutrition apparaît comme un facteur pronos- tique en soi (14-16), aussi important que la clas- sification TNM (16). C’est également un facteur prédictif de morbimortalité iatrogène, de toxicité des antitumoraux. Le suivi de l’état nutritionnel est donc à hisser au même niveau de vigilance et de rigueur que le suivi du syndrome tumoral par la clinique et l’imagerie.
La masse musculaire et sa fonction ont également
une valeur pronostique et prédictive de la toxicité
des antitumoraux (4, 6, 8, 17-19). Ceux-ci détériorent
l’état nutritionnel et précipitent la sarcopénie. Gérer
la maladie métastatique, c’est donc aussi gérer un
équilibre vital entre croissance tumorale à maîtriser
et états nutritionnel et musculaire à préserver. L’éva-
luation clinique, aidée par des moyens paracliniques
simples, est importante. Des recherches cliniques
se développent pour améliorer l’état nutritionnel
et musculaire. Dans cette optique, l’intérêt de la
diététique et de l’activité physique ressurgit, et
plusieurs essais internationaux évaluent l’effet de
l’activité physique pour agir efficacement sur cet
axe du soin. Le programme EQUILIBRE, à l’hôpital
Cochin, développe l’activité physique aérobie et
contre résistance, supervisée et individuelle, et
aboutit à 2 essais cliniques randomisés évaluant
cette approche, l’un en situation adjuvante, l’autre
sous inhibiteurs de tyrosine kinase.
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Vol. XIX - n° 3 - mai-juin 2016Comment définir
la stratégie thérapeutique au‑delà des preuves ?
Une des dimensions nouvelles de l’allongement de la vie en situation métastatique est l’apparition de nouvelles situations cliniques qui n’existaient pas lorsque le patient décédait plus tôt. Ainsi, l’arrivée des anti-HER2 a transformé le pronostic de l’atteinte hépatique des cancers du sein HER2+ et fait émerger la menace de l’atteinte cérébroméningée.
De même, dans les cancers de la prostate résistant à la castration, des cas de méningite carcinomateuse s’observent, qui n’étaient pas envisageables lorsque les patients décédaient plus tôt d’un envahissement médullaire sur atteinte osseuse diffuse.
Les RCP en situation métastatique avancée sont très différentes de celles faites lors du diagnostic d’un cancer, car, souvent, il n’existe plus de notion de preuve. La médecine fondée sur les preuves concerne un segment de plus en plus restreint de la vie du patient atteint d’un cancer métastatique, car il survit de plus en plus souvent au-delà de 2 lignes de traite- ment. Plus généralement, le clinicien est confronté de plus en plus fréquemment à l’épuisement des options fondées sur des preuves, tandis que le patient conserve un bon état général. Dans ce cas, de plus en plus fréquent, la décision thérapeutique peut reposer sur 3 types d’arguments :
➤ l’expérience clinique, qui a ses limites, la mémoire tendant à retenir les excellents résultats et les résul- tats catastrophiques ;
➤ la biologie tumorale, mais il ne faut pas oublier qu’on ne peut pas transposer la réalité d’un modèle tumoral à un autre ;
➤ le rapport bénéfice clinique au cas par cas de l’outil thérapeutique disponible.
Concernant ce dernier, on voit ainsi se discuter des possibilités d’irradiation en situation métastatique, alternatives à un acte chirurgical, et qui n’auraient pas pu être envisagées avant les nouvelles techniques de radiothérapie, en particulier par l’utilisation crois- sante du CyberKnife®.
Le traitement préventif et local d’un site méta- statique, ou visant la rémission de ce site, devient un objectif thérapeutique en addition au contrôle systémique de la maladie. Cela rend nécessaire l’établissement de nouveaux critères de jugement de l’efficacité des traitements : temps jusqu’à événement osseux (20, 21), survie sans défaillance hépatique (22-25), décès de cause cérébrale ou extracérébrale, etc.
Ainsi, alors que la situation métastatique avancée pouvait conduire auparavant à une attrition de la pluridisciplinarité renvoyant l’oncologue médical à gérer seul chimiothérapie ou soins palliatifs, une pluridisciplinarité nouvelle en situation méta- statique avancée devient essentielle pour discuter des questions suivantes :
➤ Quelle est la menace vitale prédominante ? Syndrome tumoral diffus ou sur un site métastatique principal ? Cachexie ?
➤ Le contrôle de la maladie tumorale doit-il reposer sur une nouvelle ligne de traitement systémique ? Seul ? Avec quel type de traitement local de méta- stases ?
➤ Si le syndrome tumoral est au second plan par rapport à la dénutrition, l’interruption de la chimio- thérapie, le soutien nutritionnel et l’activité mus- culaire sont-ils préférables ?
L’évolution de la maladie métastatique est poly- morphe. Diffuse et rapide, elle exige en premier lieu un traitement systémique efficace. Mais, lentement évolutive, ou évoluant par poussées, elle pose la question des stratégies de prévention régionale et de traitement régional d’un site métastatique envahi.
Cela est très bien illustré dans le cas des métastases osseuses, pour lesquelles des pluridisciplinarités spécifiques se sont progressivement construites.
Le même phénomène s’observe pour les autres sites métastatiques, en particulier le foie, le cerveau et les poumons. Le raisonnement nécessite alors d’inté- grer des paramètres d’histoire naturelle et de regard systémique, ce qui relève de l’oncologue médical, et des paramètres d’analyse de l’envahissement régional pour lesquels le chirurgien, le spécialiste d’organe, le radiologue et le radiothérapeute sont essentiels.
Les algorithmes décisionnels qui interrogeaient la place respective de la chirurgie de l’organe envahi et du traitement systémique sont transformés par l’apparition de techniques beaucoup moins invasives et remarquablement efficaces, dont l’analyse des résultats devient une priorité : CyberKnife
®, destruc- tion par radiofréquence, etc.
La recherche clinique a donc de nouveaux champs
devant elle, mais ne pourra pas tester toutes les
possibilités. Il est par conséquent sûrement néces-
saire d’encourager la création de bases de données
de suivi de cohortes en situation métastatique pour
augmenter nos connaissances dans ces situations
empiriques et apprendre aussi des conséquences
de nos décisions. Le raisonnement “maladie systé-
mique-traitement systémique” est dépassé par un
nouveau mariage des possibles. La décision théra-
peutique suit de nouveaux algorithmes : la médecine
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La maladie métastatique et 5 nouveaux défis en cancérologie ONCO-PNEUMOLOGIE
fondée sur les preuves concerne un segment de vie avec maladie métastatique de plus en plus court.
Parallèlement, l’importance de l’expérience clinique face à la complexité individuelle et l’intégration d’une biologie tumorale individualisée incitent à des propositions thérapeutiques presque illimitées mais dont l’argumentation doit être pluridisciplinaire et exigeante.
Comment accompagner le nouveau patient atteint de cancer métastatique ?
Tandis que l’expertise technique du clinicien se complexifie et évolue très vite, tant sur le versant biologique que thérapeutique, il demeure tout autant sollicité pour offrir une médecine capable d’appré- hender avec humanité et empathie la personne atteinte d’un cancer et sa famille, dans leur globalité.
Les patients réclament un meilleur accès à l’informa- tion et le partage des décisions. Cela rend caduque notre fonctionnement habituel : faire une proposi- tion, puis obtenir le recueil du consentement éclairé du patient pour cette proposition, puis la mettre en œuvre. Il s’agit d’une conception très minimaliste de l’éthique, qui n’offre au patient que la possibi- lité de consentir ou non. La nouvelle ère qui s’ouvre, illustrée par la récente loi Claeys-Leonetti, inverse le paradigme. Il ne s’agit pas seulement que le patient consente au traitement proposé par le médecin. Il s’agit qu’il puisse exprimer sa volonté, au travers d’une discussion anticipée, et que le médecin aménage son action et sa proposition d’action en intégrant ce cadre de volonté. Cela implique d’ouvrir la place à un nouveau type de consultation, peu habituel en France, banal au Benelux ou dans les pays anglo- saxons. Le médecin informe avec plus de sincérité et moins de paternalisme sur la nature de la maladie, son potentiel évolutif, ses complications éventuelles et ouvre la discussion sur la conduite à tenir en cas de complication et les limitations à envisager pour prévenir une obstination déraisonnable. Il est probable que cette communication − sensible et déli- cate, mais faisable (26) sans désespérer ni affoler −, doive s’envisager, comme le dispositif d’annonce pour le diagnostic, davantage comme un processus en plusieurs étapes par lequel on se donne du temps que comme une consultation dense et une fuite en avant. Elle exigera une formation, un apprentissage, une appropriation par les médecins, qui prendront de nombreuses années. La compétence hippocra-
tique d’appréhension et d’accompagnement de la
souffrance humaine est théoriquement attendue
de tout médecin et forme, en pratique, l’expertise
spécifique et de recours des cliniciens de médecine
palliative (27). Offrir une prise en charge holistique
est un indispensable complément à la médecine balis-
tique du cancérologue dont l’expertise prend la direc-
tion du zoom moléculaire et exige en complément
le travelling arrière lent et approfondi de l’écoute
de la situation singulière d’une personne et de ses
volontés et attentes. L’expertise palliative a d’abord
été éprouvée et restreinte à la fin de vie (“end-of-life
care”). De même, l’oncologue médical fut initialement
relégué à la maladie avancée, et a mis du temps à
convaincre ses interlocuteurs chirurgiens de l’intérêt
de son intégration précoce, pour envisager des stra-
tégies multidisciplinaires (néo- adjuvant, adjuvant)
et non pas être appelé a posteriori et trop tard par
le chirurgien après l’opération. Fort cet historique,
les oncologues médicaux sont donc bien placés pour
comprendre ce que vivent leurs collègues de médecine
palliative et les aider à intervenir tôt dans une prise
en charge multimodale de la maladie métastatique
(car, ici, ce sont les oncologues médicaux qui sont
dans le rôle du chirurgien). En effet, plusieurs essais
thérapeutiques randomisés montrent l’importance
de l’introduction précoce de l’équipe de soins pallia-
tifs (“early palliative care”) et l’intérêt de construire
ensemble le parcours de soins et le suivi plutôt que
de fonctionner de manière cloisonnée ou succes-
sive (28, 29). Un oncologue médical se doit d’être
d’une rigueur scientifique, y compris dans ce contexte
pour lequel le niveau de preuve est désormais
maximal. Cela suppose d’expliquer la démarche en
cessant d’associer palliation et fin de vie. Il s’agit,
également, de ne pas confondre soins de soutien et
soins palliatifs précoces. Les soins de soutien reposent
sur des expertises paramédicales coordonnées par le
cancérologue. Les soins palliatifs précoces supposent
d’intégrer une seconde expertise médicale, complé-
mentaire de celle de l’oncologue. Il faut donc que
l’oncologue ait l’humilité de considérer qu’il n’est
pas l’expert de cette dimension et qu’il puisse donner
une place aux collègues de médecine palliative,
précocement. C’est faisable (26, 30). Le contexte
de la loi Claeys-Léonetti y encourage, en imposant
les discussions anticipées. Partant du constat actuel
que, en France, 80 % des patients atteints d’un cancer
métastatique ignorent que l’objectif du traitement
n’est pas curatif, ces discussions devront comporter
une évolution culturelle considérable pour définir
l’objectif thérapeutique systématiquement, pouvoir
ouvrir sur le pronostic, sans désespérer, et échanger
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Vol. XIX - n° 3 - mai-juin 2016L’équipe Edimark vous souhaite un été d’évasion et de respiration…
Nous nous réjouissons de vous retrouver dès la rentrée pour de nouvelles pages à partager.
L’équipe Edimark vous souhaite un été d’évasion et de respiration…
Nous nous réjouissons de vous retrouver dès la rentrée pour de nouvelles pages à partager.
Belles lectures ! Claudie Damour-Terrasson Directrice des publications
autour des limites souhaitées par la personne malade quant à l’intensité des traitements. Ces questions gagnent clairement, pour le patient et l’éthique du soin, à quitter le cadre de la fin de vie pour être systé- matiques et précoces ; elles exigeront une approche plurielle et une ouverture de l’oncologue médical vers ses collègues de médecine palliative afin de permettre des discussions en RCP dédiée et le partage des déci- sions (31-34), aboutissant à un meilleur parcours de soins (28, 29, 34).
Conclusion
La maladie métastatique est en plein bouleverse- ment. D’abord induit par des gains successifs de
durée de vie par addition de traitements systé- miques, les résultats s’amplifient avec des stratégies de résection secondaire de métastases ou d’irra- diation de sites métastatiques. Ces gains quantita- tifs nous obligent à l’ouverture pour appréhender la complexité du patient atteint de comorbidités, et aussi pour développer une médecine holistique.
De multiples dialogues nouveaux s’imposent et se modifient : nouvelles RCP médicochirurgicales en situation métastatique ; nouveaux intervenants, avec l’apparition de l’expert en génétique somatique des tumeurs, pour guider la prescription, des experts des différents champs de comorbidité, et de l’expert en médecine palliative. Toute la cancérologie en est ainsi transformée, et fait évoluer en profondeur l’organi- sation du soin et la relation médecin-malade. ■ F. Goldwasser déclare
ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet article.
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