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NOTE D’ANALYSE

23 avril 2020

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Regards croisés

Droit de la responsabilité médicale/Droit des données personnelles

« DataJust », erreur temporelle ou acte manqué ?

E n pleine gestion de la crise sanitaire sans précédent que nous traversons, le ministère de la Justice a décidé d’adopter un décret le 27 mars dernier (décret n°2020-356) portant création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « DataJust », relatif à l’indemnisation des dommages corporels.

Ce traitement automatisé aurait plusieurs finalités justifiant le développement d’un algorithme des- tiné à permettre (i) l’évaluation rétrospective et prospective des politiques publiques en matière de responsabilité civile et administrative, (ii) l’élabora- tion d’un référentiel indicatif d’indemnisation des préjudices corporels, (iii) l’information des parties et l’aide à l’évaluation du montant de l’indemnisa- tion à laquelle les demandeurs peuvent prétendre afin de favoriser un règlement amiable des litiges, ainsi que (iv) l’information ou la documentation des juges appelés à statuer sur des demandes d’indem- nisation des préjudices corporels.

Dès la publication de ce décret, plusieurs voix se sont élevées pour en critiquer tant le contenu que la date retenue pour sa publication par la Chancel- lerie. Face aux menaces de saisine du Conseil d’État sur la légalité du texte, la ministre de la Justice a qualifié la date de publication du décret « d’erreur temporelle ». Au-delà de cette polémique, il reste que ce décret soulève plusieurs questions relatives à l’utilisation des données collectées à la lumière du Règlement (UE) 2016/679 du Parlement euro- péen et du Conseil du 27 avril 2016 (« RGPD »), mais

également relatives aux véritables finalités recher- chées par la Chancellerie sur la question de l’éva- luation des préjudices corporels, dernier maillon du projet de réforme de la responsabilité civile.

1. Sur la conformité de l’outil « DataJust » au RGPD

Le nouvel outil « DataJust » étant un traitement au- tomatisé de données à caractère personnel, il est de ce fait soumis aux règles du RGPD.

La CNIL a d’ailleurs été saisie par la ministre de la Justice, le 7 novembre 2019, d’une demande d’avis concernant le projet de décret « DataJust » et a pu- blié, le 9 janvier 2020, une délibération n° 2020- 002 où elle a notamment émis plusieurs recom- mandations quant à la mise en place de cet outil.

L’élaboration de l’outil « DataJust » se déroule en plusieurs étapes, dont la première consiste en une Analyse rédigée par Armand Aviges, associé Droit de la santé – responsabilité produits/IP, Jean-Guy de Ruffray, associé IP & Digital, en collaboration avec Diane Courtier,

avocat Droit de la santé-responsabilité produits, et Elsa Chetrit, avocat IP & Digital

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extraction de données à partir des décisions d’ap- pel relatives à l’indemnisation des préjudices cor- porels rendues ces trois dernières années, et pré- sentes dans les bases de données de la Cour de cassation (JuriCA) et du Conseil d’État (Ariane). Les autres étapes consistent, sur la base des données extraites, à développer un algorithme destiné à permettre l’évaluation rétrospective des préjudices corporels et à élaborer un référentiel indicatif d’in- demnisation de ces préjudices.

• Sur les données collectées

L’extraction de données concerne, outre les infor- mations relatives à la personne physique men- tionnée dans les décisions (noms, prénoms, date de naissance, lieu de résidence, etc.), des données relatives à la santé, considérées comme sensibles au sens de l’article 9 du RGPD.

Les données de santé visées dans le décret sont

« 3° les données et informations relatives aux préju- dices subis » ainsi que « 5° Les avis des médecins et experts ayant examiné la victime (…) ». Or, l’article 9 du RGPD dispose qu’il est interdit de recueillir et d’utiliser de telles données, sauf exceptions, no- tamment « si leur utilisation est justifiée par l’intérêt public et autorisé par la CNIL ». Il faut également préciser que le décret prévoit la collecte de don- nées relatives à des infractions et des condamna- tions pénales.

Dans sa délibération, la CNIL a rappelé le carac- tère particulièrement sensible des informations susceptibles d’être traitées mais n’a émis aucune objection quant à la collecte de telles données.

La CNIL a considéré que « les données traitées sont adéquates, pertinentes et non excessives au regard des finalités poursuivies ».

La Commission s’interrogeait toutefois sur la né- cessité de prévoir un encadrement législatif spé- cifique qui répondrait notamment aux dispositions

2 prévues à l’article 23 du RGPD, et qui pourrait être inclus dans la réforme de la responsabilité civile.

• Sur la pseudonymisation

L’article 2 du décret « DataJust » prévoit que : « Les noms et prénoms des personnes physiques parties aux instances concernées sont occultés préalablement à leur transmission au secrétariat général du ministère de la Justice ».

À ce titre, le ministère de la Justice s’engage, dans un délai d’un an suivant la fin de la phase de déve- loppement, à transmettre un bilan à la CNIL com- portant notamment « la description des processus de pseudonymisation supplémentaires qui seront appli- qués ».

Reste à savoir si la pseudonymisation ne concerne que les parties aux litiges ou s’étend également aux professions juridiques (magistrats, avocats, Eex- perts judiciaires), aux médecins visés dans les do- cuments de santé ainsi qu’aux victimes indirectes.

Le décret « DataJust », ainsi que la délibération de la CNIL précitée, ne nous donnent aucun élément de réponse. Ce point devra être abordé tôt ou tard pour que le secret médical soit suffisamment encadré.

• Sur les destinataires

Compte tenu de la sensibilité des données person- nelles susceptibles d’être enregistrées dans le trai- tement, l’open data a été exclu.

Le Décret prévoit que seules deux catégories de professions pourront avoir accès à ces informations :

« 1° Les agents du ministère de la Justice affectés au service chargé des développements informatiques du secrétariat général du ministère de la Justice, indivi- duellement désignés par le secrétaire général ;

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2° Les agents du bureau du droit des obligations in-

dividuellement désignés par le directeur des affaires civiles et du sceau ».

La CNIL souhaitait, au terme de la phase de déve- loppement de l’algorithme, que soit élaborée une politique d’habilitation afin que chaque catégorie de destinataire puisse n’avoir accès qu’aux données le concernant. Du côté du demandeur, une interface lui permettra probablement d’avoir accès aux mon- tants de la réparation alloués en fonction de son dommage.

blement d’avoir accès aux montants de la répara- tion alloués en fonction de son dommage.

Concernant les magistrats, avocats, assureurs et fonds d’indemnisation, aucun des textes précités ne nous permet pour le moment de savoir quelles informations seront communiquées à chacune des parties et le support de diffusion de ces informa- tions.

• Sur l’exercice des droits

Le décret indique, en son article 6, que les droits d’information et d’opposition prévus dans le RGPD ne trouveront pas à s’appliquer au titre du traite- ment, compte tenu du fait que ces droits nécessitent

« des efforts disproportionnés » pour la fourniture de ces informations et pour l’objectif d’intérêt public général d’accessibilité.

Les droits d’accès, de rectification et de limitation pourront toutefois s’exercer auprès du ministre de la Justice, dans les conditions prévues aux articles dédiés dans le RGPD.

La CNIL précisait également dans sa délibération que « pour les personnes parties au litige dont l’iden- tité a été pseudonymisée avant la transmission de la décision au ministère, l’exercice des droits ne pourra se faire que par la communication, par la personne concernée, du numéro de la décision dont elle a fait l’objet ».

L’exercice des droits est donc fortement amoindri, étant donné que seuls l’exercice des droits d’infor- mation et d’opposition aurait pu avoir un véritable intérêt pour la personne concernée par la décision.

Ainsi, la personne concernée par le jugement ne sera pas prévenue que ladite décision qui la men- tionne fera partie du traitement et ne pourra s’op- poser à ce traitement auprès du ministère de la Justice.

Elle pourra toutefois obtenir la référence de la dé- cision et demander, en cas d’erreurs matérielles de la décision, la rectification de celle-ci. En pratique, on peut s’attendre à ce que peu de gens exercent de tels droits.

Il sera intéressant de suivre la mise en œuvre pra- tique de tous ces principes, en particulier une fois que l’interface de consultation de cette base de données aura été développée.

2. Sur l’élaboration de l’algorithme et les finalités inavouées

L’évaluation des dommages corporels donne régu- lièrement lieu à des recherches afin d’appréhender les éléments permettant de replacer le deman- deur dans sa situation initiale, c’est-à-dire dans la situation où elle se trouvait avant la réalisation de l’acte dommageable. Le principe de cette ré- paration « intégrale » des préjudices, qui trouve son origine dans la loi du talion, impose une éva- luation au cas par cas des dommages présentés.

La recherche d’une harmonisation des pratiques et des méthodes d’évaluation est une préoccupa- tion constante des instances qui ont à connaitre de ces questions. C’est ainsi qu’au cours des 30 dernières années, une nomenclature a été mise au point, suivie par des référentiels et différents barèmes, notamment développés et fréquemment

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4 mis à jour par des juridictions et des instances qui

ont à connaître de l’indemnisation des préjudices corporels. Si ces éléments donnent une impression, pour les non-initiés, de mécanismes complexes et inégalitaires, ils sont en réalité l’expression de l’office du Juge qui recherche l’indemnisation adéquate à chaque cas particulier. L’idée du Gou- vernement est donc, sous couvert des nouvelles technologies, des algorithmes, de l’intelligence artificielle et du fantasme de la justice « prédic- tive », de concevoir un barème unique, afin d’ôter tout intérêt à un débat judiciaire sur la question de l’évaluation des dommages corporels. La mé- thode retenue démontre à cet égard la nouvelle tendance visant à définir les normes, qui ne se- raient plus issues de réflexions générales sur les principes devant régir l’évaluation des préjudices, mais qui sembleraient plutôt résulter de la pra- tique et des décisions de justice, considérant donc que l’accumulation de cas particuliers serait plus pertinente que l’application d’un principe général.

Cette tendance risque à terme de transformer si- lencieusement notre système juridique de « civil law » en consacrant un système de « case law ».

• Sur la méthode

Le décret précise que « l’algorithme recense les mon- tants demandés et offerts par les parties, les évalua- tions proposées dans le cadre de procédures de règle- ment amiable des litiges et les montant alloués aux victimes pour chaque type de préjudice ». S’il est clair que l’un des objectifs recherchés par la création de ce référentiel est l’uniformisation des décisions en matière de réparation des préjudices corporels, le référentiel d’indemnisation sera le résultat d’une moyenne de ces montants, de sorte que selon les orientations qui seront données à l’algorithme (évi- dements non décrits dans le décret), le référentiel qui en sera issu pourrait avoir de fortes répercus- sions sur les montants alloués aux demandeurs, calculés par l’algorithme. A cet égard, il n’est pas exclu qu’in fine les montants retenus soient plus

faibles que ceux issus des différents barèmes. Il faudra attendre les résultats de l’algorithme pour vérifier ce point.

La CNIL, dans sa délibération du 9 janvier dernier, a précisé que les données qui seront analysées pro- viendront des décisions d’appel (ordre judiciaire et administratif confondus) relatives à l’indemnisation des préjudices corporels rendues ces trois dernières années, et présentes dans les bases de données de la Cour de cassation (JuriCA) et du Conseil d’État (Ariane). Il est également prévu, durant la phase de développement de l’algorithme, d’intégrer, à une fréquence trimestrielle, les nouvelles décisions rendues par ces juridictions d’appel.

La Chancellerie a donc fait le choix de ne pas utili- ser les barèmes développés par les juridictions du premier degré et des instances qui ont à connaitre de l’indemnisation de dommages corporels, mais uniquement d’utiliser les décisions d’appels. En choisissant d’extraire des informations uniquement issues de décisions rendues par les juridictions du second degré, les analyses et le référentiel qui en seront issus seront nécessairement privé d’un ni- veau d’information important, étant entendu que les juges de première instance rendent souvent les décisions les plus précises, incluant des calculs dé- taillés permettant de comprendre le cheminement qui a permis aux juges de parvenir aux montant des indemnisations qu’ils ont retenus.

En outre, l’algorithme risque de figer les montants d’indemnisation dans le temps, en se cantonnant uniquement aux données analysées dans le cadre du développement de « DataJust » et en ne tenant pas compte de l’évolution des données et des dé- cisions, contrairement aux barèmes et référentiels actuels, lesquels sont fréquemment mis à jour en fonction de plusieurs indices.

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• Sur les finalités

Le décret précise qu’il existe quatre finalités au traitement des données, finalités qui peuvent, dans certains cas, paraitre contradictoires entre elles :

« L’élaboration d’un référentiel indicatif », puis

« L’information des parties et l’aide à l’évaluation du montant de l’indemnisation à laquelle les victimes peuvent prétendre » (laissant entendre que des li- mites seraient ainsi fixées), « L’information ou la documentation des juges appelés à statuer sur des demandes d’indemnisation des préjudices corporels » mais surtout « La réalisation d’évaluations rétrospec- tives et prospectives des politiques publiques en ma- tière de responsabilité civile ou administrative ».

Ainsi, « DataJust », a pour objectif de permettre

« l’information des parties et l’aide à l’évaluation du montant de l’indemnisation à laquelle les victimes peuvent prétendre afin de favoriser un règlement amiable des litiges » et de transmettre ces mêmes évaluations aux « Juges qui seraient appelés à sta- tuer sur de telles demandes ». L’outil vise donc à s’as- surer que le justiciable ne pourra pas obtenir, dans le cadre d’une procédure judiciaire ou amiable, une indemnisation différente de celle qui serait calcu- lée par l’algorithme, privant ainsi tout intérêt à la saisine du juge dont l’office serait alors limité au contentieux de la responsabilité. Or ce décret ne peut s’analyser sans prendre en considération le projet de réforme du droit de la responsabilité qui est à l’étude depuis plusieurs années à la Chan- cellerie et qui a été critiqué à plusieurs reprises.

En effet, cette réforme vise notamment à créer un droit à l’indemnisation systématique pesant sur la partie dont la responsabilité n’est pas prouvée mais dont l’implication dans la survenance du dommage ne peut être exclue. La charge de l’indemnisation repose également sur la partie impliquée la plus

solvable au choix du demandeur. Ainsi, l’élabora- tion de « DataJust » devrait achever la transforma- tion du droit de la responsabilité en une matière ne laissant plus la place à un débat contradic- toire, puisque tant le principe de la responsabilité, que le quantum de l’indemnisation devraient être « prédictibles », sans l’intervention d’un juge.

Ainsi, ces projets visent à modifier et simplifier à outrance les règles de droit applicables, en dépit des intérêts du justiciable, afin que la matière ju- ridique puisse être compatible avec l’intelligence artificielle et privant ainsi de tout intérêt la saisine d’un juge.

Dans sa délibération du 9 janvier dernier, la CNIL a pressenti la réelle finalité de « DataJust», en pré- cisant que « les finalités du traitement « DataJust » doivent permettre une meilleure administration de la justice et la mise à disposition des justiciables d’un outil leur permettant d’effectuer des choix de manière plus éclairée quant à la pertinence ou non d’engager un contentieux ou d’accepter ou non les offres d’indemnisation proposées par les assureurs ».

Reste à savoir si une meilleure administration de la justice consiste à limiter autant que faire se peut l’intérêt de saisir la justice.

Il convient aussi de s’interroger sur les raisons qui ont conduit le Gouvernement à publier ce décret et qui résident peut-être dans la première finalité, à savoir « la réalisation d’évaluations rétrospectives et prospectives des politiques publiques en matière de responsabilité civile ou administrative », à l’heure où plusieurs justiciables ont d’ores-et-déjà décidé de rechercher la responsabilité du Gouvernement dans le cadre de la gestion de cette crise sanitaire et que le Gouvernement a certainement besoin d’évaluer, en terme indemnitaire, les risques pris.

CONTACTS

aaviges@altanalaw.com • jgderuffray@altanalaw.com

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