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La légalité lorsque l'Etat agit par des moyens de droit privé

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La légalité lorsque l'Etat agit par des moyens de droit privé

BELLANGER, François

BELLANGER, François. La légalité lorsque l'Etat agit par des moyens de droit privé. In: Morand, Charles-Aubert. La légalité : un principe à géométrie variable . Bâle : Helbing &

Lichtenhahn, 1992. p. 67-90

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:41971

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LA LEGALITE LORSQUE L'ETAT AGIT PAR DES MOYENS DE DROIT PRIVE*

par

François BELLANGER

INTRODUCTION

Le droit public régit normalement toute l'activité étatique. Il pose les bases de l'existence de l'Etat et détermine ses tâches ainsi que les moyens de les mener (FLEINER-GERSTER 1980 : 159 ss; GRISEL 1984 : 114 ss ; GYGI 1986 : 33 ; KNAPP 1988 : n°• 90 ss ; RHINOW 1985b: 320 ss). Il fixe en particulier les règles applicables aux prin- cipaux modes d'action de l'Etat comme, par exemple, la décision!. Le principe de la légalité s'impose aux autorités, qui doivent toujours le respecter et agir dans l'intérêt public (FLEINER-GERSTER 1980 : 43;

KNAPP 1988 : n° 71).

Toutefois, le droit public ne parvient pas toujours à répondre aux besoins de l'Etat. Selon la nature de ses tâches, une autorité peut devoir recourir à des techniques différentes. Elle peut alors utiliser des moyens de droit privé en lieu et place des outils traditionnels que lui confère le droit public (HANGARTNER 1982 : 49; MANFRINI 1982 : 357 ss;

MOOR 1988 : 122). Le choix de ces instruments relève de l'appréciation de l'opportunité par l'Etat. Souvent, il les trouve plus appropriés pour atteindre le but poursuivi ; parfois, il est simplement forcé de les utiliser, car il ne dispose pas d'un équivalent en droit public. Ainsi, l'Etat qui

* Etat au 1er juin 1990.

Ainsi, par exemple, les règles de procédure des articles 7 ss de la loi fédérale du 20 décembre 1968 sur la procédure administrative (RS 172.021, ci-après PA), applicables à la prise de décision par une autorité au sens de l'article 1 alinéa 2 PA sur la base du droit public fédéral.

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souhaite se financer sur le marché des capitaux recourra à des instruments de droit privé, en lançant un emprunt straight, voire même à option2. La notion d'emprunt convertible ne rentre pas dans le champ du droit administratif qui ne dispose pas des éléments nécessaires pour répondre aux exigences juridiques d'une telle opération. En revanche, cette forme est courante en droit privé qui en appréhende les différents aspects.

Face à l'utilisation d'instruments de droit privé par l'Etat, se pose le problème du respect de la légalité. En effet, les limites posées à l'action de l'Etat hors de son domaine traditionnel restent très floues. L'absence d'un cadre juridique clair peut inciter l'Etat à utiliser le droit privé pour contourner les barrières du droit public. La doctrine s'est inquiétée d'une éventuelle "fuite vers le droit privé"J des autorités qui empêcherait l'application des procédures classiques du droit administratif destinées à assurer la légalité et la protection des droits des administrés (voir par exemple FLEINER-GERSTER 1980 : 43; MOOR 1988 : 122). Elle a élaboré deux théories, "l'acte détachable" et le "droit administratif privé", qui devraient permettre de contrôler l'activité de l'Etat par des moyens de droit privé. Toutefois, elles n'ont pas rencontré le succès souhaité.

Après avoir présenté ces deux théories, au regard de la doctrine et de la jurisprudence, nous les critiquerons et nous essayerons de poser les jalons d'une nouvelle approche de l'utilisation du droit privé par l'Etat. A cet effet, nous allons déterminer la fonction des instruments de droit privé utilisés par une autorité. Selon celle-ci, nous examinerons la portée du principe de légalité pour ces instruments ainsi que les modalités de contrôle du respect de ce principe.

2 Le canton de Berne a lancé en mai 1990, avec une banque étrangère comme chef de file, un emprunt sous fonne d'obligations assorties d'un certificat d'option. Dix des certificats peuvent être échangés à des conditions déterminées contre une action nominative Sandoz, quatre nominatives Ciba-Geigy et six bons de jouissance Roche.

3 Selon la formule de FLEINER in: lnstitutionen des Deutschen Venvaltungsrechts, ge éd., Tübingen 1928: 326.

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1. L'ACTE DETACHABLE

A. La doctrine

La théorie de l'acte détachable, appelée aussi "Zweistufen Theorie'', est principalement d'inspiration française (AUBY 1984 vol. II: 141 ss;

DE LAUBADERE 1983 : 981, 1037 ss; DE LAUBADERE 1988:

575 ss, 591 ss; RIVERO 1987: 291 ; VEDEL 1990 vol. Il: 250 ss).

Elle n'a reçu qu'un accueil limité dans la doctrine suisse qui la considère de manière assez critique (EICHENBERGER 1985 : 80 ss ; GYGI 1986: 220; KNAPP 1988: n°• 97 et 879 ss; MOOR 1988 : 123; MÜLLER P.R. 1970 : 65 ss; MÜLLER G. 1988 : n° 28 ; RHINOW 1985b : 298 ss).

Cette théorie décompose la démarche de l'autorité qui conclut un contrat de droit privé ou public, afin de "détacher" un acte qui puisse faire ensuite l'objet d'un recours. Elle revient à donner une existence indépendante à certains actes, comme une autorisation de conclure ou une approbation, qui jouent un rôle dans la formation du contrat. Cette approche implique qu'une autorité peut s'engager par un contrat uniquement sur la base d'un acte unilatéral de droit public qui doit respecter les règles de celui-ci. Cette décision doit précéder la conclusion du contrat et présente l'intérêt de pouvoir faire l'objet d'un recours dans le cadre du contentieux administratif (KNAPP 1988 : n° 97; MOOR 1988: 123; MÜLLER G. 1988 : n° 28 ; RHINOW 1985b: 314 ss). Par le biais de l'acte détachable, l'activité administrative en droit privé est soumise à un certain contrôle. Toutefois, l'invalidation de "l'acte détaché"

n'a pas d'effet au toma tique sur le contrat, il appartient aux parties à celui-ci de se prévaloir de l'annulation de la décision (VEDEL 1990 vol. II : 253).

La grande difficulté de cette théorie réside dans la définition de l'acte détachable (voir, par exemple, VEDEL 1990 vol. II: 254). A ce jour, ni la jurisprudence, ni la doctrine n'ont posé de critères clairs permettant d'affirmer l'existence d'un acte détachable dans un cas déterminé. La jurisprudence française a élaboré, quant à elle, deux méthodes, l'une subjective, l'autre objective.

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Selon le mode de détermination subjectif, le juge va se fonder sur la personne du requérant pour déterminer l'acte détachable: il va examiner si ce dernier pourrait obtenir satisfaction en attaquant l'acte litigieux par les voies normales en matière de contrat. Dans l'affirmative, il n'apparaît pas nécessaire de séparer un acte attaquable du contrat litigieux. Dans le cas contraire, le juge détache un acte pouvant être attaqué devant lui par le recourant. Ce sera notamment le cas lorsque le requérant ne dispose d'aucune voie de recours contre l'acte litigieux, par exemple s'il s'agit d'un contrat auquel il n'est pas partie (AUBY 1984 vol. II: 145 ss).

Selon le mode objectif, le caractère détachable de l'acte est affirmé de manière générale en fonction de l'acte litigieux et sans prendre en considération la position du recourant. Cette méthode, plus récente, prédomine l'approche subjective, même si elle n'a été appliquée par la jurisprudence que dans quelques domaines (AUBY 1984 vol. II : 149 ss). En matière de contrat, la jurisprudence a admis notamment que pouvaient toujours être détachés les actes qui précèdent la conclusion d'un contrat de droit privé ou public par l'administration, y compris le refus de passer un tel contrat (AUBY 1984 vol. II: 149, 155 ss).

B. La jurisprudenc~

Le Tribunal fédéral n'a jamais accepté expressément l'existence d'un acte détachable. Dans les trois arrêts généralement cités en rapport avec cette théorie, le Tribunal fédéral a seulement implicitement admis qu'un acte unilatéral a été (ATF 89 I 253, A/lgower; ATF 105 la 385, Jacot) ou aurait été conclu (ATF 106 la 65, Joseph Dumas) avant un contrat.

En 1963, dans la première affaire, le Tribunal fédéral a été saisi d'un recours contre un arrêté du Conseil d'Etat du canton de Bâle-Ville autorisant le Département des finances à accorder à une société privée un droit de superficie sur un bien-fonds appartenant à l'Etat ainsi qu'un arrêté approuvant la convention conclue par le Département avec la société (ATF 89 I 253, 255 ss, Allgower). Le Tribunal fédéral a estimé que les arrêtés constituaient des décisions, carle Conseil d'Etat a agi comme détenteur de la puissance publique et a habilité le Département à conclure un contrat. L'élément déterminant a été le fait que le Conseil

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d'Etat s'est abstenu de réserver l'approbation des contrats par le Grand Conseil. Ce faisant, il s'est prononcé sur la répartition des compétences entre les autorités du Canton et a accompli un acte de puissance publique.

En l'absence de problème de compétence, la situation aurait été différente car l'Etat aurait agi comme sujet de droit privé et il n'y aurait pas eu d'acte attaquable (ATF 89 I 253, 258 ss, Allgower).

Une situation analogue s'est produite dans la seconde affaire (ATF 105 la 385, 387 ss, Jacot). A nouveau, le Tribunal fédéral devait se prononcer sur un problème de compétence à l'occasion d'un recours en matière de référendum financier. La question portait sur la validité de la décision du Conseil d'Etat neuchâtelois d'acquérir un immeuble pour la somme de 4'500'000 francs. A la suite de cette décision, il avait acquis l'immeuble conformément aux règles du droit privé. Le Tribunal a estimé que la décision violait le principe de la séparation des pouvoirs car le Conseil d'Etat avait outrepassé ses compétences et il l'a annulée. Il s'est toutefois abstenu de tirer des conséquences de cette annulation quant à l'acte de vente, estimant qu'il appartenait au Conseil d'Etat de 1e faire (ATF 105 la 385, 390 ss, Jacot).

Enfin, dans le dernier cas, le Tribunal fédéral a repris le critère de l'mtervention de l'Etat comm~ détenteur de la puissance publique et non comme une personne privée. Son examen constituait le point central de l'arrêt dans lequel le Tribunal fédéral a estimé que le Département valaisan des Travaux publics avait refusé de rétrocéder une parcelle précédemment expropriée en tant que détenteur de la puissance publique (ATF 106 la 65, 69, Joseph Dumas). Sa décision de refus relevait par conséquent du droit public et excluait le transfert de la parcelle selon les formes du droit privé.

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En revanche, parallèlement à ces arrêts épars, le Tribunal fédéral a refusé dans une jurisprudence constante et nombreuse d'admettre l'existence d'un acte détachable en matière de soumissions. Selon lui, l'adjudication de travaux publics au terme d'une procédure de soumission ordonnée par le droit cantonal ;ne constitue pas une décision attaquable au moyen d'un recours de droit public (ATF 115 Ia 76, 78 ss, A. AG, B.

AG und C. AG et les arrêts çités ; cette jurisprudence a été largement critiquée par la doctrine, voir par exemple MANFRINI 1990 : 5 et les

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références citées). A l'inverse, en France, terre d'origine de la théorie de l'acte détachable, il est possible de recourir contre la décision attribuant à l'issue de la procédure le marché public (AUBY 1984 vol. II: 156;

DE LAUBADERE 1983: 1038 ss).

Dans aucun des trois premiers cas, le Tribunal fédéral n'a véri- tablement "détaché" un acte unilatéral d'un contrat afin de permettre aux parties ou à des tiers de recourir contre celui-ci. Il a simplement constaté l'existence d'un acte qu'il a qualifié de décision et qui pouvait faire l'objet d'un recours. Le critère utilisé par le Tribunal dans les trois arrêts était le fait que l'autorité avait agi comme détentrice de la puissance publique et non comme une personne privée lors de l'adoption de l'acte en cause.

Toutefois, dans les arrêts Allgower et Jacot, le Tribunal fédéral est arrivé à cette conclusion uniquement au motif que 1' exécutif avait violé les règles légales en matière de compétence. Il n'a pas examiné si l'exécutif avait agi comme une autorité accomplissant ses tâches étatiques et, en particulier, il ne s'est pas penché sur la question de savoir si les opérations en cause portaient sur le patrimoine financier ou administratif de l'Etat.

II. LE DROIT ADMINISTRATIF PRIVE

A. La doctrine

La seconde théorie fonde un corps intermédiaire de règles de droit, qualifié de "droit administratif privé". Inspirée de la doctrine allemande4, elle considère que certaines règles de droit public s'appliquent à une autorité qui agit en droit privé afin de réaliser directement une tâche publique (GRISEL 1984: 116 ss; MOOR 1988 : 122 ; EICHENBERGER 1985 : 79 ss ; RHINOW 1985 b : 299).

4 Voir par exemple ACHTERBERG 1986: 11 ss, 214 ss; ERICHSEN 1988 : 358 ss; FABER 1989: 46 ss; MAURER 1985: 342 ss.

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Selon cette théorie, l'Etat peut agir normalement comme une autorité appliquant du droit public. Il peut également se comporter comme une personne privée soumise uniquement aux règles du droit privé dans la mesure où il n'accomplit pas directement une tâche publique (EICHENBERGER 1985 : 80; GYGI 1986: 42). Ce sera notamment le cas pour les "Hilfsgeschiifte" (HANGARTNER 1982 : 49; IMBODEN 1958: 58a; IMBODEN 1976 : n° 2 p. 10; MÜLLER P.R. 1970 : 30 ss). Entre ces deux extrêmes se situe une zone grise où s'applique le droit administratif privé (EICHENBERGER 1985 : 80 ss). Il est cons- titué du droit privé sur lequel se greffent des normes importantes de droit public et, en particulier, les règles constitutionnelles (GRISEL 1984 : 116).

B. La jurisprudence

Le Tribunal fédéral s'est référé indirectement à la théorie du droit administratif privé à l'occasion du fameux arrêt des Sociétés fiduciaires en 1985 où il s'est prononcé sur la qualification juridique de la Con- vention de diligence 1977 /82 des banques à laquelle était partie la Banque nationale suisse. En effet, à la fin de l'arrêt, il a déclaré dans un obiter dictum que la Banque nationale "wo sie ais Aktiengesellschaft privat- rechtlich handelnd auftritt, an ihren offentlichen Auftrag im weitesten Sinne gebunden bleibt, was zur Folge, dass sie in ihren privatrechtlichen Aktivitiiten sinngemiiss die verfassungsmiissigen Grundrechte zu beachten hat. Sie darf auch ais Subjekt des Privatrechts insbesondere nicht rechts- ungleich oder willkürlich Rechte erteilen oder Pfiichten auferlegen"

(ATF 109 la 146, 155 Schweizerischer Treuhiinder-Verband)S.

Le Tribunal fédéral s'est arrêté à l'aspect de société anonyme de la Banque nationale, il n'a pas cherché la véritable nature juridique de la BNS. Or, derrière cette façade, la Banque nationale constitue en réalité

5 Cet arrêt a fait l'objet de plusieurs commentaires: MÜLLER G., in : Schweizerische Juristen-Zeitung, 1984/80: 349 ss; RHINOW 1985 a : 63;

RICHLI, in : Revue de la société des juristes bernois, 1985/121 : 428 ss.

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un établissement public6 investi de tâches étatiques7. Ainsi, lorsque le Tribunal fédéral relève que la Banque est liée par son mandat constitu- tionnel même lorsqu'elle agit comme sujet de droit privé, il appréhende en réalité une situation dans laquelle la Banque nationale agit comme un sujet de droit public, mais utilise des moyens de droit privé, plus adé- quats pour la conduite de sa politique.

Le Tribunal fédéral reconnaissait ainsi qu'une autorité puisse être liée par des règles de droit public alors qu'elle agit par des moyens de droit privés. Toutefois, il avançait prudemment en utilisant le terme

"sinngemass" pour marquer une certaine réserve. Le Tribunal fédéral a attendu un arrêt ultérieur, qui concernait cette fois une véritable entre- prise privée chargée d'une tâche publique, pour admettre expressément l'obligation imposée à une autorité de respecter les règles constitu- tionnelles lorsqu'elle accomplit une tâche publique (Arrêt Molki AG, ZB!

1987/88: 205, 208).

III. CRITIQUE DES DEUX THEORIES

Bien qu'intéressantes et offrant certains avantages, notamment en matière de contentieux pour l'acte détachable et de distinction entre les types d'activités étatiques pour le droit administratif privé, ces deux théories ne nous semblent pas entièrement satisfaisantes pour plusieurs motifs.

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8

Voir par exemple JUNOD 1988 : n° 28 ; KLEINER 1979 : 128; ATF 101 lb 337, Denner AG; ATF 105 lb 357, Crédit suisse et Texon.

Selon l'article 39 alinéa 3 de la Constitution fédérale du 29 mai 1874 (RS 101, ci- après Cst.), la Banque nationale "a pour tâche principale de servir en Suisse de régulateur du marché de l'argent, de faciliter les opérations de paiement et de pratiquer, dans les limites de la législation fédérale, une politique de crédit et une politique monétaire servant les intérêts généraux du pays" .. Çes activités constituent des tâches étatiques (JUNOD 1988 : nos 24 ss; SCHURMANN 1983: 301;

MERZ 1981 : 27).

Déjà en 1975, dans l'arrêt Pri Molk AG, le Tribunal fédéral avait jugé que l'Union suisse du commerce de fromage, société anonyme de droit privé chargée de tâches publiques, devait pratiquer une politique du libre accès et respecter l'égalité de traitement (ATF 101 lb 306, 309; pour un commentaire de cet arrêt, voir MANFRINI 1982: 371 ss et RHINOW 1985 b: 311).

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D'abord, la détermination des actes détaèhables cause souvent des problèmes assez considérables. Les deux méthodes posées par la doctrine française montrent les limites de cette théorie. 11 apparaît difficile de cerner les éléments qui permettent à un juge français d'examiner objectivement le caractère détachable d'un acte, il use de différents critères dont les contours sont difficiles à cerner (AUBY 1984 vol. II : 149). Cette approche floue rend difficile - voire impossible - la fixation de la frontière entre le premier niveau, d'ordre décisionnel, et le second niveau, de nature contractuelle.

De plus, le plus souvent, le choix d'un acte attaquable ne correspond pas à la réalité. D'une part, il n'existe pas toujours un acte qui soit détachable et, pour rendre possible le recours de tiers, le juge crée un acte fictif, en divisant artificiellement la relation juridique qui aboutit à la conclusion du contrat. D'autre part, à l'inverse, il apparaît parfaitement concevable que la relation juridique puisse être divisée en plusieurs actes distincts (voir par exemple MAURER 1985 : 344). Il est possible de distinguer la décision de l'autorité d'entrer en négociation avec le particulier, de mettre un tenue aux pourparlers, de rejeter ou d'accepter des propositions du futur cocontractant ou encore la participation éventuelle de tiers. Aucune de ces deux hypothèses n'est satisfaisante en raison du risque important de fausser la réalité juridique de l'action de l'Etat.

Dans le même sens, le fait que la jurisprudence française admette qu'un tiers puisse recourir contre l'acte détachable d'un contrat au motif que le contrat lui-même et non l'acte détachable viole une règle de droit (VEDEL 1990 vol. II : 255 ss) est révélateur du caractère souvent fictif de cette construction juridique. Plutôt que de détacher artificiellement un acte, il serait plus simple de permettre au tiers de recourir directement contre le contrat.

Enfin, les rapports entre l'acte détachable et le contrat apparaissent peu clairs. L'annulation du premier n'entraîne pas automatiquement celle du second (voir par exemple ATF 105 la 385, 391, Jacot), il appartient aux parties au contrat de faire valoir cet argument par la suite. Dès lors, il serait concevable qu'un tiers recoure contre un acte détachable et obtienne son annulation, mais que les parties au contrat s'abstiennent

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d'agir car le contrat leur convient en tout point. Dans ce cas, le contrat continuerait à exister et à déployer ses effets bien que l'acte sur lequel il se fonde ait été annulé. Ainsi, dans l'affaire Jacot, le Conseil d'Etat neuchâtelois a simplement revendu l'immeuble litigieux à la caisse de pension des fonctionnaires du canton, afin de sauvegarder les apparences.

La conséquence normale de l'annulation de la décision du Conseil d'Etat aurait dû être une annulation du contrat ou une action en rectification du registre foncier selon les articles 975 et suivants du code des obligations9, à l'occasion de laquelle la validité du contrat est examinée (STEINAUER 1985 : 245 ss). Mais, dans ces deux hypothèses, aucun tiers n'avait la qualité pour intenter une action.

Le concept de "droit administratif privé", lui, genere un doute important. Le fait d'affirmer l'existence d'une sorte de domaine intermédiaire où cohabitent des règles de droit privé et certaines normes particulièrement importantes de droit public, crée une situation floue.

Plusieurs questions se posent. En particulier, comment déterminer des règles de droit public si importantes qu'il faille les appliquer à certains contrats ? A qui devrait appartenir ce rôle, au juge, à la doctrine ou au législateur? Et finalement, ne risquerait-on pas d'aboutir à une situation où, selon le moyen de droit privé utilisé, les règles de droit public applicables varieraient? L'ensemble des cas formerait une jungle juridique difficilement explorable, qui serait une source d'insécurité, aussi bien pour les administrés que pour l'Etat.

De plus, les termes mêmes de "droit administratif privé" prêtent à confusion. La situation visée par cette théorie concerne les cas où l'administration agit par des instruments propres au droit privé. La nature de ce dernier ne change pas, la qualification d'un contrat ou les règles qui lui sont applicables restent identiques. La seule différence est qu'à l'ensemble des règles de droit privé normalement applicables s'ajoutent quelques dispositions de droit public. Une définition qui correspondrait plus aux relations entre ces normes serait celle de "droit privé spécial".

9 Loi fédérale du 30 mars 1911 complétant le code civil suisse (Livre cinquième:

Droit des obligations, RS 220).

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IV. UNE NOUVELLE APPROCHE DE L'UTILISATION DU DROIT PRIVE PAR UNE AUTORITE

A. Introduction

Les problèmes rencontrés par les deux théories que nous avons présentées résultent principalement de leur prémisse. Chacune part du principe que l'action de l'Etat se déroule dans le cadre du droit privé et qu'il faut, pour ce motif, assurer le respect de certaines règles fon- damentales de droit public. Dans un cas, ces règles régissent

indirectement le contrat de droit privé par le biais d'un acte unilatéral préalable. Dans l'autre, certaines normes s'appliquent directement à l'autorité qui conclut le contrat. A notre sens, la question doit être abordée sous un angle différent, qui exige une analyse préalable de la fonction des instruments de droit privé utilisés par l'Etat, notamment au regard du principe de la légalité. Selon la solution retenue, nous relèverons les conséquences en matière de contentieux.

B. La fonction des instruments de droit privé

1. Le droit privé comme moyen d'action de /'Etat ou comme organisateur des relations entre les particuliers

L'Etat recourt à des instruments de droit privé dans diverses hypo- thèses qui dépendent des buts qu'il poursuit. Ainsi, la situation diffère lorsque l'administration achète des fournitures de bureaux ou lorsqu'elle octroie une subvention à un particulier au moyen d'un contrat de droit privé. Dans le premier cas, l'Etat cherche uniquement à se procurer les fournitures nécessaires à l'accomplissement de ses tâches étatiques; dans le second, il réalise sa politique de subvention dans un secteur déterminé et le contrat de droit privé devient l'un de ses moyens d'action. L'Etat substitue le contrat aux formes usuelles du droit public pour des motifs d'opportunité.

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Le choix d'un moyen d'action de droit privé ne signifie pas que l'autorité se mue soudain en une quelconque persoIUle privée. D'une part, l'autorité poursuit toujours un intérêt public (FLEINER-GERSTER 1980: 43 ; IMBODEN 1976 n° 47 : 288), d'autre part, elle bénéficie forcément d'une position de supériorité par rapport aux administrés.

Même si l'Etat n'agit pas au moyen d'actes unilatéraux, il conserve le bénéfice de la puissance publique (EICHENBERGER 1985 : 80). Il se trouve dans une position de supériorité fondée sur des motifs de droit.

Imaginer qu'une autorité puisse traiter sur un pied d'égalité avec un particulier constitue une fiction dans la très grande majorité des cas. Une telle égalité n'existe même pas le plus souvent entre les personnes privées, même si la différence de position des parties résulte de circonstances de fait. Cette supériorité ne signifie pas pour autant que l'autorité ne puisse pas conclure un contrat de droit privé. Elle entraînera souvent des inégalités dans le contrat, mais inégalité ne signifie pas unilatéralité (DE LAUBADERE 1983 : 71).

L'Etat continue d'agir comme une autorité dans le cadre de ses tâches étatiques. Il remplit ses fonctions avec les outils les plus appropriés, soit en l'occurrence des contrats de droit privé, qui deviennent des moyens d'action de l'Etat au même titre que les décisions ou les plans. Ils permettent de réaliser une tâche étatique et ils correspondent à des besoins nouveaux de l'Etat, dus au développement de son activité (dans ce sens MOOR 1988 : 124 ss). L'instrument de droit privé s'intègre par conséquent dans le cadre général de droit public qui régit l'activité étatique.

En revanche, lorsque l'Etat se comporte comme n'importe quel particulier, notamment dans le cadre d'une activité industrielle et commerciale ou de la gestion de son patrimoine financier (IMBODEN 1976: n° 47 p. 287; GYGI 1986 : 227; KNAPP 1988: n°• 77 et 2891; KNAPP 1989: 473 ss)lO, même s'il poursuit toujours un intérêt public, il sort du cadre de ses tâches étatiques. Dans ces cas, l'activité de l'Etat doit être traitée comme celle d'un particulier, elle se situe 10 On peut également se référer à la jurisprudence du Tribunal fédéral relative à la

qualité pour recourir d'une collectivité publique au moyen d'un recours de droit public (voir ATF 112 la 356, 363 ss, Schweizerische Gewerbekrankenkasse, et les références citées), ainsi que MARTI 1979 : 80 ss et HANGARTNER 1989:

121 SS.

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exclusivement dans le domaine du droit privé (KNAPP 1988 : n° 77). Ce dernier remplit sa fonction normale d'organisateur des relations entre les particuliers.

En conséquence, il n'existe pas un troisième univers juridique fait d'un ensemble hybride de règles, comme une sorte de "no man's land'' à la frontière des droits public et privé. L'autorité agit soit dans un domaine, soit dans l'autre. La séparation stricte entre ces deux mondes n'empêche pas la circulation des règles ou des instruments entre l'un et l'autre.

n

suffit, par exemple, de se référer aux multiples emprunts effectués par le droit public au droit privéll. Inversement, le droit privé apparaît de plus en plus marqué par des normes propres au droit public12.

Dans ce sens, il serait anormal d'empêcher une autorité administrative "d'emprunter" au droit privé des instruments qui lui semblent plus adéquats pour remplir une fonction étatique. Le choix d'une formule différente de la décision, inappropriée en l'espèce, devient l'expression de l'intérêt public. L'autorité continue à évoluer dans le monde du droit public, seul son moyen d'action relève du droit privé. Il ne devient pas du droit public supplétif car tout l'intérêt de l'autorité est justement de disposer d'un véritable moyen de droit privé.

Cette approche interdit une "fuite vers le droit privé" de l'autorité pour deux motifs. En premier lieu, l'autorité n'a plus d'intérêt à essayer de contourner la législation en recourant à des contrats de droit privé pour accomplir ses tâches étatiques. Elle ne dispose plus de l'apparence de sujet privé pour qui tout est permis, mais reste liée par les règles de droit public exactement comme si elle agissait par des moyens traditionnels. En second lieu, à défaut d'une base légale claire, l'autorité ne peut opter pour un tel moyen que dans des limites bien déterminées comme nous le verrons ci-après.

11 FLEINER-GERSTER 1980: 44 ss; GRISEL 1984: 120 ss; GYGI 1986: 34 ss;

IMBODEN / RHINOW 1976: n° 2 pp. 11 ss; KNAPP 1988: n° 78 ss; MOOR 1977 : 153 ss; MOOR 1988 : 130 ss. Voir aussi, par exemple, les ATF 81 1 301, 303 ss, Al/aman; 89 Il 203, 212, Stadtgemeinde Zürich; 89 II 268, 271, Meyer; 105 V 86, 88, Loretz ; 108 II 490, 495 Albrecht Müller.

12 Voir par exemple AEPLI 1980: 1 ss; HÂFELIN 1988 : 344 ss; MÜLLER G.

1987 : n° 58 ss; SALADIN 1988 : 373 ss; ZÂCH 1986: 29 ss, ainsi que les références citées.

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2. La distinction des fonctions

La distinction entre les deux fonctions du droit privé, moyen d'action de l'Etat ou organisateur des relations entre les particuliers, n'est pas toujours aisée, elle doit être réalisée à la lumière de la nature des tâches poursuivies par l'Etat. En effet, par définition, le moyen est ce qui sert pour arriver à une fin. En tant que moyen d'action, le droit privé est l'outil utilisé par une autorité pour réaliser une tâche publique, au même titre qu'une décision ou un contrat de droit administratif. Il constitue un instrument permettant de remplir directement une fonction étatique. Ce caractère "direct" revêt une grande importance, il permet de distinguer les véritables moyens d'action de l'Etat des contrats par lesquels l'autorité ne fait que se procurer les moyens matériels de mener son activité. Ces derniers constituent des "Hilfsgeschiifte" soumis uniquement au droit privé (EICHENBERGER 1985: 77; MÜLLER P.R. 1970: 32;

RHINOW 1985 b : 316 ss; VON MÜNCH in : ERICHSEN 1988:

30 ss).

Le critère de la poursuite directe ou indirecte d'une tâche publique doit être appliqué à l'aide d'un examen poussé qui prend en compte tous les paramètres de l'activité de l'Etat et de son intervention dans un domaine déterminé, afin de saisir le but réel qui est recherché au-delà des apparences éventuelles. Ainsi, dans la mesure où les contrats de marché public sont un instrument de la politique d'incitation de l'Etat (MANFRINI 1990 : 19 ss), il faut admettre qu'ils entrent dans la sphère du droit publicl3.

Le contrat de droit privé permet par conséquent à une autorité de conduire sa politique mais il n'associe pas directement ou immédiatement le cocontractant à la conduite de cette politique. Dans ce cas, le contrat deviendrait un contrat de droit administratif au regard du critère de l'objet, déterminant pour définir le droit applicable à un contrat. En effet, selon le Tribunal fédérall4, un contrat relève du droit public, soit 13 Dans le même sens, voir MÜLLER P.R. 1970: 108 ss à propos des contrats passés

par l'Etat avec des agents économiques pour influencer leur comportement.

14 Voir par exemple 1'ATF 105 la 392, 394, Rezzonico, où il déclare qu'une

"convention relève notamment du droit administratif lorsqu'elle met directement en jeu l'intérêt public, parce qu'elle a pour objet même une tâche d'administration publique ou une dépendance du domaine public". Voir également ATF 93 I 506, 509, Korporation Pfiiffikon; ATF 99 lb 115, 120, Crameri; ATF 102 II 55, 57,

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s'il a pour objet direct une tâche d'intérêt public, soit s'il concerne une matière réglée exclusivement par des règles de droit public comme par exemple l'expropriation (voir par exemple ATF 99 lb 267, 272 ss, Ciba- Geigy AG) ou les subventions (FLEINER-GERSTER 1980 : 152;

GRISEL 1984: 446 ss; GYGI 1986 : 207; RHINOW 1985 a : 63 ss;

RHINOW 1985 b: 303).

C. La légalité d'un moyen d'action de droit privé

1. Principe

L'appartenance des instruments de droit privé aux moyens d'action de l'Etat a pour conséquence que l'autorité doit agir conformément à l'ensemble des normes de droit public qui délimitent et guident son activité. L'examen du respect de la légalité s'effectue à deux niveaux:

d'une part, il faut vérifier si un tel moyen est admissible, d'autre part, dans l'affirmative, le contrat de droit privé doit respecter les règles juridiques supérieures.

2. L'admissibilité du moyen d'action

En principe, l'autorité devra se fonder sur une base légale prévoyant expressément l'utilisation d'un instrument de droit privé. C'est normalement au législateur qu'il appartient de définir les instruments utilisables par une autorité administrative. Le recours à des moyens d'action de droit privé sans base légale devrait rester l'exception (GRISEL 1984 : 116). Les exemples de contrats de droit privé utilisés comme instruments de tâches étatiques sur la base d'une norme légale expresse sont rares en droit fédéral. L'un des plus intéressants est l'article 14 LBNlS qui autorise expressément la Banque nationale suisse,

Pierroz; ATF 103 la 31, 34, Stockwerkeigentümergemeinschaft Schwanensee;

ATF 103 la 505, 509, Gebr. Hoffmann AG; ATF 103 II 314, 318, Commune de Villars-sur-Glâne ; ATF 105 la 207, 209, Zehnder; ATF 109 II 76, 79, Kollectivgesellschaft Zengaffinen; JAAC 1987/12 p. 74, 76, Entreprise des PIT.

15 Loi fédérale du 23 décembre 1953 sur la Banque nationale suisse, RS 951.0.

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établissement de droit public16, à accomplir les opérations nécessaires pour la conduite de la politique monétaire au moyen de contrats de droit privé. La Banque nationale contrôle en particulier l'évolution de l'offre de monnaie au moyen de swaps de devises17 conclus avec les banques, conformément à l'article 14 chiffre 3 LBN.

Dès l'instant où le moyen d'action se fonde sur une base légale, l'autorité n'a pas besoin d'une décision formelle déterminant les contrats qu'elle peut conclure, elle utilise simplement les instruments mis à sa disposition par le législateur. La déclaration de volonté de l'autorité, qui entraîne la conclusion du contrat, constitue un acte administratif au sens large et non une décision (ATF 89 1 253, 258 ss, Allgower; ATF 105 la 385, 391, Jacot). Dénuée d'existence propre, elle reflète simplement la position particulière d'un organe étatique dont la volonté en droit privé s'exprime au moyen d'actes de droit public.

A défaut de base légale expresse autorisant l'autorité à agir, une décision distincte du contrat de droit privé sera nécessaire pour que l'autorité puisse recourir à ce moyen. Dans le silence de la loi, il incombe notamment à l'autorité de se prononcer sur l'opportunité d'un moyen de droit privé avant de pouvoir l'utiliser, ainsi que sur les éléments essentiels du contrat. La décision devient la condition de validité du contrat et son analyse permet de déterminer, notamment de vérifier si les instruments utilisés se conforment aux principes contenus dans la législation applicable et permettent d'atteindre le but poursuivi.

Compte tenu de la nature particulière du moyen utilisé, qui exclut le recours à la puissance publique, il faut admettre qu'une autorité puisse conclure un contrat de droit privé en l'absence d'une base légale expresse aux mêmes conditions qu'un contrat de droit administratif. En général, selon la jurisprudence (ATF 103 la 31, 34 ss, Stockwerkeigentümerge- meinschaft Schwanensee ; ATF 103 la 509, 512 ss, Gebr. Hoffmann AG ; ATF 105 la 207, 209 ss, Zehnder ; ZBI 1981 : 361, 362 ss) et la doctrine (FLEINER-GERSTER 1980 : 153; GRISEL 1984 : 450;

16 Voir supra le paragraphe 11.B. et en particulier les notes 6 et 7.

17 Le swap de monnaies pratiqué par la Banque nationale consiste en la combinaison d'un achat et d'une vente entre deux parties de créances, libellées en une monnaie étrangère, ayant des termes différents, la première opération étant en principe au comptant.

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GYGI 1986: 206; IMBODEN 1958 : 87a ss; KNAPP 1988 : n°• 1487 ss; ZWAHLEN 1958: 623a ss), un tel contrat est admissible dans la mesure où la loi prévoit cette solution ou bien, à tout le moins, ne l'exclut pas expressément. Si le contrat limite les droits des administrés ou leur impose des obligations, le principe de ces restrictions ou obligations doit nécessairement figurer dans une base légale. De la même manière, une autorité ne peut pas imposer unilatéralement des obligations à un particulier au motif qu'elle agit en droit privé et elle ne peut pas non plus substituer un moyen de droit privé à une décision unilatérale qu'elle ne pourrait valablement adopter (KNAPP 1988 : n° 73).

3. Le contenu du contrat

Le contrat doit se conformer à la loi sur laquelle il se fonde et aux règles constitutionnelles (EICHENBERGER 1985 : 80; GRISEL 1984:

116; HÀFELIN 1988 : 343; HANGARTNER 1982 : 48 ss; MERZ 1981 : 136 SS; MÜLLER P.-R. 1970 : 313 SS; MÜLLER G. 1988 : n° 22; RHINOW 1985: 300; THÜRER 1987 : 454 ss). Pour le reste, les règles relatives au contrat de droit administratif (IMBODEN 1958 : 87a SS ; GRISEL 1984 : 453 ss; KNAPP 1988 : nos 1524 SS ; MOOR 1988 : 315 ss; ZWAHLEN 1958 : 618a ss) s'appliquent par analogie aux instruments de droit privé.

La procédure de mise en oeuvre du droit change du fait de la nature même des instruments utilisés. Il est clair que la loi sur la procédure administrative ne peut s'appliquer aux relations entre une autorité fédérale et un particulier qui souhaitent conclure un contrat de droit privé. L'administré n'en subit aucun préjudice car l'administration ne prend pas une décision unilatérale, les deux parties doivent aboutir à l'élaboration d'une volonté commune. La solution contractuelle exclut que l'administration impose sa volonté à l'administré, car elle pose conune condition de validité de l'acte, une manifestation de volonté de ce dernier qui soit réciproque et concordante. L'accord de l'administré ne signifie pas pour autant qu'il se trouve sur un pied d'égalité avec l'autorité. Cette notion vise uniquement le fait que l'administré peut refuser la solution discutée avec l'administration. L'égalité des parties ne constitue pas un élément caractéristique des contrats, qu'ils soient de droit

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public ou de droit privé (RHINOW 1985 a : 62 ss ; RHINOW 1985 b : 308 ; ZWAHLEN 1958 : 503a; contra : GRISEL 1984 : 445 ss).

D. Le contrôle du respect de la légalité

La conduite d'une politique publique au moyen d.'instruments de droit privé pose des difficultés importantes en matière de contentieux. Il faut distinguer deux hypothèses, selon que le moyen d'action se fonde directement sur une base légale ou, qu'à défaut de base légale, l'autorité a pris la décision de recourir à un instrument de droit privé.

Dans le premier cas, compte tenu de l'existence d'une base légale expresse, les contrats de droit privé ne font pas l'objet de décisions préalables, car l'autorité se fonde directement sur la législation en vigueur. Cette absence de décision a pour effet d'interdire l'accès aux voies normales de recours contre les actes de l'administration•s.

En conséquence, si un litige survient entre l'autorité et un administré cocontractant après la conclusion d'une opération, la détermination de l'instance compétente dépendra des règles de droit privé applicables au contrat. Dans le cadre du litige civil, afin de garantir les droits de l'administré, le juge doit avoir la possibilité d'examiner le respect par une autorité des normes de droit public qui lui sont applicables, et, en particulier, les règles constitutionnelles (FLEINER-GERSTER 1980 : 44 ; HESS 1988 : 45 et en particulier la note 79 ; RHINOW 1985b : 308). Cette solution nous semble préférable à celle de l'acte détachable;

elle évite une double procédure, l'une relative à la décision, l'autre portant sur le contrat. Toutefois, elle ne résout pas la question des droits des tiers.

En effet, généralement le cocontractant sera satisfait de l'opération réalisée avec l'Etat et il n'aura pas d'intérêt à agir en justice. Il se trouve dans la même situation que le bénéficiaire de la décision qui correspond exactement à sa demande. En revanche, des tiers estimant, par exemple, que l'égalité de traitement a été violée, devraient pouvoir faire valoir 18 Voir notamment l'article 97 de la loi fédérale du 16 décembre 1943 d'organisation

judiciaire (RS 173.110, ci-après OJF) et les articles 5 et 44-45 PA.

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leurs droits. Or, en l'absence d'une décision au sens de l'article 5 de la loi sur la procédure administrative, la seule voie dont ils disposent est la plainte (FLEINER-GERSTER 1980 : 236 ss; GRISEL 1984 : 950 ss;

GYGI 1986: 73 ss; KNAPP 1988 : n°• 1795 ss). L'autorité saisie de la plainte ne devra obligatoirement l'examiner que si trois conditions cumulatives sont réalisées : en premier lieu, aucun recours n'est ouvert contre l'acte de l'autorité en cause ; en second lieu, aucune plainte à aucune autre autorité n'est possible; enfin, la plainte porte sur un vice particulièrement grave, qui se répète ou est susceptible de se répéter (KNAPP 1988 : 1802).

Ce mécanisme de la plainte, qui assure une protection minimale, n'est pas satisfaisant. Il a pour résultat essentiel de livrer les tiers lésés au bon vouloir de l'autorité de surveillance. Il convient par conséquent de définir une autre voie. Cette tâche incombe au législateur qui autorise une autorité administrative à recourir à un moyen d'action de droit privé.

Son choix, justifié par l'opportunité de la mesure, ne doit pas porter atteinte aux droits des administrés. Simultanément, l'emploi du droit privé entraîne la compétence du juge civil. Comme celui-ci peut examiner les rapports des cocontractants au regard des règles de droit public applicables à l'autorité, il devrait également pouvoir étudier les cas de tiers qui s'estimeraient lésés par le contrat. Il en aurait la possibilité si le législateur prévoyait expressément le droit pour les tiers de le saisir (dans ce sens RHINOW 1985b: 321 ss). Une règle similaire à celle des articles 103 de la loi sur l'organisation judiciaire ou 48 de la loi sur la procédure administrative serait concevable.

La situation apparaît analogue dans le cas d'un refus de conclure par une autorité. A nouveau, ce refus ne constitue pas une décision, il s'agit d'un acte administratif au sens large au même titre qu'une acceptation de conclure. L'administré, dont la demande est repoussée, dispose uniquement de la voie de la plainte, comme les tiers. Dans ce cas, le législateur devrait également autoriser l'administré à agir devant le juge civil qui aurait été compétent si le contrat avait été conclu. L'administré pourrait se prévaloir uniquement de la violation du droit fédéral par l'autorité, le juge civil n'ayant pas la possibilité de se prononcer sur l'opportunité du refusl9.

19 Comparer avec l'article 104 OJ.

(21)

En l'absence de base légale, nous avons vu que l'autorité doit prendre une décision qui est la condition de validité du contrat. Cette décision peut faire l'objet d'un recours aussi bien par les parties au contrat que par des tiers, selon les règles applicables en la matière compte tenu de la loi applicable au fond. L'annulation de la décision devrait entraîner l'annulation du contrat dans la mesure où le vice de la décision est si grave qu'il remet en cause l'existence même du contrat, par exemple si l'autorité était incompétente (comparer KNAPP 1988 : n°• 1527 et 1531). A nouveau, il conviendrait d'appliquer par analogie les règles régissant la validité du contrat de droit administratif.

CONCLUSION

L'analyse des théories de l'acte détachable et du droit administratif privé montre leurs inconvénients et leurs avantages. L'approche que nous proposons essaye d'intégrer ces derniers. L'incorporation des instruments de droit privé utilisés comme moyens d'action de l'Etat au cadre général du droit public permet de garantir de manière optimale le respect du principe de la légalité. En effet, elle impose du point de vue de la validité matérielle, des exigences analogues pour une décision ou pour un contrat de droit privé. L'autorité qui utilise ce dernier moyen doit non seulement respecter le principe de la légalité, mais aussi se conformer aux autres principes constitutionnels régissant l'activité administrative.

Toutefois, un système cohérent de mise en oeuvre des tâches étatiques par des moyens de droit privé implique que la loi instituant le moyen d'action prévoie la possibilité pour les administrés, les cocontractants et les tiers, de faire valoir leurs droits en les autorisant à agir sur le plan civil, aussi bien lors de la conclusion d'un contrat qu'en cas de refus de conclure. En l'absence de base légale, les recours des cocontractants ou de tiers s'exercent contre la décision qui est la condition de validité du contrat de droit privé. Cette solution assure un contrôle complet du respect des règles de droit public par l'Etat dans son activité de droit privé.

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