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Le recours au droit international pour la répression des crimes du passé : regards croisés sur les affaires Touvier (France) et Simón (Argentine)

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Le recours au droit international pour la répression des crimes du passé : regards croisés sur les affaires Touvier (France) et Simón

(Argentine)

GARIBIAN, Sévane

Abstract

Le recours au droit international par les juges suprêmes nationaux, dans les deux affaires choisies, est appréhendé comme étant le produit d'une contrainte juridique au regard d'un but visé : la contrainte est, ici, le respect des principes de souveraineté et de légalité ; le but visé est la répression, la plus exemplaire possible juridiquement parlant, de crimes d'Etat commis dans le passé, prescrits, amnistiés, et restés impunis. L'appel au droit international, face à un manque d'outils juridiques internes adéquats, implique certains positionnements qui renvoient à la question de la place des normes internationales dans l'ordre juridique national, et à celle de la portée du principe de légalité. Mais il apparaît aussi que, au delà de l'état du droit positif en vigueur et de son interprétation discrétionnaire par des juges plus ou moins audacieux, ce qui détermine, en amont, la réussite des conciliations juridictionnelles en jeu est le projet politique caché derrière la mission de justice.

GARIBIAN, Sévane. Le recours au droit international pour la répression des crimes du passé : regards croisés sur les affaires Touvier (France) et Simón (Argentine). Annuaire français de droit international , 2010, vol. 56, p. 197-215

DOI : 10.3406/afdi.2010.4607

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:23571

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LE RECOURS AU DROIT INTERNATIONAL POUR LA RÉPRESSION DE CRIMES DU PASSÉ Regards croisés sur les affaires Touvier (France)

et Simón (Argentine)

SÉVANE GARIBIAN

Résumé : Dans les affaires Touvier et Simon, l’objectif est la répression, la plus exemplaire possible juridiquement parlant, de crimes d’État commis dans le passé, prescrits, amnistiés, et restés impunis. L’appel au droit international, face à un manque d’outils juridiques internes adéquats, implique certains positionnements qui renvoient à la question de la place des normes internationales dans l’ordre juridique national, et à celle de la portée du principe de légalité. Mais il apparaît aussi que, au-delà de l’état du droit positif en vigueur et de son interprétation discrétionnaire par des juges plus ou moins audacieux, ce qui détermine, en amont, la réussite des conciliations juridictionnelles en jeu est le projet politique caché derrière la mission de justice.

Abstract: In the Touvier and Simon cases, the objective is to condemn in the most exemplary way possible, legally speaking, state crimes committed in the past, that are time-barred, amnestied and have gone unpunished. The appeal to international law, given a lack of suitable domestic legal tools, implies taking certain stances that relate to the place of international norms in the national legal order and the scope of the principle of legality. But it also appears that, beyond the state of positive law in force and its unfettered interpretation by more or less audacious judges, what determines, ahead of times, the success of the jurisdictional conciliations in play is the political design behind the mission of justice.

Le recours au droit international par les juges nationaux pour la répression de crimes contre l’humanité du passé suppose un premier constat : un tel recours vient combler un manque dans l’ordre juridique national, face à une volonté de poursuivre les crimes en question. Dans les deux affaires sur lesquelles nous nous appuierons, le manque se traduit par l’absence d’instruments normatifs internes adéquats relativement à une situation donnée et un objectif recherché. Le recours juridictionnel au droit international – que les plus sceptiques qualifi ent de « droit étranger » dénonçant ainsi un bricolage juridique considéré comme critiquable 1

(*) Sévane GARIBIAN, docteur en droit des universités de Paris-Ouest Nanterre la Défense et de Genève ; chargée d’enseignement à l’Université de Neuchâtel et chercheuse post-doc au Fonds national suisse de la recherche scientifi que. Une première version de ce travail a été présentée à l’Université de Buenos Aires le 22 octobre 2009 dans le cadre d’un cycle de conférences en philosophie du droit.

1. Voy. en particulier, en Argentine, l’intéressant débat Rosenkrantz / Filippini : article de C. F. ROSEN- KRANTZ, « En contra de los ‘Préstamos’ y de otros usos ‘no autoritativos’ del derecho extranjero », Revista Jurídica de la Universidad de Palermo, n° 1, octobre 2005, accessible sur le site internet de la Faculté de droit de la Universidad de Palermo [http://www.palermo.edu/derecho/revista_juridica/acerca_revista.

html] (version anglaise : « Against Borrowings and other Nonauthoritative Uses of Foreign Law », Inter- national Journal of Constitutional Law, n° 1, 2003, pp. 269-295) ; réponse de L. FILIPPINI, « El derecho

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– sera alors un moyen pour les juges de combler le manque au niveau national, ce qui crée une confi guration fort intéressante à observer du point de vue à la fois technique et théorique.

Le manque en question est à l’origine d’une situation de confl it entre, d’une part, une exigence de justice dans un contexte politique favorable à la répression de crimes commis dans le passé par un État à l’encontre de ses propres citoyens, et dont l’impunité est considérée comme inacceptable du point de vue moral ; et, d’autre part, une confi guration juridique qui ne permet pas, en l’état, de répondre à cette exigence de justice (soit un droit positif en vigueur qui crée une situation d’impunité, de par l’absence d’outil normatif adéquat pour la répression). Une telle situation de confl it a pour particularité de mettre en jeu de manière aiguë la question du pouvoir du juge.

Il s’agit en effet de situations propices à la création d’un droit nouveau par le juge (tout particulièrement le juge suprême, c’est-à-dire le juge ultime) – autre- ment dit, propices à l’usage par celui-ci de son pouvoir discrétionnaire au profi t d’une interprétation du droit existant qui soit « créative », de manière à résoudre le confl it. Bien entendu, l’idée même de pouvoir discrétionnaire n’exclut pas l’existence d’un certain nombre de contraintes pouvant peser sur les juges : ceux-ci sont en effet soumis à ce que le théoricien du droit Michel Troper appelle des « contraintes juri diques », lesquelles impliquent un travail de conciliation, ou de pondération, donnant lieu à un riche processus de justifi cation. Au sens de la théorie tropérienne des contraintes, la contrainte juridique (qui se distingue d’une obligation suscep- tible d’être transgressée) consiste en une situation de fait dans laquelle un acteur du droit est conduit à adopter telle solution ou tel comportement plutôt qu’une ou un autre, en raison de la confi guration du système juridique qu’il met en place (dans le cas du législateur) ou dans lequel il opère (dans le cas des juges) 2. La mise au jour des contraintes qui infl uencent le travail de l’acteur, à travers une « reconstruction théorique rationnelle » de son discours 3, a l’avantage de dépsychologiser et de dépo- litiser l’étude du processus de décision, et implique de renoncer à rechercher ce que l’acteur a cru ou voulu faire, pour n’examiner que ce qu’il fait réellement 4.

Nous proposons ici d’appréhender le recours au droit international par le juge suprême national, dans les deux affaires choisies, comme le produit d’une contrainte juridique au regard d’un but visé : la contrainte est, ici, le respect des principes de souveraineté étatique et de légalité pénale ; le but visé est la répression, la plus exemplaire possible juridiquement parlant, de crimes d’État commis dans le passé, prescrits, amnistiés, et restés impunis.

Les deux cas, tout à fait paradigmatiques, qui n’ont pas été pris en charge internationalement (c’est-à-dire traités par une juridiction pénale internatio- nale), appellent un positionnement rétrospectif de l’État vis-à-vis de son propre passé criminel, dans le champ de sa compétence nationale. Il s’agit, d’abord, de la répression en France de crimes commis par un agent du régime de Vichy, dans le contexte de la collaboration politique avec le régime nazi ; nous nous appuierons sur la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation dans l’affaire

internacional de los derechos humanos no es un préstamo. Refl exiones sobre la critica a los prestamos de Carlos F. Rosenkrantz », Revista Jurídica de la Universidad de Palermo, n° 1, septembre 2007 ; réplique de C. F. ROSENKRANTZ, « Advertencias a un internacionalista (o los problemas de Simón y Mazzeo) », Revista Jurídica de la Universidad de Palermo, n° 1, septembre 2007.

2. M. TROPER / V. CHAMPEIL-DESPLATS / C. GRZEGORCZYK dir., Théorie des contraintes juridiques, LGDJ, Bruylant, Paris, Bruxelles, 2005, pp. 12-13. Sur la théorie des contraintes, voy. également M. TROPER, « Les contraintes juridiques dans la production de normes », in La production des normes entre État et société civile, L’Harmattan, Paris, 2000, pp. 27-46.

3. M. TROPER / V. CHAMPEIL-DESPLATS / C. GRZEGORCZYK dir., ibid., p. 15.

4. M. TROPER, La théorie du droit, le droit, l’État, PUF, Paris, 2001, p. 63.

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Touvier (premier agent de Vichy poursuivi et condamné pour crimes contre l’hu- manité en France). Il s’agit, ensuite, de la répression de crimes commis par un agent du régime dictatorial des généraux, en Argentine ; nous nous fonderons sur l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Simón, qui fut le premier symbole de la réouverture des poursuites pénales à l’encontre des criminels de la dictature. À chaque fois, le contexte est marqué par la prescription et l’amnistie des crimes, couplées à l’absence d’incrimination pénale nationale du crime contre l’humanité 5. Nous n’aborderons pas ici les questions directement relatives à la prescription et à l’amnistie, pour ne nous concentrer que sur celle, en amont, de la mise en œuvre du concept de crime de crime contre l’humanité laquelle, seule, permettra ensuite aux juges de se prononcer sur l’imprescriptibilité des crimes et/ou l’inconstitutionnalité des lois d’amnistie.

En effet, dans les deux affaires étudiées, on voit apparaître une mise en œuvre tactique du concept de crime contre l’humanité. La qualifi cation juridique de crime contre l’humanité peut être perçue comme une clé permettant de contrer les obsta- cles que sont la prescription et l’amnistie, et de débloquer ainsi les poursuites 6 ; mais une clé dont l’emploi suppose, d’abord, un travail de conciliation juridic- tionnelle avec les principes fondamentaux que sont la souveraineté étatique et la légalité pénale, par le biais d’un recours au droit international. L’enjeu de la conciliation opérée par les juges est d’autant plus important que ces deux principes fondamentaux – principe de souveraineté / principe de légalité – se situent au cœur de l’État moderne ; ils sont indissociables du processus historique de rationalisation du droit et, ainsi, du positivisme juridique classique qui les entend au sens strict 7. Autrement dit, a priori dans une démocratie et conformément aux exigences d’un État de droit, la répression nationale de crimes contre l’humanité commis dans le passé (soit sous la collaboration française durant la seconde guerre mondiale, soit sous la dictature militaire argentine dans les années 1976-1983) est conditionnée, en l’absence de norme interne d’incrimination, par la contrainte que constitue, pour les juges nationaux, le respect des principes de souveraineté et de légalité.

Le principe de souveraineté suppose, d’abord, le respect de l’indépendance de l’État qui ne se soumet qu’à sa propre volonté (souveraineté externe) ; il suppose, ensuite, le respect de la puissance de l’État (souveraineté interne) qui détient notamment le monopole de la création législative et de l’exercice du droit de punir 8. Quant au principe de légalité (manifestation par excellence de la souveraineté interne, mais du point de vue des individus dont il s’agit de garantir la sécurité

5. Cf. en France les lois d’amnisties de 1951 (loi n° 51-18 du 5 janvier 1951 portant amnistie, insti- tuant un régime de libération anticipée, limitant les effets de la dégradation nationale et réprimant les activités antinationales, JO, 6 janvier 1951) et de 1953 (loi n° 53-581 du 6 août 1953 portant amnistie, JO, 7 août 1953), relatives aux faits de collaboration des agents français. Et en Argentine, les lois d’amnisties de 1986 (loi n° 23.492 du 24 décembre 1986, dite de punto fi nal) et de 1987 (loi n° 23.521 du 8 juin 1987, dite de obediencia debida) : la première met fi n, dans un délai de 60 jours, aux plaintes des victimes de la

« guerre sale » contre les membres de l’armée et de la police suspectés de violations des droits de l’homme ; la seconde garantit l’impunité à tous les militaires de rang inférieur à celui de colonel, sur la base d’une présomption irréfragable selon laquelle ils avaient obéi aux ordres des offi ciers supérieurs sans avoir pu s’y opposer ou éviter de les accomplir. Par ailleurs, l’incrimination du crime contre l’humanité sera intro- duite dans le nouveau code pénal français en 1994 (articles 211-1 et suivants), et dans l’ordre juridique argentin par le biais de la loi d’adaptation au statut de Rome de la Cour pénale internationale, adoptée le 13 décembre 2006, et publiée le 9 janvier 2007 (loi n° 26.200).

6. Nous pensons aux mots du juriste Olivier Cayla selon lequel toute opération de qualifi cation juridique correspond à un intérêt visé par celui qui l’effectue : O. CAYLA, « La qualifi cation. Ouverture : la qualifi cation ou la vérité du droit », Droits, n° 18, 1993, pp. 3-18.

7. Cf. les développements de S. GARIBIAN, Le crime contre l’humanité au regard des principes fonda- teurs de l’État moderne. Naissance et consécration d’un concept, Schulthess, LGDJ, Bruylant, Genève, Paris, Bruxelles, 2009, en particulier pp. 11 ss.

8. Ibid., pp. 12 ss.

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juridique), il s’agit du principe sur lequel repose tout le droit pénal moderne : il suppose notamment le respect de la maxime nullum crimen, nulla poena sine lege, et du principe de non rétroactivité de la loi pénale 9.

Dans un souci de légitimation de leur travail et, par là même, de consolidation de leur pouvoir, les juges suprêmes vont faire le travail de conciliation impliqué par cette contrainte juridique : ils ne la refusent pas, ils la confrontent par le biais d’un processus de justifi cation visant à montrer que tant la souveraineté de l’État que la sécurité juridique des individus sont respectés, par le biais du recours au droit international pour la répression des crimes en question. Un tel recours au droit international permet donc de sortir du confl it (entre exigence de justice / exigence positiviste, ou encore entre lutte contre l’impunité / respect du droit positif interne en vigueur), sans devoir se fonder sur des arguments ouvertement jusnaturalistes emprunts de considérations éthico-morales. L’enjeu est, semble-t-il, avant tout stratégique : montrer que la répression est légitime dans un État de droit, qu’elle est juridiquement fondée et donc valide, et que les juges, sur le base de la fi ction du pouvoir nul associée à la théorie cognitive de l’interprétation, ne font qu’appliquer le droit positif préexistant 10.

Mais l’appel au droit international comme moyen de résoudre un problème de conciliation, face à un manque d’outils juridiques internes adéquats, implique à son tour certains positionnements qui renvoient à la question de la place des normes internationales (y compris coutumières) dans l’ordre juridique national (I), et à celle de la portée du principe de légalité (II).

LE RECOURS AU DROIT INTERNATIONAL I. –

ET LE PRINCIPE DE SOUVERAINETÉ ÉTATIQUE

Chacune des confi gurations nationales étudiées connaît un événement juri- dique décisif qui rendra possible, ou plus aisé, le travail des juges – en particulier l’appel au droit international comme fondement de la validité de l’incrimination du crime contre l’humanité : en France, l’adoption de la loi du 26 décembre 1964 11 (A) ; en Argentine, l’importante réforme constitutionnelle de 1994 12 (B).

La loi française du 26 décembre 1964 et l’effet direct du droit de Nuremberg A.

Il convient en premier lieu de rappeler qu’au lendemain de la seconde guerre mondiale, la Libération donne lieu en France à deux types de poursuites : d’une

9. Ibid., pp. 16 ss.

10. En effet, selon la théorie cognitive (ou traditionnelle) de l’interprétation, interpréter revient à découvrir la signifi cation objective d’une norme, déjà donnée par le législateur et vérifi able empiriquement ; signifi cation qu’il s’agit seulement de décrire, non de déterminer. Le présupposé théorique est donc que les juges ne détiennent en la matière aucun pouvoir, ni n’expriment aucune volonté. Ils n’exerceraient qu’une compétence liée à l’application de normes préexistantes. Pour une présentation critique de cette théorie de l’interprétation, nous renvoyons notamment à R. GUASTINI, « Interprétation et description de normes », in P. AMSELEK dir., Interprétation et droit, Bruylant, PUAM, Bruxelles, Paris, 1995, pp. 89-101.

Voy. également infra, note 92 sur la théorie dite réaliste de l’interprétation, qui s’y oppose.

11. Loi n° 64-1326 du 26 décembre 1964 tendant à constater l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité, JO, 29 décembre 1964 : « Les crimes contre l’humanité, tels qu’ils sont défi nis par la résolution des Nations Unies du 13 février 1946, prenant acte de la défi nition des crimes contre l’humanité, telle qu’elle fi gure dans la Charte du Tribunal international du 8 août 1945, sont imprescriptibles par leur nature ».

12. Rappelons que l’année 1994 est aussi celle d’une profonde réforme du code pénal français, dans lequel sont introduites, pour la première fois, les infractions de génocide et de crime contre l’humanité (supra, note 5).

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part, la poursuite de « nationaux ennemis ou agents non français » devant les tribunaux militaires, pour crimes de guerre 13 ; d’autre part, la poursuite des colla- borateurs français sur le fondement du code pénal, pour crimes de trahison et d’intelligence avec l’ennemi 14. De manière générale, les poursuites, lorsqu’elles ont lieu, sont souvent expéditives et sélectives, et les crimes de guerre plutôt perçus comme « les crimes des autres » 15. De plus, les années soixante voient un rappro- chement avec l’Allemagne fédérale dans le cadre de la Communauté européenne, et un engagement dans la voie de l’oubli et du pardon des crimes de la seconde guerre mondiale. En outre, s’agissant des agents français, deux lois d’amnistie de 1951 et 1953 concernant les faits de collaboration entravent les procédures au nom de la réconciliation 16.

Mais la période de la Libération est surtout le refl et d’une occultation complète du concept de crime contre l’humanité dans l’ordre juridique interne. Le droit positif français n’intègre le concept préalablement défi ni dans le statut du Tribunal de Nuremberg de 1945 17 qu’avec l’adoption, dans l’urgence, de la loi du 26 décembre 1964, à la suite de l’annonce par le gouvernement ouest-allemand de la prescrip- tion de tous les crimes nazis à partir du 8 mai 1965. Cette loi a un double objet : l’incrimination nationale du crime contre l’humanité par renvoi à la résolution de l’Assemblée générale de l’ONU du 13 février 1946 qui, elle, prend acte de la défi ni- tion contenue dans le droit de Nuremberg ; et le constat de son imprescriptibilité

« par nature » 18. La confi guration juridique française est dès lors fort intéressante entre 1964 et 1994, année de la réforme du code pénal. L’absence de norme française d’incrimination et la source internationale de la défi nition ad hoc du crime contre l’humanité laissent une marge de manœuvre considérable au juge.

Ce sont les juges de la Cour de cassation qui « donnent vie » à la loi de 1964 et rendent, par là même, le concept juridique de crime contre l’humanité opératoire pour la première fois en France, dans le cadre de l’affaire Touvier 19. Pour cela, les juges suprêmes admettent implicitement l’effet direct du droit de Nuremberg dans l’ordre juridique français 20 : le recours à ce droit international conventionnel serait donc selon eux un moyen de pouvoir procéder à la répression des actes commis par des complices français de l’État nazi, dans le respect de la souveraineté française,

13. Ce sont effectivement les tribunaux militaires qui furent investis de la répression des crimes de guerre, de préférence aux cours d’assises et aux tribunaux correctionnels. Les crimes en question sont des infractions commises depuis l’ouverture des hostilités qui, même accomplies à l’occasion ou sous le prétexte de l’état de guerre, ne sont pas justifi ées par les lois et coutumes de la guerre : cf. l’ordonnance du 28 aôut 1944, JO, 30 aôut 1944 (ultérieurement modifi ée par la loi n° 48-1416 du 15 septembre 1948, JO, 16 septembre 1948, qui insère des dispositions propres à faciliter la répression des crimes collectifs).

14. Cf. les articles 75 et suivants du code pénal de 1810.

15. C. LOMBOIS, Droit pénal international, Dalloz, Paris, 2° ed. 1979, pp. 169-170.

16. Supra, note 5.

17. Le statut de Nuremberg est annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945, initialement signé entre le Gouvernement Provisoire de la République Française et les gouvernements des États-Unis d’Amérique, du Royaume Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques. Cet accord porte sur la poursuite et le jugement des grands criminels de guerre des puis- sances européennes de l’Axe, et instaure la première juridiction pénale internationale ad hoc. Le statut de Nuremberg contient la première défi nition juridique du crime contre l’humanité (article 6 c).

18. Supra, note 11.

19. Ancien chef régional du service de renseignements de la milice de Lyon, Paul Touvier fut dans un premier temps condamné à mort par contumace en septembre 1946 pour trahison, et en mars 1947 pour intelligence avec l’ennemi. Après avoir bénéfi cié de la prescription de ses peines depuis 1967 (à l’exclusion des peines accessoires d’interdiction de séjour, de confi scation des biens et de dégradation nationale), il fait l’objet d’une grâce présidentielle le relevant de deux de ses peines accessoires par décret du 23 novembre 1971, au grand dam d’une opinion publique scandalisée. Le 9 novembre 1973 est déposée à Lyon la première plainte du chef de crime contre l’humanité pour des assassinats, non retenus en 1946 et 1947, requalifi és en vertu de la loi de 1964.

20. Arrêt Touvier du 1er juin 1995 (Crim. 1er juin 1995 : Bull. crim. n° 202).

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dès lors que la France est partie à l’accord de Londres de 1945 auquel est annexé le statut de Nuremberg 21.

L’option constitutionnelle française est a priori claire : l’alinéa 14 du préam- bule de la constitution de 1946 auquel renvoie celui de 1958 22, et l’article 55 de la constitution de 1958 23 traduisent, selon une opinion quasi unanime, le choix du monisme avec primauté du droit international. Selon ces textes, le droit interna- tional s’appliquerait donc directement dans l’ordre juridique interne, puisque les deux ordres juridiques seraient de même nature et appartiendraient à un système unique, en écho à la théorie kelsenienne bien connue sur les rapports entre le droit international et le droit interne 24. Ainsi le droit de Nuremberg régirait-il directe- ment les rapports juridiques entre les individus en droit français également, depuis le 8 octobre 1945 25. Deux remarques sont à faire à ce stade.

Premièrement, la reconnaissance juridictionnelle de l’applicabilité directe du droit de Nuremberg en droit interne a été fortement critiquée en doctrine, notam- ment par le célèbre pénaliste Claude Lombois pour lequel c’est uniquement la loi de 1964 préalablement citée qui permet l’intégration du droit de Nuremberg dans l’ordre juridique français, selon la « technique particulière » du renvoi 26. Ce point de vue paraît cohérent en particulier si l’on garde à l’esprit que, au-delà même de la question de l’option constitutionnelle choisie par un État (monisme / dualisme), rien ne permet de penser que l’intention du législateur international fut de transposer directement le droit de Nuremberg dans les ordres juridiques nationaux. Bien au contraire, l’accord de Londres du 8 août 1945 ne fait que déléguer aux États parties (donc à la France aussi) la compétence pour le jugement des criminels allemands ayant commis des forfaits sur leur territoire, conformément à leurs lois nationales, dans le plus strict respect des souverainetés étatiques 27. Et au regard du principe de souveraineté, précisément, la délégation en question ne peut être étendue, par

21. Supra, note 17. À ce propos, précisons que l’accord de Londres ne fut pas ratifi é par le parlement français. Mais il fut signé, pour la France, par le gouvernement provisoire de la République, sous l’empire de l’ordonnance de 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine (JO, 10 août 1944).

Il s’agissait en effet d’une époque où l’organisation constitutionnelle de 1875 et celle dite « de l’État fran- çais » n’existaient plus (ayant été éliminées par l’ordonnance précitée), et où la constitution du 27 octobre 1946 n’était pas encore en vigueur. L’accord de Londres n’avait donc pas à être soumis à approbation ou ratifi cation du parlement, faute de parlement, et alors que les pouvoirs législatif et réglementaire étaient constitutionnellement confondus.

22. Cet alinéa est rédigé comme suit : « La République française, fi dèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public international ».

23. Article 55 de la constitution : « Les traités ou accords régulièrement ratifi és, ou approuvés, ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie ». Rappelons que cette disposition constitutionnelle reprend implicite- ment la solution qui était déjà prévue à l’article 26 de la constitution de 1946, selon laquelle : « Les traités régulièrement ratifi és et publiés ont force de loi sans qu’il soit besoin d’autres dispositions législatives que celles qui auraient été nécessaires pour assurer sa ratifi cation ».

24. Hans Kelsen procède à une critique sans détour de la théorie dite de la « transformation », qui consi- dère le rapport entre le droit international et le droit interne comme un rapport entre deux systèmes de normes complètement différents, et indépendants l’un de l’autre (cf. H. KELSEN, « La transformation du droit international en droit interne », RGDIP, 1936, pp. 5-49). Voy. également H. KELSEN, « Les rapports de système entre le droit interne et le droit international public », RCADI, 1926, pp. 231-329 ainsi que M. ICHIMATA, « La critique par Kelsen de la théorie de la transformation du droit international en droit interne », Revue internationale de théorie du droit, 1938, pp. 223-230.

25. Soit dans le délai franc de 24 heures après la publication du décret n° 45-2267 du 6 octobre 1945 portant promulgation en France de l’accord de Londres du 8 août 1945 et de son annexe (JO, 7 octobre 1945 et rectif. 10 octobre 1945).

26. C. LOMBOIS, « Un crime international en droit positif français. L’apport de l’affaire Barbie à la théorie française du crime contre l’Humanité », Droit pénal contemporain. Mélanges en l’honneur d’André Vitu, Cujas, Paris, 1989, p. 373, et Revue de la science criminelle et de droit pénal comparé (RSC), 1985.863, obs. LOMBOIS.

27. Voy. l’alinéa 2 du préambule de l’accord de Londres du 8 août 1945, et l’article 4 du même accord. Ceci est par ailleurs confi rmé par la formulation de la résolution de l’ONU du 13 février 1946,

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voie d’interprétation, au jugement des criminels français : seul l’État souverain (en l’espèce la France) a compétence pour décider de réprimer les crimes commis par ses propres ressortissants 28.

Deuxièmement, le choix constitutionnel français du monisme avec primauté du droit international doit être lui-même être nuancé ; certains auteurs, tels que l’internationaliste Alain Pellet, préfèrent d’ailleurs parler de « dualisme à la fran- çaise » ou d’« ‘inspiration’ constitutionnelle moniste » 29. En effet, cette primauté est doublement limitée : d’une part, la suprématie conférée aux normes interna- tionales ne concerne que le droit conventionnel (« traités et accords internatio- naux »), la place de la coutume étant considérablement plus ambiguë car elle n’est pas expressément prévue par la constitution 30 ; d’autre part, cette suprématie ne s’applique pas aux dispositions de nature constitutionnelle, c’est-à-dire que les engagements internationaux de la France ont une valeur supra-législative, mais infra-constitutionnelle 31. Cette double limitation a été régulièrement confi rmée dans la jurisprudence administrative et judiciaire française 32.

Quoi qu’il en soit, même si l’interprétation des juges de cassation selon laquelle le droit de Nuremberg serait un droit conventionnel d’effet direct dans l’ordre juri- dique français est critiquable, le renvoi à ce même droit par la loi de 1964 permet de considérer que son application est en l’espèce valide. Reste le problème posé par le fait que la portée du droit de Nuremberg et de la défi nition du crime contre l’humanité qu’il contient ne visaient aucunement une application, de surcroît rétro- active, à des ressortissants français : ce problème renvoie à la question du respect du principe de légalité, sur lequel nous reviendrons plus loin, et qui contraindra les juges à avoir, une fois de plus, recours au droit international pour justifi er la répression.

qui recommande aux États membres de prendre « les mesures nécessaires » permettant l’arrestation et le jugement des criminels.

28. Dans le même sens : J.-F. ROULOT, « La répression des crimes contre l’humanité par les juridictions criminelles en France. Une répression nationale d’un crime international », RSC, 1999, pp. 555 ss et Le crime contre l’humanité, L’Harmattan, Paris, 2002, pp. 404 ss. À noter que les dispositions de l’accord de Londres s’imposaient en revanche à l’Allemagne dans la mesure où celle-ci avait perdu sa souveraineté suite à la déclaration de Berlin du 5 juin 1945 (cf. H. KELSEN, « The Legal Status of Germany according to the Declaration of Berlin », AJIL, 1945, pp. 518-526).

29. Cf. en particulier A. PELLET, « Vous avez dit ‘monisme’ ? Quelques banalités de bon sens sur l’impossibilité du prétendu monisme constitutionnel à la française », in L’architecture du droit. Mélanges en l’honneur de Michel Troper, Economica, Paris, 2006, p. 856. Mais aussi D. ALLAND, « Le droit interna- tional ‘sous’ la Constitution de la Ve République », RDP, 1998, p. 1670, et C. GREWE / H. RUIZ FABRI, Droits constitutionnels européens, PUF, Paris, 1995, p. 102.

30. Cf. A. PELLET, Ibid., pp. 829 ss et 840 ss.

31. À ce sujet : D. ALLAND, « Consécration d’un paradoxe : primauté du droit interne sur le droit inter- national. Réfl exions à vif à propos de l’arrêt du Conseil d’État Sarran, Levacher et autres… », RFDA, 1998, pp. 1094-1104 ; P. WACHSMANN, « L’article 55 de la Constitution de 1958 et les conventions internationales relatives aux Droits de l’Homme », RDP, 1998, pp. 1671-1686 ; P. DAILLIER, « Monisme et dualisme : un débat dépassé ? », in R. BEN ACHOUR / S. LAGHMANI dir., Droit international et droits internes, dévelop- pements récents, Pedone, Paris, 1999, pp. 9-21 ; A. ONDOUA, « La Cour de cassation et la place respective de la Constitution et des traités dans la hiérarchie des normes », RGDIP, 2000, pp. 985-1002 ; F. POIRAT,

« Réception du droit international et primauté du droit interne : histoire de dualismes », RGDIP, 2000, pp. 811-824.

32. Arrêt Nicolo, Conseil d’État, 20 octobre 1989 (Recueil, p. 190) et arrêt Sarran, Levacher et autres, Conseil d’État, 30 octobre 1998 (Recueil, p. 368 ; RFDA 1998, pp. 1081-1090, concl. MAUGUE) ; arrêt Jacques Vabre, Cour de cassation, Chambres mixtes, 24 mai 1975 (Bull. Ch. mixte n° 4) et arrêt Mlle Pauline Fraisse, Cour de cassation, Assemblée plénière, 2 juin 2000 (Bull. A.P. n° 4 ; JCP, 2001.II.73). Voy. également, dans le même sens, la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative à l’article 88-1 de la constitution et l’application des normes communautaires : décision n° 2004-496 DC du 10 juin 2004, JO, 22 juin 2004 ; décision n° 2004-497 DC du 1er juillet 2004, JO, 10 juillet 2004 ; décision n° 2004-499 DC du 29 juillet 2004, JO, 7 août 2004 ; décision n° 2006-543 DC du 30 novembre 2006, JO, 8 décembre 2006.

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L’article 75 § 22 de la constitution argentine et la valeur constitutionnelle B.

des normes internationales protectrices des droits de l’homme

Concernant la situation en Argentine, au-delà du contexte politico-juridique général de la reprise actuelle des poursuites des crimes de la dictature 33, nous ferons, relativement à la France, un double constat : le droit international a dans l’ordre juridique argentin une infl uence forte, et son usage par les juges suprêmes est rendu plus aisé.

Plusieurs facteurs expliquent cela : au niveau international, l’importante évolution du droit dans la continuité de l’héritage de Nuremberg, avec un accrois- sement indéniable des instruments et outils juridiques à disposition ; au niveau régional, le développement récent du système interaméricain de protection des droits de l’homme, et la richesse d’une jurisprudence qui prend son envol depuis une décennie, et dont on souligne souvent le caractère engagé en matière de lutte contre l’impunité des violations massives de droits de l’homme 34 ; au niveau national, la grande perméabilité du système juridique argentin au droit international depuis l’importante réforme constitutionnelle de 1994. Cette réforme accorde une valeur constitutionnelle aux principaux instruments internationaux protecteurs des droits de l’homme en les intégrant, souverainement, au bloc de constitutionnalité (au sens de l’article 75, § 22 de la constitution qui énumère les textes en question) 35 – allant ainsi beaucoup plus loin que la constitution française qui, elle, n’accorde qu’une valeur supra-législative aux traités et accords internationaux, sans distinguer entre les instruments relatifs à la protection des droits de l’homme et les autres.

33. Pour une analyse critique du contexte, nous renvoyons à G. MAURINO, « A la búsqueda de un pasado en la democracia Argentina », in R. GARGARELLA coord., Teoría y Critica del Derecho Constitucional, Abeledo-Perrot, Buenos Aires, 2008, tome II, pp. 1031-1059, à mettre en perspective avec, par exemple, D. R. PASTOR, « La deriva neopunitivista de organismos y activistas como causa del desprestigio actual de los derechos humanos », Nueva Doctrina Penal (NDP), 2005/A, pp. 73-114, et la réponse de V. ABRAMO- VICH dans son éditorial de la NDP, 2007/B, pp. I-XVIII. Voy. aussi L. FILIPPINI / C. VARSKY, « Desarrollos recientes de las instituciones de la justicia de transición en Argentina », NDP, 2005, pp. 115-168 (on trou- vera une version résumée et actualisée de ce travail dans V. ABRAMOVICH / A. BOVINO / C. COURTIS comp., La aplicación de los tratados sobre derechos humanos en el ámbito local. La experiencia de una década, Editores del Puerto, Buenos Aires, 2007, pp. 447-472), ainsi que Y. GUTHMANN, « La réforme du système de justice (2003-2006) : esquisse d’une nouvelle logique démocratique ? », in D. QUATTROCCHI-WOISSON dir., L’Argentine après la débacle, itinéraires d’une recomposition inédite, Éditions Michel Houdiard, Paris, 2007, pp. 245-265. Plus généralement : S. LEFRANC, « L’Argentine contre ses généraux : un charivari judiciaire ? », Critique internationale, n° 26, janvier 2005, pp. 23-34.

34. Voy. les synthèses de H. TIGROUDJA, « La Cour interaméricaine des droits de l’homme au service de ‘l’humanisation du droit international public’. Propos autour des récents arrêts et avis », cet Annuaire, 2006, pp. 617-640 ; K. MARTIN-CHENUT, « Amnistie, prescription, grâce : la jurisprudence interaméricaine des droits de l’homme en matière de lutte contre l’impunité », RSC, n° 3, 2007, pp. 628-640 ; L. HENNEBEL / H. TIGROUDJA dir., Le particularisme interaméricain des droits de l’homme, Pedone, Paris, 2009 ; E. LAMBERT ABDELGAWAD / K. MARTIN-CHENUT dir., Réparer les violations graves et massives des droits de l’homme : la Cour interaméricaine, pionnière et modèle ?, Société de législation comparée, Paris, 2010.

Pour une approche critique sur la valeur de cette jurisprudence dans l’ordre juridique interne et son autorité démocratique : L. FILIPPINI, « Algunos problemas en la aplicación del derecho internacional de los derechos humanos en el fallo Simón de la Corte Suprema Argentina », in M. REED HURTADO ed., Judicialización de Crímenes de Sistema – Estudios de caso y análisis comparado, Centro Internacional para la Justicia Transicional, Bogotá, 2008, pp. 467-511 ; G. MAURINO, Ibid., pp. 1057 ss ; M. F. VALLE, « Corte suprema, dictadura militar y un fallo para pensar », in R. GARGARELLA coord., ibid., p. 1070.

35. Cf. les commentaires de R. C. BARRA, « Declaraciones, tratados y convenciones internacionales », in La Reforma de la Constitución explicada por miembros de la Comisión de redacción, Rubinzal-Culzoni Editores, Buenos Aires, 1994, pp. 167 ss ; G. J. BIDART CAMPOS, « El artículo 75, inciso 22, de la Consti- tución y los derechos humanos », in M. ABREGU / C. COURTIS comp., La aplicación de los tratados sobre derechos humanos por los tribunales locales, Editores del Puerto, Buenos Aires, 2° ed. 2004, pp. 77-88 ; F. MOSCARIELLO, « Búsqueda de soluciones más justas en defensa de los delitos más injustos. Comentario al inolvidable », La Ley, 2005, 330.

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Plusieurs autres particularités sont à relever. D’abord, la constitution argen- tine paraît offrir une forme plus avancée de monisme, avec une utilisation du droit international des droits de l’homme qui vise à compléter la déclaration consti- tutionnelle des droits et des libertés dans un esprit de « consolidation démocra- tique » post-dictatoriale 36. Ensuite, elle crée une sorte de hiérarchie matérielle (ou hiérarchie axiologique) 37 entre les normes internationales 38, fondée sur leur objet, et au sommet de laquelle se situent les normes protectrices des droits de l’homme 39. Enfi n, elle intègre dans le bloc de constitutionnalité non seulement des normes internationales conventionnelles, mais aussi les déclarations universelle et américaine des droits de l’homme de 1948. Ce dernier point renvoie d’ailleurs à la question de la place de la coutume dans l’ordre juridique interne et dans la hiérarchie des normes : même si, comme la constitution française, la loi fondamen- tale argentine est muette sur ce point, plusieurs auteurs 40, ainsi que la majorité des juges de la Cour suprême à partir de 1995 41, considèrent que la coutume est d’application directe en droit interne, voire même de hiérarchie constitutionnelle, à travers une interprétation très large de l’article 118 de la constitution (ancien- nement article 102) 42.

Quoi qu’il en soit, à défaut d’incrimination nationale du crime contre l’huma- nité (et du crime de disparition forcée en tant que tel) dans le code pénal argentin à l’époque de l’affaire Simón 43, la majorité des juges suprêmes justifi e l’usage de la qualifi cation de crime contre l’humanité par un recours à la convention inter- américaine sur la disparition forcée des personnes (1994) et, plus généralement

36. Cf. J.-M. BLANQUER, « Consolidation démocratique ? Pour une approche constitutionnelle », in Pouvoirs, l’Amérique latine, 2001, n° 98 ; H. TIGROUDJA, « Le droit international dans les États d’Amé- rique latine : regards sur l’ordre juridique argentin », Revue internationale de droit comparé, 2008, n° 1, pp. 107 ss (l’auteure préfère toutefois parler de « variante originale du dualisme », p. 119). Sur l’interpré- tation de la complémentarité du droit international conventionnel des droits de l’homme et la suprématie constitutionnelle : R. C. BARRA, Ibid., pp. 187 ss ; G. J. BIDART CAMPOS, Ibid., pp. 86 ss ; G. R. MONCAYO,

« Reforma constitucional, derechos humanos y jurisprudencia de la Corte Suprema », in M. ABREGU / C. COURTIS comp., Ibid., pp. 98 ss ; G. BADENI, « El caso ‘Simón’ y la supremacía constitucional », La Ley, 2005, 639 ; C. PIZOLLO, « Cuando la Constitución vence al tiempo. Sobre la inconstitucionalidad de las leyes de obediencia debida y punto fi nal en el caso ‘Simón’ », La Ley, 2005, 510.

37. R. GUASTINI, « ‘Lex superior’. Pour une théorie des hiérarchies normatives », intervention dans le cadre du séminaire international organisé à l’Université de Rouen les 18-19 juin 2004 sur le thème « Les juristes et la hiérarchie des normes ». Cf. également V. CHAMPEIL-DESPLATS, « Raisonnement juridique et pluralité des valeurs : les confl its axio-téléologiques de normes », Analisi e diritto, 2001, pp. 65 ss.

38. Au sens d’une « hiérarchie particulière dont le fondement réside dans l’importance fondamentale de certaines règles pour la communauté internationale ou le fonctionnement du droit international » (R. KOLB, Théorie du ius cogens international. Essai de relecture du concept, PUF, Paris, 2001, p. 127).

Sur la hiérarchie des normes comme expression d’une idéologie juridique : M. TROPER, « Fondement du caractère obligatoire et problème de causalité en droit international contemporain », in Réalités du droit international contemporain, Publ. de la Faculté de droit de Reims, Reims, 1977, pp. 48 ss.

39. Voy. également H. TIGROUDJA, « Le droit international dans les États d’Amérique latine… », op. cit., p. 115.

40. Par exemple R. MATTAROLLO, « Recent Argentine Jurisprudence in the Matter of Crimes Against Humanity », The Review of the International Commission of Jurists, n° 62-63, 2001, p. 13 ; P. L. MANILI,

« Primeras refl exiones sobre el fallo ‘Simón’ : una disidencia ajustada a derecho », La Ley, 2005, 15.

41. Cf. l’arrêt Priebke du 2 novembre 1995, l’arrêt Clavel du 24 août 2004 et l’arrêt Simón du 14 juin 2005 (jurisprudence accessible sur le site internet de la Cour suprême : [www.csjn.gov.ar]). Pour des déve- loppements : P. PARENTI, « La jurisprudencia argentina frente a los crímenes de derecho internacional », Lateinamerika Analysen, 18, 3/2007, pp. 64 ss et, du même auteur, « La relación entre derecho internacional y derecho penal nacional: el caso ‘Simón’ », in D. R. PASTOR ed., El sistema penal en las sentencias recientes de la Corte suprema, ad hoc, Buenos Aires, 2007, pp. 353 ss ainsi que « The Prosecution of International Crimes in Argentina », International Criminal Law Review, 10/2010, pp. 501 ss.

42. L’article 118 de la constitution argentine (intégré au chapitre relatif aux attributions du pouvoir judiciaire) se réfère au « droit des gens » (« (…) cuando [el delito] se cometa fuera de los límites de la Nación, contra el derecho de gentes, el Congreso determinará por una ley especial el lugar en que haya de seguirse el juicio »).

43. Supra, note 5.

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encore, au droit international coutumier 44. Le renvoi au texte international conven- tionnel de 1994 – lequel qualifi e la pratique systématique de la disparition forcée de crime contre l’humanité 45 – permet en effet d’opérer la conciliation nécessaire avec le respect du principe de souveraineté étatique : la convention, ratifi ée par l’Argentine le 28 février 1996, est intégrée à l’ordre juridique national et a de surcroît une valeur constitutionnelle depuis 1997, date à laquelle le parlement l’a incorporé à l’article 75, § 22 de la constitution selon les termes prévus par cette disposition 46.

En revanche, l’application rétroactive de la convention interaméricaine sur les disparitions forcées de 1994, tout comme le recours à la coutume internationale comme fondement de l’incrimination, donnent lieu à quelques développements supplémentaires, notamment du point de vue de la question du respect du principe de légalité pénale.

LE RECOURS AU DROIT INTERNATIONAL II. –

ET LE RESPECT DU PRINCIPE DE LÉGALITÉ PÉNALE

Il convient de rappeler que c’est l’expérience de Nuremberg qui, au lendemain de la seconde guerre mondiale, a suscité le premier grand débat doctrinal sur le sens et la portée du principe de légalité en droit international 47. La question de la signifi cation de la légalité est particulièrement intéressante et délicate en droit pénal international, et la situation en 1945 est tout à fait particulière : c’est la première fois que cette question doit être appréhendée sous l’angle d’un droit pénal international directement appliqué aux individus, par une juridiction inter- nationale, indépendamment des droits nationaux 48. Or il n’existe à cette époque

44. Voy. en particulier les opinions des juges Boggiano (consid. 38 ss), Maqueda (consid. 44 ss) et Lorenzetti (consid. 19), dans l’arrêt Simón du 14 juin 2005. Notons au passage les importantes critiques formelles dont cet arrêt fut l’objet : extrêmement long, fragmenté et mal structuré, il est en effet d’un accès fort diffi cile, y compris pour les professionnels du droit. D’aucuns considèrent que ce « véritable traité doctrinal consacré aux relations entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire » illustre peut-être le souhait de « montrer que la justice constitutionnelle n’est plus aussi ‘faible et dépendante’ qu’elle a pu l’être » dans le passé (H. TIGROUDJA, « Le droit international dans les États d’Amérique latine… », op. cit., p. 90 ; voy. aussi C. MOLINA, « La revendication de la politique en Amérique latine », RDP, n° 6, 2005, p. 1610). Pour d’autres, au contraire, il traduit avant tout l’incapacité des juges suprêmes de dialoguer entre eux et d’analyser / organiser collectivement les divers arguments (H. L. FOLGUEIRO, « Inconstitucionalidad de la Leyes de Punto Final y Obediencia Debida. Notas al fallo ‘Simón’ de la Corte Suprema de Justicia de la Nación », in Derecho a la Identidad y Persecución de Crímenes de Lesa Humanidad, Abuelas de Plaza de Mayo, Buenos Aires, 2006, p. 67 ; M. F. VALLE, op. cit., p. 1062) : porteur d’une grande confusion, cet arrêt est perçu par certains comme une sorte de « babel argumental » qui participe au défi cit d’autorité démocratique de cet organe (G. MAURINO, op. cit., p. 1056).

45. Le préambule de la convention de 1994 dispose que « la pratique systématique de la disparition forcée des personnes constitue un crime de lèse humanité ».

46. Cf. la loi n° 24.820 du 30 avril 1997. L’article 75, § 22 de la constitution argentine prévoit en effet que puissent être intégrés au bloc de constitutionnalité de nouveaux instruments internationaux des droits de l’homme suite à leur approbation par le parlement, puis au vote des 2/3 des membres de chaque chambre (« Los demás tratados y convenciones sobre derechos humanos, luego de ser aprobados por el Congreso, requerirán el voto de las dos terceras partes de la totalidad de los miembros de cada Cámara para gozar de la jerarquía constitucional »).

47. Pour une étude détaillée de cet important débat doctrinal post-Nuremberg : S. GARIBIAN, « Crimes against humanity and international legality in legal theory after Nuremberg », Journal of Genocide Research, vol. 9, n° 1, 2007, pp. 93-111, et Le crime contre l’humanité…, op. cit., pp. 149 ss.

48. Cette question fut soulevée en droit international une seule fois avant Nuremberg, par la Cour permanente de justice internationale, en 1935 (CPJI, AC, 4 décembre 1935, Compatibilité de certains décrets-lois dantzikois avec la constitution de la Ville libre). Dans cette affaire, la Cour reconnaissait l’impor- tance du principe de légalité dans certains systèmes juridiques, sans se prononcer pour autant sur sa portée

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aucun texte international portant sur le principe de légalité. En outre, le caractère multidisciplinaire (conjonction de droit pénal comparé et de droit international public) et coutumier d’un droit pénal international alors naissant n’est pas sans compliquer la tâche, lorsqu’il s’agit de déterminer le standard de légalité. Enfi n, même si le principe de légalité est depuis les Lumières un principe fondamental dans la majorité des ordres juridiques nationaux, sa signifi cation varie selon la théorie juridique présupposée.

De fait, le choc engendré par les ravages du nazisme, suivi du débat doctrinal lancé par l’expérience de Nuremberg, met radicalement à l’épreuve la thèse posi- tiviste classique de la séparation stricte entre le droit et la morale 49, et ouvre le champ à un mouvement dans la science juridique. Ce mouvement donne lieu à une nouvelle conception du droit marquée par une possible « moralisation » de ce dernier – et, partant, à un nouveau courant, le inclusive ou soft positivism 50 – qui accompagnera tout le développement du droit international des droits de l’homme et d’un droit pénal international en construction.

Cette nouvelle conception du droit admet en défi nitive que le principe de léga- lité puisse être limité par des principes généraux supérieurs. L’idée est la suivante : dans certains cas limites, lorsqu’une solution apportée par le droit positif en vigueur au moment des faits n’est pas moralement satisfaisante, il est possible de choisir

« le moindre des deux maux » : soit assumer par exemple la création de normes rétroactives plutôt que de laisser impunis des actes manifestement immoraux et répréhensibles. C’est cette même idée qui fera, ensuite, l’objet de la célèbre controverse Hart / Fuller en 1958, relative à la condamnation des « mouchards » allemands de l’ancien régime nazi 51.

en droit international. Pour plus de détails, cf. C. BASSIOUNI, Crimes Against Humanity in International Criminal Law, Kluwer Law International, The Hague, London, Boston, 2e éd. 1999, pp. 138-140. Cela dit, on trouve une indication intéressante relative à ce que l’on appelle en droit international général le principe de contemporanéité, dans l’affaire Île de Palmas de la Cour permanente d’arbitrage en 1928 : « un acte juridique doit être apprécié à la lumière du droit de l’époque, et non à celle du droit en vigueur au moment où s’élève ou doit être réglé un différend relatif à cet acte » (sentence de Max Huber, Cour permanente d’arbitrage, Iles de Palmas, 4 avril 1928). Ce principe repose sur la même idée que celle exprimée par le principe de non rétroactivité en matière pénale : « un individu ne doit pas être puni pour un acte dont il ne pouvait savoir qu’il était interdit au moment où il le commettait » (B. STERN, « De l’utilisation du temps en droit international pénal », in Le droit international et le temps, Pedone, Paris, 2001, p. 254).

49. À propos de cette thèse, nous renvoyons à H. KELSEN, Théorie pure du droit (trad. Charles Eisen- mann), Dalloz, Paris, 1962 (1960), pp. 79 ss ; H. L. A. HART, The Concept of Law, Clarendon Law Series, Oxford, 7° ed. 1988, pp. 181 ss ; M. TROPER, Pour une théorie juridique de l’État, PUF, Paris, 1994, pp. 27 ss ; N. BOBBIO, Essais de théorie du droit (trad. Michel Guéret/Christophe Agostini), LGDJ, Bruylant, Paris, Bruxelles, 1998, pp. 39 ss. Voy. également le débat Lochak / Troper relatif au rôle joué (ou non) par le positivisme juridique dans l’essor de la politique antisémite : D. LOCHAK, « La doctrine sous Vichy ou les mésaventures du positivisme », in Les usages sociaux du droit, CURAPP-PUF, Paris, 1989, pp. 253-285 et M. TROPER, « La doctrine et le positivisme (à propos d’un article de Danièle Lochak », in ibid., pp. 287-292 ; ainsi que le dossier « La neutralité de la dogmatique juridique : mythe ou réalité ? » (D. LOCHAK, « Une neutralité impossible » et M. TROPER, « Entre science et dogmatique, la voie étroite de la neutralité »), in P. AMSELEK dir., Théorie du droit et science, PUF, Paris, 1994, pp. 293-325.

50. Selon le inclusive ou soft positivism tel que défendu, par exemple, par Coleman, la morale n’est ni nécessairement exclue ni nécessairement inclue dans le concept de droit : à la thèse de la séparation, ce courant préfère la thèse de la séparabilité. Voy. J. COLEMAN, The Practice of Principle: In Defense of a Pragmatist Approach to Legal Theory, Oxford University Press, Oxford, 2000, ou encore W. J. WALUCHOW, Inclusive Legal Positivism, Clarendon, Oxford, 1994.

51. La question de fond sera dans ce cas « Devons-nous punir ceux qui ont commis des actes répréhen- sibles au moment où ils étaient permis par les lois nazies alors en vigueur ? » : H. L. A. HART, « Positivism and the separation of Law and Morals », Harvard Law Review (HLR), vol. 71, n° 4, 1958, pp. 593-629 et The Concept of Law, op. cit., pp. 203 ss ; L. L. FULLER, « Positivism and fi delity to Law. A reply to Professor Hart », HLR, vol. 71, n° 4, 1958, pp. 630-672. Pour une reconstruction du débat : R. ALEXY, « On Necessary Relations Between Law and Morality », Ratio Juris, n° 2, 1989, pp. 167-183 et « A Defence of Radbruch’s Formula », in D. DYZENHAUS ed., Recrafting the Rule of Law: The Limits of Legal Order, Hart Publishing,

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Du point de vue pratique, la nouvelle approche de la légalité issue des débats post-Nuremberg est à l’origine de l’élaboration de l’article 7, § 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales de 1950, puis de l’article 15, § 2 du pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966. Ces dispositions prévoient en effet une exception au principe de légalité (garanti au paragraphe 1er des mêmes articles), au nom de « principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées » (convention de 1950) ou « par l’ensemble des nations » (pacte de 1966), qui ne sont pas autrement défi nis 52. Les travaux préparatoires de ces dispositions révèlent que l’objectif initial des rédac- teurs était d’éviter l’impunité des criminels nazis, autant que la condamnation juridique ou morale du nouveau droit de Nuremberg 53. C’est dans cet esprit que sera traitée, par la suite, la question du jugement des crimes est-allemands au lendemain de la réunifi cation de l’Allemagne 54.

Il est important de souligner que si la France est entièrement liée par les deux dispositions précitées (soit les articles 7, § 2 de la convention européenne de 1950 et 15, § 2 du pacte international de 1966) 55, l’Argentine, quant à elle, ratifi e le pacte de 1966 (lequel a une valeur constitutionnelle en vertu de l’article 75, § 22 de la constitution argentine) en émettant toutefois une réserve à son article 15,

§ 2 : « Le Gouvernement argentin déclare que l’application du paragraphe 2 de l’article 15 du Pacte (…) sera subordonnée au principe consacré à l’article 18 de notre Constitution nationale » 56. Tant en France qu’en Argentine le principe de légalité est un principe constitutionnel respectivement consacré à l’article 8 de la déclaration française des droits de l’homme et du citoyen (1789), qui fait partie du bloc de constitutionnalité 57, et à l’article 18 de la constitution argentine 58.

Oxford, Portland Oregon, 1999, pp. 15-39. Cf. aussi, plus récemment : F. HALDEMANN, « Gustav Radbruch vs. Hans Kelsen : A Debate on Nazi Law », Ratio Juris, n° 2, 2005, pp. 162-178.

52. Article 7, § 2 de la convention de 1950 : « Le présent article ne portera pas atteinte au jugement et à la punition d’une personne coupable d’une action ou une d’une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d’après les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées ».

Article 15, § 2 du pacte de 1966 : « Rien dans le présent article ne s’oppose au jugement ou à la condamnation de tout individu en raison d’actes ou omissions qui, au moment où ils ont été commis, étaient tenus pour criminels, d’après les principes généraux de droit reconnus par l’ensemble des nations ».

53. M. BOOT, Genocide, Crimes Against Humanity, War Crimes. Nullum Crimen Sine Lege and the Subject Matter Jurisdiction of the International Criminal Court, Intersentia, Antwerpen, Oxford, New York, 2002, pp. 137 ss et 158.

54. Voy. notamment l’affaire Egon Krenz, dernier chef d’État est-allemand, condamné par un tribunal de l’Allemagne réunifi ée pour avoir ordonné des tirs de fugitifs à la frontière avant la chute du mur (alors même que ces actes n’étaient pas illicites au regard du droit est-allemand de l’époque) : P. TAVERNIER,

« L’affaire du ‘Mur de Berlin’ devant la Cour européenne. La transition vers la démocratie et la non rétroac- tivité en matière pénale », Revue trimestrielle des droits de l’homme, 2001, pp. 1109-1181 (commentaire des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme du 22 mars 2001, Streletz, Kessler et Krenz c.

Allemagne et K.-H. W. c. Allemagne).

55. Cf. les décrets de promulgation n° 74-360 du 3 mai 1974 (JO, 4 mai 1974) et n° 81-76 du 29 janvier 1981 (JO, 1er février 1981).

56. L’Argentine approuve le pacte par la loi n° 23.313 du 17 avril 1986, et le ratifi e le 8 août 1986.

Le texte original de la réserve est le suivant : « El gobierno argentino manifi esta que la aplicación del apartado segundo del Artículo 15 del Pacto (…) deber estar sujeta al principio establecido en el Artículo 18 de nuestra Constitución Nacional ». Sur cette réserve, voy également infra, notes 81 et 90. Cf. l’article 18 de la constitution argentine qui garantit le principe de légalité, infra, note 58.

57. Depuis la décision n° 71-44 du Conseil Constitutionnel (16 juillet 1971, JO, 18 juillet 1971). La valeur constitutionnelle du principe de non rétroactivité de la loi pénale est confi rmée dans sa décision n° 79-109 du 9 janvier 1980 (JO, 11 janvier 1980) ; et celle du principe pas de crime ni de peine sans loi, dans sa décision n° 81-127 des 19-20 janvier 1981 (JO, 22 janvier 1981). L’article 8 de la déclaration de 1789 dispose : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ».

58. Article 18 de la constitution argentine : « Aucun habitant de la Nation ne peut être frappé d’une peine, sinon en vertu d’un jugement préalable fondé sur une loi antérieure au fait incriminé, ni jugé par des commissions spéciales, ni distrait des juges désignés par la loi antérieure au fait de la cause (…) »

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