Colloque Psychanalyse, Psychiatrie, Philosophie
Organisé par B. Pachoud, O. Putois & S. Troubé
Centre de Recherches Psychanalyse, Médecine et Société (CRPMS) EA 3522 Université Paris-‐Diderot
Lieu
Auditorium du pôle des langues et civilisations, INALCO, 65 rue des Grands-‐
Moulins, 75013 Paris.
Horaire
9h-‐12h45 & 14h30-‐18h30
Ce colloque, pensé dans un esprit interdisciplinaire, proposera un double aperçu, à la fois historique et contemporain, sur les rapports entre psychanalyse, psychiatrie et philosophie, qui ont contribué, chacune à leur manière, à produire un discours sur le champ de la psychopathologie. L’interaction entre ces trois perspectives est en effet constante, aussi bien historiquement (que l’on pense à l’importance de la phénoménologie pour Binswanger, ou à l’œuvre de P. Fédida) que dans la contemporanéité – ainsi des travaux de Louis Sass, manifestant l’attention de la psychiatrie contemporaine à l’endroit des modèles phénoménologiques, ou l’intérêt croissant du champ psychanalytique lacanien pour la philosophie du langage ordinaire, qu’Austin disait pouvoir aussi appeler « phénoménologie linguistique ». On souhaite interroger les tenants et les aboutissants de ces interactions en compagnie de spécialistes reconnus, qui évoqueront aussi bien les théories contemporaines de l’empathie à la croisée des neurosciences et de la philosophie, ou la modélisation phénoménologique fine de la schizophrénie, que l’importance conceptuelle de la philosophie du langage ordinaire pour Lacan ou les tentatives de mobilisation de la théorie winnicottienne de l’identification en philosophie sociale.
Intervenants
Bernard Baas, Professeur Honoraire en Chaire Supérieure (Philosophie), Lycée Fustel de Coulanges, Strasbourg
Jean-‐François Courtine, Professeur (Philosophie), EA « Métaphysique, Histoires, transformations, actualité », Université Paris IV Sorbonne (sous réserve)
Dorothée Legrand, Chargée de Recherches au CNRS (Philosophie), Archives-‐Husserl de Paris
Pierre Marie, Psychanalyste, Docteur en philosophie, Docteur en médecine et psychiatre (ancien chef de service)
Olivier Putois, Chercheur post-‐doctorant LabEx (Études Psychanalytiques &
Épistémologie de la Biologie), Centre de Recherches Psychanalyse, Médecine et Société, Université Paris-‐Diderot.
Louis A. Sass, Professeur de psychologie clinique, the Graduate School of Applied and Professional Psychology, Rutgers University
Bérangère Thirioux, Chercheur post-‐doctorant (Neurosciences et philosophie), Collège de France
Sarah Troubé, Doctorante (Psychanalyse et psychopathologie) au Centre de Recherches Psychanalyse, Médecine et Société & ATER (UFR d’Études
Psychanalytiques), Université Paris-‐Diderot.
Matinée
Interactions de la philosophie et de la psychanalyse
Présidence : Alain Vanier (PU, Université Paris Diderot, directeur du CRPMS) Discussion : Rémy Potier (MCU, Université Paris Diderot)
9h : Ouverture par Alain Vanier
9h15 : Bernard Baas
"Subversion" et "dialectique" : Lacan avec Hegel.
10h : Jean-‐François Courtine (sous réserve) De Francis Ponge à Pierre Fédida : L’objeu
10h45-‐11h15 : Pause
11h15-‐12h : Olivier Putois
L’identité : reconnaissance ou aliénation ? Destins de l'identification primaire dans la théorie de la reconnaissance.
12h-‐12h45 Pierre Marie L'esprit est au dehors
Après-‐midi
Usages contemporains de la phénoménologie : psychiatrie, psychanalyse, neurosciences
Présidence : François Villa (PU, Université Paris Diderot, Directeur-‐adjoint du CRPMS [sous réserve])
Discussion : Bernard Pachoud (PU, Université Paris Diderot)
14h30 : Ouverture de l’après-‐midi par François Villa
14h45-‐15h30 : Dorothée Legrand
« Je vous écoute ». Considérations du pouvoir des mots d’un point de vue clinique, épistémique et éthique.
15h30-‐16h15 : Louis A. Sass
Troubles du soi et de la conscience de soi dans la schizophrénie : Structure, spécificité et
16h45-‐17h30 : Sarah Troubé
L’atmosphère délirante et la perte de la réalité dans la psychose débutante : une interface entre clinique, phénoménologie et modèles neurocognitifs.
17h30-‐18h15 : Bérangère Thirioux
Neurophénoménologie et Hétérophénoménologie: limites épistémologiques de l'étude neuroscientifique de l'empathie
18h15-‐18h30 : Clôture de la journée
Résumés des communications
B. Baas
"Subversion" et "dialectique" : Lacan avec Hegel.
A partir de l'essai "Subversion du sujet et dialectique du désir dans l'inconscient freudien", il s'agira de suivre la référence lacanienne à la Phénoménologie de Hegel, pour comprendre quelle subversion du sujet est opérée par cette nouvelle dialectique du désir qu'introduit le concept de castration.
Jean-‐François Courtine (sous réserve) De Francis Ponge à Pierre Fédida : L’objeu
Dorothée Legrand
« Je vous écoute ». Considérations du pouvoir des mots d’un point de vue clinique, épistémique et éthique.
La naissance de la psychanalyse opéra un tournant majeur en plaçant le clinicien en position d’écoute. Par ailleurs, aujourd’hui, il n’est pas rare que la médecine somatique revendique l’efficacité thérapeutique de l’écoute des patients, et que la recherche en sciences cognitives s’appuie sur l’expérience que rapportent les sujets pour générer des données. Ces approches narratives ne se réfèrent pas à la psychanalyse mais à la phénoménologie. Dans ces différents contextes cliniques et épistémiques, les conséquences que l’écoute de sa parole peut avoir sur le patient varient considérablement, selon qu’un cadre narratif prédéterminé soit privilégié ou qu’au contraire une hospitalité inconditionnelle soit donnée à la parole. Je considèrerai ces différents contextes d’écoute et en tirerai les conséquences quant à leur validité d’un point de vue éthique.
Tout le projet de la phénoménologie instituée par Husserl se joue dès la quatrième Recherche Logique, sous la forme d’une décision concernant l’ordre linguistique : il pose un fondement apriorique du langage en déployant une supposée morphologie pure des significations, dont le statut monadique de l’ego est la conséquence inéluctable.
Que ce projet ait été nourri pour invalider le scepticisme engendré par le psychologisme dans le contexte de la crise des fondements des mathématiques, sûrement, mais à quel prix ? Celui du solipsisme.
Au même moment, Freud, l’autre fils de Brentano, découvre en écoutant ses patients l’impact proprement performatif du discours des autres dans la constitution de l’expérience comme dans l’institution du sujet (j’allais dire dans son implémentation) : les fantasmes, écrit-‐il le 25/5/97, se produisent par une combinaison de choses vécues et de choses entendues. La clinique de Freud montre ainsi que l’esprit est au dehors, que la signification est donnée non a priori, mais par les usages, y compris par ceux de l’idiolecte parental, comme l’expose Elisabeth V. R. : elle ne pouvait qu’agir l’injonction de son père de remplacer le fils qu’il n’avait pas eu.
Tout le cheminement de Lacan sera de déployer ce constat dans un parallèle étonnant avec Wittgenstein et Austin, également lecteurs de Freud mais aussi acteurs essentiels du linguistic turn.
Olivier Putois
L’identité : Reconnaissance ou aliénation ? Destins de l'identification primaire dans la théorie de la reconnaissance.
La théorie critique développée par Axel Honneth met au centre de son analytique de l’injustice sociale la catégorie du mépris, qui permet d’intégrer à l’analyse de la violence sociale la dimension symbolique de la méconnaissance de l’identité du sujet.
Or il est frappant de constater que cette analyse, selon laquelle la réparation du mépris passera par la reconnaissance, s’appuie notamment sur les analyses de Winnicott sur le rôle de miroir du regard de la mère dans l'identification primaire. Le caractère paradoxal d'une telle mobilisation tient au fait que Winnicott, en mobilisant la clinique des pathologies narcissiques pour mettre en évidence la dépendance du sentiment d’identité à l’endroit de l’identification, permet bien plutôt de mettre en évidence non l’émancipation, mais au contraire l'aliénation dans laquelle s'inscrit le sujet dès lors qu'il s’engage dans une quête de reconnaissance par l'autre.
On s'attachera à explorer la pertinence de cette hypothèse, en interrogeant à partir de quelques exemples la portée et les limites d’une lecture de la quête de reconnaissance sociale en termes d’émancipation subjective, afin de lui opposer l’écart entre le sujet et toute assignation identitaire définitive – lequel écart permet, au plan politique, une palette d’usages différenciés de la revendication identitaire.
Interroger le sens et les limites de l’utilisation hétérodoxe de Winnicott effectuée par Honneth nous permettra donc, à l'heure où se multiplient les appels à la reconnaissance sous forme de revendications identitaires, d'affirmer la spécificité de la contribution conceptuelle de la psychanalyse à la critique sociale au moyen du levier
Louis A. Sass
Troubles du soi et de la conscience de soi dans la schizophrénie : Structure, spécificité et pathogenèse (questions actuelles et perspectives nouvelles)
Nous proposerons un aperçu et une clarification de l’hypothèse d’un trouble de l’ipséité ou altération de la conscience du soi dans la schizophrénie, en nous centrant sur des travaux et approfondissements théoriques récents. L’exploration et la conceptualisation de cette hypothèse doivent être poursuivies dans plusieurs directions, afin de 1° délimiter plus précisément ce qui relève véritablement du spectre schizophrénique, 2° examiner la structure interne et le potentiel explicatif de cette altération supposée de l’expérience élémentaire du soi et 3° proposer des hypothèses empiriquement testables concernant les voies de la pathogénèse et les interventions thérapeutiques.
Les études comparatives peuvent apporter à ce sujet une contribution scientifique cruciale. Nous décrirons quelques études récentes et exploratoires, basées sur l’exploration, du point de vue de l’expérience du soi, de comptes rendus publiés, dans des contextes cliniques situés hors du spectre schizophrénique : manie, dépression psychotique et syndrome de dépersonnalisation notamment, ainsi que dans l’attitude inhabituelle d’une intense introspection (telle qu’elle a été décrite de manière approfondie dans la psychologie du début du 20ème siècle). Ont ainsi été dégagées, au sein des types d’anomalies du soi, des similarités remarquables (telles que l’aliénation ou la réification des pensées et des expériences corporelles, ou l’effacement du soi ou du monde), ainsi que des différences importantes (notamment l’absence, hors de la schizophrénie, d’une érosion sévère de l’expérience du soi basique, ou d’une réelle confusion de soi et de l’autre). Ces études viennent conforter et préciser le modèle d’un trouble de l’ipséité. Il conviendrait de considérer, dans les recherches à venir, l’expérience du soi comme une variable indépendante, et de proposer des manipulations et modulations de cette dimension (au sein et en dehors de la schizophrénie), afin d’étudier ses associations avec les anomalies touchant la cognition, l’affect, l’expression, ainsi que le fonctionnement neuronal identifiés jusqu’à présent dans la schizophrénie.
Le modèle d’un trouble du self offre une approche dynamique et intégrative de la schizophrénie, en accord avec les avancées récentes des neurosciences cognitives, et congruentes avec la nature hétérogène, variable et holistique de cette pathologie énigmatique.
Sarah Troubé
L’atmosphère délirante et la perte de la réalité dans la psychose débutante : une interface entre clinique, phénoménologie et modèles neurocognitifs
Les transformations des expériences subjectives marquant fréquemment le moment de la transition psychotique ont fait l’objet de descriptions nombreuses et détaillées au sein de la psychiatrie phénoménologique. Or, les hypothèses contemporaines d’un continuum d’expériences « quasi-‐psychotiques » hors de la psychose déclarée, ainsi que les recherches de bases neurocognitives sous-‐tendant ces expériences, ravivent la question de la possibilité de dégager des marqueurs spécifiques à la schizophrénie.
la perspective psychanalytique. Ces transformations de l’expérience peuvent alors apparaître comme l’objet privilégié d’une interface entre les descriptions phénoménologiques de la présence au monde, l’accès aux mécanismes neurocognitifs qui pourraient sous-‐tendre la formation du délire, et la manifestation clinique d’une modalité de rapport à la réalité propre au fonctionnement psychotique.