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Psychiatrie et psychanalyse : lecture contemporaine de la psychopathologie en milieu hospitalier

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Academic year: 2022

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F. Quartier

introduction

On se propose ici de relier soins hospitaliers en psychiatrie et recours à des textes psychanalytiques. C’est une grande chance que de pouvoir développer ce thème car cette manière d’ar- ticuler ce qui au premier abord ne semble pas, ou ne semble plus pouvoir l’être, apparaît pourtant comme une garantie de maintenir un lien fonctionnel entre la psychiatrie et la psychothérapie plutôt que de les faire évo- luer en parallèle comme deux domaines complètement distincts. Mais tout de même, n’est-ce pas incongru de faire de tels liens puisqu’en beaucoup d’endroits la psychanalyse a complètement disparu de l’institution et que les soins hos- pitaliers en psychiatrie se font presque partout sur l’égide des classifications diag nostiques internationales avec l’accent mis sur la disparition de ce que l’on conti nue d’appeler le symptôme ? N’est-ce pas aussi étrangement suranné que de proposer la lecture de textes psychanalytiques alors que dans certains milieux, c’est tout l’enseignement de la psychanalyse qui est mis au chapitre de l’histoire ancienne et l’étude des textes à celui des langues mortes ? Eh bien non, cette proposition d’articuler psychiatrie et psychanalyse n’est ni incongrue ni obsolète, au vu de la complexité de la pratique, au vu aussi de ce qui se passe aujourd’hui dans le lien avec les neurosciences.1

complexitédelapratique

Chaque jour nous sommes rappelés à la complexité de notre tâche : à l’hôpi- tal, en ambulatoire, la clinique interpelle et reste d’un abord particulièrement difficile puisque dans chaque entretien, il y a un au-delà de la codification telle qu’elle est proposée dans les classifications diagnostiques, il y a un au-delà des signes, des symptômes, tels qu’ils sont décrits dans les échelles d’évaluation des- tinées à mesurer les pathologies mentales. L’état des patients hospitalisés met cela particulièrement en évidence : on se trouve à devoir instaurer des soins avec une personne qui réagit, qui s’insurge contre ce qui lui est proposé ou bien qui s’attache trop fort aux soignants, exprime plus de choses qu’il ne faudrait ou qui refuse de parler, bref une personne avec laquelle la relation est malaisée ou Psychiatry, psychoanalysis and psycho­

pathology : reading psychoanalytical texts in in­patient treatments

Most patients receiving psychiatric care are in need of a complex form of treatment com- bining psychiatry and psychotherapy. When these patients are admitted to hospital, this combination should not be lost : the patient will be examined and his medication regula- ted. However, and in contrast to classical me- dical care, the in-patient treatment in itself must have a positive psychotherapeutic im- pact on the patient. To date, psychoanalysis could provide an important contribution in maximizing the psychotherapeutic aspect of the psychiatric treatment if it takes into ac- count current evolutions of medicine and so- ciety. Two short examples illustrate the way we combine psychoanalysis and psychiatry today.

Rev Med Suisse 2010 ; 6 : 1765-9

La plupart des patients qui ont recours aux services de psy­

chiatrie nécessitent des traitements complexes dans lesquels se combinent de manière permanente psychiatrie et psycho­

thérapie. L’hospitalisation, quand elle devient nécessaire, ne doit rien faire perdre de cette double valence : le patient doit être examiné, ses médicaments ajustés, des examens prati­

qués si nécessaire. Mais à la différence d’un séjour en milieu somatique, l’hospitalisation doit également avoir un impact psychothérapeutique. La psychanalyse peut aujourd’hui large­

ment contribuer à potentialiser la part psychothérapeutique du soin psychiatrique à condition de tenir compte de l’évolu­

tion générale de la médecine mais aussi de la société. Deux brefs exem ples illustreront cette manière contemporaine d’arti­

culer psych analyse et psychiatrie.

Psychiatrie et psychanalyse : lecture contemporaine de la psycho- pathologie en milieu hospitalier

perspective

Dr Florence Quartier Département de psychiatrie HUG, 1211 Genève 14 Consultation Servette 89-91 rue de Lyon 1203 Genève

florence.quartier@hcuge.ch

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trop facile ou qui prend une tournure complètement dé- concertante.2 D’où la nécessité de trouver une modélisa- tion théorique qui puisse apporter une compréhension psychopathologique utilisable dans un cadre hospitalier.

L’analyse peut contribuer à ce que chaque soignant, quels que soient son identité et son degré d’expérience, soit à même de maintenir des liens avec chaque patient, en évi- tant les dérapages, les pertes de motivation ou le rejet des cas dits «lourds». On est amené à devoir construire des liens compréhensibles et fonctionnels entre les théories du «trouble mental» et la pratique. On est amené à cons- truire une cohérence, souvent toute relative, entre les dif- férentes interventions, très hétérogènes les unes par rap- port aux autres : on ne voit pas les mêmes signes, on ne fait pas la même évaluation selon que l’on anime un groupe de parole ou que l’on a un entretien individuel.

àproposdela répétition

Voici une brève illustration d’une réflexion où se mê- lent psychiatrie et psychanalyse. Comment expliquer qu’il faille répéter mille fois la même chose à un patient adulte, hospitalisé suite à une tentative de suicide ? C’est d’au- tant plus difficile à assumer sans s’agacer que cet adulte semble apte à raisonner et d’autant plus inquiétant qu’il est susceptible de devenir violent contre lui-même ou contre autrui, si on ne répète pas inlassablement les mê- mes propos rassurants quant au prochain rendez-vous, quant à la suite de son séjour. Les intervenants (méde- cins-internes, infirmiers) ont à supporter quotidiennement ces graves dysfonctionnements relationnels.

Le recours à des textes psychanalytiques bien choisis peut permettre de mettre en relief la fonction essentielle de la répétition : redemander mille fois la même chose c’est une manière de ne pas se noyer quand la transforma- tion de l’angoisse en pensées, en rêveries agréables ou en projets constructifs, devient impossible. René Diatkine, un psychiatre-psychanalyste qui a longtemps travaillé avec nous à Belle-Idée, avait l’habitude d’insister sur ce rôle ca- pital quoique méconnu des soignants qui consiste, disait- il, «à tenir la tête hors de l’eau». Il enchaînait en ajoutant des éléments tirés sans ostentation de la théorie analy- tique et ainsi il était possible de progressivement intégrer une démarche complexe qui nous aidait considérablement à ne pas rejeter le patient, à ne pas insidieusement le mal- traiter et qui, de plus, servait à nous protéger contre le dé- couragement.3

A toutes sortes de moments difficiles de leur vie, les patients se noient dans la désorganisation, dans l’angois- se et les aider à tenir, à ne pas sombrer, s’avère capital.

Ainsi pouvons-nous comprendre combien notre travail au quotidien, combien le fait d’être là, de nous passer des in- formations, de bien comprendre ce qui se passe à l’atelier, dans une promenade où soudain le patient se montre dif- férent, nous permet de mieux supporter la tension rela- tionnelle induite par les demandes répétitives. Si le pa- tient est entendu sans être rejeté, il peut s’appuyer sur les soignants pour retrouver ses propres capacités de fonc- tionnement. Le séjour à l’hôpital devient un passage in- vesti en vue de mieux repartir et surtout pas un lieu pour

régresser ni pour nouer un lien de dépendance. Nombreux sont les textes analytiques qui éclairent cette fonction de la répétition et permettent de bien comprendre l’impor- tance de garder intact notre intérêt pour le patient en tant que personne et de maintenir une curiosité de chaque ins- tant pour le moindre détail nouveau qui surviendrait dans un entretien et aussi dans une intervention avec l’un ou l’autre des intervenants.4

A ce moment où surgissent de partout des menaces dans le champ de la santé, il est très utile de maintenir ce travail d’échanges et de réflexion à un niveau multidisci- plinaire. Articulé à la psychanalyse, il peut devenir un bon garant de la complexité des problématiques psychiatri- ques. Aujourd’hui, dans les discussions en équipe, nous ne donnons pas la psychanalyse comme seule ressource, évi- demment. Nul besoin d’être dogmatique ! Les lectures sont proposées et bien sûr pas imposées. Et c’est au fil du temps que le recours à l’analyse est (re)demandé. Il l’est surtout quand l’analyste est à même de réellement prendre en compte les difficultés cliniques, celles qui sont quotidien- nement vécues dans les unités hospitalières.

Suite à cet échange au sujet de la répétition, je propo- serais volontiers les lectures suivantes :

• H. Searles qui a décrit de manière détaillée et très pas- sionnée la détermination dont il lui a fallu s’armer pour résister à la destructivité que certains patients, sans le vou- loir, exercent sur eux-mêmes et leur environnement.5

• S. Freud, la conférence sur «La sexualité humaine» pour se faire une idée de la complexité du développement de l’être humain.6

Des discussions comme celle dont il vient d’être fait mention, nous en avons régulièrement. Nous n’oublions pas pour autant que les neurosciences ouvrent de nouveaux espaces. Le défi à relever est évident : quand on est cha- que jour confronté à des patients rétifs, bloqués, agités ou perplexes, toujours en grandes difficultés pour s’exprimer, tenant des propos incompréhensibles qui peuvent faire peur ou qui déstabilisent, on se demande comment inté- grer la génétique, les marqueurs et la plasticité cérébrale à cette pratique chaotique. Et pourtant, c’est là un des pou- voirs attractifs de la psychiatrie comme en témoignent les lettres de motivation des jeunes psychiatres qui postulent aujourd’hui pour entreprendre la formation en psychiatrie- psychothérapie : ils souhaitent développer leurs connais- sances dans le domaine des neurosciences et dans celui de la relation. Ils veulent connaître aussi bien que possi- ble le cerveau et veulent établir le contact avec des êtres humains. Ils veulent mettre tout cela ensemble ! Rêvent- ils ? Sûrement pas. Ils semblent bien plutôt porteurs d’une certaine conception d’avenir de la médecine en général et de la psychiatrie en particulier.

Dans la formation en psychiatrie-et-psychothérapie, le trait d’union est essentiel. Il peut, et même il doit dirions- nous, s’incarner à chaque étape de la formation. Et le lien avec les textes analytiques vient là comme une évidence.

En effet, pour la plupart d’entre eux, ces textes sont issus de la pratique clinique. Ils décrivent souvent des traite- ments très difficiles, avec des patients en états aigus tels qu’on en rencontre à l’hôpital. Il s’agit donc de les étudier pour en tirer expérience, témoignage, réflexions et ensei-

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gnement. Mais, puisque ces textes sont tirés de l’expé- rience, ils sont aussi insérés dans un contexte, dans une époque. C’est une erreur qui est faite très fréquemment de proposer la lecture des textes analytique sans tenir compte de l’époque où ils ont été écrits et pire, de les commenter hors de tout contexte sans prendre en consi- dération l’évolution des pratiques. Ces textes ne sont pas sacrés, pas plus ceux écrits par Freud que par d’autres ana- lystes. Ils peuvent être lus, relus, retravaillés et reconsidé- rés. Certaines notions sont devenues obsolètes au fil du temps, d’autres pas du tout. Ces textes ne sont pas des guidelines. Ils sont des repères, ils définissent une dé- marche précise et rigoureuse. Ils n’apportent aucune véri- té définitive mais ils permettent de modéliser la plupart des problématiques que l’on rencontre en psychiatrie et aussi les problématiques aiguës ou récurrentes, telles qu’on les ren contre à l’hôpital et qui restent bien plus difficiles à faire évoluer favorablement dans la durée qu’à traiter ponctuellement.

histoiredesidéesetconception

dessoinsàl

hôpital

Le débat persistant pour définir en psychiatrie la no- tion de maladie et/ou de troubles de décompensation et/

ou d’épisodes, de rétablissement aussi, amène à garder un œil vigilant sur l’histoire des idées. La psychanalyse est particulièrement attentive à définir les liens plus ou moins fonctionnels qui se créent entre le passé et le présent, à un niveau individuel mais aussi au niveau de l’histoire et en particulier de l’histoire des idées. Un livre comme celui de Jacques Hochmann, psychiatre et psychanalyste, nous renseigne parfaitement sur combien il est embarrassant pour la société, pour la psychiatrie, pour la psychanalyse et pour tout un chacun, de supporter ce qu’une notion com- me celle d’autisme recèle d’inconnu, peut-être d’inconnais- sable. La psychose, la schizophrénie et d’autres troubles en psychiatrie nous mettent dans un même embarras. Et quand aujourd’hui on se trouve devant un patient très per- turbé, incompréhensible, il arrive qu’il soit défini comme autiste ou comme «un psychotique» qui perd toute indivi- dualité. Il s’agit alors d’appeler l’histoire à la rescousse pour que notre embarras actuel face à des pathologies en partie incompréhensibles dont on ne connaît toujours pas l’origine, ne se transforme pas en emprise comme cela est parfois arrivé dans le passé.7

Il reste très difficile de travailler dans l’abstraction : le patient est agité mais nul examen ne permet de rapide- ment déterminer ce qui l’agite. Le délire est envahissant et il ne disparaît pas avec les neuroleptiques. De quoi est- il donc fait ? Ni la neurobiologie, ni la génétique, ni aucune recherche en neurosciences n’amènent pour l’heure de ré- ponses définitives, ce qui oblige à poursuivre une réflexion sur les concepts. Il s’agit de délimiter les problèmes psy- chopathologiques en pesant nos mots. Des expressions comme «tel patient est fusionnel» ou «il est régressé» sont des mots trop facilement utilisés. Ils sont à haut risque d’entraîner les soins sur des voies dangereuses. La dé- marche analytique permet de clairement distinguer ce qui a trait au passé de ce qui est inédit ou actuel, ce qui est

régression vers l’infantile de ce qui est blocage actuel. Il s’agit d’éclaircir les concepts, de redonner forme psycho- pathologique à des mouvements pénibles à supporter, en vue de contribuer à éviter des contre-attitudes dont l’effet est négatif, analogue à un effet iatrogène.8

La psychose, depuis toujours, fait l’objet de discussions, de polémiques, d’enjeux, pas tous sous-tendus par le seul souci thérapeutique et le lien à l’histoire, comme dans beaucoup d’autres domaines, s’est grandement perdu. Se- lon qu’on «biologise» la psychose, selon qu’on la place dans les troubles psychiques ou qu’on la maintienne hors du champ psychothérapeutique, c’est la conception même de l’hôpital qui s’en trouve infléchie. Si l’on tient encore aujourd’hui la psychose dans le carcan de la structure, on considère la fonction de l’hôpital très différemment que si l’on accueille dans une unité une personne aux prises avec une problématique psychotique. En certains endroits, en- core aujourd’hui, le patient est considéré comme étant un psychotique, n’ayant droit à rien d’autre qu’à un soin pour sa psychose. Or, rien ne permet d’être aussi péremptoire.

La psychose est une grave problématique, difficile et pé- nible à vivre mais qui n’enlève pas à la personne qui en souffre, ses habitudes, ses désirs, ses attentes. Et cette problématique est loin de pouvoir être réduite à un terme structurel univoque. Parler d’un patient aux prises avec une problématique psychotique plutôt que d’un psycho- tique, ouvre mieux sur un soin individualisé.

hôpitaletdélire

,

psychiatrie

etpsychanalyse

Je prends ici appui sur un échange entre collègues dans un groupe de travail multidisciplinaire comme il est indis- pensable d’en avoir dans tous les services de psychiatrie.

«J’ai conseillé à cette patiente de moins téléphoner à ses parents», dit un psychiatre au sujet d’une femme émi- grée en Suisse, où elle vit très isolée depuis plusieurs an- nées. Elle se plaint que ses parents ne cessent de faire in- trusion dans sa vie. Le père en particulier lui téléphonerait sans cesse, demanderait à poser une caméra sur le télé- phone, la harcèlerait. Il est à noter que c’est moi qui, écrivant ces propos après coup, ne peut concevoir de les mettre sous une autre forme que sous la forme du conditionnel.

Alors qu’ils ont été rapportés au présent : le père – parfois la mère – téléphone à la patiente, la contraint à tout lui dire de sa vie de jeune adulte, l’empêche de vivre.

Nous abordons les différentes manières que nous avons d’évaluer cette situation : mon collègue, un psychiatre for- mé au cours de cette dernière décennie considère que ce que dit cette patiente est vrai puisqu’elle le dit. Et on doit donc la soutenir, l’aider à lutter contre ces parents «intru- sifs». Le père est jugé sévèrement d’autant que la patien te amène des éléments tous plus effrayants les uns que les autres le concernant. Au moment de cette discussion la pa- tiente est hospitalisée pour une dépression sévère et on s’interroge sur la présence ou non d’éléments psychoti- ques. On parle d’un état dépressif réactionnel à la situa- tion induite par la famille. Elle reçoit des antidépresseurs.

L’hôpital devient un lieu de soins pour un état aigu et gra ve.

Les parents ne sont pas les bienvenus. Ils sont d’ailleurs

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peu présents étant souvent à l’étranger. Aucune continuité n’a besoin d’être établie avec l’histoire de la patiente.

Quant à moi, analyste travaillant en psychiatrie, je pense immédiatement que cette jeune femme délire et qu’elle a constitué un objet parental persécutoire et envahissant.

En même temps, j’inclus dans ma réflexion le fait que j’igno- re complètement comment sont les parents dans la réali- té. Pourquoi est-ce que je pense à un délire ? Parce qu’il y a une massivité et une fixité de l’investissement sur cette supposée maltraitance. Parce qu’il y a très peu de déve- loppement d’autres investissements et aussi parce que cette jeune femme a déjà fait à plusieurs reprises des épi- sodes qui me semblent être de type catatonique. Sans mise en perspective psychopathologique, sans évaluation globale du fonctionnement, la dépression de la patiente apparaît comme réactionnelle. De mon point de vue, elle est à la fois déprimée et délirante et que l’un soit la consé- quence de l’autre, ou non, importe peu dans ce premier temps d’évaluation.

L’hôpital pourquoi ?

Dans le groupe de travail, nous échangeons nos points de vue et il s’avère que la ligne de partage ne se fait pas entre psychiatrie et psychanalyse. Certains collègues psy- chiatres pensent comme moi à un délire et les infirmiers sont divisés. Une chose malheureusement est sûre, c’est que l’évolution de la patiente n’est pas bonne, elle se re- plie de plus en plus, exprime des idées noires, elle souf fre.

Il est donc de notre devoir de continuer à chercher com- ment l’aider. Nos conceptions différentes ont d’importan tes conséquences sur les options thérapeutiques : pour l’heu- re, elle reçoit des antidépresseurs et on la soutient dans ses efforts de moins répondre à ses parents, de s’en éloi- gner et on l’enjoint à poursuivre son travail. Sans que pour autant on ne s’interroge sur la nécessité ou même l’utilité qu’elle soit à l’hôpital.

L’hôpital ou l’ambulatoire ?

Je propose d’essayer de lui faire accepter une petite dose de neuroleptiques et simultanément de tenter de l’intéresser à la force du lien relationnel qu’elle entretient avec ses parents qu’elle a pourtant physiquement quittés.

Il s’agit de l’aider à faire évoluer ce lien aux parents. Il n’est nul besoin de faire une enquête pour savoir comment est le père mais il convient de bien tenir compte du fait que l’on ignore comment il est réellement. En proposant ce rai- sonnement je m’appuie sur l’évolution psychanalytique de la théorie du délire ainsi que sur ce qui a été développé ces dernières décennies concernant le travail somato-psy- chique de l’adolescence. Ce travail est aujourd’hui bien connu en psychopathologie psychanalytique et il est très utile d’intégrer ces connaissances dans le traitement des jeunes adultes en grandes difficultés. Il est bien rare que l’adolescence se termine au moment où s’achèvent les transformations pubertaires. Quelles que soient les parti- cularités de ce père, de ces parents, la patiente doit être aidée à trouver sa propre individualité, actuellement noyée sous le poids d’une présence parentale intérieurement trop forte et pas assez retravaillée en fonction de qui elle- même a envie d’être. Cette manière psychanalytique d’en-

visager le problème infléchit les modalités de soins et si- multanément permet de relancer l’intérêt : on va aider cette jeune femme à s’interroger sans honte sur l’histoire de sa famille, qui est assez compliquée, sur ses attentes face à la vie, face à nous. On va donc rouvrir sur le travail inévitable qui s’effectue durant les transformations puber- taires et qui oblige le sujet à s’interroger sur qui il est par rapport à qui ils sont, eux, ses parents. Ce travail chez cette patiente est resté en suspens et cela a pu grande- ment contribuer à la constitution du délire.

Ce point de vue amène à considérer le séjour hospita- lier sous un angle bien précis : l’hôpital devient lieu de soin multidimensionnel permettant une intense mobilisa- tion relationnelle. Si cette jeune femme peut se détendre, et les médicaments peuvent l’y aider, et qu’elle peut se mettre à aborder ce qu’elle craint de ses parents qu’elle croit tout-puissants, elle sera bien mieux à même de bé- néficier des médiations proposées à l’hôpital. Celles-ci vont faciliter la création d’un espace neutre (être à l’atelier avec l’ergothérapeute par exemple) où la patiente pourra découvrir avec étonnement – et du soulagement – qu’elle peut parfois exister par elle-même.9

Vient alors une autre question : faut-il qu’elle soit à l’hô- pital pour cela ? La réponse est simple : cette jeune fem- me dans l’état où elle est actuellement, doit être traitée de manière à la fois intensive et spécifique. Elle doit être traitée sur le plan psychiatrique et psychothérapeutique.

Si le dispositif de soins inclut l’hôpital et des consultations ambulatoires, sans structure intermédiaire, alors elle doit être à l’hôpital et l’hôpital doit veiller à ne pas devenir lieu de soins aspécifiques ou axé sur la seule biologie. Si le dispositif de soins inclut hôpital, structures intermédiaires et consultations alors elle pourrait très certainement bé- néficier d’un traitement du type de ceux appliqués dans les centres de thérapie brève à Genève. Cela aurait l’avan- tage de la maintenir au plus près de sa réalité quotidien- ne. On pourrait alors établir une continuité repérable pour elle entre le séjour hospitalier dont elle a parfois besoin, et le reste du traitement.

Le délire, si délire il y a, est vu ici comme une transfor- mation ratée du travail qui normalement à l’adolescence transforme le parent réel en un parent intériorisé, dési- déalisé mais pas détruit pour autant. Dans le cas de cette jeune femme si impuissante à vivre sa vie d’adulte, c’est tout ce travail intérieur qui doit encore se faire. Ce sera un traitement psychiatrique-psychothérapeutique de longue haleine mais rien n’empêche de le débuter à l’hôpital. Cette jeune adulte poursuivra ensuite ailleurs et avec d’autres intervenants ce qu’elle aura pris goût à comprendre d’elle- même et par elle-même. Il n’est pas besoin de reconsidérer toute l’histoire du délire ni de reparler des tout premiers temps de la vie. On peut aujourd’hui très bien apprendre en quoi consiste le travail de l’adolescence au plan psy- chique et on peut très bien inclure ces connaissances dans le travail hospitalier.

conclusion

Terminant cet article, je proposerais volontiers les textes suivants à lire ou à relire : le livre de S.D. Kipmann pour

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rappeler que le patient est et reste une personne quoi qu’il arrive ; un livre récent de Philippe Jeammet, «Soyons adultes pour nos ados» ainsi que l’excellent article d’Alain Braconnier sous la rubrique «adolescence» dans le Dic- tionnaire International de psychanalyse.10-12 Ce diction- naire, écrit sous la direction d’Alain de Mijolla, est devenu en quelques années un indispensable outil de travail tant sur le plan historique que théorique. On peut ajouter le Manuel de psychologie et de psychopathologie générale de Roussillon et coll. qui est un ouvrage à mettre entre tou tes les mains. Il donne tous les éléments pour intégrer l’analyse à la démarche psychiatrique et pour le faire de manière contemporaine.13 Il y aurait bien d’autres textes à citer mais ces quelques ouvrages ont aussi l’avantage d’il- lustrer combien les critiques contre l’analyse sont souvent simplistes et mal étayées.

Il devient tout à fait possible aujourd’hui d’intégrer les notions de psychisme, d’inconscient, de transfert et de contre-transfert dans l’environnement hospitalier et de le faire sans violence contre d’autres approches. Cela nous

semble non seulement possible mais hautement souhai- table car c’est là une des manières de garder à la psychia- trie la fonction d’alerte qui, depuis toujours, lui revient et qu’il est essentiel de défendre dans le monde chahuté qui est le nôtre aujourd’hui.

1 Magistretti P, Ansermet F. Neurosciences et psy- chanalyse. Paris : Ed. Odile Jacob, Collège de France, 2010.

2 * Shea Shawn C. La conduite de l’entretien psy- chiatrique. L’art de la compréhension. Elsevier, (1re ed.

américaine 1988), 2005 pour la trad. française.

3 Diatkine R. L’apport de la théorie analytique à la compréhension des maladies mentales et, éventuelle- ment, à l’organisation d’institutions destinées à les trai- ter, in Racamier PC, Diatkine R, Lebovici S, Paumelle P. Le psychanalyste sans divan. Paris : Coll. Science de l’homme, Payot, 1973.

4 Quartier F. Freud clinicien, pratiques cliniques con- temporaines en psychiatrie et en médecine. Paris : coll.

thématiques en santé mentale, Doin, 2004.

5 Searles H. Le contre-transfert, (1re version en an- glais, 1979). Paris : Ed. Gallimard, Coll. Connaissance de l’ICS, 1981.

6 Freud S. La sexualité humaine in Conférences d’in- troduction à la psychanalyse, 1915-1917. En français, cet ouvrage est paru chez Gallimard, coll. Connaissance de l’inconscient, traductions nouvelles, Paris. Dans une précédente traduction ce texte est édité chez Payot, Paris, sous le titre, Introduction à la psychanalyse.

7 ** Hochmann J. Histoire de l’autisme. Paris : Ed.

Odile Jacob, 2009.

8 Kestemberg E. Remarques sur le contre-transfert dans le traitement des malades psychotiques, 1983, in La psychose froide, 2001. Paris : PUF, le fil rouge, 2001.

9 www.Carnetpsy, n° 141, février 2010, Les média-

tions thérapeutiques.

10 * Jeammet P. Pour nos ados, soyons adultes. Paris : Ed. Odile Jacob, 2008.

11 Braconnier A. Adolescence, in A. de Mijolla, (sous la dir. de), Dictionnaire International de la psychana- lyse. Paris : éd. Calmann-Lévy, 2002.

12 Kipman SD, et al. Manifeste pour une psychiatrie de la personne. Paris : Doin, coll. thématiques en santé mentale, 2009.

13 ** Roussillon R, et al. Manuel de psychologie et de psychopathologie clinique générale. Paris : Masson, 2007.

* à lire

** à lire absolument

Bibliographie

Implications pratiques

Prévoir une hospitalisation. Eviter d’en arriver à devoir la faire en urgence

Garder le contact avec le patient et son entourage

Veiller à maintenir la double valence du traitement durant l’hospitalisation : il doit rester psychiatrique et psychothéra- peutique

Dans chaque cas, avec chaque patient, définir la fonction que peut avoir l’hôpital psychiatrique

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Références

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