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La guerre sans nom. CHRONIQUES Patrick Brion

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Capitaine Conan deBertrand Tavernier

Patrick Brion

La guerre sans nom

e cinéma français a toujours entretenu des relations plus qu'ambiguës avec l'histoire de notre pays en général et la guerre en parti- culier. Alors que le cinéma hollywoodien n'hésitait pas à produire en pleine guerre de Corée un film aussi ouvertement antimilitariste que Tant qu'il y aura des hommes, financé par un grand studio (la Columbia) et interprété par des acteurs prestigieux, notre cinéma a régu- lièrement été timide et prudent, pour ne pas dire plus.

Est-ce l'autocensure? Est-ce tout simplement l'ha- bitude de ne pas traiter certains sujets? Est-ce plus probablement le fait que la cinématographie française a toujours manifesté une certaine dé- fiance à l'égard de l'histoire de notre pays?

Hollywood tournePatton etMacArthur. Aucun cinéaste français n'a réalisé de film sur de Lattre ou Leclerc. La guerre d'Indochine, celle d'Algérie et les deux guerres mondiales n'ont été qu'effleu- rées par nos metteurs en scène, alors même que tout un pays avait été touché par elles, ne serait-ce qu'en raison du nombre de morts et de l'impor- tance des forces engagées.

Plus lointaine, la Révolution française n'est guère mieux traitée, et c'est curieusement un Polonais (Wajda) qui dirige Danton et l'on doit à un Italien (Scola) la reconstitution de la fuite à Varennes.

En dehors de quelques œuvres, desCroix de bois à RAS, de Paris brûle-t-il? (cofinancé par la Paramount!) à la Bataille du rail, le cinéma français a délaissé le genre si fécond qu'est aux Etats-Unis le«film de guerre» au profit d'intrigues de banlieue ou de comédies estudiantines.

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A l'image de certains des cinéastes français de la grande époque, Bertrand Tavernier a toujours tenuàchoisir avec grand soin ses sujets - souvent des adaptations de romans connus -,àpeaufiner les scénarios etàparfaire le soin qu'il porteàses films par une distribution parfaite. Ce fut le cas notamment pourCoup de torchon et L 627- En 1989, la Vie et rien d'autre lui a permis de s'attacher aux conséquences de la Première Guerre mondiale. La Guerre sans nom était consacrée, quelques années plus tard,àla guerre d'Algérie. Ce n'était pas une œuvre de fiction, mais une suite de témoignages.Capitaine Conan prend pour base le roman de RogerVercel,publié en 1934et qui obtintàl'époque le prix Goncourt.

La période choisie est celle qui suit l'armistice du 11 novembre 1918. Pour tous, la guerre est finie.

Sauf pour le corps expéditionnaire de l'armée d'Orient qui va poursuivre les combats dans les Balkans. L'ennemi n'est plus turc ou allemand, mais bulgare, puis bolchévique.

Roger Vercel s'est dépeint lui-même dans le per- sonnage du lieutenant Norbert, la«conscience»

de l'histoire, un professeur de lettres qui devient, sur ordre, avocat, puis procureur. Face àlui se dresse la figure de Conan, qui se décrit (( non comme un soldat mais comme un guerrier »,Il est un fou de guerre, un chien de guerre, un de ces sous-officiers indispensables, capables de galvaniser leurs hommes et de monteràleur tête àl'assaut d'une colline réputée imprenable.

Refusant les conventions du vedettariat, Taver- nier choisit de confier les rôles de Norbert et de Conan à deux acteurs peu connus du public, Samuel Le Bihan et Philippe Torreton, deux pensionnaires de la Comédie-Française. Même si l'on peut regretter qu'un personnage tel que Conan n'ait pas été interprété par un comédien de l'épaisseur et de l'aura de Gérard Depardieu (mais il n'yen a qu'un en France de cette trempe !),la décision de Tavernier se révèle vite

Plutôt guerrier que soldat!

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L'ennemi est d'abord un homme

àéliminer

une réussite. Le fait que les deux acteurs, excellents, ne soient pas des vedettes permet sans doute au spectateur de s'identifier plus facilement aux héros du film. En marge des règles militaires traditionnelles, Conan et ses hommes agissent comme de véritables francs- tireurs, égorgeant leurs adversaires au poignard et utilisant avec la même dextérité la fronde et l'arbalète, le canon et les armes plus habituelles demeurant le propre du lieutenant Norbert ou du lieutenant de Scève.

L'indéniable force du film tient aussiàla manière avec laquelle Tavernier met en scène les scènes de bataille.«Mon modèleàmoi,avouait-il, c'était John Huston et "la Bataille de San Pietro". Sur les visages de sespersonnages, on avait l'impres- sion de voir la guerre comme on ne l'avait jamais vue. » Il décide en même temps de

«scénariser »beaucoup plus les coups de main de Conan et de ses soldats et de réaliser au contraire les séquences mettant en scène l'armée régulière d'une manière plus abrupte. Au lieu d'avoir un regard presque extérieur et objectif faceàces hommes en guerre, Tavernier immerge réellement sa caméra au milieu d'eux, le camera- man devenant alors plus un véritable correspon- dant de guerre chargeant avec les soldats qu'un cadreur de cinéma obéissant aux directives d'un réalisateur.

Loin de chez eux, les hommes de Capitaine Conan combattent un ennemi qui ne leur est rien. C'est un adversaire qui n'a pas envahi leur pays, un adversaire dont on ne comprend pas la langue, mais aussi un homme qu'il faut éliminer parce que, en temps de guerre, la mission du soldat est de tuer. Certains ont ainsi pu être surpris que le dernier film de Tavernier ne soit pas un film à thèse, véhiculant une multitude de messages et de doctes pensées.

Même si Tavernier ne cache pas son dégoût de la guerre et sa méfiance envers la hiérarchie

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militaire, le film déjoue les pièges de l'anti- militarisme primaire. Certes, le général Pitard de Lauzier, campé par un Claude Rich déchaîné, est un homme borné et la lecture des messages de Pétain et de Foch devant les hommes au garde-à-vous s'achève - en raison de la dysente- rie qui règne - par une débandade fort peu respectueuse des traditions. Par ailleurs, la lon- gue séquence de la messe en plein air - et notamment du confiteor - est un moment superbe et réellement émouvant.

Capitaine Conan souffre parfois du péché mignon propre au cinéma contemporain. Le film dure en effet deux heures et dix minutes. Il y a plus de quarante ans, c'est en quatre-vingt- douze minutes que Samuel Fuller racontait Baïonnette au canon, et en cent sept que Robert Aldrich filmaitAttaque. Cette longueur de l'œu- vre de Tavernier se traduit par quelques effets redondants, mais ceux-ci n'atténuent que rare- ment la force du film.

Le spectateur est d'un coup plongé au sein de cette armée d'Orient qui vit au rythme des fausses nouvelles - c'est le cuistot qui est toujours le mieux informé! -, des ordres et des contrordres. L'opposition entre les trois types d'officiers que sont Norbert, Conan et de Scève se ramène - comme c'est souvent le cas - à une lutte manichéenne. Chacun des trois hommes va, au fur et à mesure que l'histoire se déroule, apparaître sous un éclairage plus complexe, plus ambigu aussi. Chacun des trois a ses raisons, ses traditions, sa manière de combattre. Pour de Scève, c'est une tradition militaire et bourgeoise qui dicte sa conduite. Pour Conan, en revanche, simple mercier breton, la guerre est une forme exceptionnelle d'achèvement personnel. De- venu anachronique à la fin de la guerre, plusieurs mois après l'armistice, Conan retournera chez lui et, vivant une existence quotidienne sans gloire, il attendra, malade et brisé, une mort précoce.

Conan retournera chez luipour mener une existence sans gloire

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L'importante campagne publicitaire n'est pas une garantie desuccès populaire

Comme ses ancêtres, de Scève était mort au front.

Norbert, l'intellectuel des trois, se situe entre ses deux camarades de / combat. Socialement, il semble être plus proche de De Scève dont il admire au début le comportement, mais, peu à peu, c'est de Conan qu'il devient l'ami, l'épisode du soldat Erlane servant alors de révélateur. Toujours prêt à pardonner à ses hommes leurs incartades commises à l'arrière, Conan participera lui aussi à sa manière à la défense d'Erlane qui ne fait pourtant pas partie de ses soldats. Arraché au peloton d'exécution qui le menaçait, Erlane trouvera une fin honora- ble susceptible de satisfaire sa famille en étant abattu au combat.

Tout en étant un film sur la Première Guerre mondiale lointaine, celle de l'armée d'Orient, Capitaine Conan a malgré tout pour sujet le conflit de 1914-1918. L'ennemi n'y est pas allemand, il ne s'agit ni de Verdun ni du Chemin des Dames, mais le style de Tavernier est assez franc et puissant pour que son film retrouve la conviction de certaines grandes œuvres étran- gères. La qualité du scénario écrit par Tavernier et Jean Cosmos donne une réelle profondeur aux personnages, qui ne sont plus de simples matricules promis aux cimetières sans fin qui rappellent l'horreur des guerres, mais des êtres humains avec leurs contradictions, leurs haines et leurs passions. Le jeu de Philippe Torreton (Conan) s'oppose alors à celui plus mesuré de Samuel Le Bihan (Norbert) et de Bernard Le Coq (de Scève), alors que, parallèlement, Catherine Rich et Claude Brosset sont remarquables dans les rôles respectifs de la mère du jeune Erlane et de l'aumônier Dubreuil.

Bien que soutenu par une importance campagne publicitaire, Capitaine Conan ne sera certaine- ment pas le succès populaire qu'ont été d'autres œuvres de Tavernier. Comme si les spectateurs français, toujours prêts à se précipiter vers

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Platoon, continuaient à avoir de la difficulté à affronter les pages de leur propre histoire.

Comme s'il était plus normal de s'intéresser à la guerre du Viêt-nam vue par Hollywood qu'à la Première Guerre mondiale ou à la guerre d'Indochine. Comme si les guerres des autres étaient moins tragiques et moins meurtrières....

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