• Aucun résultat trouvé

Alors que le droit international était sous l’emprise de la guerre juste, le jus in bello était lui assujetti aux causes de la guerre

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Alors que le droit international était sous l’emprise de la guerre juste, le jus in bello était lui assujetti aux causes de la guerre"

Copied!
24
0
0

Texte intégral

(1)

INTRODUCTION

« Quant à moi, convaincu, par les considérations que je viens d’exposer, de l’existence d’un droit commun à tous les peuples, et servant soit pour la guerre, soit dans la guerre, j’ai eu de nombreuses et graves raisons pour me déterminer à écrire sur ce sujet »1.

Sans avoir quelque chose contre la littérature, la poésie, ou les citations d’hommes politiques, il existe peu de formules plus appropriées qu’une référence à Grotius pour introduire une thèse de doctorat en droit international. D’autant plus que, dans le cas de la présente thèse, loin de représenter un choix forcé, cette référence s’impose par l’objet de notre étude, Hugo Grotius étant considéré comme celui qui a introduit en droit international la distinction entre le droit de faire la guerre et le droit applicable dans la guerre. En effet, le troisième volume du De Jure Belli ac Pacis est consacré aux temperamenta belli, notion dans laquelle beaucoup voient les prémisses du droit humanitaire2. Toutefois, si la distinction précitée est opérée, son importance est minimisée par le fait que, dans son analyse, Grotius soumet les temperamenta belli au droit de faire la guerre, s’inscrivant ainsi dans le droit fil de la doctrine de la guerre juste3. Il reste cependant que la distinction entre les deux corps de règles était faite. La discussion sur leurs relations pouvait ainsi commencer.

Alors que le droit international était sous l’emprise de la guerre juste, le jus in bello était lui assujetti aux causes de la guerre. Au XIXe siècle, la perception de la guerre évolue et la guerre devient un fait, « a metajuristic phenomenon »4, « extra-legal rather than illegal »5 : le

1 H. GROTIUS, Le droit de la guerre et de la paix, édité par D. Alland et S. Goyard-Fabre, Paris, Presses Universitaires de France, 1999, p. 19, prolégomènes, §XXVIII.

2 T. TANAKA, « Temperamenta (Moderation) », dans Y. ONUMA (s.l.d.), A Normative Approach to War : Peace, War and Justice in Hugo Grotius, Oxford, Clarendon Press, 1993, pp. 282 ss. ; F. KALSHOVEN – L.

ZEGVELD, Constraints on the Waging of War, 3e éd., Genève, C.I.C.R., 2001, p. 14 ; J. DE PREUX « Article 35 – Règles fondamentales », dans Y. SANDOZ – C. ZWINARSKI – B. ZIMMERMANN (s.l.d.), Commentaire des Protocoles additionnels du 8 juin 1977 aux Conventions de Genève du 12 août 1949, Genève, C.I.C.R. / Martinus Nijhoff Publishers, 1986, p. 392, §1383 (ci-après : Commentaire PA CICR) ; L. MAY, War Crimes and Just War, Cambridge, Cambridge University Press, 2007, pp. 53 ss.

3 R. KOLB, « Sur l’origine du couple terminologique ius ad bellum / ius in bello », R.I.C.R., vol. 79, 1997, p.

595 ; Pour un aperçu de l’évolution de la subordination du jus in bello à la cause juste de la guerre, voy. R. D.

SLOANE, « The Cost of Conflation : The Dualism of Jus ad Bellum and Jus in Bello in the Contemporary Law of War », Yale J. Int’l L., vol. 34, 2009, pp. 57-60.

4 J. N. MOORE, « Strengthening World Order : Reversing the Slide to Anarchy », Am. U. J. Int’l L. & Pol’y, vol. 4, 1989, p. 5.

5 A. D. MCNAIR, « Collective Security », B.Y.I.L., vol. 17, 1936, p. 152. Voy. aussi Q. WRIGHT, « Changes in the Conception of War », A.J.I.L., vol. 18, 1924, pp. 756-758.

(2)

recours à la force est une prérogative de l’Etat6. Avec cette évolution, l’attention se tourne vers la réglementation des effets de la guerre. C’est ainsi que le jus in bello commence à prendre son envol7. Eu égard à l’absence d’un véritable jus ad bellum, la question des relations entre les deux ne se pose pas. Ce sont les efforts entrepris au XXe siècle afin d’interdire le recours à la force en droit international, consolidés par l’adoption de la Charte des Nations Unies, qui ont mis en scène les perspectives d’un conflit éventuel entre les deux branches du droit international et ont posé avec acuité la question leurs relations. C’est sur ces relations qu’on se penchera dans le cadre de la présente thèse, afin de déterminer le degré d’indépendance entre le jus contra bellum et le jus in bello. Après un bref exposé sur l’intérêt et l’actualité du sujet (I) ainsi qu’une délimitation de l’objet de la thèse (II), nous présenterons les outils méthodologiques retenus (III), l’hypothèse de travail et le plan de notre analyse (IV).

I. INTÉRÊT ET ACTUALITÉ DU SUJET

A. Un sujet ancien mais toujours d’actualité

L’objet de la thèse pourrait paraître quelque peu dépassé. Il aurait été bien plus « en vogue » en 1931. A cette époque, à la suite de l’adoption du pacte Briand-Kellogg, la doctrine avait commencé à s’interroger sur les relations de cet instrument avec le droit de la guerre8. D’ailleurs, c’est à cette époque que les expressions « jus ad bellum » et « jus in bello » ont émergé dans la doctrine internationale9.

6 R. KOLB, « Sur l’origine du couple terminologique ius ad bellum / ius in bello », op. cit., pp. 596-597 ; R. D.

SLOANE, « The Cost of Conflation : The Dualism of Jus ad Bellum and Jus in Bello in the Contemporary Law of War », op. cit., pp. 63-64 ; N. HIGGINS, Regulating the Use of Force in Wars of National Liberation : The Need for a New Regime, The Hague / Boston / London, Martinus Nijhoff Publishers, 2010, pp. 17 ss.

7 Pour un aperçu de l’évolution historique du jus in bello, voy. E. DAVID, Principes de droit des conflits armés, 4e éd., Bruxelles, Bruylant, 2008, pp. 40-53.

8 Voy. les articles d’interprétation du pacte Briand-Kellogg, adoptés à la conférence de l’Association du droit international tenue à Budapest en 1934, International Law Association, « Budapest Articles of Interpretation », Transactions of the Grotius Society, vol. XX, 1934, p. 205 (notamment, l’article 4, alinéas (a) et (b)). Un projet de recherche mené par l’université de Harvard a produit un projet de convention sur les droits et devoirs des Etats en cas d’agression qui niait à l’agresseur les droits accordés par le jus in bello aux parties belligérantes,

« Draft Convention on Rights and Duties of States in case of Aggression », A.J.I.L., vol. 33, 1939, Supplement : Research in International Law, p. 828. De l’aveu de ses auteurs, le projet énonce des règles de lege ferenda, Introductory comment, ibid., p. 824. Voy. aussi, sur le droit de la neutralité plus particulièrement, T. BOYE,

« Shall a State Which Goes to War in Violation of the Kellogg-Briand Pact Have a Belligerent Right in Respect to Neutrals ? », A.J.I.L., vol. 24, 1930, pp. 766-770 ; H. LAUTERPACHT, « The Pact of Paris and the Budapest Articles of Interpretation », Transactions of the Grotius Society, vol. XX, 1934, pp. 180 ss.

9 R. KOLB, « Sur l’origine du couple terminologique ius ad bellum / ius in bello », op. cit., pp. 593-602.

(3)

Une thèse comme celle-ci aurait également été d’actualité en 1951. Avec l’adoption de la Charte des Nations Unies (ci-après : N.U. ou O.N.U.) et de son article 2 §4, l’interdiction du recours à la force a été érigée en « règle d’or » des relations internationales10. En 1949, la Commission du droit international des N.U. (ci-après : C.D.I.) a refusé de se pencher sur les règles du droit international humanitaire (ci-après : DIH), par peur que cela ne soit interprété par l’opinion publique comme un manque de confiance envers la capacité de maintien de la paix du système onusien11. Lors des discussions au sein de la C.D.I., il a même été soutenu, de manière fort optimiste, que « war having been outlawed, the regulation of its conduct had ceased to be relevant »12. Toutefois, la jurisprudence des tribunaux militaires de Nuremberg13 avait affirmé que les règles du DIH devaient s’appliquer de manière égale aussi bien à la partie du conflit qui a violé l’interdiction du recours à la force qu’à la partie qui était la victime de cette violation. La doctrine s’était alors penchée sur la question de l’interaction entre les règles de la Charte des N.U. et le jus in bello14.

La présente thèse de doctorat aurait aussi été au cœur de l’actualité juridique en 1971. En effet, l’interaction entre le jus contra bellum et le jus in bello est revenue à la mode dans les années ’60 et ’70. Deux facteurs principaux semblent avoir influencé ce regain d’intérêt. Il s’agit, en premier lieu, de la mise en place des forces des N.U. et de la perspective que ces forces puissent se trouver impliquées dans des hostilités dans le cadre d’un conflit armé15. En deuxième lieu, les luttes de libération nationale, qui battaient alors leur plein, avaient soulevé la question de leur qualification ainsi que du statut à accorder aux membres des mouvements de libération nationale aux fins de l’application des règles du DIH16. Ces deux problématiques

10 Charte des Nations Unies, article 2 §4, disponible sur : <http://www.un.org/fr/documents/charter/pdf/

charter.pdf>.

11 International Law Commission, « Report to the General Assembly », Yearbook of the International Law Commission, 1949, p. 281, §18.

12 Ibid.

13 Tribunal militaire américain de Nuremberg, Wilhelm List and others (The Hostages Case), affaire no. 47, UN War Crimes Commission, Law Reports of Trials of War Criminals, vol. VIII, 1949, p. 59 ; Tribunal militaire américain de Nuremberg, USA v. Alstotter et al. (Justice trial), Law Reports of Trials of War Criminals, vol. VI, United Nations War Crimes Commission, London, 1947–9, p. 52. Pour une analyse de la jurisprudence des tribunaux militaires de Nuremberg, voy. H. MEYROWITZ, Le principe de l’égalité des belligérants devant le droit de la guerre, Paris, Pedone, 1970, pp. 53-76.

14 H. LAUTERPACHT, « The Limits of the Operation of the Law of War », B.Y.I.L., vol. 30, 1953, pp. 206- 243 ; Q. WRIGHT, « The Outlawry of War and the Law of War », A.J.I.L., vol. 47, 1953, pp. 365-376 ; J. L.

KUNZ, « The Laws of War », A.J.I.L., vol. 50, 1956, pp. 317-321.

15 D. W. BOWETT, United Nations Forces : a legal study of United Nations practice, London, Stevens & sons, 1964, 580 p. ; F. SEYERSTED, United Nations forces on the law of peace and war, Leyden, A. W. Sijthoff, 1966, 447 p. ; Y. SANDOZ, « The application of humanitarian law by the armed forces of the United Nations organization », R.I.C.R., vol. 18, 1978, pp. 274-284.

16 Voy. e.g., les résolutions A/Rés. 2383 (XXIII), adoptée le 7 novembre 1968, §13 ; A/Rés. 2395 (XXIII), 29 novembre 1968, §12 (territoires administrés par le Portugal) ; A/Rés. 2508 (XXIV), 21 novembre 1969, §11

(4)

étaient liées, car, dans les deux cas, les acteurs impliqués étaient perçus comme agissant de manière licite et légitime. Les forces des N.U. étaient mandatées par l’O.N.U. et leur objectif consistait à assurer l’application des principes de la Charte des NU17. Pour leur part, aux yeux d’une grande majorité d’Etats, les mouvements de libération nationale menaient une lutte contre la colonisation afin de réaliser le droit des peuples concernés à disposer d’eux- mêmes18. Cette dernière question a fait l’objet de débats animés lors de la Conférence diplomatique sur la réaffirmation et le développement du droit international humanitaire applicable dans les conflits armés tenue entre 1974 et 1977 à Genève (ci-après : Conférence diplomatique de 1974-1977). La Conférence a abouti à l’adoption des deux protocoles additionnels aux conventions de Genève concernant respectivement les conflits armés internationaux et internes19. Le Protocole additionnel aux conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (ci-après : premier protocole additionnel ou PA I) a, en son article 1er §4, qualifié de conflits armés internationaux (ci-après : CAI) les conflits dans lesquels des peuples luttent contre la domination coloniale et l’occupation étrangère et contre les régimes racistes conformément à leur droit à l’autodétermination20. Par ailleurs, il a été réaffirmé dans le préambule de cet instrument que le jus contra bellum et le jus in bello étaient indépendants, les Etats parties :

« Exprimant leur conviction qu’aucune disposition du présent Protocole ou des Conventions de Genève du 12 août 1949 ne peut être interprétée comme légitimant ou autorisant tout acte d’agression ou tout autre emploi de la force incompatible avec la Charte des Nations Unies, [et]

Réaffirmant, en outre, que les dispositions des Conventions de Genève du 12 août 1949 et du présent Protocole doivent être pleinement appliquées en toutes

(Rhodésie du Sud) ; A/Rés. 2547 (XXIV), 11 décembre 1969, §§6-8 (mesures visant à combattre avec efficacité la discrimination raciale et la politique d’apartheid et de ségrégation en Afrique australe) ; A/Rés. 2652 (XXV), 3 décembre 1970, §11 (Rhodésie du Sud) ; A/Rés. 2678 (XXV), 9 décembre 1970, §11 (Namibie) ; A/Rés. 2707 (XXV), 14 décembre 1970, §6 (territoires administrés par le Portugal) ; A/Rés. 2795 (XXVI), 10 décembre 1971,

§7 (territoires administrés par le Portugal) ; A/Rés. 2796 (XXVI), 10 décembre 1971, §10 (Rhodésie du Sud) ; A/Rés. 2871 (XXVI), adoptée le 20 décembre 1971, §8 ; A/Rés. 2918 (XXVII), 14 novembre 1972, §3 (b) (territoires administrés par le Portugal) ; A/Rés. 3103 (XXVIII), adoptée le 12 décembre 1973, §3.

17 « Should the Laws of War Apply to United Nations Enforcement Action ? », Report of Committee on Study of Legal Problems of the United Nations, A.S.I.L. Proc., 1957, pp. 217, 220.

18 Voy. infra, les développements consacrés aux travaux préparatoires du premier protocole additionnel aux conventions de Genève, Première partie, titre I, chapitre 1, section B, sous-sections (c) et (d).

19 Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (ci-après : PA I) et Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (ci-après : deuxième protocole additionnel ou PA II), adoptés le 8 juin 1977, Actes de la Conférence diplomatique sur la réaffirmation et le développement du droit international humanitaire dans les conflits armés, Genève 1974-1977, vol. I, Berne, Département politique – fédéral, 1978, pp. 125 ss. et 191 ss. (respectivement).

20 PA I, article 1 §4, op. cit., p. 126.

(5)

circonstances à toutes les personnes protégées par ces instruments, sans aucune distinction défavorable fondée sur la nature ou l’origine du conflit armé ou sur les causes soutenues par les Parties au conflit, ou attribuées à celles-ci »21.

Ainsi, fût consolidé le « dogme absolu »22 du DIH : l’application égale de ses règles à toutes les parties belligérantes d’un conflit armé. C’est en partant de cette application égale qu’on a considéré que l’indépendance constitue la pierre d’angle des relations entre le jus contra bellum et le jus in bello. Comme l’explique le Comité international de la Croix-Rouge (ci- après : C.I.C.R.) :

« Le droit international humanitaire (…) traite (…) de la réalité d’un conflit sans considération des motifs ou de la légalité d’un recours à la force. (…) Ses dispositions s’appliquent également à l’ensemble des parties au conflit, indépendamment des motifs du conflit et de la justesse de la cause défendue par l’une ou l’autre partie. (…) [L]e système du droit humanitaire ne lie pas son application à la désignation du coupable, car on déboucherait immanquablement sur une controverse qui paralyserait sa mise en œuvre, chacun des adversaires se déclarant victime d’une agression. En outre, le droit humanitaire vise à assurer la protection des victimes de la guerre et de leurs droits fondamentaux, à quelque partie qu’elles appartiennent. C’est pourquoi le ius in bello doit rester indépendant du ius ad bellum ou ius contra bellum (droit de faire la guerre ou droit de prévention de la guerre) »23.

Dans le même ordre d’idées, la doctrine a défendu le caractère étanche de la distinction entre le jus contra bellum et le jus in bello. La formulation du commentaire du C.I.C.R. portant sur les paragraphes précités du préambule du PA I est absolue, en soulignant que l’un des deux corps de règles ne peut pas « affecter » l’autre24. M. Sassoli et A. Bouvier parlent, quant à eux, d’une « séparation totale entre le jus ad bellum et le jus in bello » en précisant qu’« aucun argument de jus ad bellum ne peut être utilisé pour interpréter le DIH »25.

21 Ibid., p. 125.

22 L. DOSWALD-BECK, « Le droit international humanitaire et l’avis consultatif de la Cour internationale de justice sur la licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires », R.I.C.R., vol. 823, 1997, p. 56.

23 C.I.C.R., Ius ad bellum, ius in bello : quid ?, Extrait de la publication C.I.C.R. « Droit international humanitaire : réponses à vos questions », disponible sur : <http://www.icrc.org/web/fre/sitefre0.nsf/htmlall/

5qkjuq?opendocument>.

24 B. ZIMMERMANN, « Préambule », dans Y. SANDOZ – C. ZWINARSKI – B. ZIMMERMANN (s.l.d.), Commentaire PA CICR, op. cit., p. 28, §30.

25 M. SASSOLI – A. BOUVIER, Un droit dans la guerre ?, vol. I, Genève, C.I.C.R., 2003, p. 109. Voy. aussi M. SASSOLI, « La « guerre contre le terrorisme », le droit international humanitaire et le statut de prisonnier de guerre », C.Y.I.L., vol. 39, 2001, p. 217 ; A. BOUVIER, « Assessing the Relationship Between Jus in Bello and Jus ad Bellum : An ‘Orthodox’ View », A.S.I.L. Proceedings, vol. 100, 2006, p. 112. Voy. dans le même sens, L.

CAMERON, « Does the Law of Occupation Preclude Transformational Developments by the Occupying Power ? », Les défis contemporains au droit de l’occupation, Actes du 6e Colloque de Bruges, 20-21 octobre 2005, Collegium, no. 34, août 2006, p. 61.

(6)

Il découle de ce qui précède que, en particulier à la suite de l’adoption du premier protocole additionnel, la question de l’interaction entre le jus contra bellum et le jus in bello semble avoir été réglée définitivement. Pourquoi, alors, s’intéresser encore à ce sujet ? Parce que, en réalité, la question est loin d’avoir disparu de l’actualité en 2011. Bon nombre de thèses ont en effet été formulées au cours de ces dernières années remettant en cause la séparation absolue entre le jus contra bellum et le jus in bello.

B. Les remises en cause de l’indépendance absolue entre le jus contra bellum et le jus in bello

Mis à part les arguments relevant de la politique, de l’opportunité ou de la morale, la remise en cause de l’indépendance entre le jus contra bellum et le jus in bello s’est exprimée principalement à travers des arguments juridiques de deux ordres. Premièrement, certaines thèses remettent en cause de front cette indépendance, en se fondant sur l’un des deux corps de règles pour créer des exceptions à l’application des règles de l’autre (1). Deuxièmement, sans nécessairement rejeter l’indépendance en soi entre le jus contra bellum et le jus in bello, d’autres thèses contestent son caractère absolu. Ainsi, sont mis en exergue les liens qui existent entre le jus contra bellum et le jus in bello afin de démontrer que l’interprétation et l’application des règles de ces branches du droit international s’influencent mutuellement (2).

(1) En premier lieu, on a prétendu que l’application des règles du jus in bello pourrait être conditionnée par le respect des règles du jus contra bellum ainsi que, plus largement, par la légitimité des causes soutenues par les parties au conflit. Un tel raisonnement revient à créer des exceptions au principe de l’égalité des belligérants tel qu’il est énoncé dans le préambule du premier protocole additionnel. Un premier exemple à cet égard est fourni par la Cour internationale de justice (ci-après : C.I.J.) qui, dans l’avis consultatif qu’elle a rendu en 1996 sur la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires (ci-après : avis consultatif sur les Armes nucléaires), a affirmé dans le paragraphe 105 (2)E qu’

« [a]u vu de l’état actuel du droit international, ainsi que des éléments de fait dont elle dispose, la Cour ne peut cependant conclure de façon définitive que la menace ou l’emploi d'armes nucléaires serait licite ou illicite dans une circonstance extrême de légitime défense dans laquelle la survie même d'un Etat serait en cause »26.

26 C.I.J., Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, 8 juillet 1996, C.I.J. Recueil 1996, p. 266 (nous soulignons) (ci-après : avis consultatif sur les Armes nucléaires). Voy. aussi l’opinion

(7)

Cette affirmation a été férocement critiquée comme faisant fi de la séparation entre le jus contra bellum et le jus in bello, puisqu’elle suggère qu’une règle relevant du premier de ces corps des règles (la légitime défense) puisse justifier une violation des règles relevant du second27. Un autre exemple concerne l’application des règles du DIH à la « guerre contre le terrorisme », proclamée par les Etats-Unis suite aux attentats du 11 septembre 2001. Les Etats-Unis, tout en insistant sur l’existence d’un conflit armé, n’ont pas accepté que ce conflit soit régi par les conventions de Genève de 1949 (ci-après : CG)28. L’administration américaine a créé une catégorie distincte de combattants, les « combattants illégaux » ou

« combattants ennemis », qui, une fois capturés, n’ont droit ni au statut de prisonnier de guerre ni au statut de civil29. L’argumentation développée pour justifier cette prise de position renvoie à l’idée que les belligérants qui se battent pour une cause injuste n’ont pas droit à la même protection que les autres. A ce titre, elle est difficile à concilier avec le principe de l’égalité des belligérants, tel qu’énoncé dans le 5e considérant du préambule du PA I précité.

En second lieu, on a prétendu que la violation des règles du jus in bello pouvait être invoquée afin de justifier un recours à la force a priori effectué en violation des règles de la Charte des NU. Il existerait en effet, selon une partie de la doctrine, une exception coutumière à l’interdiction du recours à la force au profit des interventions dites « humanitaires ». Les bombardements menés par l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (ci-après : O.T.A.N.) contre la Yougoslavie en 1999 ont donné lieu à des prises de position allant dans ce sens, tant de la part de certains Etats30 que de certains auteurs31. La déclaration finale du Sommet

individuelle du juge G. Guillaume, ibid., p. 290 ainsi que l’opinion individuelle du juge Fleischhauer, ibid., pp.

306-307, §3.

27 E. DAVID, Principes de droit des conflits armés, 4e éd., Bruxelles, Bruylant, 2008, pp. 390-399 ; L.

CONDORELLI, « La Cour internationale de Justice sous le poids des armes nucléaires : jura non novit curia ? », R.I.C.R., no. 823, 1997, pp. 20-21 ; R. MÜLLERSON, « On the Relationship Between Jus ad Bellum and Jus in Bello in the General Assembly Advisory Opinion », dans L. BOISSON DE CHAZOURNES – Ph. SANDS (s.l.d.), International law, the International Court of Justice and Nuclear Weapons, Cambridge, Cambridge University Press, 1999, pp. 267-274. Voy. également la doctrine citée dans le chapitre consacré à l’analyse de l’avis de la Cour, infra, première partie, titre II, chapitre 3.

28 White House Press Secretary announcement of President Bush’s determination re legal status of Taliban and Al Qaeda detainees, The White House, Office of the Press Secretary, 7 février 2002, disponible sur:

<http://www.state.gov/s/l/38727.htm>.

29 J. B. BELLINGER III, Conseiller juridique du Département d’Etat américain, Legal Issues in the War on Terrorism, 31 octobre 2006, disponible sur : <http://www.state.gov/s/l/rls/76039.htm>. Voir aussi P. KLEIN,

« Le droit international à l’épreuve du terrorisme », R.C.A.D.I., vol. 321, 2006, pp. 458 ss.

30 Voy. à titre d’exemple, Royaume-Uni, S/PV.3988, 24 mars 1999, p. 12 ; Belgique, Plaidoirie de M. Ergec, C.I.J., Affaire relative à la Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Belgique), mesures conservatoires, CR 99/15, 10 mai 1999, pp. 15-17.

31 N. J. WEELER, « The Humanitarian Responsibilities of Sovereignty : Explaining the Development of a New Norm of Military Intervention for Humanitarian Purposes », dans J. M. WELSH (s.l.d.), Humanitarian

(8)

mondial tenu à l’occasion du 60e anniversaire des NU proclamant l’existence d’une

« responsabilité de protéger »32 a également été interprétée comme une confirmation de l’existence d’une telle exception33. Ces thèses vont clairement à l’encontre de la non- invocation des règles du jus in bello « comme légitimant ou autorisant (…) [un] emploi de la force incompatible avec la Charte des Nations Unies »34.

(2) Ces exemples de remise en cause de l’indépendance entre le jus contra bellum et le jus in bello mis à part, il a été également avancé que les relations entre les deux branches du droit international précitées sont beaucoup trop complexes pour être résumées par un schéma de séparation ou d’étanchéité absolue. L’existence des liens entre le jus contra bellum et le jus in bello démontrerait que ces deux branches du droit ne peuvent pas être considérées comme totalement indépendantes. Nous nous attarderons sur trois exemples : primo, les liens qui existent entre les notions de nécessité et de proportionnalité sur le plan du jus contra bellum et du jus in bello ; secundo, l’influence exercée par le jus contra bellum sur le champ d’application ratione materiae du jus in bello ; tertio, les thèses doctrinales plaidant en faveur de l’existence d’un corpus juridique nouveau, le jus post bellum.

Plusieurs auteurs voient dans les notions de nécessité et de proportionnalité des éléments remettant en cause le caractère absolu de l’indépendance entre le jus contra bellum et le jus in bello35. Parallèlement, la doctrine a souvent affirmé que la définition des concepts de nécessité militaire et de proportionnalité dans le cadre du jus in bello dépendent de considérations liées au jus contra bellum36. Examinant la séparation entre ces deux corps de règles, qu’il qualifie d’« axiome dualiste » (‘dualistic axiom’), Robert Sloane estime que :

« international law must recognize and respond to the force of recent theoretical objections to the dualistic axiom, which suggest that the answer to the in bello

Intervention and International Relations, Oxford, Oxford University Press, 2004, pp. 29-30 ; de manière plus prudente, L. HENKIN, « Kosovo and the Law of ‘‘Humanitarian Intervention’’ », A.J.I.L., vol. 93, 1999, pp.

826-827 ; R. WEDGWOOD, « NATO’s Campaign in Yugoslavia », A.J.I.L., vol. 93, 1999, pp. 832-833 ; W. M.

REISMAN, « Kosovo’s Antinomies », A.J.I.L., vol. 93, 1999, pp. 861-862.

32 Document final du Sommet mondial de 2005, A/Rés/60/1, adoptée le 24 octobre 2005, p. 33.

33 C. C. JOYNER, « “The Responsibility to Protect” : Humanitarian Concern and the Lawfulness of Armed Intervention », Virginia J.I.L., vol. 47, 2007, p. 720 ; A. L. BANNON, « The Responsibility To Protect : The U.N. World Summit and the Question of Unilateralism », Yale Law Journal, vol. 115, 2006, pp. 1161-1163.

34 Quatrième paragraphe du préambule du PA I, cité supra au texte relevant de la note 21.

35 C. GREENWOOD, « The relationship between ius ad bellum and ius in bello », Review of International Studies, vol. 9, 1983, p. 231. Dans le même sens, E. CANNIZZARO, « Contextualizing proportionality: jus ad bellum and jus in bello in the Lebanese war », R.I.C.R., no. 864, 2006, p. 792.

36 A. ORAKHELASHVILI, « Overlap and Convergence : The Interaction Between Jus ad Bellum and Jus in Bello », J.C.S.L., vol. 12, 2007, p. 164.

(9)

question ‘proportional to what?’ logically depends on an ad bellum judgment about the justice or legality of the conflict. Some modern theorists argue that the “military advantage anticipated” to which any collateral damage must be in bello proportionate, cannot be hermetically divorced from the goods that justify force. (…) This implies that in bello judgments not only do (descriptively) but also must (logically and normatively) depend, at some level of abstraction, on precisely the sort of ad bellum judgment that the dualistic axiom insists we exclude »37.

La deuxième illustration de la complexité des liens entre le jus contra bellum et le jus in bello renvoie à l’influence exercée par le premier sur le champ d’application ratione materiae du second. A cet égard, on peut à nouveau se référer aux arguments relatifs à la « guerre contre le terrorisme ». Les Etats-Unis ont insisté pour qualifier la lutte contre Al Qaeda de « conflit armé » au sens du jus in bello38. Parmi les éléments invoqués par les Etats-Unis pour démontrer l’existence de ce conflit armé figure un argument relevant du jus contra bellum, à savoir la reconnaissance par le Conseil de sécurité du droit de légitime défense des Etats-Unis face aux attentats du 11 septembre 200139. Un lien est ainsi opéré entre la démonstration de l’application du jus contra bellum, à travers l’invocation du droit de légitime défense, et la démonstration de l’existence d’un conflit armé dans le cadre du jus in bello.

Le troisième exemple illustrant la complexité des relations entre le jus contra bellum et le jus in bello a trait aux thèses doctrinales selon lesquelles il existerait un troisième corps de règles en droit international, complémentaire mais distinct des deux corps de règles précités. Il s’agit du jus post bellum, à savoir d’un cadre normatif regroupant les principes et règles applicables aux situations post-conflictuelles et régissant la transition vers le rétablissement de la paix40. Afin de démontrer la nécessité d’une telle nouvelle branche du droit international, la doctrine

37 R. D. SLOANE, « The Cost of Conflation : The Dualism of Jus ad Bellum and Jus in Bello in the Contemporary Law of War », op. cit., p. 55 (souligné dans l’original, notes de bas de page omises).

38 J. B. BELLINGER III, Legal Issues in the War on Terrorism, op. cit.

39 A. R. GONZALES, Conseiller du Président des Etats-Unis, « Remarks before the American Bar Association Standing Committee on Law and National Security », 24 février 2004, annexe à M. E. O’CONNELL, International Law and the “Global War on Terror”, Paris, Pédone, 2007, p. 57. Des arguments de légitime défense sont également invoqués par J. B. BELLINGER III, « Legal Issues in the War on Terrorism », German Law Journal, vol. 8, no. 7, 2007, titre B, disponible sur : <http://www.germanlawjournal.com/

article.php?id=840>. Voy. aussi F. NI AOLAIN, « Hamdan and Common Article 3 : Did the Supreme Court Get It Right ? », Minnesota Law Review, vol. 91, 2006-2007, p. 1554.

40 C. STAHN, « ‘Jus ad bellum’, ‘jus in bello’ … ‘jus post bellum’ ? Rethinking the Conception of the Law of Armed Force », E.J.I.L., vol. 17, 2006, pp. 936-941 ; C. STAHN, « Jus Post Bellum : Mapping the Discipline(s) », Am. U. Int’l L. Rev., vol. 23, 2008, pp. 329-342 ; K. E. BOON, « Obligations of the New Occupier : The Contours of a Jus Post Bellum », Loy. L. A. Int’l & Comp. L. Rev., vol. 31, 2008, pp. 119-126.

Voy. aussi les interventions dans C. STAHN – J. K. KLEFFNER (s.l.d.), Jus Post Bellum – Towards a Law of Transition From Conflict to Peace, The Hague, T.M.S. Asser Press, 2008, p. 241. Pour une critique convaincante du concept voy. Eric DE BRABANDERE, « The Responsibility for Post-Conflict Reforms : a Critical Assessment of Jus Post Bellum as a Legal Concept », Vanderbilt Journal of Transnational Law, vol. 43, 2010, pp. 119-149.

(10)

a soutenu que la division classique du cadre normatif régissant les conflits armés en règles relevant du jus contra bellum, d’une part, et règles relevant du jus in bello, d’autre part, est réductrice et incapable de répondre aux réalités et aux défis contemporains des situations post- conflictuelles41. Dans le cadre de cette démonstration, on a mis en exergue le fait que la distinction entre le jus contra bellum et le jus in bello n’est pas aussi stricte qu’on le prétend :

« the current architecture of the law of force continues to be shaped by certain antinomies. Firstly, the distinction between the justification for the use of force and the jus in bello is not always as clear-cut and stringent as is sometimes claimed. While there is agreement that principles and entitlements under jus in bello (for instance, the requirements of necessity, proportionality and humanity and the privileges of combatants) should generally apply independently of the cause of armed conflict, there as cases in which findings under one body of law shape the applicability or interpretation of the other body of law. Following the motivation of interventions in cases such as Iraq in 1991 and Kosovo in 1999, there has even been discussion whether there should be a new normative dispensation, according to which egregious violations of jus in bello could be regarded as the trigger for rights under the jus ad bellum »42.

Les thèses en question relèvent davantage de la lex ferenda que de la lex lata43. Elles font néanmoins partie de la doctrine remettant en cause la séparation entre le jus contra bellum et le jus in bello.

On aura compris à travers ces exemples que la question des relations entre le jus contra bellum et le jus in bello comprend de multiples facettes et est loin d’avoir été réglée définitivement. Dans ce contexte, il est étonnant que les relations entre ces deux corps de règles aient été si peu analysées. En effet, mis à part l’ouvrage de référence d’Henri Meyrowitz, datant de 1970, qui traite d’un point cardinal de ces relations, à savoir le principe de l’égalité des belligérants44, il n’existe pas, à notre connaissance, d’autre ouvrage consacré spécifiquement à cette question. Ces relations n’ont attiré l’attention de la doctrine que très

41 C. STAHN, « ‘Jus ad bellum’, ‘jus in bello’ … ‘jus post bellum’ ? Rethinking the Conception of the Law of Armed Force », op. cit., pp. 924-933 ; C. STAHN, « Jus Post Bellum : Mapping the Discipline(s) », op. cit., pp.

326-329 ; Serena K. SHARMA, « Reconsidering the Jus ad Bellum / Jus in Bello Distinction », dans C. STAHN – J. K. KLEFFNER (s.l.d.), Jus Post Bellum – Towards a Law of Transition From Conflict to Peace, op. cit., pp.

19-29.

42 C. STAHN, « ‘Jus ad bellum’, ‘jus in bello’ … ‘jus post bellum’ ? Rethinking the Conception of the Law of Armed Force », op. cit., pp. 925-926.

43 S. C. NEFF, « Conflict Termination and Peace-Making in the Law of Nations : A Historical Perspective », dans C. STAHN – J. K. KLEFFNER (s.l.d.), Jus Post Bellum – Towards a Law of Transition From Conflict to Peace, op. cit., pp. 88-91 ; C. STAHN, « The Future of Jus Post Bellum », dans ibid., pp. 233-236 ; Eric DE BRABANDERE, « The Responsibility for Post-Conflict Reforms : a Critical Assessment of Jus Post Bellum as a Legal Concept », op. cit., p. 134.

44 H. MEYROWITZ, Le principe de l’égalité des belligérants devant le droit de la guerre, op. cit., 418 p.

(11)

récemment. En témoigne la parution de quelques articles ces dernières années45, ce qui atteste par ailleurs du caractère toujours actuel des problèmes auxquels cette thèse sera consacrée.

II. OBJET DE LA THÈSE

Les relations entre le jus contra bellum et le jus in bello sont suffisamment complexes et sous- analysées par la doctrine pour mériter qu’une thèse de doctorat leur soit consacrée. La présente étude visera à analyser l’indépendance en tant que caractéristique principale des relations entre le jus contra bellum et le jus in bello et à déterminer si, et dans quelle mesure, il existe des liens ou des zones de contact entre ces deux branches de droit international qui remettraient cette indépendance en cause.

La portée attribuée aux termes « jus contra bellum » et « jus in bello » définira l’étendue de notre analyse et influencera également ses conclusions. Plus la portée de ces deux corps de règles est définie de manière large, plus il est facile d’identifier des cas où l’une influence l’autre. La doctrine qui plaide en faveur d’une remise en cause de l’indépendance comme caractéristique principale des relations entre ces deux corps de règles utilise souvent comme point de départ des définitions très larges du jus contra bellum et du jus in bello. A titre d’exemple, un auteur prétend que les questions relatives au jus contra bellum (« ad bellum questions ») influencent l’interprétation et l’application des règles du jus in bello dans des situations d’occupation. Parmi ces « ad bellum questions », sont inclus la préservation de l’ordre mondial (‘preservation of world order’), le rétablissement de la paix et la sécurité internationales à travers un règlement politique46. C’est dès lors sans surprise que l’auteur en question aboutit au constat que le jus contra bellum influence le jus in bello. Ces approches donnent une image biaisée du principe de l’égalité des belligérants et des relations entre ces deux branches du droit international. On comprend dès lors tout l’intérêt de préciser ce qu’on entend par l’une et l’autre de ces notions aux fins de notre analyse.

45 Voy. notamment, A. ORAKHELASHVILI, « Overlap and Convergence : The Interaction Between Jus ad Bellum and Jus in Bello », op. cit., pp. 157-196 ; A. ROBERTS, « The equal application of the laws of war : a principle under pressure », R.I.C.R., vol. 90, 2008, pp. 931-962 ; J. MOUSSA, « Can jus ad bellum override jus in bello ? Reaffirming the separation of the two bodies of law », R.I.C.R., vol. 90, 2008, pp. 963-990 ; R. D.

SLOANE, « The Cost of Conflation : The Dualism of Jus ad Bellum and Jus in Bello in the Contemporary Law of War », op. cit., pp. 47-112 ; M. SASSOLI, « Ius ad Bellum and Ius in Bello – The Separation between the Legality of the Use of Force and Humanitarian Rules to Be Respected in Warfare : Crucial or Outdated ? », dans M. N. SCHMITT – J. PEJIC (s.l.d.), International Law and Armed Conflict : Exploring the Faultlines, Essays in honour of Yoram Dinstein, Leiden / Boston, Martinus Nijhoff Publishers, 2007, pp. 241-264.

46 R. GILADI, « The Jus Ad Bellum / Jus In Bello Distinction And The Law Of Occupation », Isr. L. Rev., vol.

41, 2008, p. 276 (souligné dans l’original, note de bas de page omise).

(12)

A. La notion de jus contra bellum

Les termes « jus contra bellum » visent les règles du droit international qui régissent la possibilité pour un Etat de recourir à la force armée dans les relations internationales47. Les règles en question comprennent plus particulièrement l’interdiction du recours à la menace ou à l’emploi de la force énoncée dans l’article 2 §4 de la Charte des NU ainsi que les deux exceptions à cette interdiction. L’article 2 §4 se lit comme suit :

« Les Membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies »48.

L’interdiction énoncée dans l’article 2 §4 de la Charte a été détaillée notamment dans deux résolutions de l’Assemblée générale des NU : la résolution 2625 (XXV) sur les relations amicales49 et la résolution 3314 (XXIX) sur la définition de l’agression50. Quant aux deux exceptions à l’interdiction, il s’agit, d’une part, de la possibilité de recourir à la force en cas de légitime défense51 et, d’autre part, des mesures de sécurité collective prises sous l’égide du Conseil de sécurité des NU dans l’exercice de ses pouvoirs en vertu du Chapitre VII de la Charte52. Eu égard à ce qui précède, si la doctrine utilise le plus souvent les termes « jus ad bellum » pour désigner les règles concernant la licéité du recours à la force, les termes « jus contra bellum » reflètent plus exactement le contenu de cette branche de droit international, dans la mesure où la règle générale consiste en l’interdiction d’un tel recours à la force. Ce sont dès lors ces derniers termes qui seront utilisés dans le cadre de la présente étude.

Il doit être relevé que les règles en question ne concernent pas tout acte coercitif ayant un caractère international. Ainsi, dans le cadre des pouvoirs qui lui sont accordés en vertu du

47 J. SALMON (s.l.d.), Dictionnaire de droit international public (ci-après : Dictionnaire), Bruxelles, Bruylant, 2001, pp. 630-631, vo « Jus ad bellum ».

48 Charte des NU, article 2 §4, op. cit.

49 A/Rés. 2625, 24 octobre 1970, Annexe, Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies ; le principe que les Etats s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies (principe de non-recours à la force).

50 A/Rés. 3314, adoptée le 14 décembre 1974, annexe, Définition de l’Agression.

51 Charte des NU, article 51, op. cit.

52 Charte des NU, articles 39 ss. (notamment articles 42 ss.), op. cit.

(13)

Chapitre VII de la Charte des NU, le Conseil de sécurité peut prendre une série de mesures coercitives qui n’impliquent pas nécessairement de recours à la force armée53. Ainsi, toute résolution du Conseil de sécurité adoptée en vertu du Chapitre VII de la Charte ne relève pas nécessairement du jus contra bellum.

B. La notion de jus in bello

Il convient maintenant de se tourner vers la définition de la notion de jus in bello. Il existe plusieurs appellations différentes pour désigner les règles qui sont applicables dans le cadre d’un conflit armé. On parle ainsi de « droit de la guerre », de « droit des conflits armés » ou encore de « droit international humanitaire ». La relation entre ces termes n’est pas toujours interprétée de la même manière54. Il en va de même pour le contenu du jus in bello. Ainsi, à titre d’exemple, la Joint Operational Doctrine des forces armées norvégiennes inclut parmi les règles en question les traités relatifs au désarmement55, tandis que le manuel des forces armées espagnoles y inclut les règles de droit interne56.

Aux fins de cette étude, nous nous limiterons à l’examen des règles applicables entre les parties belligérantes en temps de conflit armé portant sur la conduite des hostilités et la protection des victimes de guerre. En effet, c’est en lien avec l’application de ces règles que le problème de l’interaction entre le jus in bello et le jus contra bellum s’est posé de la manière la plus aiguë. Par contre, ne seront pas considérées comme faisant partie du jus in bello les

53 Voy. à cet égard la Charte des NU, article 41, op. cit. :

« Le Conseil de sécurité peut décider quelles mesures n’impliquant pas l’emploi de la force armée doivent être prises pour donner effet à ses décisions, et peut inviter les Membres des Nations Unies à appliquer ces mesures. Celles-ci peuvent comprendre l’interruption complète ou partielle des relations économiques et des communications ferroviaires, maritimes, aériennes, postales, télégraphiques, radioélectriques et des autres moyens de communication, ainsi que la rupture des relations diplomatiques ».

54 Cf., l’utilisation des termes par un manuel d’instruction adressé aux forces armées belges, le manuel de l’instructeur des forces armées du Cameroun et le manuel du Royaume-Uni, J. MAES, Droit pénal et disciplinaire militaire et droit de la guerre, deuxième partie, Droit de la guerre, Ecole royale militaire, 1983, p.

1 ; Cameroun, Droit international humanitaire et droit de la guerre, Manuel de l’instructeur en vigueur dans les Forces Armées, Présidence de la République, Ministère de la Défense, Etat-major des Armées, 3e division, édition 1992, p. 14 ; UK Ministry of Defence, The Manual of the Law of Armed Conflict, Oxford, Oxford University Press, 2004, pp. 1-2.

55 Norwegian Armed Forces Joint Operational Doctrine, Organisation and Instruction Authority, Defence Staff, 2007, p. 33, §0242, disponible sur: <http://www.mil.no/multimedia/archive/00106/

FFOD_English_106143a.pdf>.

56 Espagne, Estado Mayor des Ejercito, Orientaciones – El Derecho de los conflictos armados, Tomo I, OR7- 004, 18 mars 1996, p. 1-1. Voy. dans le même sens, Kenya, Law of Armed Conflict, The School of Military Police, Military Police Basic Course (ORS), précis no. 2, non daté, p. 2.

(14)

règles relatives aux effets d’un conflit armé sur les traités57 ainsi que les traités relatifs au désarmement, sauf pour ce qui est des règles interdisant l’emploi de certaines armes dans le cadre de la conduite des hostilités58. D’un point de vue terminologique, on emploiera les termes « jus in bello » ou « DIH ». Ces expressions auront la même portée.

Cette étude ne traitera pas non plus de la question de l’impact du jus contra bellum sur le droit de la neutralité. L’adoption de la Charte des NU semble avoir exercé une influence considérable sur cette branche du droit international59. Certains auteurs ont exprimé des doutes quant à la pertinence du droit de la neutralité après 194560, tandis que d’autres ont défendu cette pertinence, tout en admettant que la Charte modifie dans une certaine mesure le régime classique de la neutralité61. Quoi qu’il en soit, l’influence exercée par la Charte des Nations Unies sur le droit de la neutralité n’a pas entraîné dans la pratique des problèmes

57 Voy. le texte des projets d’articles sur les effets des conflits armés sur les traités adoptés par la C.D.I. en première lecture et leurs commentaires, Rapport de la Commission du droit international, 60e session, 5 mai – 6 juin et 7 juillet – 8 août 2008, Doc. NU A/63/10, pp. 89 ss. et 96 ss.

58 A titre d’exemple, la Convention de 1993 sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l’emploi des armes chimiques et sur leur destruction (ci-après : Convention sur les armes chimiques) prévoit dans son article premier que les Etats parties s’engagent à ne jamais, en aucune circonstance employer d’armes chimiques, Convention adoptée à Paris, le 13 janvier 1993 et entrée en vigueur le 29 avril 1997, disponible sur : <http://www.icrc.org>.

Même si la Convention est un traité de désarmement, les dispositions précitées relèvent du jus in bello.

59 Voy. e.g., le rejet par les Etats-Unis des proclamations de neutralité émises par l’Iran et la Jordanie concernant l’intervention de la coalition d’Etats contre l’Irak en 1991, invoquant les résolutions 661 (1990) et 678 (1990) du Conseil de sécurité ainsi que les articles 2 §§5 et 6, 25 et 49 de la Charte des NU, S. J. CUMMINS – D. P.

STEWART (s.l.d.), Digest of United States Practice in International Law, 1991-1999, U.S. Department of State, Office of the Legal Adviser, International Law Institute, pp. 2103-2106.

60 T. KOMARINCKI, « The Place of Neutrality in the Modern System of International Law », R.C.A.D.I., tome 80, 1952-I, pp. 411 ss. ; Ch. CHAUMONT, « Nations Unies et neutralité », R.C.A.D.I., tome 89, 1956-I, pp. 5 ss. ; D. SCHINDLER, « Aspects contemporains de la neutralité », R.C.A.D.I., tome 121, 1967-II, pp. 245 ; Ch.

ROUSSEAU, Le droit des conflits armés, Paris, Pedone, 1983, pp. 369 ss.

61 Etats-Unis, The Commander’s Handbook on the Law of Naval Operations, Department of the Navy, Office of the Chief of Naval Operations and Headquarters, U.S. Marine Corps, Department of Homeland Security and U.S. Coast Guard, U.S. Navy – NWP 1-14M, U.S. Marine Corps – MCWP 5-12.1, U.S. Coast Guard – COMDTPUB P5800.7A, juillet 2007, pp. 7-1, 7-2, §§7.2.1, 7.2.2, disponible sur:

<http://www.usnwc.edu/getattachment/a9b8e92d-2c8d-4779-9925-0defea93325c/1-14M_(Jul_2007)_(NWP)> ; R. W. TUCKER, The Law of War and Neutrality at Sea, International Law Studies, Naval War College, Washington, U.S. Government Printing Office, 1957, pp. 171-180 ; M. BOTHE, « The Law of Neutrality », dans D. FLECK (s.l.d.), The Handbook of International Humanitarian Law, 2e éd., Oxford, Oxford University Press, 2008, pp. 574 ss. ; D. SCHINDLER, « Transformations in the Law of neutrality since 1945 », dans A. J. M.

DELISSEN – G. J. TANJA (s.l.d.), Humanitarian Law of Armed Conflict : Challenges Ahead, Essays in Honour of Frits Kalshoven, Dordrecht – Boston – London, Martinus Nijhoff Publishers, 1991, pp. 367-386 ; M. BOTHE,

« Neutrality in naval warfare : What is left of traditional international law ? », dans A. J. M. DELISSEN – G. J.

TANJA (s.l.d.), Humanitarian Law of Armed Conflict : Challenges Ahead, Essays in Honour of Frits Kalshoven, Dordrecht – Boston – London, Martinus Nijhoff Publishers, 1991, pp. 391-397 ; H. MEYROWITZ, Le principe de l’égalité des belligérants devant le droit de la guerre, op. cit., pp. 342 ss. ; L. DOSWALD-BECK (s.l.d.), San Remo Manual on International Law Applicable to Armed Conflicts at Sea, Institut de droit international humanitaire de San Remo, Cambridge, Cambridge University Press, 1995, p. 87, §13.11 (ci-après : Manuel de San Remo) ; C. ANTONOPOULOS, « Neutrality and humanitarian law of armed conflicts », dans S.

PERRAKIS – M.-D. MAROUDA (s.l.d.), Armed Conflicts and International Humanitarian Law – 150 Years after Solferino – Acquis and Prospects, Athènes / Bruxelles, A. N. Sakkoulas / Bruylant, 2009, pp. 372-375.

(15)

d’une acuité telle qui imposerait leur examen dans le cadre de cette étude. Ainsi, nous avons choisi de limiter la portée de la présente thèse aux relations entre les parties belligérantes. Le droit de la neutralité sort dès lors du champ de notre étude. Par ailleurs, définir le jus in bello comme n’incluant pas le droit de la neutralité ne constitue pas une innovation interprétative.

La C.I.J.62, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies63, le C.I.C.R.64 ainsi qu’une partie de la doctrine65 suivent la même approche. Toutefois, dans le contexte général des relations entre un Etat belligérant et un Etat tiers, se pose une question qui mérite d’être relevée : il s’agit de la possibilité pour un Etat belligérant d’invoquer la licéité de ses actions au regard du jus in bello pour justifier une action coercitive envers un Etat tiers. Cette invocation soulève des problèmes suffisamment proches de notre objet d’étude pour mériter d’être abordée dans le cadre de la présente thèse. Pour le reste, nous nous limiterons à l’analyse des règles régissant les relations entre les parties belligérantes.

C. Limitation de l’étude à certaines relations entre ces deux corps de règles et aspects non couverts par l’étude

La portée des notions de jus contra bellum et de jus in bello ayant été clarifiée, nous nous tournerons maintenant vers la manière dont l’objet de la présente thèse sera abordé. Les relations entre les deux notions précitées peuvent être examinées suivant deux grilles d’analyse.

Une première grille d’analyse consisterait à les envisager selon une lecture « horizontale ».

Cela impliquerait une description détaillée de tous les aspects des relations entre le jus contra bellum et le jus in bello. Il s’agirait de décrire les facettes confirmant l’indépendance entre ces

62 C.I.J., avis consultatif sur les Armes nucléaires, op. cit., pp. 247, 256, 261, 262, §§51, 74, 89-90, 93 (respectivement). Voy. dans le même sens, juge Guillaume, opinion individuelle, ibid., p. 287, §1 ; juge Fleischhauer, opinion individuelle, ibid., pp. 305-306, 308, §§1, 5.

63 Conseil des droits de l’homme, Rapport de la mission internationale d’établissement des faits chargée d’enquêter sur les violations du droit international, notamment du droit international humanitaire et du droit des droits de l’homme, auxquelles ont donné lieu les attaques israéliennes contre la flottille d’aide humanitaire, Doc. A/HRC/15/21, 27 septembre 2010, p. 16, §61.

64 I.C.R.C., Conference of Government Experts on the Reaffirmation and Development of International Humanitarian Law Applicable in Armed Conflicts, Genève, 24 mai – 12 juin 1971, vol. I, Introduction, C.I.C.R., Genève, 1971, pp. 25-26.

65 L. KOTZSCH, The concept of war in contemporary history and international law, Genève, E. Droz, 1956, p.

85 ; International Law Association, Final Report on the Meaning of Armed Conflict in International Law, Use of Force Committee, The Hague Conference, 2010, pp. 4, 7, disponible sur : <http://www.ila- hq.org/en/committees/index.cfm/cid/1022> ; H. MEYROWITZ, Le principe de l’égalité des belligérants devant le droit de la guerre, op. cit., p. 311 ; L. DOSWALD-BECK (s.l.d.), Manuel de San Remo, op. cit., p. 88,

§13.12 ; F. NAERT, International Law Aspects of the EU’s Security and Defence Policy, Antwerp – Oxford – Portland, Intersentia, 2010, pp. 215-222.

(16)

deux corps de règles et d’identifier toute la liste de leurs zones de contact existants ou envisageables. L’objectif d’une telle approche serait de dresser un relevé complet de tous les aspects des relations entre le jus contra bellum et le jus in bello.

Une deuxième grille d’analyse consisterait à développer une lecture « verticale ». Il s’agirait de se concentrer sur un aspect particulier des relations entre le jus contra bellum et le jus in bello et de l’examiner de manière exhaustive. On pourrait, à titre d’exemple, à l’instar d’Henri Meyrowitz, se focaliser sur l’aspect qui constitue l’incarnation de l’indépendance du jus in bello par rapport au jus contra bellum, à savoir le principe de l’égalité des belligérants.

L’objectif d’une telle analyse serait de déterminer la portée et le contenu du principe en question et consisterait en l’étude approfondie du contenu normatif de cette règle particulière.

Les deux lectures offrent un prisme pertinent pour appréhender l’objet de notre étude.

Cependant, chacune de ces grilles d’analyse a des limites. Une étude purement descriptive des relations entre le jus contra bellum et le jus in bello nous paraît insatisfaisante. Eu égard aux exceptions revendiquées au principe de l’égalité des belligérants, l’étude de ces relations ne peut pas éviter d’analyser le contenu normatif du principe en question. Inversement, limiter l’analyse à un aspect particulier des relations entre le jus contra bellum et le jus in bello, pour confortable que cette approche soit sur un plan méthodologique, nous a semblé également inadéquat. Il serait, à notre sens, réducteur de se confiner à un examen de technique juridique du principe de l’égalité des belligérants ignorant les thèses selon lesquelles le cadre général dans lequel ce principe se situe, à savoir les relations entre le jus contra bellum et le jus in bello, est caractérisé par une interaction et une interdépendance croissantes. Cela d’autant plus que ce cadre général est invoqué par certains auteurs comme un argument militant en faveur d’une remise en cause du principe de l’égalité des belligérants.

Eu égard à ce qui précède, nous avons choisi de suivre une troisième voie et d’adopter une grille d’analyse qui tentera de combiner, dans toute la manière du possible, les deux lectures précitées. Pour autant, la présente étude ne prétend pas offrir un exposé détaillé de toutes les facettes de l’interaction entre le jus contra bellum et le jus in bello. Sur ce plan, nous avons été guidés aussi bien par des critères objectifs, à savoir par le fait que l’un ou l’autre aspect de ces relations est soulevé par la pratique ou la doctrine récentes, que par des critères subjectifs, à savoir par l’intérêt ou le lien étroit que certaines questions nous ont semblées présenter par rapport à notre objet d’étude. De même, on ne saurait prétendre offrir une analyse normative

(17)

exhaustive de toute règle qui est mentionnée lors de l’exposé des aspects de cette interaction.

Ces remarques nous mènent à opérer certaines précisions complémentaires.

L’analyse portera sur les relations entre le jus contra bellum et le jus in bello et l’influence que les règles appartenant à l’une de ces branches du droit international exercent sur l’autre.

Cette étude ne traitera dès lors pas de l’influence des éléments externes à ces deux corps de règles sur leur application. A titre d’exemple, les conditions de l’existence d’un Etat en droit international influencent tant l’application des règles du jus contra bellum que celle des règles du jus in bello. Elles délimitent ainsi la portée des deux corps de règles précités. Ces conditions étant déterminées par des règles externes tant au jus in bello qu’au jus contra bellum, elles ne relèvent pas du champ de notre étude. Il en va de même du statut juridique du territoire66. Même si le statut juridique d’un territoire exerce un impact sur l’application tant du jus contra bellum que du jus in bello, il ne relève pas du champ des ces deux branches du droit international. A ce titre, il sort également de la portée de cette étude.

L’emploi de la force par un Etat sur le territoire d’un autre Etat avec le consentement de ce dernier, pourvu que les conditions relatives à la validité du consentement sont remplies67, est un cas similaire à celui qui vient d’être décrit. Un tel emploi de la force ne constitue pas véritablement une troisième exception à l’interdiction du recours à la force, au même titre que la légitime défense et l’action militaire autorisée par le Conseil de sécurité. Il s’agit plutôt d’une action qui, puisqu’elle fait l’objet d’un consentement, est non coercitive, ce qui implique qu’elle ne relève pas du champ d’application des règles du jus contra bellum. Ainsi, le consentement est un élément ancré à l’extérieur du jus contra bellum même s’il peut

66 A titre d’exemple, Marco Sassoli cite le paragraphe suivant d’une sentence partielle de la Commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie comme la preuve que le jus contra bellum ne peut pas influencer l’applicabilité du jus in bello dans un conflit :

« The Commission does not agree that persons should be denied the protections of international humanitarian law because of disputes between the Parties to an international conflict regarding sovereignty over the territory concerned ».

M. SASSOLI, « Ius ad Bellum and Ius in Bello-The Separation between the Legality of the Use of Force and Humanitarian Rules to Be Respected in Warfare : Crucial or Outdated ? », op. cit., p. 249. Au vu de ce qui vient d’être exposé, on ne considère pas cet extrait comme relevant stricto sensu des relations entre le jus contra bellum et le jus in bello.

67 C.D.I., Projet d’articles de la Commission du droit international sur la responsabilité des Etats pour fait internationalement illicite (ci-après : Projet d’articles sur la responsabilité des Etats), Rapport de la Commission du droit international, Cinquante-troisième session, Assemblée générale, Documents officiels, Cinquante- sixième session, Supplément no. 10 (A/56/10), Nations Unies, New York, 2001, pp. 184-189 (article 20 et commentaire). Voy. aussi, C.I.J., affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, 19 décembre 2005, C.I.J. Recueil 2005, pp. 198-199, §52 (ci-après : arrêt RDC c.

Ouganda).

Références

Documents relatifs

CHAMPAGNE (MAISON MOËT &amp; CHANDON) avec accompagnements OPTION À 9.00€/PERS CHAMPAGNE (MAISON MOËT &amp; CHANDON) avec 5 canapés par personne OPTION À 15.00€/PERS.

Il veut être premier du rang pour rentrer en classe. Il veut être près des WC au cas où il aurait besoin de

Il y a, d’abord, sous l’Organisation de l’Unité africaine (OUA), le recours légitime à la lutte armée dans le cadre de la décolonisation et, ensuite, plus récemment, le droit

Dame de 83 ans, admise pour AVC sylvien gauche massif avec FA de novo et urosepsis … Puis, mes yeux sont attirés par le coin supérieur droit de la dernière note : M me

Vous pourrez venir le retirer directement auprès de l’accueil de l’Office de Tourisme à Evaux les Bains sur simple rendez-vous, tout en respectant les gestes barrières (port

1 oeuf, 3 choix de viande ou fromage, fêves au lard, crêpe ou pain doré, crème anglaise ou sirop d'érable.. Le travailleur

On the contrary, even if some of them held that jus cogens norms are of customary origin (Italy, South Africa, United States), the concept was systematically invoked to

» Mais, contrairement à Demolombe, il estime que, si l’on veut éviter que ces jeunes étrangers continuent à profiter d’une situation privilégiée par rapport aux enfants