• Aucun résultat trouvé

La relation entre le Conseil de Sécurité des Nations Unies et la Cour pénale internationale à propos du crime d’agression

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "La relation entre le Conseil de Sécurité des Nations Unies et la Cour pénale internationale à propos du crime d’agression"

Copied!
40
0
0

Texte intégral

(1)

Master

Reference

La relation entre le Conseil de Sécurité des Nations Unies et la Cour pénale internationale à propos du crime d'agression

MAY, Philomene

Abstract

L'art. 5 Statut de Rome énonce les crimes réprimés par la Cour Pénale Internationale, en particulier le « crime d'agression ». Toutefois, l'action de la CPI à l'égard de ce crime est soumise à deux conditions : une définition doit lui être apportée et le régime de la compétence doit être déterminé. L'art. 5 Statut dévoile parfaitement les tensions politico-juridiques entre le Conseil de Sécurité des Nations-Unies et la CPI. En effet, il est la preuve de l'interdépendance entre la définition du crime d'agression et la relation entre le Conseil de Sécurité et la CPI à propos de la compétence sur ce crime. Lors de la Conférence de Révision du Statut de Rome en 2010, le « crime d'agression » fut un sujet central. Ce mémoire analyse le résultat des négociations par le biais des deux amendements au Statut, soit les art. 8bis et 15bis. Il en explique les forces et les faiblesses.

MAY, Philomene. La relation entre le Conseil de Sécurité des Nations Unies et la Cour pénale internationale à propos du crime d'agression. Master : Univ. Genève, 2011

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:19472

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

(2)

Faculté de Droit Année académique 2010-2011

La relation entre le Conseil de Sécurité des Nations Unies et la Cour pénale

internationale à propos du crime d’agression

Philomène May

Sous la direction du professeur Nicolas Michel et de son assistante Katherine Mary Del Mare

Mémoire, rendu le 22 février 2011 Code de séminaire : 5364

(3)

Table des matières :

Introduction

... Pp. 1-3

A.

Acte d’agression pour le Conseil de Sécurité, mais Crime d’agression pour la CPI : Une définition pour l’agression ... Pp. 3-12

1. Art. 8bis §1 : Le crime d’agression ... Pp. 3-6

2. Art. 8bis §2 : L’acte d’agression ... Pp. 6-12

B.

Détermination de l’acte d’agression par le Conseil de Sécurité : Une condition préalable pour l’exercice de sa compétence par la CPI ... Pp. 12-24

1. Art. 15bis §§6-7 : Rôle pour le Conseil de Sécurité ? ... Pp. 13-21

2. Art. 15bis §8 : Que faire en cas d’inaction du CS ? ... Pp. 22-24

Conclusion

... Pp. 24-26

Bibliographie

... Pp. 27-30

Annexes :

- Tableau des abréviations

- Résolution RC/Res.6, Le crime d’agression, adoptéeà la treizième séance plénière, le 11 juin 2010

(4)

Assistante Katherine Mary Del Mare

« It is high time that we act on the juridical principle that aggressive war-making is illegal and criminal. [...] We must never forget that the record on which we judge these defendants today is the record on which history will judge us tomorrow »1

Robert M. Jackson au Président Harry Truman (1945)

Introduction :

11 juin 2010, Kampala (Ouganda), la Conférence de Révision du Statut de Rome s’achève.

Pendant deux semaines, elle traita de multiples sujets, dont le crime d’agression. Deux amendements au Statut de Rome ont vu le jour à ce propos : l’un sur la définition dudit crime et l’autre sur le régime de la compétence de la Cour Pénale Internationale (CPI) à son égard2. Toutefois, le concept d’agression ne date pas de Kampala, loin sans faut. Exemple flagrant des relations mouvementées entre politique et justice, il plonge ses racines dans les notions de

« guerre juste » et de « guerre injuste » dont s’enquéraient déjà nos ancêtres grecs et romains.

Plus tard, St-Augustin, Vitoria, Grotius et bien d’autres penseurs s’y attarderont3. La Première Guerre Mondiale sonna les prémisses du crime d’agression. Les articles 228 à 230 du Traité de Versailles cherchèrent déjà à punir les combattants allemands pour « violation des lois et coutumes de la guerre »4. Les Alliés tentèrent même de poursuivre le Kaiser Guillaume II pour

« offense suprême contre la morale internationale et l’autorité sacrée des traités »5, mais celui- ci trouva asile au Pays-Bas. Même si nous pouvions déjà distinguer de facto une certaine responsabilité individuelle à ce stade, il n’en est rien. En effet, ce procès devait être « a matter of high international policy », et non de droit international. Force est de constater que le droit de faire la guerre représente encore un attribut de l’Etat6. D’ailleurs, le Pacte Briand-Kellogg et la Société de Nations ne parvinrent qu’imparfaitement à remplir leur mission de paix par leur condamnation du « recours à la guerre pour le règlement des différends internationaux […] »7. Ses efforts ne permirent pas d’éviter la Seconde Guerre Mondiale. Au sortir de ce chaos, les Alliés édifièrent deux piliers pour construire un monde de paix : l’un était juridique, soit les Tribunaux Militaires Internationaux (TMI), et l’autre politique, l’Organisation des Nations Unies (ONU)8. Dans la Charte des Nations Unies (Charte), l’art. 2 §4 s’inspire du Pacte Briand- Kellogg par son interdiction de « recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout Etat […] ». En cas de violation, l’art.

39 Charte octroie au Conseil de Sécurité (CS) le pouvoir d’agir à l’encontre d’un Etat après avoir

1 Benjamin B. FERENCZ, What of Military Aggression?

2 Coalition pour la Cour Pénale Internationale, Réaliser les promesses d’une Cour juste, efficace et indépendante >

Crime d’agression, http://www.iccnow.org/?mod=aggression&lang=fr, consultation novembre 2010.

3 Rahim KERAD, La question de la définition du crime d’agression dans le Statut de Rome : entre pouvoir politique du Conseil de Sécurité et compétence judiciaire de la Cour Pénale International, p. 333.

4 Keith A. PETTY, Sixty years in the making : The definition of aggression for the International Criminal Court, p.

534.

5 Traité de Versailles, art. 227.

6 Vimalen J. REDDI, The ICC and the crime of aggression : A need to reconcile the prerogatives of the SC, the ICC and the ICJ, p. 659.

7 Traité de Paris Briand-Kellogg, art. I.

8 Gerhard KEMP, Individual criminal liability for the international crime of aggression, p. 205.

(5)

constaté « l’existence d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression »9. Quant aux TMI, le Pacte Briand-Kellogg leur offre aussi la base légale pour engager des poursuites10. Le Statut de Nuremberg transforme l’agression en crime contre la paix (art. 6 let. a) grâce au consensus trouvé entre la France, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et l’URSS. A partir de ce moment, l’agression relève du droit international et le principe qu’un individu soit tenu personnellement responsable glisse, en douceur, vers la coutume11. L’agression y prend un statut tout particulier, comme Kemp le démontre : « War is essentially an evil thing. Its consequences are not confined to the belligerent States alone, but affect the whole world. To initiate a war of aggression, therefore, is not only an international crime ; it is the supreme international crime differing only from other war crimes in that it contains within itself the accumulated evil of the whole »12. En 1945, les tensions politico-juridiques se matérialisent dans ces deux instruments. Pour cette raison, aucune réelle définition de l’agression n’est trouvée et sa répression se cantonne à Nuremberg et Tokyo. Les années suivantes, la Guerre Froide n’arrangea rien. Il fallut attendre le14 décembre 1974 pour permettre une certaine détente dans la reconnaissance du crime d’agression. A cette date, l’Assemblée Générale (AG) adopta la résolution 3314 (XXIX). Cette dernière couche enfin une définition sur le papier, véritable pont entre l’art. 39 Charte et le concept légal13. Pourtant, elle demeure un guide, pour le CS, sans force contraignante, malgré sa place centrale dans la répression de l’agression14. Elle sera souvent commentée et travaillée jusqu’en 1998. Cette année-là, un vent d’espoir se lève avec la création de la CPI à Rome, organisation internationale autonome. Cependant, l’autonomie a ses limites. Un équilibre devait être trouvé entre les intérêts des cinq membres permanents du CS (5P) et les Etats désireux de placer la justice internationale hors de portée du droit de veto. De surcroit, le constat d’une compétence déjà acquise par le CS quant à l’agression est inévitable (art. 39 Charte)15. A la lecture de l’art. 5 Statut de Rome (Statut), le compromis se dévoile. La CPI réprimera les crimes les plus graves, à savoir le crime contre l’humanité, le crime de guerre et le génocide. Quant au ferment de ces trois crimes, soit le crime d’agression, il a beau être mentionné au §1, le §2 précise que la CPI ne pourra agir que lorsqu’il sera défini et que les conditions de l’exercice de sa compétence seront explicitées16. Les tensions politico-juridiques ont donc survécu à tous les cataclysmes du XXe siècle pour se résumer en ce second alinéa de l’art. 5 Statut, preuve de l’interdépendance entre la définition du crime et la relation CS-CPI à propos de la compétence17.

Depuis juillet 2002, un Groupe de Travail Spécial sur le Crime d’agression (GTSCA) a pris le relai de la Commission Préparatoire pour résoudre cette double énigme18. A Kampala, le 11 juin

9 Charte des Nations Unies et Statut de la Cour International de Justice, art. 2 §4 et art. 39.

10 Philippe CURRAT, La Conférence de Kampala face au crime d’agression.

11 Gerhard KEMP, op cit, p. 83 et p. 85.

12 Gerhard KEMP, op cit, p. 81.

13 Vimalen J. REDDI, op cit, p. 661.

14 Edoardo GREPPI, State responsibility for Acts of Aggression under the United Nations Charter : a review of cases, p. 502.

15 Roland ADJOCI, Le Conseil de Sécurité des Nations Unies et la Cour Pénale Internationale, pp. 189-190.

16 Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale, art. 5.

17 Gerhard KEMP, op cit, p. 206.

18 Keith A. PETTY, op cit, p. 535.

(6)

Assistante Katherine Mary Del Mare 2010, cette énigme s’est résolue en deux amendements au Statut de Rome : les arts. 8bis et 15bis19.

A. Acte d’agression pour le Conseil de Sécurité, mais Crime d’agression pour la CPI : Une définition pour l’agression

« It was easier to commit aggression than to define it »: impossible de contredire ses paroles de Bassiouni et Ferencz20 tant la définition de l’agression ressemble à un serpent de mer insaisissable21. Lorsque le GTSCA commence à le traquer, il décide rapidement de couper la notion d’agression en deux parties : le crime et l’acte. En effet, le crime par un individu présuppose l’acte étatique. Non susceptible de poursuite par une cour pénale, l’acte n’en demeure pas moins un élément circonstanciel du crime22. Ce principe n’a pas été remis en question lors de la Conférence de Révision. Ainsi, un article 8bis doté de deux alinéas fut adopté23.

1. Art. 8bis §1 : Le crime d’agression :

Le crime d’agression réprime l’acte individuel, objet de la sanction pénale internationale.

Depuis le Tribunal de Nuremberg, il appartient à la coutume sans jamais avoir été défini avec netteté. La difficulté se trouve dans les liens étroits entre répression pénale et sécurité internationale24.

Pour définir ce crime, le GTSCA s’est appuyé sur les précédents pertinents : l’art. 6 let.a Statut de Nuremberg, la Rés 95 (I) AG et l’art. 16 du Projet de Code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité25. De cette définition, nous pouvons tirer trois constats :

Le premier est sans appel : nous avons affaire à un crime de leadership26. L’art. 8bis §1 est rédigé dans ce sens : « par une personne effectivement en mesure de contrôler ou de diriger l’action politique ou militaire d’un Etat »27. Par conséquent, il est aisé de tenir pour responsable d’un crime d’agression un chef d’Etat ou un haut-gradé militaire. Toutefois, qu’en est-il des personnes n’appartenant pas aux milieux gouvernementaux officiels, tels que les acteurs économiques ? Ne pas en tenir compte serait un retour en arrière par rapport aux procès de Nuremberg et empêcherait la poursuite des formes modernes de l’agression28. D’ailleurs, dans le

19 Résolution RC/Res.6, Le crime d’agression, adoptéeà la treizième séance plénière

20 Gerhard KEMP, op cit, p. 116.

21 Rahim KERAD, op cit, p. 332.

22 Rahim KERAD, op cit, p. 337.

23 Résolution RC/Res.6, op cit.

24 Fannie LAFONTAINE et Alain-Guy TACHOU-SIPOWO, Tous les chemins ne s’arrêtent pas à Rome : la révision du Statut de la Cour Pénale Internationale à l’égard du crime d’agression ou la difficile conciliation entre justice pénale internationale et sécurité internationale, p. 86 et p. 81.

25 Statut du Tribunal Militaire International ; Résolution 95 (I) de l’Assemblée Générale, Confirmation des principes de droit international reconnus par le Statut du Tribunal de Nuremberg ; Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité

26 Press conference by Chairman of Working group on crime of aggression, 31 janvier 2007.

27 Résolution RC/Res.6, op cit. Cette position de leadership est renforcé par le nouveau §3bis de l’art. 25.

28 Keith A. PETTY, op cit, p. 548.

(7)

sillage de Nuremberg, la Commission de Droit International (CDI) concevait, entre autres, sous le terme « dirigeants » les milieux d’affaires29. Petty se permet d’aller encore plus loin par l’inclusion de tous les « acteurs privés influents »30. La lecture de l’art. 8bis §1 pourrait laisser penser que ces différents acteurs n’entrent pas en ligne de compte. Il n’en est rien. Les travaux préparatoires laissent parfaitement transparaitre le désir du GTSCA de demeurer dans l’esprit de Nuremberg. Nul besoin de faire explicitement partie du gouvernement officiel pour être un leader en position de commettre un crime d’agression31. Une ombre assombrit tout de même le tableau : où est la limite ? En effet, la clause de leadership ne s’applique pas seulement à l’acteur principal, mais aussi aux potentiels acteurs secondaires. Cela offre l’opportunité de poursuivre toutes les formes de participation de l’art. 25 Statut32. Qu’ils soient diplomates, agents de renseignement, législateurs, juristes, une myriade de bureaucrates joue un rôle au côté des chefs d’Etats ou des ministres de la Défense. Sans leur travail, l’action « agressive » n’aurait pas eu lieu. Ils possèdent ainsi un contrôle effectif sur l’action politique ou militaire de l’Etat. Par conséquent, la CPI devra-t-elle tous les tenir pour responsables ?33

Le deuxième constat se porte sur la nature absolue de ce crime. En effet, toutes les étapes d’implication sont prises en compte34 : « planification », « préparation », « lancement » et

« exécution »35. Cette approche dite « différenciée », car incluant toutes les formes de participation individuelle a été travaillée par le GTSCA depuis janvier 2007 afin de garder une cohérence avec les TMI36. Toutefois, l’art. 8bis §1 a beau usé des mêmes termes, il ne prévoit pas la menace ou la tentative d’agression, limitation au vue de l’art. 6 let.a de Nuremberg37. Une telle limitation est, malgré tout, compréhensible. Il est déjà difficile de prouver l’existence d’une attaque. Qu’adviendrait-il avec une « menace » d’attaque ? De surcroit, le CS est en proie à une forte répulsion pour déterminer une situation évidente d’agression. Déterminer une situation douteuse d’agression relève, par conséquent, de l’utopie38. Dans tous les cas, la rédaction finale de l’art. 8bis §1 pose déjà assez de questions. En effet, la répression de la « planification » et de la « participation » soulève des problèmes pratiques. Ces deux termes recouvrent un large panel d’activités politiques et militaires. Dans bien des cas, celles-ci sont conçues en dehors de tout contexte précis. Il est dès lors impossible de savoir si les circonstances du moment auraient permis d’en extraire un crime d’agression. Par exemple, la planification du bombardement de Bagdad par l’OTAN, en prévision d’une potentielle invasion du Koweït par l’Irak, constitue-t- elle un crime d’agression ? Où se situe la frontière entre le travail ordinaire de défense étatique et la commission d’un crime ?39

29 Fannie LAFONTAINE et Alain-Guy TACHOU-SIPOWO, op cit, p. 90 citant le rapport de la CDI sur les travaux de sa 43e session (1991).

30 Keith A. PETTY, op cit, p. 553.

31 Rapport du groupe de travail spécial sur le crime d’agression, ICC-ASP/7/20/Add.1, février 2009, pp. 24-25 et Stefan BARRIGA, Against the odds: the results of the SWGCA, p. 628.

32 Rapport du Groupe de travail spécial sur le crime d’agression, 30 novembre - 14 décembre 2007.

33 Michael J. GLENNON, The blank-prose crime of aggression, pp. 99-100.

34 Claus KRESS, The crime of aggression before the first review of the ICC statut, p. 582.

35 Résolution RC/Res.6, op cit.

36 Rapport de la Conference on the International Criminal Justice : Claus KRESS, p. 157.

37 Keith A. PETTY, op cit, pp. 549-550.

38 Noah WEISBORD, Prosecuting aggression, pp. 189-190.

39 Michael J. GLENNON, op cit, pp. 98-99.

(8)

Assistante Katherine Mary Del Mare Le troisième et ultime constat repose sur les derniers mots de l’art. 8bis §1 : « par sa nature, sa gravité et son ampleur, constitue une violation manifeste de la Charte des Nations Unies ». Cette expression contient, sans nul doute, bien des indéterminations. Pourtant, elle représente parfaitement la situation actuelle, car elle reconnaît implicitement l’existence d’une « zone grise ». A l’intérieur de cette zone, tout acte est sujet à interprétation selon la perception (fluctuante) de la pratique récente40. Par conséquent, le GTSCA a souhaité « limiter la compétence de la CPI aux comportements atroces qui violent indiscutablement le droit international général coutumier41 », limitation qui reste en conformité avec les autres articles du Statut de Rome42. Il est vrai que nous voyons mal la CPI se préoccuper de simples frictions frontalières. Toutefois, qu’en est-il de la question des « interventions humanitaires » 43? De plus, comment traiter une violation manifeste de la Charte autorisée par le CS ou par l’art. 51 Charte ? Prenons en exemple la délicate situation coréenne du 23 novembre 2010 : à première vue, la Corée du Nord ne devrait pas pouvoir justifier le bombardement de l’île Yeonpyeong au moyen de l’art. 51 Charte. Malgré tout, autant la Corée du Sud pourrait avancer la légitime défense pour justifier sa riposte, autant la Corée du Nord argumente que les exercices de l’armée sud-coréenne sur cette île représentent une menace. Comme la légitime défense ne peut logiquement pas être au bénéfice des deux parties au conflit, nous pourrions être confrontés à des centaines d’utilisations illicites de la force violant « manifestement » la Charte44. Avec pour objectif de préciser cette « violation manifeste », le GTSCA a inscrit dans les éléments d’interprétation l’exigence d’examiner « toutes les circonstances entourant chaque cas, en particulier la gravité et les conséquences de l’acte concerné ». Il ajoute que « la nature, la gravité et l’ampleur doivent être suffisamment importantes pour justifier une constatation de violation « manifeste ».

Aucun des éléments [parmi les trois précités] ne peut suffire pour remplir le critère de la violation manifeste »45. L’effort est louable. Malheureusement, la critique d’imprécision se répercute sur les termes « nature », « gravité » et « ampleur ». Dans l’affaire coréenne précitée, l’impact sur la stabilité régionale atteint-il le niveau de « gravité » ? Ou ne doit-on constater la mort que de quatre personnes ? Par « ampleur », devons-nous envisager le largage d’une cinquantaine d’obus ? Ou la cible d’une simple île peu habitée ? Seul un jugement subjectif pourra répondre à ces questions. Les trois facteurs d’une violation manifeste ne jouent pas le rôle d’une formule magique pour éliminer toute imprécision46. La Norvège ne déclare-t-elle pas qu’elle appréciera « si des éclaircissements supplémentaires sont nécessaires préalablement à l’entrée en vigueur de l’amendement pour elle-même » ? Cuba imagine les mêmes difficultés en craignant « l’élément ordinaire de subjectivité » de la CPI lors de la qualification de ces notions47. D’ailleurs, plusieurs délégations arguent que cette clause seuil n’est pas nécessaire, car la compétence est déjà intrinsèquement limitée aux crimes les plus graves et la Charte restreint

40 Claus KRESS, op cit, p. 584.

41 Claus KRESS, op cit, p. 584.

42 Fannie LAFONTAINE et Alain-Guy TACHOU-SIPOWO, op cit, p. 84.

43 Stefan BARRIGA, op cit, p. 623 et p. 629.

44 Michael J. GLENNON, op cit, pp. 100-101.

45 Résolution RC/Res.6, Annexe III, §§6-7.

46 Michael J. GLENNON, op cit, pp. 101-102.

47 Documents officiels, Conférence de Révision du Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale, Kampala, 31 mai – 11 juin 2010, p. 133 et p. 135.

(9)

l’usage du terme « agression »48. D’ailleurs, l’Iran renchérit par son affirmation : « tout acte d’agression est par nature grave, et ce quelles que soient ses conséquences »49. Ainsi, l’ajout de cette clause seuil semble apporter plus d’inconvénients que de bénéfices. Pourtant, sans elle, beaucoup de délégations auraient objecté à l’utilisation de la Rés. 3314 comme base de définition pour l’acte d’agression. A nouveau, des concessions devaient être acceptées par chacun pour avancer50.

En définitive, même si le crime d’agression n’a pas provoqué de réels débats, bien des questions demeurent en suspens. Peut-on vraiment estimer que tous les principes du droit, tel que celui de la légalité, sont respectés ? Glennon va jusqu’à comparer cette définition avec « a reconstruction of the burnt timbers of the League of Nations Covenant » et estime qu’elle est incompatible avec les droits humains internationalement reconnus51. Quand bien même, pour moi, cet avis se révèle extrême. Dans toutes lois, des expressions vagues existent et nécessitent l’interprétation judiciaire. Militer en faveur d’une minutieuse exactitude revient à oublier la nature-même du droit, science vivante. Que voulons-nous vraiment pour l’avenir : un monde de guerre où l’on recherche la définition juridiquement parfaite pour l’agression ? Ou un monde de paix où les hommes agissent au mieux malgré leurs imperfections ? « Affirmer qu’il est injuste de punir ceux qui, au mépris des traités et engagements, ont attaqué les Etats voisins sans avertissement est évidemment faux car, dans de telles circonstances, l’attaquant sait pertinemment qu’il agit mal, et ainsi, loin d’être injuste de le punir, il serait au contraire injuste de permettre à de telles erreurs de rester impunies » (B. Ferencz)52.

2. Art. 8bis §2 : L’acte d’agression :

Avec l’acte d’agression, un concept plus politisé se dévoile puisque nous parlons du comportement d’un Etat. Avant de commencer, je souhaite clarifier le cadre de mon propos. Les prochaines lignes ne s’intéresseront pas à la question procédurale posée au CS, à savoir « un acte d’agression a-t-il eu lieu ? »53. Cette question permet au Procureur d’ouvrir son enquête, mais ne fournit aucune réponse sur le fond. Du moment que l’enquête est ouverte, la CPI devra se prononcer sur l’acte afin de s’assurer que l’individu en position de leadership détient ce poste dans l’Etat « agressif »54. Mon but, pour le présent chapitre, tend à décrypter comment la CPI évaluera l’acte d’agression après ouverture de l’enquête, soit comment elle répondra à la question de fond55. Nous le devinons d’ores et déjà, question procédurale et question de fond s’entremêlent pour créer le rapport de check & balancies entre le CS et la CPI.

48 Keith A. PETTY, op cit, p. 543 et Avis de Cuba in Documents officiels, p. 135.

49 Documents officiels, op. cit, p. 136.

50 Stefan BARRIGA, op cit, p. 629.

51 Michael J. GLENNON, op cit, p. 102.

52 Benjamin FERENCZ, Pour mettre un terme à l’impunité du crime d’agression, pp. 739-741.

53 Cette question sera traitée au cours de la deuxième partie de ce mémoire.

54 David Scheffer, A pragmatic approach to the crime of aggression, p. 614.

55 Claus Kress, op cit, p. 583.

(10)

Assistante Katherine Mary Del Mare L’acte d’agression a été inclus à l’art. 39 Charte sous l’insistance de l’URSS, mais sans jamais être défini. Beaucoup des Etats craignaient une définition exhaustive, corset pour eux- mêmes et échappatoire pour les agresseurs. Décision fut donc prise de laisser au CS une grande discrétionnalité en la matière56. Depuis le début du XXe siècle, définir l’acte d’agression est un vrai casse-tête tant il est polymorphe et évolutif. Opter pour une définition générale offre l’avantage d’envisager toutes les hypothèses, actuelles et futures, mais elle court le risque des interprétations abusives. Une définition trop précise est soumise aux mêmes dangers. Pourtant, la délégation bolivienne apporta le germe d’une solution lors de la Conférence de San Francisco.

En effet, son projet permet de dégager une définition générale suivie d’une liste indicative pour éviter les abus57. En 1974, la Rés. 3314 se nourrit implicitement de ce projet, vu que son art. 1 pose une définition générale et son art. 3 une liste exemplative58. Grâce à elle, une définition de l’agression est reconnue de façon internationale, sans atteindre toutefois l’universalité. Bien qu’elle ébauche une définition, cette résolution n’en demeure pas moins un simple guide59 pour le CS. Les prérogatives de ce dernier ne se voient donc pas affaiblies par rapport à la Charte60. Nonobstant ce fait, en 1986, la CIJ élève la Rés. 3314 au rang de droit international coutumier, au côté de la Rés. 2625 (XXV)61, dans l’affaire Nicaragua. La CIJ s’appuie sur la Rés. 2625 pour distinguer entre l’agression armée et les autres utilisations de la force. Pour elle, le fait que les Etats aient adopté cette résolution « fournit une indication de leur opinio juris sur le droit international coutumier en question » et l’art. 3 Rés. 3314 exprime le « droit international coutumier »62. Dès lors, le GTSCA n’eut pas longtemps à tergiverser entre une approche générique, une autre consistant à laisser l’entier de la question au bon vouloir du CS et celle se fondant sur la Rés. 331463. Dès 2007, le GTSCA se focalisa sur cette troisième option, fruit de délicates négociations, avec à l’esprit la conviction de ne pas pouvoir l’utiliser dans son intégralité64. Par sa nature de guide politique, la Rés. 3314 devait être ajustée pour répondre aux exigences du droit pénal sans violer certains principes légaux fondamentaux65. En effet, même si cette définition est centrée sur le comportement d’un Etat, elle risque de violer les droits de l’accusé vu son impact sur la notion de crime d’agression. C'est pourquoi le GTSCA mêla définition générale et liste indicative dans un seul article, histoire de ne retenir que les notions politiques indispensables. La méthode mixte fut par conséquent retenue dans le but de trouver un

56 Erika de WET, The Chapter VII powers of the United Nations Security Council, p. 145.

57 Nathalie THOME, Les pouvoirs du Conseil de Sécurité au regard de la pratique récente du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, pp. 58-60.

58 Résolution 3314 (XXIX) de l’Assemblée Générale, Définition de l’agression, 14 décembre 1974.

59 Julius Stone se permet d’avance que : « That remarkable text rather appears to have codified into itself (and in some respects extended) all the main « juridical loopholes and pre-texts to unleash aggression » available under preexisting international law, as modified by the UN Charter ». (cité par Gerhard KEMP, op. cit, p. 119).

60 Edoardo GREPPI, op. cit, p. 504.

61 La Résolution 2625 réaffirme qu’une guerre d’agression relève du crime contre la paix. Par conséquent, une responsabilité doit être établie. Cf. : Muhammad Aziz SHUKRI, in Rapport de la Conference on the International Criminal Justice par Roberto Bellelli, p. 151.

62 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), p.101, §191 et p. 103, §195.

63 Jennifer TRAHAN, Defining « aggression » : Why the Preparatory Commission for the International Criminal Court has faced such a conundrum, p. 449.

64 Stefan BARRIGA, op cit, p. 630.

65 Claus KRESS, in Rapport de la Conference on the International Criminal Justice par Roberto Bellelli, p. 157.

(11)

consensus66. Sur le même schéma que l’art. 7 Statut, l’art. 8bis §2 fut doté d’un chapeau général et d’une liste non exhaustive67. Je me propose de les analyser :

L’impossibilité de prévoir tous les actes d’agression parle en faveur d’une définition générale.

Son utilisation permet de s’adapter à l’émergence de nouvelles formes d’agression68. Celle-ci évite également tout empiétement sur le domaine réservé au CS69 avec l’avantage d’octroyer une plus grande flexibilité à la CPI70. La difficulté repose justement dans ce partage de compétences entre le CS et la CPI. En effet, comme nous l’avons vu, même si l’acte d’agression définit le comportement étatique, la responsabilité individuelle n’en demeure pas moins son corollaire, d’où la nécessité de protéger les droits de l’accusé. Les compétences du CS et de la CPI sont intrinsèquement liées : le procureur cherche les éléments de preuve quant à l’acte d’agression après que celui-ci ait été constaté par le CS. Par conséquent, un double problème s’installe avec l’emploi d’une définition générale : les principes légaux (droits de l’accusé et principe de légalité) sont violés en raison du pouvoir discrétionnaire du CS71. Une telle définition revient à conserver l’architecture de la Rés. 3314, soit l’interdépendance de ses dispositions prévue à son art. 8. La seule lecture des arts. 2 et 4 Rés. 3314 prouvent la démesure des pouvoirs du CS dans un tel cas de figure72. De surcroit, il est bon de rappeler que le CS use de facteurs politiques et économiques dans sa constatation d’un acte d’agression (art. 39 Charte), et non de considérations juridiques. Par ailleurs, MacDougall souligne avec clairvoyance que les membres du CS, également parties au différend, ne sont pas exclus du vote au sujet de la reconnaissance d’une agression. Après cela, comment le procureur pourrait-il offrir toutes les garanties d’un procès équitable à l’accusé ?73 Il est vrai que l’art. 4 Rés. 3314 exige la conformité du CS aux dispositions de la Charte. Nous pouvons en déduire que son pouvoir discrétionnaire n’est ni illimité, ni arbitraire74. Au fond, tout le problème repose dans la question de la rule-of-law à l’intérieur du système de sécurité collective. A quel point est-il opportun de préciser le concept juridique tout en assurant l’efficacité du système ?75 Thome résume bien cette ambivalence : les situations sur le terrain ne sont pas des concepts juridiques et les concepts ne sont pas applicables

66 Muhammad AZIZ SHUKRI, Individual responsibility for the crime of aggression, p. 542.

67 Noah WEISBORD, op. cit, p. 182.

68 Jennifer TRAHAN, op. cit, p. 456.

69 Noah WEISBORD, op. cit, pp. 181-182.

70 Keith A. PETTY, op cit, p. 544.

71 Vera GOWLLAND-DEBBAS, The role of the Security Council in the new International Criminal Court from a systematic perspective, pp. 639-641.

72 Résolution 3314 (XXIX) de l’Assemblée Générale, Définition de l’agression, 14 décembre 1974 et Benedetto CONFORTI, Le pouvoir du CS en matière de constatation d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression, p. 53.

73 Carrie MCDOUGALL, When law and reality clash-the imperative of compromise in the context of the accumulated evil of the whole : Conditions for the exercise of the International Criminal Court’s jurisdiction over the crime of aggression, pp. 318-319 et Rapport du Groupe de travail spécial sur le crime d’agression, 30 novembre - 14 décembre 2007.

74 Rahim KERAD, op. cit¸ p. 342. Cette exigence de conformité à la Charte est d’ailleurs rappelée dans le chapeau de l’art. 8bis §2 Statut (Rapport du groupe de travail spécial sur le crime d’agression, ICC - ASP/7/20/Add.1, février 2009).

75 Mirko ZAMBELLI, La constatation des situations de l’article 39 de la Charte des Nations Unies par le Conseil de Sécurité : le champ d’application des pouvoirs prévus au chapitre VII de la Charte des Nations Unies, p. 105, citant Kelsen.

(12)

Assistante Katherine Mary Del Mare à toutes les situations76. Il est prévisible qu’aucun membre du CS n’acceptera d’être lié par la définition de l’acte d’agression, même si celle-ci est reconnue comme coutumière. D’ailleurs, les sessions du CS sont souvent informelles ou fermées. Il serait donc impossible de savoir s’il respecte ladite définition. N’oublions pas que le but du CS n’est pas de mettre un terme à un différend, mais de protéger la sécurité internationale.77

Malgré tout, un équilibre doit être envisagé afin de protéger au mieux les droits de l’accusé dans le cadre de la CPI. Cet équilibre se dévoile déjà dans la procédure pour reconnaître un acte d’agression. Certes, le CS a un rôle important dans la phase procédurale, la phase de fond n’en reste pas moins entre les mains d’une cour de justice indépendante. Cette dernière ne devrait pas placer les principes légaux sous le joug de la sécurité collective. Par conséquent, si une définition générale offre trop d’emprise au CS, l’adjonction d’une liste spécifique restreint quelques problèmes, dont celui du principe de la légalité, tout en conservant la souplesse nécessaire78. De plus, une telle liste permet de prendre en compte certains actes non compris par la définition générale (même interprétée largement), tel que le « blocus des ports ». Pour construire cette liste, le GTSCA devait trancher entre le modèle exhaustif et celui exemplatif. Le premier modèle cadre à la perfection avec le principe nullum crimen sine lege, mais il ferme la voie à toute adaptation. C’est pourquoi le second modèle est retenu79. Combiné au chapeau général, il équilibre les exigences de spécificité et d’évolution. La clause seuil contenue dans le §1 assure une garantie supplémentaire pour ne pas tomber dans une interprétation trop large80. En conséquence, la définition mixte tend à équilibrer les pouvoirs du Procureur et du CS. Le chapeau général permet au Procureur d’argumenter pour l’inclusion d’actes non encore listés (ex. : cyber-attaques) sans violer le principe de légalité, tandis que la liste spécifique donne l’opportunité d’une adaptation aisée pour toutes les situations prévues et octroie la capacité de tisser des liens entre un acte prévu et un acte imprévu sans avoir à construire un argumentaire à partir de rien81.

Pour conclure sur l’acte d’agression, je souhaite élever quelques critiques sur cette définition.

A la veille de la Conférence à Kampala, soit le 30 mai 2010, Antonio Cassese tint les propos suivant : « The major powers will not agree on a definition of aggression because that would mean taking a clear stand on categories of self-defense, like using force to prevent an attack or even a threat »82. Au lendemain de Kampala, la lecture de la définition trouvée pour l’acte d’agression démontre la justesse de ces paroles. Certes, les délégués ont abouti à une solution, mais des zones d’ombres demeurent.

La première revient à la limite entre agression et légitime défense. A première vue, la différence se marque par un rapport chronologique : un usage de la force prima facie est illicite, mais y

76 Nathalie THOME, op. cit, p. 61.

77 Carrie MCDOUGALL, op. cit¸ pp. 315-316.

78 Muhammad AZIZ SHUKRI, op. cit, p. 542.

79 Noah WEISBORD, op. cit, p. 182 et Rapport du Groupe de travail spécial sur le crime d’agression, 30 novembre - 14 décembre 2007.

80 Stefan BARRIGA, op. cit, p. 631.

81 Noah WEISBORD, op. cit, p. 184.

82 Marlise SIMONS, International Court may define aggression as crime.

(13)

répondre par la force est légitime83. Ainsi, un acte d’agression peut être licite en vertu de la Charte, même si la finalité de celle-ci vise la répression des actes d’agression. A l’examen de la définition du GTSCA, la distinction s’estompe, voire s’efface pour certains. Glennon estime qu’aucune exception pour la légitime défense n’est prévue en raison de l’expression « toute autre manière incompatible avec la Charte des Nations Unies ». Par conséquent, tous les actes d’agression semblent devenir illicites en raison du but de la Charte. A partir de ce constat, comment traiter l’attaque contre les Talibans en 2001 ? Légitime selon la Charte, mais illicite selon l’art. 8bis §2 ?84 De surcroit, l’Etat agresseur cherchera à se dépeindre comme la victime d’une agression antérieure, ce qui entrainera l’élargissement du champ d’application de la légitime défense. Constatons tout de même que les termes acte d’agression semblent englober une réalité plus large que ceux d’agression armée (ou d’armed attack) utilisés à l’art. 51 Charte85. En outre, à ce stade rentre à nouveau en jeu l’ambivalence entre la CPI et le CS. Si nous acceptons l’idée de l’absence d’exception à l’acte d’agression dans la définition du GTSCA, la CPI pourra-t-elle vraiment agir tout en sachant que le CS considère ladite situation comme de la légitime défense ou a autorisé l’attaque ? Il est évident que le CS n’est en rien lié par la définition incluse dans le Statut de Rome86.

La deuxième repose dans la compréhension du mot « Etat ». En effet, la définition ne parle que d’acte d’agression étatique. Un groupe terroriste ou une organisation armée ne peuvent pas commettre une agression87. Pourtant, à la lecture des lit. f et g de l’art. 8bis §2, le doute s’immisce. S’il est nécessaire de donner un sens large au mot « Etat » afin de protéger tout territoire, qu’en est-il des activités de groupes armés bénéficiant du concours d’un Etat ?88 Les conflits actuels multiplient leurs facettes. Dès lors, une agression par un groupe armé soutenu financièrement et/ou militairement par un Etat est envisageable89. Par suite, une agression par un groupe terroriste n’est-elle pas concevable ? Le crime d’agression exige une position de leadership, ce qui parait compromettre la poursuite des terroristes. Toutefois, une telle interprétation risque fort d’omettre les nouvelles formes d’agression. Pensons aux attaques du groupe Al-Quaïda ou du régime des Talibans. N’aurions-nous aucune voie légale contre elles ? Il me semble que le GTSCA en parlant de leadership et d’acte étatique a simplement voulu placer un seuil. Il avait donc le souhait d’éviter des poursuites contre un groupe capable uniquement de commettre des actes isolés. Par contre, je doute fort qu’il ait voulu empêcher l’incrimination des groupes non-étatiques, mais possédant la force de frappe d’un Etat. Nous ne devons pas nous borner à une interprétation littérale, mais nous ouvrir aussi à une interprétation téléologique90. Dans le cas contraire, nous devrions tenir pour responsable d’un acte d’agression un Etat incapable de contrôler l’utilisation de son territoire en dépit de ses efforts. Serait-il juste

83 Charte des Nations Unies et Statut de la Cour International de Justice, art. 51.

84 Michael J. GLENNON, op. cit, pp. 88-90.

85 Noah WEISBORD, op. cit, p. 185.

86 Vera GOWLLAND-DEBBAS, op. cit, p. 641 et Rapport de la Conference on the International Criminal Justice : David SCHEFFER, pp. 152-153.

87 Edoardo GREPPI, op. cit, p. 500.

88 Rapport du groupe de travail spécial sur le crime d’agression, ICC-ASP/7/20/Add.1, février 2009.

89 Nathalie THOME, op. cit, pp. 60-61.

90 Keith A. PETTY, op cit, p. 553.

(14)

Assistante Katherine Mary Del Mare d’accuser l’Etat afghan ou l’Etat pakistanais d’être des bastions de l’activité terroriste91 ? La jurisprudence de la CIJ et la pratique du CS tendent à nous indiquer le contraire. Dans l’affaire Nicaragua, la CIJ impute la responsabilité de la situation à un groupe non-étatique, car il possède une « structure identifiable » et est l’auteur desdits agissements. Bien sûr, ce cas doit rester exceptionnel, mais force est de constater qu’il existe. Quant au CS, il en a fait de même à l’encontre des Khmers Rouges ainsi que des Talibans et d’Al-Quaïda92. Par conséquent, si la CIJ et le CS reconnaissent une responsabilité à de telles entités, pourquoi la CPI ne pourrait-elle pas en faire autant ?

La dernière entoure l’expression « force armée ». Comprend-elle seulement l’action militaire ? Bien que déjà envisagés par l’URSS, les concepts d’agression économique et idéologique n’ont pas encore été reconnus au sein de la Charte. Cependant, les attentats du 11-Septembre démontrent que la forme de l’agression est encore sujette à bien des controverses93. Malgré tout, accepter l’agression économique ôterait tout moyen de pression à la Communauté internationale.

De plus, ce serait ouvrir la voie à une sorte d’agression indirecte plus difficile à identifier94. D’ailleurs, en 1968, seules les formes d’agression directes, à savoir « une déclaration de guerre, une invasion, un bombardement, un blocus ou une attaque armée », furent admises par le Third Special Committee, à l’exclusion des attaques « idéologiques, économiques ou autres »95. Qu’en est-il en 2011 ? Le rapport du GTSCA de février 2009 laisse miroiter l’idée d’inclure des actes de nature économique. Certaines délégations émirent même l’idée des cyber-attaques. Sans succès96 ? Autant les arguments pour contourner les concepts d’agression économiques/idéologiques sont défendables, autant l’ignorance de nouvelles formes d’agression non « armées » est, à mon sens, réductrice97. Nous vivons au cœur de l’ère informatique et nous devrions fermer les yeux sur les cyber-attaques98 ? Pourtant elles ne ressortent pas de la science- fiction. En septembre 2010, un virus informatique dénommé Stuxnet infecte environ 30'000 ordinateurs iraniens sur des sites industriels et nucléaires. L’Iran accuse publiquement Israël d’avoir commandité cette attaque. Nous pouvons encore remonter au mois d’août 2008. A cette période, la Russie use du même moyen pour empêcher le gouvernement géorgien de communiquer. Stéphane Koch parle d’ailleurs d’une « dynamique de ce qu’on pourrait appeler la cyber-guerre, cyber-conflit »99. A titre personnel, ces actes me paraissent similaires à une agression de par leur morphologie (2 Etats, attaque contre l’intégrité/l’indépendance politique…) et de par leurs conséquences potentielles. Par ailleurs, selon la Rés. 2625, une atteinte au droit international se présente non seulement sous la forme d’interventions armées contre un Etat, mais aussi par « toutes les autres formes d’interférence ou tentatives de menaces contre la

91 Michael J. GLENNON, op. cit, p. 96.

92 Nathalie THOME, op. cit, pp. 137-139.

93 Nathalie THOME, op. cit, p. 58.

94 Erika de WET, op. cit, pp. 146-147.

95 Nicolas NYIRI, The United Nation’s search for a definition of agression, pp. 220-221.

96 Rapport du groupe de travail spécial sur le crime d’agression, ICC-ASP/7/20/Add.1, février 2009, p. 24 et Stefan BARRIGA, op. cit, p. 631.

97 Cuba a le même avis (in Documents officiels, p. 135).

98 Michael J. GLENNON, op. cit, p. 96.

99 Dossier Géopolitis du 30 janvier 2011.

(15)

personnalité de l’Etat ou contre ses structures politiques, économiques et culturelles »100. Dès lors, il me parait judicieux d’interpréter largement la notion de « force armée » afin de demeurer dans les visées du GTSCA, soit poursuivre les situations les plus graves.

En somme, l’acte d’agression, à l’instar du crime d’agression, comporte des imperfections, mais elle a l’avantage de créer un socle théorique, attendu depuis des décennies. Une tension entre les Etats capables de guerroyer et les Etats soucieux d’être protégés existera toujours101. Cette tension se répercute dans les relations entre droit et politique, matérialisées dans la coexistence entre CPI et CS.

B. Détermination de l’acte d’agression par le Conseil de Sécurité : Une condition préalable pour l’exercice de sa compétence par la CPI

« The real issue is not defining the word aggression, however important it may be, but the relationship between the ICC and the SC, should the Court ever want to exercise its jurisdiction over the crime of aggression ». Ces propos du coordinateur arabe lors de la Conférence de Rome démontrent l’ampleur du problème posé par les relations entre le CS et la CPI102. Ces paroles résonnèrent tout au long de la Conférence de Kampala, car autant la définition de l’agression n’a pas subi de profondes remises en question, autant d’âpres négociations durent avoir lieu à propos des conditions pour l’exercice de la compétence de la CPI. Les délégations se divisaient en deux fronts aux antipodes l’un de l’autre : un camp en faveur de la compétence du CS pour « constater l’acte d’agression et, au besoin, pour ordonner au Procureur d’ouvrir une enquête » ; un autre camp pour un Procureur libre d’initier une enquête proprio motu ou à la demande d’un Etat et soumis à la seule autorisation de la Chambre Préliminaire103. La Conférence de Kampala devait s’achever le 11 juin. Pourtant, le consensus ne fut atteint qu’à l’aube du 12 juin après une ultime nuit de négociation. Ce résultat permit de clore les travaux sur une note positive, mais non dénuée de bémols104. L’examen de l’art. 15bis Statut, avec sa dichotomie CS-CPI, nous en convaincra. Je signale, dans ce préambule, l’existence d’un art. 15ter Statut. Celui-ci ne sera pas abordé dans les prochaines lignes, car il ne pose pas de problème quant à l’immiscion du CS dans les affaires de la CPI. En effet, comme il parle déjà d’un cas de « renvoi par le CS », une détermination supplémentaire de l’acte d’agression par celui-ci n’est pas pertinente105.

Pour ouvrir une enquête sur un crime d’agression proprio motu ou à la demande d’un Etat, le Procureur doit vérifier diverses conditions :

• La situation concerne un acte d’agression entre « Etats parties » (§§4-5).

• Quand le Procureur a conclu à l’existence de « bonnes raisons pour mener une enquête », il doit s’assurer que « le CS a constaté qu’un acte d’agression avait été commis par l’Etat en

100 Rapport de la Conference on the International Criminal Justice : Muhammad Aziz SHUKRI, p. 151.

101 Olivier BEAUVALLET, Benjamin Ferencz et la lente répression du crime d’agression, p. 755.

102 Muhammad AZIZ SHUKRI, op. cit, p. 541.

103 CPI : compétence sur le crime d’agression, le compromis.

104 Benjamin B. FERENCZ, What of Military Aggression?

105 Coalition pour la Cour Pénale Internationale, Réaliser les promesses d’une Cour juste, efficace et indépendante

> Crime d’agression

(16)

Assistante Katherine Mary Del Mare cause » selon l’art. 39 Charte. Si un tel constat existe, le Procureur « peut mener l’enquête » (§§6-7).

• Si aucun avis du CS ne survient « dans les six mois », le Procureur peut mener l’enquête selon la procédure prévue à l’art. 15 Statut, soit « à condition que la Section Préliminaire ait autorisé l’ouverture d’une enquête ». Il est à souligner que, même dans cette hypothèse, le CS peut « en décider autrement », à savoir faire obstacle à l’enquête par l’application de l’art. 16 Statut (§8).106

Le système de l’art. 15bis s’articule donc surtout autour de trois paragraphes. C’est pourquoi, nous nous focaliserons dans un premier temps sur les §§ 6 et 7 pour cerner l’ampleur du rôle du CS. Dans un second temps, nous nous arrêterons sur le § 8 pour comprendre la marge de manœuvre aux mains de la CPI en cas d’inaction du CS.

1. Art. 15bis §§6-7 : Rôle pour le Conseil de Sécurité ?

« Cette disposition devra être compatible avec les dispositions pertinentes de la Charte des Nations Unies »107. Aucun désaccord n’existe sur le principe fondamental de la cohérence du Statut à la Charte. Cependant, cette dernière phrase de l’art. 5 §2 Statut tend à protéger les prérogatives du CS par le rappel implicite de l’art. 39 Charte108. Franklin Berman le remarquait déjà en y lisant : « a coded language for what became known at the [Rome] conference as the

‘Security Council trigger’ ». L’ambiguïté de cette phrase réussit à mettre d’accord les Etats partisans au rôle du CS et leurs opposants109. Il ne demeure pas moins un flou certain sur l’ampleur d’un tel rôle. Celui-ci ne touche pas au mécanisme de déclenchement, car la question a été réglée par le GTSCA à l’art. 15bis §1 (référence à l’art. 13 Statut). Par conséquent, il est tout à fait admis, à l’instar des autres crimes, que le déclenchement appartient au CS, mais aussi à un Etat ou au Procureur. Par contre, les difficultés reposent dans le rôle de filtre de la compétence joué par le CS en cas de saisine par un Etat ou proprio motu110. Il est indubitable, d’une part, que le CS tient un rôle principe dans le cadre du maintien de la paix et de la sécurité internationale, d’où la facette politique de l’agression. D’autre part, la CPI a été crée hors du cadre de l’ONU pour prévenir et punir au moyen de la justice la barbarie humaine, d’où son besoin d’indépendance. A partir de ces deux prémisses, toute la question est de savoir quelle est l’ampleur du rôle octroyé par l’art. 39 Charte au CS afin de conserver ce précieux équilibre111.

Certaines délégations argumentent en faveur d’un rôle exclusif pour le CS. Celui-ci doit donner le « feu vert » au Procureur par le vote d’une résolution décrétant la situation comme un

« acte d’agression ». L’action judiciaire se voit suspendue au bon vouloir politique112. La CDI113

106 Résolution RC/Res.6, op cit, art. 15bis.

107 Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale, Art. 5 §2.

108 Benjamin FERENCZ, Pour mettre un terme à l’impunité du crime d’agression, p. 744.

109 Carrie MCDOUGALL, op. cit¸ pp. 279-281.

110 Stefan BARRIGA, op. cit, pp. 632-633.

111 Gerhard KEMP, op. cit, p. 252.

112 Olivier BEAUVALLET, op. cit, p. 757.

113 La CDI était formée d’experts provenant d’Etats puissants pour reprendre les propos de B. Ferencz (in Pour mettre un terme à l’impunité du crime d’agression, p. 744).

(17)

partage cet avis. Pour elle, « any criminal responsibility of an individual for an act or crime of aggression necessarily presupposes that a state had been held to have committed aggression, and such a finding would be for the SC acting in accordance with Chapter VII of the Charter to make »114. Cette opinion découle de l’absence de pouvoir coercitif propre à la CPI. Sans l’aide des Etats, et donc du CS, elle ne peut rien entreprendre115. Un autre argument peut être trouvé dans la rédaction de l’art. 39 Charte. Il est indéniable que cet article donne au CS le pouvoir de constater « l’existence d'une menace contre la paix, d'une rupture de la paix ou d'un acte d'agression »116. Si cette capacité est octroyée au CS, organe politique par excellence, il en découle, pour les partisans de l’exclusivité, que cette question est politique, non juridique. De plus, l’art. 39 est placé au début du Chapitre VII, lequel protège la paix et la sécurité internationale. Par conséquent, le constat d’un « acte d’agression » doit être pris dans cette optique avant tout117. Ce but de maintenir la paix et la sécurité ôte au CS toute obligation de se décider si la situation le requiert, ce qui souligne la nature politique de l’art. 39. En effet, un Etat qualifié d’ « agresseur » sera moins enclin à négocier la paix118. Pour conforter cette idée, remarquons qu’en 1945 aucune définition de l’agression n’a été prévue. Les travaux préparatoires démontrent ainsi la volonté de laisser une large marge de manœuvre au CS119. Dans ce sens, le juge Weeramantry a déclaré, dans la phase des mesures conservatoires de l’Affaire Lockerbie, par son opinion dissidente : « dans le champ d’application du chapitre VII, […], le Conseil jouit d'une totale liberté d'appréciation. Il semble que c'est le Conseil, et lui seul, qui est juge de l'existence d'un état de choses qui entraîne la mise en application du chapitre VII.

Cette décision est prise par le Conseil de sécurité en faisant intervenir son propre jugement et dans l'exercice du pouvoir totalement discrétionnaire qui lui est conféré par l'article 39 »120. En 1996, le Projet de Code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité suit le même raisonnement. L’impact du CS rend impossible, ou plutôt indésirable, une définition de l’agression121. A la suite de ces considérations comment ne pas sentir la présence en filigrane du droit de veto ? Les 5P agissent à discrétion depuis un poste privilégié pour déclarer l’existence ou non d’un « acte d’agression ». Ils jugent sur des critères purement politiques si une telle déclaration sert le but de maintien de la paix122. Les partisans de l’exclusivité démontrent encore l’omnipotence du CS par le biais de l’art. 24 Charte. Celui-ci reconnaît une « responsabilité principale » au CS par laquelle nous devons comprendre : tout choix du CS, même son inaction, doit être respecté par toute entité123. Certes, nous pourrions avancer que l’art. 12 §1 Charte lu a contrario permet à l’AG d’agir si le CS ne remplit pas ses fonctions. Toutefois, les partisans y voient surtout une preuve de la dépendance de l’AG, organe vital de l’ONU, vis-à-vis du CS. En conséquence, comment imaginer que la CPI puisse posséder des pouvoirs plus larges que le

114 Edoardo GREPPI, op. cit, p. 499.

115 Benjamin FERENCZ, op. cit, p. 744.

116 Charte des Nations Unies et Statut de la Cour International de Justice, art. 39.

117 Carrie MCDOUGALL, op. cit, pp. 281-282.

118 Erika de WET, op. cit, p. 136.

119 Michael J. GLENNON, op. cit, pp. 107-108.

120 Opinion dissidente de M. Weeramantry, p. 176 et Carrie MCDOUGALL, op. cit, p. 283.

121 Gerhard KEMP, op. cit, p. 115.

122 Erika de WET, op. cit, p. 135.

123 Michael J. GLENNON, op. cit, p. 108.

(18)

Assistante Katherine Mary Del Mare CS124 ? Un dernier argument peut être relevé à la lecture des arts. 25 et 103 Charte. Si l’on accorde la capacité à la CPI de déterminer la survenance d’un « acte d’agression » et que, pour une même situation, le CS refuse d’en faire une pareille qualification, les Membres des NU seront dans l’obligation de respecter le choix du CS. La CPI se verrait donc vidée de tout sens125.

Pour le camp adverse, le CS ne doit en aucun cas posséder la moindre parcelle de compétence en la matière. La raison initiale est limpide : le CS a pour finalité l’ordre public international, et non la justice pénale internationale. La crainte de voir la CPI transformée en outil policier est bien réelle. Si cela devait arriver, elle y perdrait son indépendance et sa légitimité126. Réclamer une détermination par le CS sur la survenance d’un acte d’agression est un formidable saut en arrière. Souvenons-nous du Tribunal de Nuremberg, seul maître à bord pour déterminer si un Etat avait commis un acte d’agression127 ! Les partisans à l’exclusivité se réfèrent à l’art. 39 Charte. Par ce biais, le CS a la compétence de déterminer l’existence d’un acte d’agression. Toutefois, pour les opposants, cet article ne parle pas de responsabilité pénale individuelle. Il symbolise simplement la porte d’entrée pour engager les mesures des articles 40, 41 et 42 Charte. Elles seules relèvent de la compétence exclusive du CS128. MacDougall en conclut : « While it can be agreed that the mandatory language of Article 39 precludes both other UN organs and external treaty bodies from identifying acts of aggression in order to trigger the Security Council’s responsibilities, it cannot be read as prohibiting all entities other than the Council from identifying acts of aggression for purposes other than triggering Security Council action »129. La lecture de l’art. 24 §1 Charte renforce cette idée. En effet, une

« responsabilité principale » induit une responsabilité subsidiaire130. La résolution « Uniting for peace » en 1950 démontre ce principe. Elle autorise l’AG à examiner toute situation pour laquelle le CS « manque à s’acquitter de sa responsabilité principale dans le maintien de la paix et de la sécurité internationale »131. Grâce à elle, l’AG est autorisée à adopter des recommandations dans le but de maintenir/restaurer la paix, même si ces dernières ne sont pas contraignantes (chapitre IV de la Charte)132. Quelques années plus tard, la CIJ confirme cette approche dans son arrêt Certaines dépenses. A propos de l’art. 24 Charte, elle mentionne : « La responsabilité ainsi conférée est « principale » et non exclusive. Selon l'article 24, cette responsabilité principale est conférée au CS « afin d'assurer l'action rapide et efficace de l'organisation ». […] Seul le CS peut prescrire des mesures d'exécution par une action coercitive contre un agresseur. La Charte indique cependant très clairement que l’AG doit aussi s'occuper de la paix et de la sécurité internationales »133. Ainsi, si le CS détermine la survenance d’un acte d’agression non pas pour prendre des « mesures d’exécution », mais pour insinuer une

124 Carrie MCDOUGALL, op. cit, p. 285.

125 Carrie MCDOUGALL, op. cit, pp. 285-286 et Michael J. GLENNON, op. cit, p. 109.

126 Philippe CURRAT, op. cit.

127 Keith A. PETTY, op. cit, p. 538.

128 Edoardo GREPPI, op. cit, p. 505.

129 Carrie MCDOUGALL, op. cit, 287.

130 Cette affirmation est renforcée par l’art. 12 Charte.

131 Résolution 377 (V) de l’Assemblée Générale, L’union pour le maintien de la paix, 3 novembre 1950.

132 Yoram DINSTEIN, War, agression and self-defence, p. 274. L’AG a mis en pratique cette logique dans différentes résolutions. La plus pertinente pour nous est la 3314 (Roland ADJOCI, op. cit, p. 198).

133 Certaines dépenses des Nations Unies (article 17 §2 de la Charte), p. 163.

(19)

responsabilité pénale, sa compétence exclusive disparaît. En effet, ni la Charte, ni la pratique n’induisent la nécessité d’une intervention exclusive du CS pour une question légale134. Il est à rappeler que les partisans de l’exclusivité s’appuient sur l’art. 103 Charte. A présent que la distinction entre « mesures d’exécution » et question légale est établie, leur argumentation tombe. En effet, la CPI en déterminant l’existence d’un acte d’agression n’agit pas dans le but de maintenir la paix, mais seulement de poser un élément préjudiciel au crime d’agression. Donc, des déterminations contradictoires entre le CS et la CPI n’ont rien de conflictuelles en raison de la différence de leur but135. De plus, la nature même du CS lui ôte toute revendication à une telle compétence exclusive. N’oublions pas qu’il est un organe politique dont le but revient à trouver une solution aux crises. La CPI ne joue pas dans la même catégorie avec sa mission juridictionnelle136. Zambelli remarque que le CS agit pour la paix sans se soucier de faire respecter le droit. Lorsqu’il constate une situation en vertu de l’art. 39, il ne part pas en quête d’une responsabilité pénale137. C’est pourquoi la CIJ s’est déclarée apte à intervenir en parallèle au CS dans une même situation. Dans son arrêt Teheran, elle note : « il ne semble être venu à l'esprit d'aucun membre du Conseil qu'il y eût ou pût y avoir rien d'irrégulier dans 1'exercice simultané par la Cour et par le CS de leurs fonctions respectives ». De surcroit, l’art. 12 Charte ne limite l’action que de l’AG, et non d’un quelconque organe judiciaire138. Pour résumer, la question centrale est de savoir si la détermination d’un acte d’agression entre dans la catégorie des questions politiques ou dans celles des questions légales. Dans le premier cas, le CS aura une responsabilité principale, ce qui implique qu’un organe judiciaire pourra intervenir seulement si le CS manque à son devoir. Dans le second cas, le CS aura une responsabilité parallèle à l’organe judiciaire, lequel pourra poser sa propre qualification139. Dans l’affaire Nicaragua, la CIJ est justement amenée à distinguer entre les fonctions judiciaires et politiques. Malgré la prédominance politique d’une affaire, des aspects légaux peuvent exister. Si tel est le cas, le CS n’a plus la priorité et l’organe judiciaire peut intervenir simultanément140. Le juge Schwebel dans l’affaire Nicaragua souligne bien que « si le CS est habilité par la Charte à constater l'existence d'un acte d'agression, ce n'est pas en tant que juridiction »141. Donc une séparation des pouvoirs se forme entre la CIJ et le CS : « Le Conseil a des attributions politiques ; la Cour exerce des fonctions purement judiciaires. Les deux organes peuvent donc s'acquitter de leurs fonctions distinctes mais complémentaires à propos des mêmes événements »142. Cette thèse est valable en matière d’agression, comme le révèle le juge Elaraby dans l’affaire Congo : « Quoique l’emploi du terme dans le discours politique et le langage courant ait une connotation chargée, il n’en demeure pas moins que l’agression est un concept juridique ayant un contenu et des

134 Robert SCHAEFFER, The audacity of compromise : The UN Security Council and the pre-conditions to the exercise of jurisdiction by the ICC with regard to the crime of aggression, p. 414.

135 Carrie MCDOUGALL, op. cit, p. 306.

136 Roland ADJOCI, op. cit, p. 201.

137 Mirko ZAMBELLI, op. cit, p. 147.

138 Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran, pp. 21-22.

139 Carrie MCDOUGALL, op. cit, p. 292.

140 Vimalen J. REDDI, op. cit, pp. 663-664 et p. 667.

141 Opinion dissidente de M. Schwebel, p. 290.

142 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), p.

435 § 95.

Références

Documents relatifs

2 Le service central peut différer l’exécution de la remise d’une durée convenue avec la Cour, lorsque la personne à remettre est poursuivie en Suisse pour d’autres infractions

Juriste associée - Chambre préliminaire 1 - Cour pénale internationale de La Haye Les statuts de la « toute jeune » Cour pénale internationale (CPI) dont les principes fondateurs

5 on the Conduct of Trial Proceedings (Principles and Procedure on 'No Case to Answer' Motions), 3 juin 2014.. laisse la possibilité au Procureur de recommencer la procédure, sans

Envisagé par l’article 17 du Statut de Rome 63 , ce principe est l’une des pierres angulaires du fonctionnement de la Cour. En effet, il est prévu que la compétence de la Cour ne

Cependant, dans la mesure où le maintien de la paix est l’un de ses objectifs, la Cour se doit d’agir dans cette optique, que la réalisation du maintien de la paix, en ce

45 ADOUA-MBONGO (A.S), « La compétence de la Cour pénale internationale », in Les vingt ans du Traité de Rome portant Statut de la Cour pénale internationale, op.cit., p.157. 47

En créant les tribunaux chargés de juger les crimes de guerre commis en Bosnie-Herzégovine et au Rwanda, les Nations Unies ont enclenché le processus qui doit conduire à la

Rappelant sa résolution 50/46 du 11 décembre 1995, dans laquelle elle a décidé, au vu du rapport du Comité ad hoc pour la création d'une cour pénale internationale 3 , de créer