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Le foulard de l accouchée en Mongolie

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1 La conception du corps

Dans la pensée mongoles- le corps humain se compose du corps physique, de l'âme et du souffle vital.

Une dichotomie opérée dans la représentation du corps physique entre l'os et la chair renvoie à une conception de la parenté. L'os, élément immuables,' matérialise l'héritage paternel seul à transmettre la notion de filiation. La chair putrescible symbolise la lignée maternelle. Cette PARQUET P. J., DELCAMBRE J.,- 1980.

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Isabelle Bianquis

Le foulard de l’accouchée en Mongolie

« D ans la pr atique , l 'é tude d'u ne institutio n est pr esque toujour s enta mée par le ventr e. On accr oche a u hasar d u n chant p ar ti d'u ne co ur ette qui fait p ousser la por te et entr er de plain pied dans une cér émonie q ui n'est que le d ixième d'un cycle co hér ent» (Gria ule, 1 9 5 7: 4 1 ).

Une pratique' courante en Mongolie veut que la jeune femme venant d'accoucher soit obligée de porter, à l'intérieur de son habitation autant qu'à l'extérieur, un foulard qui lui couvre la tête et les oreilles et ce, durant une période qui varie de trente à quarante jours selon les témoignages, mais dont le terme correspond aux relevailles. Cet usage recommandé non par le corps médical mais par la coutume est observé d'une manière généralisée car les risques encourus par la mère sont, dit- on, importants. Enfreindre cette prescription entraînerait des maux de tête violents qui perdureraient toute la vie.

Le discours relevé dans les enquêtes revêt toujours la même forme nous amenant à nous pencher autant sur la conception du corps que sur ies pratiques alimentaires.

Les points soulignés explicitement peuvent se résumer de la manière suivante : Après l'accouchement, les os de la femme sont disloqués, séparés, la fontanélle ouverte, le corps de la jeune mère ressemble à celui de son bébé ; le vent risque de lui faire prendre froid parce qu'elle transpire beaucoup, lui occasionnant de graves maux de tête. Le repos est de rigueur, il faut éviter de s'étirer, et un régime alimentaire spécifique à cette période contraint la femme à se nourrir de "soupe noire" jusqu'aux moments des relevailles.

Il s'agit ici d'établir des correspondances entre tous ces éléments dans la perspective de souligner le système symbolique éclairant les principes logiques selon lesquels s'articulent discours et pratiques.

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51 théorie desos et de la chair n'est pas propre à la Mongolie, C. Lévi-Strauss dans Les structures

élémentaires de ld-parenté affirmait qu'elle se « retrouve depuis l'Inde jusqu'à la Sibérie.

Elle existe aussi sous forme vestigielle, chez les Mongols et les Turcs de Russie, elle est commune en Chine » (1967 : 430). Si ces systèmes d'organisation sont répandus en Extrême Orient, on ne peut affirmer qu'ils s'avèrent peu présents (ou selon la formule de C. Lévi Strauss « sous forme vestigielle en Mongolie »), ils semblent au contraire très connus par la population et servent toujours de référence. En Mongolie, les clans ovog ont constitué des groupes exogames de filiation patrilinéaire subdivisés en lignages (jas). Le terme jas (os) est conjointement utilisé pour désigner le lignage et la génération (jastan). L'articulation désignant le mode d'union des os entre eux, les Mongols repèrent sur le corps une carte généalogique qui se compte à partir de neuf points articulatoires. Or, là encore, la linguistique précise la projection faite du système généalogique ,sur le corps humain en établissant une association entre articulation et génération.

Un autre terme üje désigne l'une et l'autre. L'expression üje myltpax signifie dans un premier sens déboîter et dans un second sens : terminer la génération. Le lien de parenté effectif s'éteint à l'issue de neuf générations et se trouve symbolisé par une cérémonie dite "casser l'os" durant laquelle la parenté réunie affirme qu'à présent toute trace de consanguinité a disparu.

La parenté par les femmes s'éteint plus rapidement au bout de cinq générations et ne donne pas lieu à un comptage par les articulations.

Le corps renvoie donc à la fois à son contenant physique,l'os et la chair, ainsi qu'à des correspondances socialement élaborées puisque chaque partie symbolise le système de transmission sexuée de la parenté. Dans cette construction, l'articulation matérialise le passage d'un os à l'autre autant que celui d'une gén'' ération à l'autre.

Ce corps physique est doté de deux autres composantes qui l'animent, lui donnent vie, l'âme et le souffle vital.

— L'âme (süns) provient d'un stock d'âmes claniques dans l' attente de trouver un corps physique dans la lignée pour s'y loger.

— Le souffle vital insuffle la vie. Ce souffle vital associé à la respiration constitue une réserve d'énergie destinée à nourrir le corps.

Le corps physique est de fait conçu comme un réceptacle de l'âme et de la force vitale.

L'âme présente dans cette conception des caractéristiques importantes pour notre propos :

— Elle individualise le corps.

— Elle peut être multiple et se loger dans différentes parties du corps (en particulier dans la tête, dans le bassin et dans l'omoplate).

— Elle est mobile, et peut quitter le corps, voyager, réintégrer le corps (au moment du sommeil, en cas de

maladie...), indication d'une relative autonomie de l'âme par rapport au corps, mais dont le corollaire a pour effet qu'un corps vacant devient un support potentiel pour des intrusions néfastes.

 Elle quitte le corps par un orifice réel ou symbolique.

Les orifices

Réels ou symboliques, ils représentent tous des dangers de perte d'âme. En ce qui concerne notre sujet sur le foulard de l'accouchée nous relèverons quatre types d'orifices à surveiller :

— les aisselles,

— la fontanelle et les oreilles, — les pores de la peau,

— le bassin.

Le premier type induit un comportement qui n'est pas

propre au statut de l'accouchée. « Tout est fait pour éviter les sorties de l'âme hors du corps autres que celles que lui permet

le sommeil ; il ne faut ni laisser le corps trop longtemps

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53 affamé, ni lever les bras (elle pourrait sortir par l'aisselle...), ni se mettre dans des situations où,

influençable comme elle

l'est, elle pourrait être effrayée, cassée, séduite, ravie. » (Hamayon, 1990: 578). En règle générale il ne faut pas, chez les Mongols, s'étirer n'importe quand, ni n'importe où, mais la règle est rappelée avec insistance au moment de l'accouchement.

La fontanelle et les oreilles, par contre, sont des lieux de passage de l'âme particulièrement fragiles au moment de l'accouchement. Le corps disloqué, la fontanelle Merte, la femme est en prise directe avec le risque de perdre son âme.

Les pores de la peau en particulier du visage au moment de l'accouchement me semblent également des portes de sorties

non de l'âme mais du souffle vital, dans la mesure où l'accent dans le discours est mis sur la transpiration et ses dangers (il ne faut pas trop travailler, il faut tout le temps s'essuyer le visage et nous y reviendrons, il faut observer une alimentation particulière).

Pour ce qui concerne le bassin, durant toute la période qui suit l'accouchement et jusqu'aux relevailles, les relations sexuelles sont prohibées. Le bassin, à l'instar de tout le squelette, est considéré comme ouvert, béant, donc susceptible d'accueillir n'importe quelle maladie. Dans ce sens il me semble également représenter une issue pour l'âme (rappelons que le bassin est un des sièges possibles de l'âme).

Contrôle de la circulation de l'âme et du souffle

Pour maîtriser le maintien de cette âme qui individualise la femme, il faut donc éviter de s'étirer, se couvrir la tête et les oreilles, éviter de transpirer et s'abstenir de relations sexuelles.

La fontanelle, qu'elle soit ouverte ou fermée, est toujours considérée comme un orifice privilégié du départ de l'âme située de préférence dans la tête. Ceci explique que tout au long de la vie, chez les hommes comme chez les femmes, le port du chapeau et du foulard soit recommandé à l'extérieur de l'habitation. Chapeau et foulard ont, entre autres fonctions —et ce n'est pas la seule— de "fermer" symboliquement l’individu; d'ailleurs hommes et femmes gardent leur tête couverte en permanence tant qu'ils sont en visite ou en déplacement. Ce qui change dans le cas de l'accouchée c'est qu'elle porte son foulard aussi bien à ' l'intérieur qu'à l'extérieur de sa yourte.

La crainte toujours affichée porte sur les risques du vent. Ces craintes non justifiées au sein de la yourte m'autorisent à mettre en relation le souffle, le vent et la sudation. En effet la femme doit éviter de transpirer, elle doit éviter de souffler (en travaillant trop). Il y a là probablement superposition de la crainte de voir l'âme mais aussi la force vitale quitter l'individu.

Transpirer, souffler, prendre froid à la tête à cause du vent ont en commun le risque de maladie à venir. Or, dans la pensée mongole, la maladie au même titre que l'accouchement est considérée comme un affaiblissement lié à une perte temporaire d'âme et de souffle vital.

Evoquer le souffle vital nous conduit nécessairement à aborder les catégories du chaud et du froid. Si ces catégories permettent de classer les sexes (la femme est "froide" et l'homme "chaud"), elles interviennent également pour penser les âges de la vie (opposant les jeunes "chauds" et les vieillards "froids"). Opposition qu'il nous faut corréler avec l'imaginaire lié au sang.

La femme est un être froid, en partie parce que soumise à un écoulement de sang périodique elle se trouve dans l'incapacité de garder ce qui rend chaud à savoir le sang. Mais, durant la période de gestation, ne perdant plus son sang, elle accumule un surplus de chaleur qui permettra la cuisson de l'enfant. La langue mongole établit une équivalence entre léS termes signifiant gestation et cuisson (conception que l'on retrouve dans nombre de sociétés européennes et extra européennes). Or, après la naissance, si l'interdit des relations sexuelles est expliqué par les informatrices comme un danger que représente l'introduction d'un élément extérieur (le pénis): dans un ventre "béant" il faut interpréter en fait cette prat ique davantage à la lumière des représentations qui président à la classification des catégories du chaud et du. froid.

L'acte sexuel étant par définition chaud, surimposé à l'état de chaleur de la femme qui vient

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4 d'accoucher et qui ne connaît pas encore d'écoulement de son sang, entraînerait un excès de chaleur. Or l'excès de chaleur conduisant à la sécheresse met en péril les fécondités à venir. Dans ce sens interdire les relations sexuelles jusqu'au retour des règles, non seulement garantit l'équilibre de la société 'assuré par sa capacité à se reproduire mais encore permet de rétablir l'équilibre physiologique de la femme qui serait compromis pas un excès de chaleur. Le souffle vital repérable dans la présence de chaleur consécutive à la gestation et à Pa Ceouchement et observable dans la transpiration reste fragile et doit faire l'objet d'une attention toute particulière.

Les prescriptions alimentaires relèvent de ,,la même orientation symbolique. La mère est soumise durant le premier mois qui suit l'accouchement à un régime excluant tout, gras. Elle ne doit consommer aucun aliment riche, ni viande, ni graisse (on fera par exemple bouillir deux fois le lait pour que toute la partie grasse ait disparu...), ni alcool (ce dernier, défini comme une substance

"chaude" n'est pas autorisé non plus chez les jeunes hommes qui présentent un excès. de souffle vital donc de chaleur).1

L'aliment de prédilection durant cette période, appelé xar mal, soupe noire ou maigre, consiste en un bouillon obtenu après cuisson de la viande de mouton.

Deux arguments sont énoncés pour expliquer cette prise de nourriture. La soupe noire permet aux os de se ressouder; elle donne de l'énergie à la jeune mère affaiblie (Lacaze, 2000). Elle évite en outre un certain nombre de désagréments (avoir la peau brune, des tâches sur le visage, un gros ventre...).

Or, on ne peut s'empêcher de s'étonner du paradoxe suivant : dans la vie ordinaire, l'aliment le plus valorisé, celui qui, par définition même, qualifie le fait de manger, est représenté par la viande etc. en particulier par le gras de la viande, source de toute énee. Offrir à la jeune femme une soupe dite noire renvoie dans le système mongol aux qualificatifs de maigre, de froid et donc à quelque clidse de non énergétique. Qu'est-ce qui justifie alors l'obligation de ne recevoir qu'une nourriture pauvre en énergie pour la jeune accouchée se trouvant dans un état de faiblesse, sachant que la même nourriture est administrée aussi aux malades ? Il me semble que plusieurs pistes méritent d'être suivies pour interpréter cette coutume. La première nous conduit à considérer à nouveau les catégories du chaud et du froid.

La viande dite noire s'oppose à la viande grise ou aux aliments blancs. Or le noir est dans la classification dualiste des Mongols associé au froid et au maigre contrairement au blanc ou gris associés au gras. La soupe noire est une soupe. "froide". Or nous avons vu que l'un des problèmes de la femmé qui accouche est celui de la transpiration. Cet excès de sudation doit être corrélé à l'état physiologique tel qu'il est pensé par les Mongols. Les prescriptions alimentaires autant que sexuelles n'ont pas d'autres raisons que de permettre le rétablissement d'un équilibre momentanément perturbé. Pour ne pas transpirer et donc ne pas risquer de voir sa force et son âme quitter le corps, il est nécessaire de rétablir l'équilibre en ingérant des aliments dits "froids". (Probablement faut-il voir dans le premier "bain" du bébé , trois jours après la naissance, qui consiste en une friction du corps du bébé à la soupe noire, une pratique recherchant les mêmes effets).

La soupe noire, l'interdit d'alcool et l'abstinence sexuelle semblent bien revêtir dans ce sens deux fonctioni complémentaires : rétablir un équilibre et éviter le départ de l'âme.

La seconde piste nous conduit vers la pratique du jeûne.

Les rituels chamaniques peuvent nous aider à comprendre le lien entre ces usages. L'initiation chamanique comporte un jeûne et un dépècement du chamane.

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1 L'usage 'de l'alcool est traditionnellement très réglementé chez les Mongols. Interdit aux jeunes, une consommation modérée peut théorieement débuter lorsque l'homme est déjà père et que ses enfants sont grands, soit à partir de quarante ans (en fait quand il est sorti du cycle de reproduction). Plus l'homme avance en âge plus il est autorisé à boire. La- raison invoquée est liée à la sagesse et au contrôle de soi. Mais cet usage s'éclaire différemment si on le situe dans la perspective des catégories du chaud et du froid. L'homme jeune très chaud ne peut, sous peine d'encourir des risques, consommer du "chaud", alors qu'à l'autre extrémité de la vie, le vieillard considéré comme "froid" rétablit son équilibre au contraire par l'absorption d'alcool. Il y a bien une relation d'équivalence entre conception du corps, fertilité et équilibre individuel et social

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5 Ce dernier, en ne s'alimentant pas, permet aux âmes auxiliaires qui vont s'emparer de lui de dévorer sa chair, jusqu'à ce qu'il puisse compter ses os (Hamayon,1990).

Le jeûne, dans l'initiation, symbolise la régression à l'état de naissance préfigurant une nouvelle naissance. Ce symbole n'est d'ailleurs lié ni à la société mongole ni au chamanisme seul.

Si, pour sortir de l'état-de faiblesse caractéristique de la maladie au sens large, et dont le risque majeur est le départ de l'âme et du souffle c'est-à-dire la mort, on donne à manger une nourriture maigre sans valeur énergétique, n'est-ce pas dans le but de contribuer au renouvellemeM de la vie ? Ramener l'être en état de faiblesse vers une renaissance est en quelque sorte lui, redonner vie. Ce sens se trouve d'ailleurs parfaitement illustré par l'image explicitement révélée qui voit dans l'accouchement un retour de la femme à sit propre naissance (son corps est disloqué, elle ressemble à son bébé, sa fontanelle est ouverte...). Ceci souligne une nuance dans l'interprétation, complétant de quelque manière la première piste car on ne peut déconnecter le souci de préserver la force vitale et l'âme par le maintien de l'équilibre physiologique, du principe de-renaissance nécessaire autant à l'intégrité du corps physique qu'au cycle de reproduction sociale.

Mais tous les risques inhérents aux périodes critiques du cycle de vie s'avèrent temporaires. En effet mère et enfant connaîtront, à des stades différents, la suspension des interdits et la réintégration dans un statut différencié et libéré de tout danger. La fermeture de la fontanelle, tout en ne se situant pas dans la même temporalité, marquera pour l'un comme pour l'autre le seuil entre ces états.

Pour la mère :

Trente ou quarante jours après l'accouchement, les relevailles qui ne donnent pas lieu à une fête rituelle particulière, détermineront les faits con crets et symboliques suivants :

 la fermeture de la fontanelle,

 l'arrêt du port du foulard en continu,

 la reprise des relations sexuelles,

 l'arrêt du régime alimentaire (la femme recommence à manger de la viande).

Pour l'enfant :

À l'âge de trois, ans la fontanelle est considérée enfin fermée et l'âme entièrement fixée dans le corps. Or c'est ce moment qui est choisi pour arrêter l'allaitement et pour procéder à la cérémonie de la première coupe de cheveux.

C'est donc à trois ans que l'enfant se sépare définitivement de sa mère car jusque là il a vécu en continuité de chair avec elle. Sa dépendance alimentaire cessant, les cheveux, derniers vestiges visibles du temps de sa conception étant coupés, il devient en même temps qu'un être à part entière, doté d'une âme individualisée, un êtr,complètement humain défini également par l'acquisition du langage (Roberte Hamayon relevait déjà la relation établie entre la fermeture de la fontanelle, l'acquisition du langage, la première coupé de .cheveux et la présentation à la famille élargie) (Hamayon, 1990 : 782, note 17).

Dans la pensée mongole, l'âme, avant de prendre une forme humaine, existe sous une forme animale, et le petit enfant est considéré jusqu'à la fermeture de la fontanelle comme ayant un statut intermédiaire entre l'humain et le petit animal. Avec l'acquisition du langage, pourvu définitivement d'une âme qui l'individualise, il revêt la peau .d'un humain. C'est alors qu'il entre dans les "plats gris". Autant dire que, symboliquement, il peut manger de la viande et de la viande sur l'os, passant ainsi de la chair à l'os, de la fusion avec sa mère à l'intégration dans le patrilignage.

Cette intégration est marquée par la première cérémonie vraiment ritualisée qui suit la naissance, rassemblant la parenté lorsqu'on procède à la première coupe de cheveux de l'enfant.

Si, au moment de sa naissance, le bébé a été accueilli par ses parents de chair, sa naissance sociale convoque sa parenté de l'os.

Arrêtons-nous un instant sur le moment choisi pour procéder à la première coupe de cheveux, car celle ci n'est pas sans rapport avec la fontanelle. La relation en effet, ne se limite pas à la

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conjonction d'une pratique (la coupe de cheveux) et d'une réalité physiologique (la fermeture de la fontanelle), mais renvoie de façon plus globale à l'individuation de l'enfant par le biais de la définition de son identité sexuelle.

Une pratique ancienne relevée dans les enquêtes mais que l'on n'observe plus de nos jours voulait qu'après la première coupe de cheveux on laissât aux petites filles deux mèches de chaque côté de la tête. Le reste du crâne était rasé. .À partir de dix ans on pouvait laisser pousser les cheveux, sauf sur la fontanelle. (Comme le rappelle Françoise Aubin : « la fillette était considérée comme nubile vers l'âge de dix ans et sa coiffure alors changée en conséquence. » (Aubin, 1975: 527, note)). À partir de dix-huit ans, quand la jeune fille était dite en âge de se marier, elle n'était plus soumise à cet interdit et pouvait désormais garder ses cheveux sur l'ensemble de la tête. Pour le jeune garçon, le crâne était rasé, une seule couette était conservé et nattée. •

Si les cheveux sont considérés comme réceptacle de force vitale (et à ce titre ils ne sont jamais jetés mais rangés soigneusement par la maman de5is un petit sachet), ils entretiennent également une relation évidente avec le processus de reproduction. Raser le crâne et laisser la fontanelle libre de cheveux indique le lien que l'q,n établit entre les cheveux et particulièrement ceux qui ont 1-41us deforcé, à savoir ceux qui se trouvent sur la fontanelle et le cycle de reproduction. À l'autre extrémité de la vie ce sont les femmes ménopausées, soit celles sorties du cycle de fécondité, qui se rasent la tête. Gaëlle Lacaze (Lacaze, 2000) souligne dans sa thèse une information supplémentaire qui corrobore ces faits. Les cheveux • des femmes ménopausées étaient retirés pour éviter les migraines. Ces fameuses migraines_que nous avons rencontrées lors de l'accouchement et que l'on prévient en se couvrant la tête. Si la femme qui vient d'accoucher se couvre la tête, c'est donc aussi dans la perspective de "cacher" ses cheveux, c'est-à-dire de témoigner, à cause de son absence d'écoulement de sang, qu'elle est exclue temporairement du cycle de reproduction. Et en effet c'est bien au moment des relevailles qu'elle se départira de son foulard. Dans cette perspective, nous pouvons relier différents éléments.

La première coupe de cheveux signale la sexuation de l'individu_ et eu quelque sorte la fin de l'innocence. La fontanelle rasée jusqu'à dix huit ans, l'interdit de sexualité. La tête couverte des femmes après l'accouchement, l'interdit temporaire de sexualité: La tête rasée des vieilles femmes (comme des lamas d'ailleurs), la fin de la sexualité. Dans ce sens, les cheveux placés sur le sommet de la tête concentrent le maximum de force vitale.

Si la relation instaurée symboliquement entre les cheveux et la sexualité fait partie des représentations communes à nombre de sociétés, en Mongolie elle trouve un prolongement dans l'association établie entre l'homme et l'animal. Le lien privilégié qu'entretient l'éleveur mongol avec son cheval a généré de multiples superpositions entre les cycles de vie de l'un et de l'autre, ainsi la castration des chevaux qui a lieu à l'âge de trois ans s'accompagne de la première coupe de la crinière, établissant une corrélation entre définition du statut sexuel de l'animal et son crin. eianquis, 1999: 87-102).

En conclusion

Reprenons à présent les points clés de notre argumentation pour comprendre de manière plus synthétique le processus

enclenché au moment de l'accouchement et qui nous a été

suggéré par une simple -observation de terrain portant sur l'obligation du port du foulard durant quarante jours : La femme, par la dislocation de son squelette, reprend la forme d'un bébé considéré par les Mongols comme un ensemble de

chair. Redevenant chair comme son bébé, elle réintègre en termes de parenté le matrilignage.

Elle va à partir de la naissance former une paire avec son enfant, lien qui sera coupé symboliquement au moment du sevrage de l'enfant par la première coupe de cheveux, l'intégration dans le patrilignage, la consommation de viande sur l'os.

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7 Or ce moment est en relation avec l'ossification de la fontanelle qui annonçant la fixation définitive de l'âme, renvoie à l'individuation de l'enfant, à son humanité enfin totalement achevée et repérée dans l'acquisition du langage, et la définition de son sexe.

Nous voyons qu'un même principe gouverne l'ensemble des pratiques que nous avons essayé de rapprocher : il s'agit à la fois du contrôle de l'âme et de la préservation du souffle vital. Si le sommet de la tee fait l'objet de tant de soins, c'est bien parce qu'il est considéré comme le point symbolique concentrant le plus de force et comme l'une des issues privilégiées de l'âme et du souffle. Par extension nous pouvonS, en guise de conclusion, rattacher cet ensemble de représentations à celles qui gouvernent de façon analogique l'appréhension de l'environnement et en particulier celle de l'habitat, symbole dans la pensée mongole du microcosme et du macrocosme. Autant il est vrai de dire que le chapeau ou le foulard « ferment l'individu » autant on peut affirmer que le toono2 ferme la yourte. La charpente de la ger (yourte) est constituée, pour les murs circulaires, d'un treillis pliant et, pour le toit, généralement de quatre vingt et une perches. Ces perches, fixées à une extrémité sur le sommet du treillis par des lacets de cuir, sont à l'autre extrémité mortaisées à la périphérie du toono. L'ouverture du toit de la yourte tient lieu de fenêtre, de cheminée au fOyer placé en-dessous mais aussi de gnomon. Or la partie la plus valorisée de la yourte se trouve concentrée sur cet anneau de compression, juché au sommet des pièces entassées sur le chariot,au moment du démontage et premier posé au centre de la nouvelle place.

Le toono repose sur deux poteaux de bois : bagana, répartis de part et d'autre du foyer et considérés comme des génies protecteurs de la yourte, assurant le lien entre la terre ,et le cieh Encore aujourd'hui la coutume veut que dans Caque yourte on accroche entre la fourche du bagana et le toono, une écharpe de soie (xadag) ou encore des poils tressés de la crinière des chevaux, conservés après leur taille, en guise de porte-bonheur dans la perspective de s'assurer d'une manière générale fécondité et prospérité. Le toono occupe également une fonction d'intermédiaire entre le monde des humains et le monde supérieur, matérialisant le lieu de passage des esprits et du chaman car dans la pensée mongole, le toit de la yourte est à l'image du ciel et la colonne de fumée qui monte du foyer sacré symbolise un axe du monde, un chemin que les esprits empruntent. Ainsi, tout comme la fontanelle qui s'ouvre et se ferme, que- l'on couvre ou que l'on dégage, la fenêtre du toit apparaît comme un orifice matériel et symbolique, à la fois complétant ét individualisant l'habitation (la pièce de tissu qui sert à ouvrir partiellement ou à fermer la yourte symbolise d'ailleurs à elle seule la cellule familiale, le foyer) et un orifice permettant le passage des esprits (Bianquis, 2000).

Couronne de bois faisant ouverture et dans laquelle passe le conduit de cheminée du foyer.

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