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Catherine Didier-Fèvre
To cite this version:
Catherine Didier-Fèvre. Avoir 18 ans demain : Un cap ou un non événement dans le parcours de vie des jeunes habitant les espaces périurbains ?. Trajectoires et âges de la vie, XVIIIème colloque de l’AIDELF, AIDELF (Association internationale des démographes de langue française), May 2014, Bari, Italie. �halshs-01145985�
« Avoir 18 ans demain
1
»
Un cap ou un non événement dans le parcours de vie des jeunes habitant les espaces périurbains ?
Thème 2 : Les âges de la vie et les transitions de vie.
Catherine DIDIER FEVRE
Doctorante en géographie à Paris Ouest Nanterre La Défense sous la direction de Monique Poulot et Lionel Rougé
Laboratoire LAVUE / Mosaïques catherine.didier-‐fevre@wanadoo.fr
Mots clés : 18 ans, autonomie, rites de passage, espace périurbain, devenir adulte
1. Introduction et problématique
Avoir 18 ans en France a longtemps été un cap dans la vie d’un individu : conscription, majorité, permis de conduire, baccalauréat. Autant de rites de passage, et autant d’occasions de faire la fête !
Qu’en est-‐il aujourd’hui de ces rites d’entrée dans la vie adulte ? Fête-‐t-‐on aujourd’hui ses 18 ans de la même manière selon les configurations spatiales : urbaines, périurbaines ou plus rurales ? En quoi ces contextes influencent-‐ils les jeunes dans leur manière d’entrer dans la vie adulte ? Le seuil des 18 ans a-‐t-‐il encore un sens ou faut-‐il raisonner davantage sur une période transitoire durant laquelle les jeunes accèdent progressivement à un capital politique, social et spatial ? Quelles sont les étapes qui peuvent être retenues pour considérer l’entrée des jeunes dans la vie adulte ?
La question de l’autonomie est centrale dans les anciennes comme les nouvelles formes d’entrée dans la vie adulte. Une mise au point sur les rites de passage comme sur la spécificité des espaces périurbains est nécessaire avant d’exposer la méthode mise en œuvre pour aborder ces questions. Puis, la présentation des résultats rapportés aux types d’espaces habités servira de supports à une réflexion sur les nouveaux seuils d’entrée dans la vie adulte.
2. Contexte théorique
2.1 Qu’en est-‐il aujourd’hui de la place des rites dans notre société ?
Si avoir 18 ans marque l’accès à la majorité, la force symbolique de ce passage semble considérablement émoussé par l’allongement de la jeunesse et une « désynchronisation des temps sociaux » (Bessin, 2006, p. 13). Lire l’entrée dans la vie adulte est de plus en plus compliquée et demande un renouvellement de la thématique des rites de jeunesse.
Dans les sociétés traditionnelles fortement hiérarchisées, les rites de passage (rite formel ayant une valeur d’initiation à la société et au fonctionnement social) ont été présentés comme permettant de mettre de l’ordre dans la société par des étapes successives (séparation – marge – agrégation, Van Gennep, 1909) ou des temps en opposition (séparation / agrégation, marge / temps de la vie quotidienne, Leach, 1966). Par ces rites se perpétuent les modèles sociaux (Bourdieu, 1982), une mise en ordre des sexes.
La société actuelle s’est considérablement complexifiée et la lire à l’aune des rites de passage est difficile, d’autant que les parcours de vie sont de moins en moins linéaires et de plus en plus flexibles (Castell, 2001). L’allongement de la scolarité, la maîtrise de la fécondité et le difficile accès à l’emploi compliquent l’identification d’une césure. Il faut aussi ne pas tomber dans le piège de voir des rites nulle part et des rites partout (Segalen, 1998).
« Ainsi, la transition juvénile n’est plus guère structurée par des formes ritualisées, mais organisée par des processus uniformes et administratifs, dont les trajectoires scolaires constituent le modèle. Les nombreux rites qui parsèment aujourd’hui le trajet vers l’âge adulte ne préludent qu’à des évolutions ponctuelles, réversibles, symboliques au sens étroit (c’est-‐à-‐dire limitées à l’aspect symbolique), alors que les rites de passage organisaient une conversion complète, irréversible et solennelle. » (Bozon, 2006, p. 27) Michel Bozon
préfère d’ailleurs parler de « premières fois » plutôt que de rites de passage.
2.2 Quelles sont les particularités des espaces périurbains franciliens ?
Ces espaces en croissance dans tous les sens du terme (superficie comme population) se caractérisent par un tissu lâche, des discontinuités (Berger, 2004), une offre limitée en
transports en commun (Motte-‐Baumvol, 2007). Fortement décriés par les médias en raison de leur forte emprise spatiale et de leurs faibles densités de population, responsables d’un recours généralisé à l’automobile à l’origine d’émissions de gaz à effets de serre, ils sont vus comme des territoires de repli (où se concentrerait un vote tribunitien). Ils peuvent aussi apparaître pour des populations faiblement mobiles
(jeunes, femmes, personnes âgées, Dodier et Cailly, 2007) comme des espaces de contraintes.
Les caractéristiques propres aux espaces périurbains amènent à se demander s’il existe
« une relation à l’espace qui soit significativement différente de celle qui caractérise l’urbain d’un côté et le rural de l’autre » (Motte-‐Baumvol, Ravalet et Vincent-‐Geslin,
2013) et, dans le cas qui nous occupe ici, si l’entrée dans la vie adulte se vit différemment quand un jeune habite ces espaces. Tout l’enjeu d’une étude comme celle-‐ là est de discerner ce qui relève de la spécificité du contexte spatial et du mode d’habiter en général.
Enfin, il semble nécessaire de préciser quel espace est désigné sous l’expression « espace périurbain ». Depuis la mise en place du Zonage en Aires urbaines (1997, 2010) par l’INSEE, ces espaces se distinguent des autres par les mobilités. Ce n’est pas tant le nombre d’habitants qui importent que leur relation à l’emploi. Ainsi, sont désignées sous le terme de couronne périurbaine les communes monopolarisées (qui envoient 40% de leurs actifs travaillant dans un pôle urbain) et les communes multipolarisées (dont 40% des actifs vont travailler dans plusieurs pôles urbains). Cette définition des espaces périurbains ne satisfait que partiellement les géographes qui, à défaut de disposer d’autres cadres statistiques, s’en accommodent sans oublier de porter un regard critique sur ce découpage de l’espace. Ainsi, Jacques Lévy (2013) estime que cette définition sous-‐estime le poids tenu par le mode de vie urbain puisque les mobilités de loisirs ne sont pas prises en compte.
Les terrains sélectionnés dans le cadre de cette étude sont ceux qui sont désignés comme communes périurbaines par l’INSEE autour de trois pôles : Paris, Montereau-‐ Fault-‐Yonne et Sens. Il faut garder à l’esprit que ces espaces sont très diversifiés morphologiquement (paysage très rural / paysage correspondant aux clichés du périurbain : lotissements et zones logistiques et industrielles).
3. Méthodologie
3.1 Sujets
Deux catégories d’âge apparaissent dans les matériaux que nous avons réunis. Dans le cadre de l’enquête en ligne, la tranche d’âge retenue va de 15 ans (âge de la majorité sexuelle) à 25 ans (âge où de nombreuses prestations destinées aux jeunes prennent fin) alors que les entretiens menés auprès des jeunes lycéens concernent des populations dont les âges s’échelonnent de 15 ans à 23 ans (âge correspondant à la fréquentation du lycée et à celui des lycéens que nous avons suivis ensuite en tant qu’étudiants).
3.2 Instrumentation et déroulement
Deux approches ont été mises au point, au fil de notre recherche doctorale, pour entrer en contact avec un public juvénile urbain, rural et périurbain.
Dans un premier temps, nous sommes intéressés uniquement aux jeunes habitant des espaces périurbains. Pour cela, nous avons mené 80 entretiens auprès d’élèves ou d’anciens élèves de trois lycées du Bassin Parisien (La-‐Queue-‐Lez-‐Yvelines 78, Montereau-‐Fault-‐Yonne 77, Sens 89). Le projet de recherche a été présenté aux élèves par leur professeur d’histoire-‐géographie. Les élèves volontaires ont choisi d’accorder un entretien sur le temps scolaire ou sur le temps libre. L’échantillon des élèves interviewés n’est en rien représentatif. Il est basé sur un effet boule de neige. Des élèves volontaires ont pu convaincre des camarades, au premier abord, réticents à accorder un entretien à l’enquêtrice. Ces échanges ont permis d’aborder leur manière de voir leur commune, leurs mobilités (quotidiennes, mensuelles) et la question de leur avenir (études envisagées, projet de vie), sans que la question du passage du 18ème
anniversaire ne leur ait pas été ouvertement posée. Au fil de l’analyse de ces entretiens, il nous a semblé important de prendre en compte ce moment au regard de la place qu’il tient dans la littérature scientifique.
C’est pourquoi un questionnaire en ligne a été ouvert sur le site http://www.mon-‐ enquete-‐enligne.fr dont l’adresse a été diffusée par le biais de réseaux sociaux (facebook, twitter, linkedin, H-‐français). Le sondage était ouvert à tous les jeunes volontaires âgés de 15 à 25 ans, quelque soit leur lieu de résidence, afin de pouvoir disposer d’éléments de comparaison. Ce procédé a recueilli 900 réponses en un mois. Malgré la diffusion du lien par le biais de réseaux sociaux, sensés affranchir de la distance, il apparaît que le recrutement des participants est basé sur un « bouche à
oreille » local, comme en rend compte la consultation des lieux de résidence des
participants (à une même heure d’une même journée, les jeunes, qui valident le questionnaire, affirment habiter un espace géographiquement proche).
3.3 Méthode d’analyse des données
L’essentiel des données à notre disposition provient du sondage en ligne, même si quelques entretiens mentionnent le 18ème anniversaire.
Au moment de l’exploitation de la base de données, la satisfaction générée par un excellent taux de retour a cédé le pas à une certaine déception. Sur les 900 réponses enregistrées, seules 599 ont pu être conservées. Un tiers des répondants n’ont pas achevé le questionnaire, semble-‐t-‐il, découragés par l’insertion de questions ouvertes. Si le sondage en ligne constitue un support particulièrement approprié pour toucher une
population juvénile habituée à utiliser les réseaux sociaux, le côté ludique de ces supports fait que le remplissage du questionnaire doit être rapide et ne pas exiger d’efforts de rédaction. Aussi, la part des étudiants est majoritaire (61%) parmi les répondants ayant achevé le questionnaire (moyenne d’âge : 18,2 ans). Nombreux sont aussi les étudiants qui mentionnent dans les champs ouverts qu’ils suivent une classe préparatoire. Cette intuition se vérifie par la PCS des pères des enquêtés : 44% (contre 10% de la population française) ont un père cadre ou appartenant à une profession intellectuelle supérieure, milieu professionnel où les classes préparatoires recrutent plus de 50% de leur effectif (Etude de 2007, Bourdieu et de Saint-‐Martin, 1989 ; Darmon, 2013). La part importante tenue, dans l’enquête, par les jeunes urbains (74% des répondants) peut être relativisée par le fait que les jeunes urbains et périurbains constituent 96% des répondants, chiffre proche de la part de la population vivant sous l’influence d’une ville (95%, INSEE, 2010). Enfin, un déséquilibre apparaît au niveau du sexe : les filles représentent les ¾ des répondants.
Malgré tout, si le panel retenu (après désherbage de la base) n’est en rien représentatif de la population juvénile, il permet de tracer un portrait de la manière dont les jeunes envisagent d’entrer dans la vie adulte. Les données recueillies ont été traitées par nos soins avec Excel afin de réaliser des graphiques en tenant compte du lieu de résidence du jeune, de son sexe, de la PCS des parents (tri à plats et tris croisés).
Les entretiens semi-‐directifs ont été traités selon une analyse transversale afin de dégager des logiques thématiques et de les comparer, dans un second temps, avec les résultats du sondage en ligne. Là encore l’échantillon des jeunes entretenus n’est pas représentatif : apparaît une surreprésentation des filles, qui ont généralement accordé des entretiens plus longs. Ces derniers sont seulement utilisés ici pour éclairer le sondage.
4. Résultats
Avertissement : Dans une optique de comparaison des espaces habités, ne sont présentés que les graphiques présentant des résultats en fonction des types d’espaces.
Propension à fêter son 18ème anniversaire selon le type d’espace habité
Type de personnes invitées à un 18ème anniversaire en fonction de l’espace habité
0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100% espace
périurbain espace rural espace urbain
Non Oui 0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80%
Amis Famille Amis et famille
espace périurbain espace urbain espace rural
Avoir 18 ans : un cap ?
Que signifie avoir 18 ans en fonction de l’espace habité ?
0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% espace
périurbain espace urbain espace rural
C'est important. C'est un cap dans la vie d'une personne
Ca ne change rien.
0% 5% 10% 15% 20% 25% 30% 35% espace périurbain espace urbain espace rural
Que signifie devenir adulte ?
5. Commentaires des résultats
Avertissement : ces commentaires sont les premiers à être tirés de l’analyse de la base de données constituée à l’occasion de cette intervention. Ce sont des pistes d’analyse qui méritent d’être approfondies et qui le seront dans le cadre de la rédaction du chapitre 8 de ma thèse de doctorat : La place des rites de passage à l’âge adulte dans les espaces
périurbains.
5.1 Fêter son 18ème anniversaire
Fêter son 18ème anniversaire est une pratique très répandue chez les jeunes interrogés.
Le tri croisé de la base fait apparaître une légère différence entre les espaces. Les jeunes ruraux fêtent davantage leur 18ème anniversaire que les jeunes urbains et périurbains,
qui ont des attitudes similaires. Si le comportement des jeunes périurbains se rapproche des urbains dans le fait de fêter ou non leur 18ème anniversaire, cette
0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% Espace périurbain Espace urbain Espace rural
similitude ne se retrouve pas lorsqu’on prend en compte le type de personnes invitées à cet événement. Ruraux et périurbains invitent davantage, de manière couplée ou séparément, leurs amis et leurs familles. La famille tient une place plus importante chez ces deux types de jeunes que chez les urbains qui privilégient leurs amis.
Ainsi, les comportements des jeunes périurbains s’apparentent dans un cas à celui des urbains et dans l’autre à celui des ruraux. Il semble difficile d’en tirer des conclusions : faut-‐il voir dans la plus grande propension à fêter son 18ème anniversaire le poids de
traditions familiales qui s’exercerait dans des espaces peu densément peuplés ? La possibilité de réunir un plus grand nombre de personnes dans des structures (type salle des fêtes, garage, grange) explique peut être la différence entre urbains et ruraux-‐ périurbains. Toutefois, à la lecture des descriptifs des fêtes d’anniversaire organisées, il apparaît que les jeunes qui ont déclaré vouloir ou ont organisé une fête avec leurs amis ou leur famille, ont souvent organisé deux fêtes. Plusieurs cas de figure apparaissent : deux fêtes séparées (restaurant avec la famille, soirée plus informelle avec les amis ; location d’une salle : repas traditionnel avec la famille le midi et arrivée des amis le soir
« On organise une soirée énorme avec ses amis, et exceptionnellement de la famille (qui bien sûr part à une certaine heure). » Conrad, 18 ans, Saint-‐Selve, 33, espace périurbain),
unique fête combinant famille et amis.
La culture de la fête tient une place centrale chez tous. Toutefois, son organisation apparaît comme particulièrement soignée chez les ruraux et les périurbains. Ils sont très nombreux à évoquer des dispositifs se tenant dans des salles des fêtes : buffet, soirée dansante, nombre d’invités supérieur aux habitudes, location des services de DJ et de vigile, présence d’alcool (très régulièrement rapprochée avec le fait que l’accès à la majorité l’autorise, même si les jeunes mentionnent sa consommation illicite avant d’avoir atteint l’âge autorisé). Si cette pratique de la fête existe chez les urbains, elle rassemble un nombre d’invités souvent plus modeste. Chez tous, le chez-‐soi est un lieu de fête à part entière. Toutefois, des pratiques différentes apparaissent de manière significative dans les champs ouverts des réponses des jeunes urbains : investissement de l’espace public (« Fête dans Paris (bar et rue) avec une dizaine d'amis le soir de mon
anniversaire. » Julien, 18 ans, Levallois, 92) ou organisation de l’événement dans le
cadre domestique (« Fondue bourguignonne avec mes amis proches. Beaucoup de vin
rouge à table et une fin de soirée dans le salon à parler et chanter de vieux tubes du début des années 2000 ». Camille, 23 ans, Houilles, 92), à moins que le chez-‐soi ne soit qu’une
étape dans le processus festif (« Apéro entre amis puis sortie en boîte » Anaïs, 18 ans, Saint-‐Etienne, 42). Se retrouve ainsi la typologie élaborée par Careil et Moreau (2009), à partir de l’exemple rennais.
La pratique de la fête des 18 ans s’apparente à un rituel dans les espaces périurbains ou ruraux. Les dispositifs mis en œuvre témoignent de l’importance que tient cette date dans la vie des jeunes. Ce n’est pas une fête comme une autre (consigne donnée aux
en étaient le personnage central. Jean-‐Bernard Chapelier (2005) y voit un dispositif qui permet de « retrouver la sécurité narcissique au sein d’un groupe qui promet des plaisirs
sans comparaison » comme en témoigne l’emploi par les jeunes des expressions de
« rois et reines de la fête » ainsi que des récits mentionnant l’organisation de jeux et de surprises en leur honneur. La fête des 18 ans est aussi un moyen de tester des amitiés en réunissant à une date donnée des personnes qui ont pu jouer un rôle au cours de la vie du jeune. Elle apparaît majoritairement comme un rituel important même si elle n’a pas le statut de rite de passage. « C'est une étape importante dans la vie, c'est la majorité,
on passe un cap, c'est une grosse année avec le bac et le permis en plus, c'est la fin de l'enfance et adolescence, donc tout cela se fête. » Guillaume, 17 ans, Flacey, 21, espace
périurbain.
5.2 18 ans : un cap ?
Le différentiel constaté à propos des espaces urbains se retrouve dans la signification donnée au fait d’avoir 18 ans. Les jeunes urbains sont ceux qui accordent le moins d’importance au fait d’avoir 18 ans, même si cette position n’est pas majoritaire. Des différences apparaissent aussi au niveau de la signification que les jeunes donnent à ce 18ème anniversaire.
Les jeunes ruraux se distinguent des autres par l’importance qu’ils accordent au fait de pouvoir passer le permis. « Pour le permis étant donné que j'habite à la campagne » Quentin (17 ans, Marigny l’Eglise, 58, espace rural) estime que c’est le principal changement que va lui apporter le fait de passer 18 ans. L’obtention du permis de conduire tient une place particulière quand il donne accès la mobilité. Olivier Masclet (2006) montre que cette compétence mérite le statut de rite de passage puisque, dans ce cas, les relations entre les générations et les sexes sont déterminants : chacun allant de son conseil sur la manière d’obtenir le précieux sésame du premier coup, signe de débrouillardise. A défaut de pouvoir disposer d’un logement, le permis permet d’accéder à l’autonomie pour les étudiants. Dans des espaces de faible densité comme les espaces périurbains, disposer du permis et accessoirement d’une voiture permet d’accéder à l’emploi (intérim), aux loisirs (premières vacances sans les parents) ou aux études. Les fils d’agriculteurs et de cadres sont les premiers à avoir le permis. En revanche, la propriété d’un véhicule n’est pas corrélée au niveau de vie. Si les fils d’agriculteurs sont précoces dans l’acquisition du permis et d’une voiture, les fils d’ouvriers, obtenant le permis plus tard que les autres, rattrapent leur retard en ayant proportionnellement plus d’automobiles que les enfants de cadres.
En revanche, aucune appartenance géographique ne se détache parmi ceux qui ont choisi comme réponses la possibilité de voter. Les justifications à ce choix laissent à penser que les cours d’éducation civique ont beaucoup marqué les jeunes. Ceux qui n’ont pas encore expérimenté le droit de vote sont parmi les plus convaincus sur le
changement que l’accès à ce droit va leur apporter. Il y a une sorte d’idéalisation de cet acte de citoyen.
« Surtout d'un point de vue juridique et légal : on peut porter plainte, on répond de nos actes, on vote, etc. En quelque sorte c'est à ce moment qu'on commence à compter et à être reconnu par la société. Sinon, au niveau plus personnel, rien ne change. » Olga, 17 ans, Strasbourg, 67, espace urbain
Mais, malgré cette idéalisation, la place tenue par le service civique ou militaire est dérisoire dans les réponses qui ont été données et s’inscrit dans la lignée des travaux de Michel Bozon et Marc Bessin qui montrent que l’abandon du service militaire a répondu à un décalage entre ce rite de passage historique et la société des années 1990. Le fait que le service militaire ou civique soit désormais basé sur le volontariat signifie que ces voies ne sont en rien des rites de passage et d’agrégation mais sont davantage considérés dans une optique d’orientation professionnelle. La fonction de rite était d’ailleurs moins importante pour les fils de la bourgeoisie (scolarisés plus longtemps) que pour ceux des classes populaires pour qui partir au service était souvent la seule et unique occasion qu’il leur était donné de quitter leur commune de naissance.
De manière générale, les champs ouverts ont permis aux jeunes de nuancer le choix restreint (un choix) que leur offrait le QCM. Les deux jeunes filles périurbaines suivantes combinent dans leur appréciation les éléments analysés plus haut, même si elles ont choisi toutes deux comme réponse : pouvoir voter.
« Ca reste symbolique j'en est conscience, dans les faits on ne se trouve pas métamorphosé en une nuit tel Cendrillon rentrant du bal. Mais pour autant 18 ans reste un tournant marquant. Tout du moins quand il concorde avec la fin du lycée. Car il y a indépendance si ce n'est totale au moins partielle vis à vis des parents. Et bien souvent un changement de résidence et donc d'autres perspectives. Et même sans cela, il y a le vote et c'est une manière de s'exprimer et de prendre part à la vie de la cité. Et le permis de conduire (à condition de pouvoir (financièrement et matériellement)/ vouloir (en étant dans une grande ville ou même une moyenne comme Orléans ou Tours la voiture n'est pas utile et onéreuse -‐-‐> réparation, entretien, contrôles, assurances...)) le permis de conduire donc permet de quitter la maison lié au monde de "l'enfance" et d’acquérir une certaine indépendance dans la forme. Et le regard vis à vis des autres est important. On est somme toute mieux considéré dans nos propos et prises de positions en étant majeur. Pour voyager à l'étranger aussi. » Julie, 20 ans, Cortrat, 45, espace périurbain
« C'est important car être majeur c'est pouvoir voter, passer son permis de conduire, être responsable de ses actes, de ses décisions… Avoir 18 ans pour moi c'est important non pas symboliquement dans une vie mais c'est important car c'est
ses parents et faire ce que bon nous semble, mais le fait d'avoir soudain des responsabilités. Par exemple, je vis en foyer d'étudiantes et le fait d'avoir 18 ans m'enlève grand nombre de contraintes, les adultes se déresponsabilisent de nos actes et je trouve que ça change tout. Sur le plan du travail c'est aussi un cap, on peut désormais trouver un emploi, effectuer son service civique ou militaire… De manière générale lorsqu'on a 18 ans on est davantage considéré comme un adulte qu'avant, on a un avis qui compte. (Même s'il y a quelques inconvénients… il faut désormais payer le musée !) » 18 ans, Marianne, Villeneuve-‐sur-‐Yonne, 89, espace
périurbain.
Les jeunes périurbains sont plus nombreux que les autres à estimer qu’avoir 18 ans permet de « devenir adulte ». La fin du questionnaire visait à comprendre quelle signification était donnée à cette expression par les jeunes.
5.3 Devenir adulte : quelle signification ?
L’essentiel des jeunes affirment que devenir adulte signifie être autonome (se débrouiller tout seul). Les variations des réponses entre les espaces habités sont intéressantes car elles rendent compte du rapport à l’espace. Les jeunes urbains sont plus nombreux à estimer que devenir adulte passe par le fait de ne plus dépendre financièrement de leurs parents alors que pour ceux qui habitent des espaces moins densément peuplés le fait de se débrouiller tout seul est plus important.
Les commentaires qui accompagnent les choix de réponse vont dans ce sens :
« De toute manière d'avoir cet âge ne me permets pas d'emblée d'avoir une indépendance financière, et me laisse donc dans la sphère familiale, à la charge de mes parents. A 18 ans, j'avais mon bac et j'étais en pleines études supérieures, ce qui m'insérait dans une continuité (par les études) et non dans une rupture (par l'âge et sa signification civique) » Pauline, 20 ans, Paris, 75, espace urbain.
Les jeunes urbains ont davantage l’habitude de se déplacer seuls dans la ville et accèdent plus tôt à l’autonomie. Cela ne constitue pas un changement assimilable à une entrée dans l’âge adulte.
« On est plus ou moins indépendant depuis nos 16 ans à peu près donc le fait de passer le cap des 18 ans ne nous change pas trop de d'habitude. Avec notre société on est "mature" assez tôt. » Lisa, 18 ans, Villenave d’Ornon, 33, espace urbain.
« Ca change des choses pratiques : pouvoir passer le permis, voter, etc, etc. Mais on ne se sent pas différent. "Les choses de la vie" nous apparaissent bien plus tôt que 18 ans désormais. Sexualité, drogue, alcool, violence, responsabilités (moindres,
certes), et choix d'avenir sont des choses auxquelles nous sommes confrontés dès le collège. » Elise, 18 ans, Mulhouse, 68, espace urbain.
Ce graphique montre aussi que les rites traditionnels de passage entre l’adolescence et l’âge adulte ont disparu. La faible place du mariage et de la mise en couple dans les réponses en témoigne. Alors que le mariage a pendant longtemps marqué pour les femmes l’accès à la sexualité et plus globalement le moment où un jeune décohabite, aujourd’hui, ce rite n’a plus le même statut. Le mariage apparaît comme un aboutissement dans la vie de couple et non comme l’entrée dans la vie adulte. Il n’est pas rare de se marier une fois les enfants nés. Cela ne signifie pas pour autant que le mariage n’a plus de valeur. Il n’a plus celui de rite de passage mais apparaît comme une mise en scène de son couple à laquelle on attache un soin particulier. De même, il y a une « décristallisation » à propos de « la dissociation, qui tend à être de plus en plus forte,
entre l’accession aux conditions d’exercice de la sexualité adulte et l’exercice [...] « familial
», aux fins de procréation, de la sexualité.» (Chamboredon, 1985, p. 21). La faible place tenue dans les réponses par le fait d’avoir un enfant montre cette dissociation.
La décohabitation n’a plus la même importance aussi. Nombreux sont les jeunes qui expliquent dans leurs entretiens ou les champs libres du questionnaire qu’ils n’habitent plus chez leurs parents en raison de la localisation de leurs études. Le premier logement n’est plus un rite car les jeunes continuent à rentrer très régulièrement chez leurs parents le week-‐end, au moins pendant les 6 premiers mois qui suivent la décohabitation. Il s’agit davantage d’une double résidence que d’une décohabitation. Avoir un logement ne signifie pas indépendance car ce sont le plus souvent les parents qui pourvoient aux besoins du jeune. Il mène alors une vie autonome sous contrôle. Malgré tout, ces cadres se sont globalement adoucis (par rapport aux années 1960-‐ 1970) et rendent supportables une cohabitation prolongée même si les filles continuent de quitter plus tôt leurs parents que les garçons, en raison d’une surveillance renforcée à leur égard. Anne Pelissier (2006) a montré que le fait de quitter le domicile parental n’est pas un rite de passage mais un aboutissement dans une trajectoire de vie : s’en est fini du « modèle de simultanéité » des années 1970 (Galland, 2001) qui marquait le fait de quitter le domicile parental à l’occasion de l’accès à l’emploi pour fonder une famille. Toutefois, les comparaisons européennes menées par Cécile Van de Velde (2008) et Sandra Garivia (2005) relativisent la place de la France à mi-‐chemin entre le modèle traditionnel d’Europe du Sud et l’autonomie encouragée en Europe du Nord.
6. Conclusion
L’année des 18 ans apparaît pour les jeunes, quelque soit l’endroit où ils habitent, comme une étape importante de leur vie, même s’ils ont bien conscience que cet âge n’est pas synonyme d’entrée dans la vie adulte. Les 18 ans sont vus comme une étape parmi d’autres dans un long processus de maturation et d’accès à un capital politique,
et subjective, associée à l’idée de responsabilité et de maturité. » (Van de Velde, 2008)
Si les rites de passage n’existent plus, cela ne veut pas dire qu’il ne se passe rien pendant cette période. Il y a une multitude de « rites de première fois » : premier rapport sexuel, premier logement, premier salaire. Parmi les obstacles à la mise en place de rites, il faut prendre en compte la mobilité résidentielle. Les communautés d’interconnaissance (famille, amis) ne sont plus aussi importantes qu’elles l’étaient par le passé et n’exercent plus un contrôle sur la jeunesse. Il y a désormais une désynchronisation des rites de première fois. La banalisation de l’accès à la majorité est plus marquée chez les urbains que chez les jeunes des espaces périurbains ou ruraux.
Ceux qui ont déjà vécu leurs 18 ans ont un discours plus distancié avec l’accès à la majorité alors que les plus jeunes idéalisent ce moment. Aussi, si l’essentiel des jeunes considère avoir 18 ans comme un cap, nombreux ont été ceux à proposer une autre date symbolique.
« Je n'ai pas ressenti mes 18 ans comme un véritable changement ; je ne me suis pas sentie plus adulte. Par contre, le cap des 20 ans, c'est autre chose... Passez à un chiffre commençant par un 2, ça fait bizarre. Surtout, j'ai l'impression que c'est l'âge à partir duquel on est vraiment responsable. Tous ces livres, chansons, films qui parlent de la vingtième année comme de quelque chose de magique, où l'on est au sommet de sa beauté ou de ses possibilités, ça met la pression. C'est un âge qui ne repassera jamais. » Manon, 20 ans, Lingolsheim, 67, espace urbain.
« J'ai trouvé qu'avoir 20 ans était un cap plus important que celui d'avoir 18 ans. On sent vraiment, à 20 ans, une adolescence derrière nous alors qu'à 18 ans on est toujours ado. On prend conscience plus tard de l'importance de nos droits et de nos devoirs. » Valentine, 20 ans, Paris, espace urbain.
7. Références
BERGER, M. 2004 Les périurbains de Paris. De la ville dense à la métropole éclatée ? Paris: CNRS Editions, 317 p.
BESSIN, M. 2006. « La transformation des rites de la jeunesse » in Agoras, Débats /
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