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"LA CHINE M'INQUIETE" INTIMITES CHINOISES. Femmes et sexualité. dans la Chine des réformes . ISABELLE ATTANÉ - GENEVIÈVE IMBOT-BICHET.

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"LA CHINE M'INQUIETE"

INTIMITES CHINOISES

Femmes et sexualité

dans la Chine des réformes

. ISABELLE ATTANÉ - GENEVIÈVE IMBOT-BICHET .

L

es réformes économiques lancées à la fin des années soixante- dix sont bien connues pour leurs formidables succès : une croissance à deux chiffres, un développement industriel et agricole sans précédent. Ce que l'on sait moins, c'est l'ampleur des bouleversements qui en ont découlé. Les relations familiales, le mariage, la santé, l'éducation, la culture, le monde du travail, les relations hommes/femmes... aucun domaine n'a été épargné (1). En quelques années, la société chinoise a fait un vrai « grand bond ».

Mais est-ce véritablement un grand bond en avant ? Certes non.

Désormais, le pays le plus peuplé de la planète est aussi l'un des plus inégalitaires : tandis que de riches Shanghaïens roulent en limousine et brassent des millions de yuans, dans certaines régions, les laissés-pour-compte de la modernisation n'ont plus les moyens d'envoyer leurs enfants à l'école, ni même parfois de les nourrir.

Le glas du communisme égalitaire et puritain a bel et bien sonné. Les vieux tabous tombent peu à peu. Argent, ambition, hédonisme, sexe... : ces démons âprement combattus sous le règne de Mao retrouvent leurs lettres de noblesse. La société

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Intimités chinoises : . femmes et sexualité

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urbaine surtout, principale bénéficiaire des réformes, s'enhardit.

Mais quelle est la réalité de cette libération des mœurs ? Comment la femme chinoise, que Mao avait mis tant d'ardeur à hisser au rang d'égale de l'homme, vit-elle ces bouleversements ? Ce vent de libé- ralisation sociale s'immisce-t-il jusque dans l'intimité des couples ? Autant de questions auxquelles nous allons tenter de répondre.

Les représentations de la femme

Ouvrières, paysannes : des femmes robustes et vigoureuses, aux joues rosées par la ferveur politique, les yeux brillants d'un zèle révolutionnaire, d'un côté. De l'autre, de jeunes beautés frêles et languissantes, citadines nanties, vêtues à la dernière mode. Le con- traste est saisissant entre ces deux idéaux féminins, que seules quelques décennies séparent. Forgés par des discours politiques radicalement opposés, ces modèles sont sans commune mesure.

L'on vivait autrefois pour la Révolution ; on court aujourd'hui après l'argent. La libéralisation économique a transfiguré la femme dans les représentations collectives. L'idéal androgyne prôné par les com- munistes est dépassé ; il cède la place à une femme « reféminisée », symbolisant tous les bénéfices de la société de consommation.

Sous Mao, le plaisir sous toutes ses formes était taxé de

« valeur bourgeoise ». Séduction, plaisir charnel étaient contre-révolu- tionnaires ; la féminité, une tare. Mao a plongé son pays dans un puritanisme forcené. Pendant la Révolution culturelle, la vie commu- nautaire s'est accompagnée d'une flambée des tabous. Personne n'osait parler de sexe, tout rapport sexuel en dehors du mariage était hors la loi. Des Chinois racontent comment, aux heures les plus dures du régime, mari et femme n'osaient même pas se tenir la main dans la rue. Les jeunes filles avaient honte d'une poitrine un peu forte. Vêtues d'un pantalon d'homme et d'une veste ample, modi- fiant !c~.i façon de marcher, elles cherchaient par tous les moyens à ne pas se faire remarquer. L'on se souvient de Pékin encore au milieu des années quatre-vingt, et de ses femmes en costume bleu de chauffe, où rares et suspectes étaient celles qui avaient l'audace d'arborer des paupières ombrées ou des lèvres peintes.

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La société s'est retrouvée sexuée de facto avec la libéralisation économique des années quatre-vingt. Désormais, l'empire du Milieu s'ouvre sur le monde. Les sitcoms américaines envahissent les écrans, la mode occidentale se répand. La féminité redevient une valeur sûre. Les femmes osent de nouveau enfiler des jupes et des bas. Maquillages et coiffures, jusqu'aux plus extravagants, sont de nouveau arborés. Personne ne cache plus son envie d'être beau, de séduire, d'éprouver ou de susciter de l'amour. La « reféminisation » de l'image de la femme correspond à la fois à une attaque de l'uniformi- té des sexes prônée dans les années révolutionnaires et aux nouvelles possibilités d'affirmation et d'émancipation qui s'offrent à elle grâce à l'économie de marché.

Ce nouvel idéal féminin est paré de tous les signes de la richesse et de la satisfaction : tenues sophistiquées, bijoux, mari qui a réussi... Cette symbolique, qui souligne la valeur de l'éphémère et du paraître, est clairement associée aux réformes : on a eu la chance de s'enrichir, on le montre. Comme si le bonheur ne dépendait plus que de l'accès à ce monde de la consommation. Réaction à l'austérité maoïste, on érotise la femme, on s'approprie son corps. La société urbaine est méconnaissable. Aujourd'hui, tout est bon pour se mettre en valeur. Zhang Wei, étudiante à Chongqing : 1 mètre 70, 52 kilos, elle se trouve « trop... » à certains endroits, et « pas assez... » à d'autres.

« Elle s'est fait refaire les seins il y a deux mois », geint sa mère dés- orientée. La mère de Zhang fait partie de ces centaines de millions de Chinoises qui n'ont jamais porté autre chose que des pantalons, et qui n'ont jamais recouru à un quelconque artifice. Sa fille est tout le contraire. « Autrefois, c'était bien vu d'être ordinaire et sans attrait », dit la mère. Zhang, elle, rêve de beauté, de richesse et de réussite professionnelle... Le choc des générations n'a rien de la litote.

Libération sexuelle : entre mythe et réalité

Les différents régimes politiques ont instauré, à chaque fois, des sociétés radicalement différentes. Au cœur de la tourmente, les femmes, pliant sans coup férir aux revirements successifs. Dans

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la Chine impériale, elles n'avaient aucun statut juridique. Pures marchandises sexuelles ou reproductrices, elles étaient mariées, répudiées, battues, vendues, sans jamais avoir leur mot à dire.

Peut-on dire de Mao qu'il a libéré la femme chinoise ? En un sens, oui. Il a mis fin à sa soumission aveugle : les Chinoises jouissent désormais d'une égalité juridique complète avec les hommes. Mais Mao était tout sauf un libertaire. Il a créé ce que Liu Dalin, premier scientifique à s'être penché sur la sexualité des Chinois, appelle l'« idéologie du plaisir limité » : on mangeait mal, on s'habillait mal, on ne buvait pas, le sexe était tabou. Pour ce sociologue, la perte totale des savoirs erotiques a transformé pour longtemps les amants en butors : quinze ans après la mort de Mao, plus de 80 % des rap- ports sexuels ne duraient encore guère plus de deux minutes (2).

Avec les réformes, les individus s'émancipent de la tutelle idéologique de l'État, le bien-être personnel n'est plus déviant, au contraire. La libéralisation économique a relégitimé le principe de jouissance. « Les films d'avant les réformes économiques montraient homme et femme partageant un même lit, mais ils y parlaient de la Révolution. Les films d'aujourd'hui montrent des couples qui s'enlacent et qui s'embrassent », raconte An Dun, une écrivaine pékinoise (3).

Le chercheur Li Yinhe s'exprime sur l'évolution des mœurs :

« Au début des années quatre-vingt, le film Bei aiqing yiwang de jiaoluo (4) racontait l'histoire de deux jeunes paysans tombés amoureux et s'adonnant à l'amour physique sans être mariés. Dans le film, la police arrêtait le jeune homme pour ces faits. Aujour- d'hui, cela n'arriverait plus. En 1989, j'ai mené une enquête qui a montré que 15 % des Pékinois avaient eu des relations sexuelles avant le mariage. Maintenant, cette proportion doit être trois à quatre fois plus élevée. Les gens sont plus ouverts. Les magazines, les journaux, la télévision, la radio diffusent du sexe. Les Chinois aujourd'hui sont davantage capables de montrer de l'amour et de l'affection. »

Au cinéma, les scènes d'amour ne sont plus cachées par un carré noir, ni censurées comme il y a quelques années. La libéra- tion sexuelle est sensible chez les jeunes générations urbaines ; on recherche aujourd'hui l'épanouissement personnel à travers l'épa- nouissement sexuel. Les femmes les plus émancipées n'ont plus

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honte de prendre l'initiative. Elles considèrent le plaisir, le leur, comme indispensable à toute relation. Plus libres de leurs corps, elles sont aussi plus libres dans leur tête. À l'extrême, le jeune héros de Dai Lai (5) se montre perplexe : « Depuis que Liu Mo s'est volatilisée dans la nature, il y a deux mois, il a laissé entrer des femmes dans son appartement : Ding Qing, Xu Sheng, et celle- là, la fille sans nom. À chaque fois, il les a mises dans son lit avec leur bénédiction en deux temps trois mouvements, si vite qu'il en a eu le tournis. Il ne peut s'empêcher de se demander si elles se comportent de la même façon avec les autres. Est-ce que c'est ain- si que fonctionnent toutes les femmes ? »

Une nouvelle génération d'auteures à succès aborde avec une grande liberté des sujets jadis tabous, dont la sexualité. Ces meinù zuojïa (belles femmes écrivains) osent transgresser tous les interdits du puritanisme communiste. Elles décrivent le mode de vie de la jeune génération citadine, individualiste, qui n'a que faire de la politique, et possède par-dessus tout une folle fureur de vivre.

Cette littérature féminine dévoile une société déstructurée par la modernité et le libéralisme économique. L'influence, depuis les années quatre-vingt-dix, de romanciers étrangers comme Mar- guerite Duras et Simone de Beauvoir est très présente. Elle favorise la prise de conscience de la femme chinoise en tant qu'individu, seule face à la collectivité. La littérature intimiste bat son plein. Ce qui intéresse les femmes, ce sont elles d'abord, leur introspection.

Chen Ran, née en 1962, est le précurseur de cette littérature du

« je » féminin et la première à aborder la sexualité en publiant, en 1996, un roman intitulé Vie privée. C'est elle qui a ouvert la voie à cette brusque émancipation sexuelle.

Les jeunes plumes féminines témoignent des maux de la société actuelle ; elles parlent du mariage et de la famille, d'avorte- ment et de sexualité, des sujets délicats car ils touchent à une part cachée de la vie sociale. Ce sont des récits sans complaisance, satyriques et crus, qui baignent dans un climat de matérialisme absolu, celui d'une nouvelle classe urbaine émergente, consomma- trice et blasée, que plus rien ne semble motiver, excepté son inté- rêt pour l'argent et le statut social. Au fil de leur plume, ces femmes dévoilent leur vie intime et secrète, leurs émois, leurs amours. Elles évoquent sans retenue leurs expériences erotiques ; elles expriment

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leur révolte contre la pesanteur du système traditionnel, animées par le désir d'exister et un désintérêt politique absolu. Elles racontent leurs pulsions qui les attirent vers les interdits, les paradis arti- ficiels ; elles clament leur individualisme et prônent un désir fémi- nin indépendant et non plus assujetti à celui de l'homme. Une litté- rature débridée, dépourvue de tout romantisme, qui trace le portrait d'une certaine jeunesse déboussolée, immature, en plein brouillard existentiel.

Dans les nouvelles productions romanesques, la femme chi- noise étale sa recherche du plaisir et ses fantasmes sexuels, mais aussi ses désillusions et son désarroi. Elle traite abondamment de la sexualité et donne une vision entre réalité et fiction de la misère sexuelle qui pèse sur les couples. Les auteures dévoilent des frag- ments de vie intime, leur envie de liberté, de séduction et avant tout de désir ; de simples chroniques, montrant une sexualité dévoyée, perturbée et sulfureuse. Pour elles, l'amour se réduit bien souvent à des relations purement sexuelles : on pense à Shanghai Baby de Wei Hui (6), ou aux Bonbons chinois de Mian Mian (7). La virginité perdue et le sexe ne relèvent plus ni de l'in- terdit ni du tabou. Pour la femme « moderne », s'accomplir relève de la vie professionnelle et sociale, plus que de la vie privée. C'est du moins ce qu'exprimé Xinran, ancienne journaliste installée à Londres depuis 1997 : « Mettre votre cœur en lambeaux et créer une bonne histoire pour la presse. Puis utiliser vos cicatrices comme un argument commercial. Pendant que les gens s'extasient sur les épreuves que vous avez traversées, disposez vos produits sur les comptoirs et empochez l'argent (8). »

D'autres expliquent sans ambages que vendre son corps et ses charmes sans état d'âme est un moyen comme un autre pour survivre. C'est le sujet de Filles-dragons de Jiu Dan (9), qui aborde les-aventures et mésaventures de jeunes étudiantes chinoises vivant à Singapour. Le récit est-il autobiographique ? Son auteur s'en défend et préfère parler de ses • expériences » à la place du vécu.

Liao Yiwu, né en 1958 à-Chengdu, témoigne dans l'Empire des bas-fonds (10) de cette prostitution effarante. Son témoignage se nourrit de rencontres fortuites et d'enquêtes menées auprès des laissés-pour-compte d'une Chine en pleins bouleversements. L'un

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des portraits est celui d'une « entraîneuse » au destin cruel et brisé, une fille « à la mine pâlotte », qui n'a pourtant pas l'étoffe d'une prostituée. Le mot « entraîneuse » ou sanpei xiaojie, traduit un néo- logisme apparu en Chine depuis 1990. Il s'agit pour les jeunes femmes de tenir compagnie aux clients des boîtes de nuit et de les entraîner à boire, tout en bavardant et en chantant avec eux les rengaines des karaokés et, s'ils le souhaitent, les accompagner au lit. « C'est la mode maintenant d'avoir des relations extra-conjugales.

Épouse ou maîtresse, ça ne fait pas une bien grande différence ! », avoue la jeune fille.

Amour, p l a i s i r : quid des femmes?

Les mentalités évoluent, mais les pesanteurs du puritanisme communiste demeurent. L'extrême libéralisation des mœurs dont la littérature fait écho est encore loin du quotidien de la plupart des jeunes gens, citadins compris. Dans la « vraie » vie, franchir le pas n'est pas toujours aisé. Une étudiante confie avoir une liaison de- puis quatre ans, mais : « J'ai attendu deux ans avant de faire l'amour.

Parce que chez nous, c'est très mal perçu d'avoir des relations sexuelles avant le mariage. Ce n'est pas une question de contra- ceptif, ce n'est pas seulement une question d'endroit où se retrou- ver... Enfreindre cela, c'est se mettre en conflit avec sa famille, mais aussi avec soi-même /...]. Et puis, si tu tombes enceinte, qui va t'aider ? Tu ne peux pas en parler avec tes parents ni avec per- sonne. Alors tu attends l'amour, le vrai. »

Publications officielles, magazines féminins..., tous sous- tendent l'idée que le mariage monogame officialisé et légal est le seul cadre légitime aux relations sexuelles : 66 % des hommes et 84 % des femmes désapprouvent le sexe entre personnes non mariées (11). La sexualité des femmes reste au second plan. La sexualité masculine (yang), elle, est « puissante et active ». Asso- ciée à des désirs « ardents et soudains », elle est décrite comme une force naturelle spontanée, un besoin instinctif « facilement réveillé et satisfait ». Au contraire, le désir féminin est « relative- ment faible », il est « lent et graduel » et doit être « patiemment

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encouragé dans un contexte d'intimité et de tendresse (12). » La sexualité féminine est construite en réponse au désir puissant de l'homme.

Jusque dans les années soixante-dix, l'idéologie collectiviste a laissé peu de place à un débat public sur les dimensions affectives et sexuelles du mariage. Une vie sexuelle épanouie n'est réelle- ment devenue une composante de l'idéal conjugal qu'après les réformes, avec la restauration du royaume de la vie privée. Mais la passivité de la sexualité féminine reste largement ancrée dans les esprits. Il n'empêche que la plupart des femmes se disent satisfaites de leur vie sexuelle. C'est du moins ce qui ressort de l'enquête de Liu Dalin (13) : 64 % des femmes et 80 % des hommes se déclarent satisfaits voire très satisfaits de leur vie sexuelle (14). Mais quand on creuse un peu, on en vient à se demander comment un tel niveau de satisfaction est possible. Ce sociologue lui-même s'inter- roge : les couples chinois savent-ils seulement ce qu'il faut entendre par « vie sexuelle épanouie » ? On apprend par exemple que la moitié des couples interrogés qui ne pratiquent aucune forme de préliminaire estiment « bonne » voire * très bonne » la qualité de leur vie sexuelle. Dans cette enquête, aucune question n'a été posée sur l'orgasme pour la simple raison que, lors de l'enquête pilote, les enquêteurs se sont rendus compte que la plupart des femmes ne comprenaient pas le sens de ce mot. 40 % des femmes interrogées trouvent le rapport sexuel douloureux ; le plus grand souci des hommes est Péjaculation précoce.

La misère sexuelle ne fait pas de doute. Encore 40 % des couples pratiquent une position unique du coït ; 30 % des couples en ville et 42 % à la campagne ne se déshabillent jamais entière- ment pendant le rapport sexuel ; 78% des hommes et 84% des femmes ont eu leur premier rapport sexuel le soir de leurs noces, ou même après ; un Chinois sur six n'embrasse jamais sa femme ; les préliminaires sont d'une brièveté déconcertante (moins d'une minute), voire carrément inexistants, chez 15 % des couples urbains et 33 % des couples ruraux (15).

Les Chinois traînent une piètre réputation. Au dire des langues déliées d'étrangères en quête d'exotisme ou de jeunes Chinoises émancipées, leurs performances frôlent la nullité : peu ou pas de préliminaires, souvent éjaculateurs précoces, paralysés par la

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moindre velléité d'érotisme, le comble de l'écœurement est le cun- nilingus (16)... Quelle rupture avec les temps anciens, où existait une véritable culture du sexe ! Robert Van Gulik explique : « On donnait pour obligatoires des fantaisies préliminaires et subsidiaires, sur lesquelles les manuels donnaient à l'homme des instructions explicites. C'était chose nécessaire pour préparer convenablement la femme à l'accouplement, pour réveiller et activer son essence yin. Le baiser, y compris le contact des lèvres et des langues, jouait un rôle important dans ce jeu préliminaire [...]. On approu- vait le cunnilingue parce qu'il préparait la femme à l'acte sexuel et procurait dans le même temps de l'essence yin à l'homme (17). «

Liu Dalin conclut avec philosophie que les Chinois ne sont pas très exigeants quant à la qualité de leur vie sexuelle et ignorent manifestement la notion de plaisir... Les femmes ont en outre ten- dance à confondre vie sexuelle et vie conjugale, et préfèrent un mari « gentil » sans rechercher forcément l'harmonie sexuelle. Leurs maigres attentes en la matière semblent devoir être reliées au com- portement souvent brutal et égoïste de leur mari, vision renforcée par la publicité croissante faite aux violences domestiques contre les femmes ces dernières années.

En outre, la politique de limitation des naissances mise en œuvre dans les années soixante-dix, en présentant la contracep- tion uniquement comme un moyen de faire moins d'enfants, n'a fait que renforcer l'amalgame entre mariage et reproduction (18).

À aucun moment elle n'a été vue comme l'outil providentiel de la libération sexuelle des femmes, les incitant ainsi à dissocier sexua- lité et maternité. La pruderie reste de mise : dans l'esprit de la plu- part des gens, l'activité sexuelle n'a de place que dans le mariage, et sert avant tout à se reproduire.

Pour conclure...

La littérature féminine contemporaine, loin de refléter une dimension univoque de la libération des mœurs, est édifiante.

Entre fantasmes et rancœurs, elle exprime les maux d'une société qui peine à trouver de nouveaux repères. Détachée de la politique

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et de l'idéologie, elle s'épanouit dans un contexte où le décalage entre libéralisme économique effréné et censure politique est fla- grant. Dans leurs œuvres, les femmes s'attachent à la psychologie et à la nature humaine profonde, et si l'individu se satisfait dans l'ensemble d'une vie confortable et des petits plaisirs de l'existence, il ne peut désormais trouver son salut que dans sa propre con- science.

Cette littérature se fait le porte-parole des interrogations d'une génération en quête de spiritualité et d'un individualisme doulou- reux, dans une société où elle se sent trahie et où il reste impos- sible pour l'individu de combattre les règles imposées par la col- lectivité. En fustigeant les tares d'une société de plus en plus opportuniste, ces auteures décrivent les rouages de la Chine actuelle et nous livrent des clés pour comprendre le basculement dans une certaine décadence, sans doute due à une plongée bru- tale dans une économie capitaliste toujours sous la férule de l'un des derniers gouvernements totalitaires.

1. Pour en savoir plus sur les changements sociaux dans la Chine des réformes, voir : Attané, Isabelle (Dir.), « La Chine au seuil du XXIe siècle : questions de popu- lation, questions de société », Les Cahiers de l'Ined, Paris, Ined, n° 148, 600 p.

2. Entretien avec Liu Dalin, « La conquête du plaisir », publié dans le Nouvel Observateur, 6 mai 1999, n° 1800.

3. Information recueillie sur le site internet http://www.datalounge.com 4. Ce qui se traduit par « Le coin oublié par l'amour ».

5. Dai Lai, l'Insecte sur la toile, traduit par Véronique Chevaleyre, Paris, Bleu de Chine, 2003.

6. Wei Hui, Shanghai Baby, traduit du chinois par Cora Whist, Paris, Picquier, 2001.

7. Mian Mian, les Bonbons chinois, traduit du chinois par Sylvie Gentil, Paris, Édi- tions de l'Olivier, 2001.

8. Xinran, Chinoises, traduit de l'anglais par Marie-Odile Probst, Picquier, 2003.

9. Jiu Dan, Filles-dragons, traduit du chinois par André Lévy, Actes Sud/Bleu de Chine, 2002.

10. Liao Yiwu, l'Empire des bas-fonds, traduit du chinois par Marie Holzman, Bleu de Chine, 2003.

11. Liu Dalin ef a/., Sexual Behavior in Modem China, New York, The Continuum Publishing Company, 1997.

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12. Evans, Harriet, « Past, Perfect or Imperfect: Changing Images of thé Idéal Wife », in Brownell S., Wasserstrom J., Chinese Feminities, Chinese Masculinities, University of California Press, 2002, p. 342-346.

13. Cette enquête a été menée en 1989-1990 auprès de 20 000 personnes.

14. Liu Dalin, op.dt.

15. Liu Dalin, op.dt.

16. Gauthier, Ursula, /e Volcan chinois, Paris, Denoël, 1998.

17. Van Gulik, Robert, la Vie sexuelle dans la Chine ancienne, Gallimard, « Tel », 1977,488p.

18. Pour de plus amples informations sur la politique de limitation des naissances, voir notamment : Attané, Isabelle, « La planification familiale en Chine, pour ou contre la femme ? », les Dossiers du Ceped, 2000, n° 60, 50 pages.

• Isabelle Attané est démographe et sinologue, chargée de recherche à l'Institut national d'études démographiques. Elle prépare actuellement un ouvrage sur la femme chinoise, à paraître aux éditions Perrin.

• Geneviève Imbot-Bichet est sinologue, directrice des éditions Bleu de Chine et traductrice.

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