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Article pp.7-16 du Vol.26 n°150 (2008)

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Texte intégral

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Fabienne GREFFET Stéphanie WOJCIK

Bien que la discussion politique soit depuis longtemps considérée par les théoriciens comme un élément constitutif de la démocratie1, peu de recherches empiriques la documentent. En tant que mode de participation politique, elle est, par exemple, beaucoup moins étudiée que les autres types de participation comme l’acte électoral, l’adhésion à une organisation partisane ou les manifestations, et semble constituer, selon l’expression de Bennett et al., un « territoire inexploré »2.

Cependant, depuis la contribution majeure de William Gamson au début des années 19903, la manière dont les citoyens « ordinaires » « parlent politique », et plus largement les diverses formes de « participation discursive »4, suscitent l’intérêt grandissant des chercheurs. Un tel intérêt s’inscrit dans un contexte sociopolitique de développement, sous la houlette d’une grande variété d’autorités publiques, de démarches, procédures et dispositifs sollicitant la capacité des citoyens à prendre la parole et à discuter de questions qui engagent l’avenir de la collectivité, ces démarches ayant pour corollaire une certaine reconnaissance de formes d’argumentation et de savoirs différentes de celles qui prévalaient jusqu’ici dans l’univers politique et administratif5. Parallèlement, les diverses formes d’activités associatives et protestataires

1. DEWEY, 1927 ; BARBER, 1984 ; MANIN, 1996 ; HABERMAS, 1997.

2. BENNETT et al., 2000, p. 99.

3. GAMSON, 1992.

4. DELLI-CARPINI, 2004, p. 318.

5. REVEL et al., 2007.

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(manifestations, pétitions, grèves, etc.), le poids des mouvements sociaux, critiques à l’égard du système représentatif de gouvernement, comme la multiplication des espaces individuels d’expression publique des opinions, qui sont facilitées, notamment par les technologies de l’information et de la communication (blogs, « journalisme citoyen »), témoignent de l’intérêt des citoyens, ou d’une partie d’entre eux, pour la chose publique et pour l’invention de nouvelles formes d’action politique.

Sur ce dernier aspect, les technologies de l’information et de la communication, et plus particulièrement internet, offrent des possibilités inédites d’expression, déliées des contraintes – au moins temporelles et géographiques – habituellement attachées à l’expression en public. De même, la fréquente ouverture d’espaces destinés à l’expression du public dans les médias diffusés et les mises en scène d’individus, n’ayant d’autre titre à faire valoir que leur absence de particularités, récurrentes dans de nombreux programmes télévisuels, notamment dans les émissions mêlant professionnels de la politique et citoyens anonymes, qui sont conviés à faire part de leurs opinions sur les problèmes politiques et sociaux du moment, témoignent a minima d’une certaine (re)valorisation de la parole ordinaire.

Ces phénomènes illustrent le caractère désormais poreux de la frontière séparant jusqu’alors les savoirs experts (ceux des responsables institutionnels, des techniciens de l’action publique ou des journalistes) des savoirs profanes (ceux des citoyens)6 et ouvrent une pluralité de questionnements sur les conditions et les modalités d’une démocratie « participative » ou

« délibérative ». De fait, les recherches récentes qui se développent sur les discussions politiques s’articulent autour de deux grands axes. Le premier interroge la discussion politique comme possible forme de délibération7 ; le second porte sur le rôle de la discussion, qu’elle soit ou non médiatisée, dans la politisation des citoyens8. Dans les deux cas, et au-delà de la question classique de la compétence politique, repenser les rapports au politique des citoyens « ordinaires » constitue un enjeu central, qu’il s’agisse de s’intéresser à la mobilisation de leurs expériences sociales dans leur appréhension du politique9, à la place du conflit dans les interactions10 ou au mode d’organisation et d’activation des connaissances et des savoirs sociaux11.

6. FROMENTIN et WOJCIK, 2008.

7. CONOVER JOHNSTON, SEARING et CREWE, 2002.

8. CRAMER WALSH, 2004 ; KWAK, WILLIAMS, WANG et LEE, 2005.

9. GAXIE, 2002.

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Ce dossier consacré aux discussions politiques sur internet – qu’elles se déroulent de manière spontanée dans des espaces libres, ou qu’elles soient promues et organisées par diverses autorités publiques et organisations partisanes, en France ou à l’étranger – propose d’enrichir la réflexion sur ces problématiques, tout en soulignant les spécificités de la parole politique en ligne.

Le dossier s’ouvre par une revue de l’abondante littérature, surtout anglo- saxonne, vouée à la question des discussions en ligne. Fabienne Greffet et Stéphanie Wojcik montrent qu’après une première période où cette littérature a été fortement influencée par la problématique de la délibération, l’accumulation des observations empiriques offre une vision complexe des interactions politiques sur internet : l’orientation des discussions n’est pas spontanément délibérative ou conflictuelle, elle est liée au cadre et aux objectifs du dispositif mais aussi au rôle des modérateurs ; la discussion politique en ligne, même si elle peut être un lieu de rassemblement de personnes d’opinions voisines, est aussi un lieu de confrontation à la diversité ; différents registres discursifs et ressources argumentatives sont mobilisés par les internautes, au sein desquels la place des émotions reste à décrypter.

De cette synthèse émergent des questionnements qui sous-tendent, à des degrés divers, la totalité des articles du dossier.

D’abord, il apparaît que le cadre au sein duquel se déroulent les discussions influe de manière déterminante sur les modalités et la teneur des prises de parole des participants. Une telle perspective avait déjà été soulignée il y a quelques années par Nina Eliasoph pour laquelle les individus parlent en des termes bien plus politisés et orientés vers le bien commun dans des contextes privés que dans des situations publiques. Elle affirmait ainsi que les arènes publiques, de par le type d’interactions qu’elles génèrent, rendent la montée en généralité et l’expression de discours politisés de la part de citoyens ordinaires tout simplement impossibles12.

L’observation des espaces de discussion en ligne conduit à réinterroger ces travaux, et plus généralement la question de la matérialité de tels dispositifs, qui peut contraindre ou élargir les capacités d’expression des différents protagonistes. Plus précisément, les caractéristiques de tels espaces (par 10. DUCHESNE et HAEGEL, 2006.

11. JOIGNANT, 2007.

12. ELIASOPH, 1998.

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exemple, discussion sous la forme d’échanges écrits asynchrones, absence de coprésence physique des participants, fréquent anonymat, accessibilité et affichage et plus ou moins permanent des contributions...) impactent considérablement les modes d’argumentation déployés par les participants comme le relèvent l’ensemble des textes de ce dossier. Cette importance déterminante du support est plus particulièrement mise en évidence dans le texte de Nicolas Benvegnu et Mathieu Brugidou, qui étudient les débats en ligne relatifs à la politique de l’énergie organisés par l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) en 2007. Ce débat a en effet fonctionné selon des modalités relativement sophistiquées, allant au-delà des fonctionnalités offertes par un simple forum, et en complément de traditionnelles réunions publiques. Sur internet, l’architecture du débat et l’encadrement des contributions des participants étaient destinés à générer des énoncés de politiques publiques conformes à une « grammaire » de l’action publique définie par les organisateurs.

Ensuite, les discussions politiques en ligne présentent indéniablement un caractère conflictuel sur lequel s’interroge le texte de Mathieu Chaput. Pour cet auteur, il est clair que l’observation des échanges en ligne invalide le modèle habermassien de la délibération souvent usité pour leur analyse. Plus particulièrement, focaliser l’attention sur des critères tels que l’argumentation rationnelle conduit à ignorer leur composante agonistique. Dès lors, Mathieu Chaput propose une théorie alternative, la théorie pragma-dialectique pour laquelle l’argumentation repose nécessairement sur une tentative de résolution d’un conflit, en vue d’appréhender pleinement les discussions qui se déroulent sur des forums relatifs à l’actualité politique québécoise.

A travers l’exemple de forums de discussion proposés par les partis politiques, deux textes soulignent également la variété des registres argumentatifs mobilisés dans de tels espaces, ainsi que celle de leurs usages. A partir d’une analyse de forums de l’UDF, des Jeunes Populaires (UMP) et de Désirs d’Avenir (PS), Nicolas Desquinabo propose une catégorisation des genres discursifs mobilisés par les participants. Il distingue ainsi les « débats de propositions », les « messages de propositions », les « critiques ou soutiens aux candidats », les échanges « polémiques », cette dernière catégorie, particulièrement fréquente, illustrant une nouvelle fois l’importance du caractère conflictuel des échanges en ligne. Il note également – bien qu’il s’agisse d’un aspect difficile à appréhender d’un point de vue méthodologique – que le lien entre les opinions exprimées sur ces forums et les programmes électoraux des différents candidats apparaît peu marqué.

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Dans le texte suivant, Raphaël Kies s’intéresse au forum d’un petit parti politique italien, les Radicali italiani pour lequel il fournit d’utiles indications quantitatives quant à la sociologie de ses utilisateurs, aspect sur lequel les données font souvent défaut. Ce forum apparaît particulièrement dynamique et remplit des fonctions d’autant plus diverses qu’il mobilise de manière continue un nombre très élevé de participants : vecteur d’information, lieu de formation politique et d’action militante, espace

« communautaire ». Dans le même temps, les discussions qui s’y déroulent présentent certaines des caractéristiques de la délibération, aux yeux mêmes de leurs participants, notamment, leur caractère inclusif et égalitaire.

Toutefois, bien qu’un tel espace autorise l’émergence de propositions alternatives et de positions divergentes de celles du parti, ce qui peut conduire les participants à modifier leurs opinions initiales, certains d’entre eux estiment peu respectueux les échanges auxquels elles donnent lieu.

En clôture de ce dossier, le texte de Patrice Flichy invite à élargir la réflexion sur le rapport entre démocratie et internet, en pointant ses spécificités par rapport aux médias antérieurs. Par exemple, il suggère d’articuler de façon beaucoup plus systématique les analyses des discussions politiques sur internet avec les connaissances établies en sociologie des communautés en ligne, notamment sur certains mécanismes tels que la constitution de communautés d’« intimité instrumentale » où experts et novices peuvent débattre de manière constructive. Il montre aussi comment internet contribue à transformer les manières de militer, le débat en ligne au sein des partis politiques traditionnels requérant des compétences spécifiques, voire une certaine professionnalisation. Patrice Flichy considère par ailleurs, notamment à travers l’exemple des pratiques d’internet par les mouvements altermondialistes, la possibilité pour internet de constituer un média permettant l’exercice de la vigilance citoyenne, fondement d’une « contre- démocratie »13 analysée par Pierre Rosanvallon.

Deux articles en Varia complètent ce numéro. Le texte de Sylvie Capitant analyse l’utilisation de la radio en Afrique de l’ouest, et particulièrement au Burkina Faso, une fonction sociale qu’il s’agit de réévaluer en se dégageant des seuls critères occidentaux et en prenant en particulier en compte le fait que des revues de presse en langues locales permettent de donner à ces radios un rôle de carrefour informationnel.

13. ROSANVALLON, 2006.

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De son côté, Sylvain Parasie analyse le tournant qui s’est produit en France pour la publicité dans les années 1980 et qui a vu intellectuels et militants, particulièrement critiques à son égard dans la décennie précédente se trouver désarmés. L’auteur regarde particulièrement les changements techniques, esthétiques et de contenu qui ont pu intervenir dans la publicité. Il constate également le désappointement qui s’en est suivi pour les sociétés de consommateurs dans leur fonction critique.

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BARBER B. (1984), Strong Democracy: Participatory Politics for a New Age, Berkeley, University of California Press.

BENNETT S. E., FLICKINGER R. S. et STACI L. R. (2000), “Political Talk Over Here, Over There, Over Time”, British Journal of Political Science, vol. 30, n° 1, p. 99-119.

CONOVER JOHNSTON P., SEARING D. D. et CREWE I. M. (2002), “The Deliberative Potential of Political Discussion”, British Journal of Political Science, vol. 32, part 1, January, p. 21-62.

CRAMER WALSH K. (2004), Talking about Politics: Informal Groups and Social Identity in American Life, Chicago, University of Chicago Press.

DELLICARPINIM.X.,COOKF.X.etJACOBSL.R.(2004),“Public Deliberation, Discursive Participation, and Citizen Engagement”, Annual Review of Political Science, 7, p. 315-344.

DEWEYJ. ([1927] 2003),Le public et ses problèmes, Publications de l’Université de Pau, Farrago/Editions Léo Scheer.

DUCHESNES.etHAEGELF.(2007), “Accepting or Avoiding Conflict in Public Talk”, British Journal of Political Science, vol. 37, n° 1, p. 1-22.

ELIASOPH N. (1998), Avoiding Politics: How Americans Produce Apathy in Everyday Life, Cambridge, Cambridge University Press.

FROMENTIN T. et WOJCIK S. (dir.) (2008), Le profane en politique. Compétences et engagements du citoyen, L’Harmattan, coll. « Logiques politiques ».

GAMSON W. (1992), Talking Politics, Cambridge, Cambridge University Press.

GAXIE D. (2002), « Appréhensions du politique et mobilisation des expériences sociales », Revue française de science politique, vol. 52, n° 2-3, avril-juin, p. 145-178.

HABERMAS J. (1997), Droit et Démocratie. Entre faits et normes, Gallimard, coll. « NRF Essais ».

JOIGNANTA.(2007),« Compétence politique et bricolage. Les formes profanes du rapport au politique », Revue française de science politique, vol. 57, n° 6, décembre, p. 799-817.

KWAK N., WILLIAMS A. E., WANG X., LEE H. (2005), “Talking Politics and Engaging Politics: An Examination of the Interactive Relationships Between Structural Features of Political Talk and Discussion Engagement”, Communication Research, vol. 32, n° 1, February, p. 87-111.

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MANIN B. (1996), Principes du gouvernement représentatif, Flammarion, coll. « Champs ».

REVEL M., BLONDIAUX L., FOURNIAU J.-M., DUBREUIL HÉRIARD B. et LEFEBVRE R. (dir.) (2007), Le débat public : une expérience française de démocratie participative, Paris, La Découverte.

ROSANVALLON P. (2006), La contre-démocratie. La politique à l’âge de la défiance, Paris, Seuil.

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