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Article pp.263-265 du Vol.3 n°4 (2013)

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CAS CLINIQUE /CASE REPORT

Intoxication au sulfure d ’ hydrogène sur des plages costarmoricaines

Hydrogen sulphid poisoning on brittany beaches

P. Philippe · V. Cirimele

Reçu le 5 février 2013 ; accepté le 17 avril 2013

© SFMU et Springer-Verlag France 2013

Introduction

Le sulfure d’hydrogène (H2S ou hydrogène sulfuré) est un gaz incolore présent à l’état naturel, inflammable et présen- tant à faible concentration une odeur caractéristique d’œuf pourri. Ce gaz, plus lourd que l’air (densité 1,19) est à l’ori- gine d’intoxications sévères, souvent mortelles, décrites en milieu professionnel (industries pétrochimiques, teintureries, fabriques d’engrais...). Il peut également être à l’origine d’accidents lors de la décomposition et de la fermentation anaérobie de substances organiques sous l’action de bacté- ries (fosses septiques, égouts, fosses à lisier, tanneries...) [1].

Observations

Le 28 juillet 2009, un homme âgé de 28 ans se promène sur une plage des Côtes-d’Armor, tenant son cheval par la bride, quand tous deux s’enfoncent brutalement dans un amas d’al- gues vertes en putréfaction. Le cheval s’enfonce jusqu’au garrot, et le cavalier jusqu’au torse. Le cheval est immédia- tement cyanosé, puis en apnée. Il décède en moins d’une minute, malgré les efforts de son propriétaire pour tenter de l’extraire. Ce dernier perd connaissance concomitamment. À l’arrivée des témoins de la scène, le cavalier présente des convulsions. Il est alors immédiatement extrait de la zone d’accident. Les pompiers sont les premiers à arriver sur les lieux, et mettent le patient sous oxygène à fort débit. À l’ar- rivée du service mobile d’urgence et de réanimation (Smur), les convulsions ont spontanément cessé, et il a repris un état de conscience normal, sans signe de localisation. La pression artérielle est mesurée à 120/64 mmHg, la fréquence car- diaque à 84 c/min, la SpO2à 100 % sous 12 L/min d’oxy-

gène. Il présente une plaie de l’arcade sourcilière, et est transféré aux urgences sous oxygénothérapie. À l’arrivée dans cette structure, l’état clinique du patient est stable tout comme ses constantes : pression artérielle mesurée à 128/77 mmHg, fréquence cardiaque à 78 c/min, SpO2à 98 % en air ambiant. Le bilan sanguin (numération et formule sanguine, fonction rénale, coagulation, ionogramme, protéine C réac- tive, gazométrie) est normal en dehors d’une élévation des créatinines phosphokinases à 399 UI/L (n< 200) et de la myoglobine à 414 ng/ml (n< 155)—convulsions. Devant l’hypothèse d’une intoxication, un dosage d’hydrogène sul- furé est demandé sur le sang du patient. Celui-ci est de 11μg/

L, mais sur un prélèvement fait environ deux heures après l’accident, après oxygénation continue du cavalier. L’auto- psie du cheval relève une cyanose massive de la langue et des lèvres, une absence de signes d’inhalation au niveau de l’oropharynx et de l’arbre respiratoire, une absence de mal- formation ou d’anomalie cardiaque (infarctus, etc.) pouvant expliquer le décès. Par contre, l’examen anatomopatholo- gique du tissu pulmonaire montre un aspect congestif majeur de celui-ci (œdème aigu pulmonaire lésionnel). Un dosage direct d’H2S par spectrométrie de masse dans le tissu pulmo- naire est mesuré à 1,1 mg/kg confirmant ainsi l’origine du décès [2]. Des mesures faites secondairement par l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INE- RIS) sur les lieux mêmes de l’accident retrouveront des concentrations supérieures à 1000 ppm (plafond maximal détectable par les instruments de mesure) au-dessus des amas d’algues vertes en décomposition.

Le 5 juillet 1999, sur cette même plage, un homme âgé de 53 ans, sans antécédent ni traitement au long cours, conduc- teur d’engins affecté au ramassage d’algues vertes sur l’es- tran, présente à 17 h 30 un malaise avec perte de connais- sance immédiate au volant de son engin. Des témoins se portent à son secours et constatent des convulsions généra- lisées. À l’arrivée des pompiers et du Smur il présente un état de mal épileptique, une ventilation spontanée, et l’absence de signe déficitaire évident. Il bénéficie de mesures sympto- matiques (O2à 12 L/min, injection de clonazépam, surveil- lance des constantes). À son arrivée aux urgences, il présente

P. Philippe (*)

Service de médecine d’urgence et Smur, centre hospitalier P. Le Damany, rue de Kergomar, F-22300 Lannion, France

e-mail : pierre.philippe4@aliceadsl.fr V. Cirimele

Laboratoire ChemTox, 3, rue Grüninger, F-67400 Illkirch, France Ann. Fr. Med. Urgence (2013) 3:263-265

DOI 10.1007/s13341-013-0322-1

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un coma agité. Il est en conséquence intubé sous séquence rapide puis ventilé. Les constantes sont alors : pression arté- rielle à 140/80 mmHg, fréquence cardiaque à 104 c/min, température auriculaire à 36,9 °C. Le bilan sanguin prélevé (numération et formule sanguine, ionogramme, coagulation, fonction rénale, protéine C réactive, gazométrie) est normal, en dehors d’une glycémie à 9,59 mmol/L, de créatinine phosphokinases à 900 UI /L (n< 200), élévation mise sur le compte des convulsions. Le dosage d’H2S n’a pas été pra- tiqué. Le scanner cérébral sans injection est normal. Le patient est transféré en service de réanimation médicale où il séjourne quatre jours. Au cours de cette hospitalisation, les différentes explorations pratiquées (biologie sanguine, ponc- tion lombaire, électroencéphalogramme, tomodensitométrie crânienne avec injection à J+6), sont toutes négatives. Il sor- tira avec un traitement d’épreuve par acyclovir, malgré l’ab- sence d’arguments (sérologie herpès négative et dosage d’interféron-alpha normal dans le sang et le liquide céphalo- rachidien, et imagerie par résonance magnétique normale à J +5). L’évolution est lentement favorable, le patient présen- tant toujours six mois plus tard des séquelles à type d’asthé- nie, de ralentissement idéomoteur, et d’une discrète ataxie- dysarthrie. Il ne peut reprendre son travail qu’un an après cet accident. À la reprise de son activité professionnelle, la cabine de son camion est équipée d’un dosimètre d’hydro- gène sulfuré, à la demande des services de médecine du tra- vail. Ce dosimètre se mettant alors fréquemment en alarme, obligeant ce conducteur d’engins à s’éloigner des amas d’al- gues à plusieurs reprises quotidiennement.

Autres observations

Le 28 juin 1989, strictement au même endroit de cette plage costarmoricaine, le corps d’un jeune jogger en parfaite santé, était retrouvé au sein d’un amas d’algues vertes décompo- sées. L’autopsie alors pratiquée n’avait pas permis de conclure à la cause du décès.

Le 12 juillet 2008, sur une autre plage des Côtes- d’Armor, la propriétaire de deux chiens de 13 et 25 kilos, retrouve ses deux animaux morts et cyanosés sur un amas d’algues vertes putréfiées, alors qu’elle venait de les quitter des yeux quelques minutes auparavant. L’autopsie d’un des deux chiens montrant des signes d’œdème pulmonaire majeur, et l’absence d’anomalie ou de malformation permet- tant d’expliquer le décès. L’autopsie du second animal n’avait pas été jugée contributive.

Courant juillet 2011, 40 animaux, dont 36 sangliers, sont retrouvés morts à proximité de l’endroit où les deux chiens étaient décédés. L’autopsie de ces animaux a révélé, pour la majeure partie d’entre eux, un œdème pulmonaire et des dosages d’H2S compatibles avec une intoxication mortelle.

Discussion

L’hydrogène sulfuré est un gaz extrêmement toxique blo- quant la respiration cellulaire par inhibition du cytochrome oxydase mitochondrial. Cette hypoxie a des conséquences immédiates au niveau du cerveau, du rein et du cœur, par action systémique. Par ailleurs il présente une action toxique directe au niveau des voies aériennes, et en particulier, pul- monaires (œdème pulmonaire lésionnel). Détectable à partir de concentrations de 0,1 ppm par son odeur d’œuf pourri, il présente la particularité d’engendrer une anesthésie olfactive pour des concentrations supérieures à 150 ppm. À partir de 250 ppm, il peut entraîner des risques d’œdème aigu pulmo- naire, et d’arrêt respiratoire au-delà de 500 ppm par paralysie des centres respiratoires bulbaires. Une perte de connais- sance brutale avec risque de décès immédiat par arrêt cardio- circulatoire survient pour des concentrations de l’ordre de 1000 ppm [3]. Des séquelles à type d’asthénie, de lenteur d’idéation, et de troubles neuropsychiques sont décrites [4].

Le traitement repose sur des mesures symptomatiques.

En dehors d’une présentation clinique similaire, les obser- vations ici décrites sont totalement différentes des publica- tions citées en référence qui ont toutes été décrites en milieu confiné, domestique ou professionnel. En outre, elles ont pour particularité de présenter une uniformité contextuelle.

En effet, tous ces accidents ont eu lieu à proximité immé- diate d’amas d’algues vertes en putréfaction sur des plages costarmoricaines. Elles présentent également une uniformité symptomatique (accidents très brutaux à tropisme neurolo- gique et pulmonaire). Le décès brutal du cheval peut être expliqué par la panique engendrée lors de son enlisement, d’où une hyperventilation à proximité des algues, et une toxicité systémique immédiate. Son propriétaire aurait de toute évidence subi le même sort, s’il n’avait été extrait à temps de l’atmosphère toxique.

Le scénario le plus réaliste serait donc le suivant : enlise- ment brutal dans une vasière comportant une grande quantité d’algues vertes en putréfaction (phénomène favorisé par la présence d’eau douce), puis dégagement brutal de poches de gaz retenues sous la croûte superficielle soudainement per- cée entraînant une intoxication suraiguë par exposition bru- tale et massive ayant entraîné une perte de connaissance puis un arrêt cardiorespiratoire quasi-immédiat. Ce scénario est en tout point le même que celui se produisant dans plusieurs accidents professionnels ou domestiques, habituellement en milieu confiné (« coup de plomb » des égoutiers, décès d’agriculteurs dans des fosses à lisier en cours de nettoyage…).

Les résultats de l’autopsie du cheval ainsi que les dosages d’H2S dans le sang du cavalier et les poumons du cheval illustrent une nouvelle fois la nécessité de réaliser un dosage direct de ce gaz dans le parenchyme pulmonaire d’individus

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décédés afin de poser le diagnostic [5]. Il est à noter que la demi-vie de l’H2S dans le sang circulant (chez un organisme vivant) étant de 60 minutes, une valeur basse ne peut écarter l’hypothèse d’une intoxication au sulfure d’hydrogène. À signaler que l’oxygénation du patient intoxiqué accélère l’élimination de l’H2S en optimisant l’oxydation des ions sulfures en sulfates et thiosulfates (voie majeure de catabo- lisme de l’H2S).

Il aura fallu cet accident de juillet 2009 pour que des études métrologiques et biométrologiques (dosage d’hydro- gène sulfuré par spectrométrie de masse) permettent de retrouver ce gaz à des concentrations totalement anormales dans le parenchyme pulmonaire du cheval, puis sur les lieux mêmes de l’accident, confirmant avec certitude l’origine de ces intoxications.

Concernant les autres observations décrites, même si l’on ne peut affirmer avec certitude qu’il s’agit d’intoxications à l’hydrogène sulfuré faute de dosage effectué, le contexte et les similitudes avec cette observation de juillet 2009 sont très évocateurs d’une cause commune. En effet, dans la littéra- ture, rares sont les accidents au cours desquels des dosages biologiques ont été pratiqués. Dans la majeure partie des cas, un contexte évocateur associé à un éventuel dosage de la concentration en H2S dans le milieu ambiant suffit à établir le diagnostic.

Conclusion

Il est désormais formellement démontré que les amas d’al- gues vertes (Ulva armoricana,Ulva rotondata) en décom- position dégagent de l’hydrogène sulfuré en quantité impor- tante, en particulier quand la croûte superficielle blanchâtre

recouvrant ces amas est percée. On atteint alors des concen- trations potentiellement mortelles en moins d’une minute. À notre connaissance, il s’agit des premiers cas décrits d’into- xication à l’H2S en milieu ouvert non confiné, et dont la preuve a été formellement établie à posteriori pour au moins une observation [6]. Son intérêt essentiel est qu’elle doit entraîner des mesures non seulement informatives et protec- trices vis-à-vis de la population, mais également préventives, car il s’agit d’un problème de santé publique, jusque-là resté méconnu d’une grande partie du corps médical, et donc sous-estimé.

Conflit d’intérêt : les auteurs ne déclarent pas de conflit d’intérêt.

Références

1. Querellou E, Jaffrelot M, Savary D, et al (2005) Intoxication acci- dentelle mortelle par hydrogène sulfuré. Ann Fr Anesth Réanim 24:13024

2. Milby TH, Baselt RC (1999) Hydrogen sulfid poisoning: clarifica- tion of some controversial issues. Am J Ind Med 35:1925 3. Institut national de l’environnement industriel et des risques (2000)

Seuils de toxicité aiguë hydrogène sulfuré. http://www.ineris.fr/

centredoc/seuil hydrogène sulf seuils.pdf (dernier accès le 3 avril 2013)

4. Snyder JW, Safir EF, Summerville GP, et al (1995) Occupational fatality and persistant neurological sequelae after mass exposure to hydrogen sulfid. Am Emerg Med 13:199203

5. Sastre C, Baillif-Couniou V, Kintz P, et al (2010) Intoxication aiguë accidentelle par l’hydrogène sulfuré : à propos d’un cas inhabituel. Ann Toxicol Anal 22:1359

6. Novotny-Baumann M (2008) Intoxication par lhydrogène sulfuré, revue de la littérature, prise en charge et prévention. Thèse de doc- torat en médecine. Université Paris Descartes 104 p.

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