CAS CLINIQUE /CASE REPORT
Maladie de Lyme révélée par un bloc auriculoventriculaire
Lyme disease revealed by an atrio-ventricular block
P. Richier · I. Pozzetto-Fernandez · V. Rieu · M. Crozet · M. Pichon · F. Khettab · M. Martinez
Reçu le 30 décembre 2012 ; accepté le 24 février 2013
© SFMU et Springer-Verlag France 2013
Introduction
Nous rapportons le cas d’un bloc auriculoventriculaire (BAV) complet qui révèle une maladie de Lyme. Cette étio- logie infectieuse n’est pas exceptionnelle et il faut y penser chez le sujet jeune, à côté des étiologies toxiques ou métaboliques.
Observation
Un patient de 36 ans, exploitant agricole et chasseur régulier résidant en centre Loire (42), sans antécédent particulier, se présente au service des urgences pour sensation de malaise avec oppression thoracique depuis 24 h. Il se plaint égale- ment d’une dyspnée accompagnatrice et d’asthénie depuis plusieurs semaines.
Cliniquement nous notons une absence de fièvre, la ten- sion artérielle est mesurée à 135/77 mm Hg et l’oxymétrie de pouls est à 100 % en air ambiant. L’auscultation cardiaque révèle une bradycardie irrégulière entre 35 et 60 battements par minute. Il n’y a pas de signe de décompensation car- diaque et l’auscultation pulmonaire est normale. L’ECG met en évidence un bloc auriculoventriculaire de 3e degré avec échappement infrahissien à 35/min. Les examens bio- logiques ne montrent pas de troubles métaboliques, ioniques ou d’insuffisance rénale. L’interrogatoire ne retrouve pas
d’éléments en faveur d’une origine toxique. Cependant, le patient signale la notion de plusieurs morsures de tiques dans les mois précédents. Il évoque notamment un épisode, envi- ron deux mois auparavant, d’érythème migrant au niveau du pli de l’aine ayant duré 15 jours, non traité car négligé. Il décrit également des radiculalgies droites et des épisodes d’arthralgies diffuses.
Le tableau clinique oriente vers une complication car- diaque de la maladie de Lyme en phase secondaire. Une anti- biothérapie par Ceftriaxone à 2 g/24 h est alors débuté en attendant les résultats des sérologies. Le patient est muté en unité de soins intensifs, pour pose d’une sonde d’entraîne- ment électrosystolique externe et surveillance.
Au bout de 24 h d’hospitalisation, l’ECG s’inscrit en BAV du 2edegré. L’échocardiographie ne montre pas d’at- teinte de type myocardite ou péricardite avec une fonction ventriculaire gauche normale. Quelques jours plus tard, les sérologies confirment une infection parBorrelia burgdorferi avec des taux d’IgM et IgG fortement positifs.
Progressivement, après passage en BAV de 1er degré, l’ECG se normalise avec disparition des troubles de conduc- tion à J4, confirmée par holter-ECG enregistré sur trois jours.
Le holter-ECG de contrôle, réalisé à trois semaines de l’épi- sode initial, est sans anomalie.
Discussion
La borréliose de Lyme est une zoonose transmise par la mor- sure d’une tique du genreIxodes, et due à plusieurs espèces de Borrelia :B. burgdorferi,B. gariniietB. afzeelii.
Actuellement, elle est la première maladie vectorielle dans les régions tempérées et froides de l’hémisphère Nord [1-4], avec 15000 cas annuels en moyenne aux États-Unis et plus de 50000 en Europe, où il semble exister un gradient positif d’Ouest en Est. En France, l’incidence présente des varia- tions considérables d’une région à l’autre et on estime entre 12000 et 15000 environ le nombre de nouveaux cas par an [5,6].
P. Richier · I. Pozzetto-Fernandez · V. Rieu · M. Crozet · M. Martinez (*)
Urgences-Smur-UHCD, centre hospitalier de Montbrison, hôpital de Beauregard, avenue des Monts du Soir, BP 219, F-42605 Montbrison cedex, France
e-mail : m.martinez@ch-montbrison.fr M. Pichon
Soins intensifs polyvalents, centre hospitalier de Montbrison, F- 42605 Montbrison cedex, France
F. Khettab
Explorations fonctionnelles cardiologiques, centre hospitalier de Montbrison, F-42605 Montbrison cedex, France
Ann. Fr. Med. Urgence (2013) 3:259-260 DOI 10.1007/s13341-013-0301-6
Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur archives-afmu.revuesonline.com
Les manifestations cliniques de la maladie sont divisées en trois stades. Au stade primaire, ou phase aiguë de l’infec- tion, au point de morsure de la tique se développe une macule annulaire érythémateuse appelée érythème migrant (EM). La phase secondaire, ou phase de dissémination sys- témique de la maladie, qui apparaît plusieurs semaines voire plusieurs mois plus tard, est marquée par des lésions multi- ples d’EM, des atteintes articulaires (mono ou oligo- arthrites), neurologiques (méningites et méningo- radiculites) et cardiaques (myocardite, troubles de conduc- tion et péricardite). Au stade secondaire, 4 à 10 % des patients américains [3,7] présentant une maladie de Lyme et 0,3 à 4 % des patients européens développent des anoma- lies cardiaques [4,8]. Le stade tertiaire, plusieurs années plus tard, est caractérisé par des arthrites chroniques destructives, des acrodermatites chroniques atrophiantes et des polyneu- ropathies axonales [1,2,4,9].
Les atteintes cardiaques les plus fréquentes de la maladie de Lyme sont représentées par les troubles aigus de la conduction auriculoventriculaire de degrés variables. La plu- part surviennent au dessus du faisceau de His, mais peuvent parfois atteindre l’ensemble du système de conduction car- diaque [1,10]. Elles surviennent environ trois semaines après l’EM [3,10]. Des cas de blocs de branche isolés, de dysfonc- tion sinusale, d’arythmie ventriculaire voire même de fibril- lation auriculaire ont également été rapportés. Des associa- tions avec des péricardites, myocardites ou cardiomyopathies dilatées sont aussi décrites. Les manifes- tations cardiaques sont parfois les seuls indices pour le diag- nostic de borréliose de Lyme [1,8,10]. Le mécanisme de l’at- teinte cardiaque est encore discuté : atteinte directe du myocarde ou plus vraisemblablement mécanisme auto- immun [11]. Devant la présence d’un bloc atrioventriculaire complet chez un sujet jeune, les diagnostics différentiels de la maladie de Lyme doivent être éliminés avant de débuter un traitement. La littérature n’évoque cependant que très rarement les étiologies des BAV dans cette population.
Parmi les causes les plus fréquentes on trouve les cardiopa- thies congénitales, myocardiopathies dilatées, coronaropa- thies, les maladies dégénératives (maladie de Lenègre, de Lev, myopathies mitochondriales), les maladies auto- immunes (lupus érythémateux disséminé, polyarthrite rhu- matoïde, spondylarthrite ankylosante…), les processus infil- tratifs (amylose, sarcoïdose, myélome multiple, tumeurs et lymphome non hodgkinien), les causes infectieuses (borré- liose de Lyme, myocardite, maladie de Chagas…), l’hyper- tonie vagale et les causes iatrogéniques ou toxiques [4,12].
Les patients symptomatiques d’atteintes cardiaques de la maladie de Lyme et ceux porteurs de troubles de la conduc- tion doivent être hospitalisés et monitorés. La pose tempo- raire d’un stimulateur cardiaque externe peut parfois être nécessaire [2-4,8]. Un traitement antibiotique par voie paren- térale est ensuite recommandé (ceftriaxone, cefotaxime,
pénicilline G) [2,7,8,10] avec relais par voie orale après réso- lution des troubles conductifs (doxycycline, amoxicilline, céfuroxime-axétil, azythromycine en cas d’allergie) pour une durée totale de 14 jours [2].
Les atteintes cardiaques correctement traitées ont un excellent pronostic, avec une guérison complète dans plus de 90 % des cas, et les troubles de conduction se résolvent généralement en 1 à 6 semaines [2,4,13,14].
En conclusion, il faut donc savoir évoquer le diagnostic de Borréliose de Lyme devant le BAV du sujet jeune d’autant plus quand il est associé à de la fièvre, un EM ou une notion de morsure de tique.
Conflit d’intérêt : les auteurs ne déclarent pas de conflit d’intérêt.
Références
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2. Stanek G, Wormser GP, Gray J, et al (2012) Lyme borreliosis.
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5. Chapuis JL, Ferquel E, Patey O, et al (2010) Borréliose de Lyme : situation générale et conséquences de l’introduction en Île-de-France d’un nouvel hôte, le tamia de Sibérie. BEH 6-8 http://www.invs.sante.fr/beh/2010/hs/beh_hs.pdf (dernière consultation le 29/12/2012)
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fr/ip/easysite/ pasteur /fr/presse /fiches-
sur-les-maladies-infectieuses / maladie-de-lyme (dernière consul- tation le 29/12/2012)
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13. Surech V, Richards R, Bitsiadou M, et al (2009) A rare cause of reversible complete heart block. BMJ Case Rep 2:62–3 14. Dolbec KWD, Higgins GL, Saucier JR (2011) Lyme carditis with
transient complete heart block. West J Emerg Med 11:211–2
260 Ann. Fr. Med. Urgence (2013) 3:259-260
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