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Itinéraire en histoire des sciences : des concepts et des objets pour des questions nouvelles

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ITINÉRAIRE EN HISTOIRE DES SCIENCES :

DES CONCEPTS ET DES OBJETS

POUR DES QUESTIONS NOUVELLES

MEMOIRE

pour l’habilitation à diriger des recherches

Muriel Guedj

Jury : Renaud D’Enfert (Université de Picardie), Peter Heering (Université de Flensburg), Hélène Gispert (Université Paris Sud), Joël Lebeaume (Université Paris Descartes), Patrick Le Quéré (Université Paris Sud), Sylvain Wagnon (Université de Montpellier)

Université Paris-Sud

12 décembre 2016

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SOMMAIRE

SOMMAIRE 3 INTRODUCTION 5 I. ENTREE PAR L’ENERGIE (2000-2016) 7 1. L’ENERGIE, UN CONCEPT SINGULIER 8 2. REGARDER A COTE – SORTIR DE LA PHYSIQUE 11 2.1 SORTIR DE LA PHYSIQUE POUR D’AUTRES DOMAINES SCIENTIFIQUES 11 2.2 SORTIR DES SCIENCES 12 2.3 PERSPECTIVES 13

3. D’AUTRES PROBLEMES D’EPISTEMOLOGIE ET D’HISTOIRE, A L’INTERFACE AVEC LES RECHERCHES SUR L’ENSEIGNEMENT DES SCIENCES : QUESTIONS THEORIQUES POSEES PAR (ET POUR) L’ENSEIGNEMENT DU

CONCEPT D’ENERGIE 14

4. ZOOM SUR SEMANTICHPST 19

5. FORMATION PAR LA RECHERCHE 25

II. ENTREE PAR L’HISTOIRE DE L’ENSEIGNEMENT DES SCIENCES (2005-2016) 26

1. LES MANUELS SCOLAIRES 26

2. LA PHYSIQUE, UNE DISCIPLINE AU SEIN D’AUTRES DISCIPLINES DANS DES CONTEXTES EN MOUVEMENT :

REDISCOL 28 2.1 LES ANNEES 1950 : MODERNITE ET DISCOURS ECONOMIQUE. 30 2.2 LES ANNEES 1960 : DISCOURS ECONOMIQUE VERSUS DISCOURS CULTUREL. 32 2.3 ANNEE 1970 : VERS LE RENFORCEMENT DES SCIENCES DANS LE PAYSAGE SCOLAIRE 34 2.4 BILAN 36 3. PERSPECTIVES 37 4. ENCADREMENT DOCTORAL ET FORMATION PAR LA RECHERCHE 38 III ENTREE PAR LES OBJETS ET LES COLLECTIONS. RESULTAT D’UN ITINERAIRE, PERSPECTIVES DE RECHERCHES 39

1. L’OBJET ET L’HISTOIRE DES SCIENCES : UNE RELATION ENCORE MAL IDENTIFIEE 40

1.1. COMMENT ET QUAND L’OBJET ENTRE-T-IL DANS L’EHST ? 40

1.2. QU’EST- CE QUE L’OBJET ? NECESSAIRES DEFINITIONS ET LIMITES 45

1.3. LA BIOGRAPHIE D’OBJETS : UNE (QUELLE) APPROCHE UTILE POUR L’HISTORIEN DES SCIENCES ? 49 2. LES COLLECTIONS DU PATRIMOINE UNIVERSITAIRE : QUELLES NOUVELLES DYNAMIQUES ? 53

2.1. DYNAMIQUE SCIENTIFIQUE ET STRUCTURATION INSTITUTIONNELLE 53

2.2. SPECIFICITES, IDENTITES A VALORISER EN EHST 55

3. UNE ETUDE DE CAS POUR UN CHANTIER EN PERSPECTIVE : TENTATIVE DE RETOUR SUR LA BIOGRAPHIE ET LA PROSOPOGRAPHIE D’OBJETS 58 IV. ENTREE PAR L’ACTION 63 1. RECHERCHE 63 1.1. LES INTERFACES : UN NOUVEL ESPACE POUR LA RECHERCHE. 63 1.2. ILLUSTRATION PAR UNE ETUDE DE CAS EN COURS 66

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4

2. FORMATION PAR LA RECHERCHE OU COMMENT PENSER L’ARTICULATION RECHERCHE-ENSEIGNEMENT

UNIVERSITAIRE 68

2.1. REFOREHST (RECHERCHE ET FORMATION EN ÉPISTEMOLOGIE, HISTOIRE DES SCIENCES ET DES

TECHNIQUES) 68 2.2. INNOVATION 70 3. DIFFUSION DE LA CULTURE SCIENTIFIQUE 72 QUELQUES ELEMENTS EN GUISE DE CONCLUSION D’ENSEMBLE POUR UN TRAVAIL EN COURS 77 BIBLIOGRAPHIE 79 ANNEXE – CURRICULUM VITAE DETAILLE 87

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5

INTRODUCTION

Temps fort dans la carrière d’un enseignant chercheur, l’habilitation à diriger des recherches est l’occasion d’un retour réflexif permettant de souligner la cohérence et également l’originalité d’un parcours ; c’est aussi l’occasion d’une mise en dynamique prospective pour des orientations nouvelles et des projets singuliers.

C’est mon itinéraire de chercheure en histoire des sciences que je présente, un itinéraire personnel, évidemment, mais j’en retiens surtout la dimension collective pour laquelle les rencontres, les échanges et les projets collectifs ont été essentiels ; ils ont nourri ma réflexion, mes choix, mon travail. La réflexion ainsi engagée a aussi fait apparaitre un lien que je ne soupçonnais pas entre la dynamique de la recherche et des questionnements issus de l’enseignement et de la formation ; c’est donc en tant que chercheure, mais aussi qu’enseignante, les deux positions se croisant parfois, que je me situe. Enfin, cet itinéraire est aussi marqué, depuis quelques années, par une dimension politique qui n’est pas sans lien avec la recherche que je conduis. La dimension administrative et politique du métier de chercheur, qui lui est souvent imposée, semble bien souvent l’éloigner des activités propres de la recherche. Mais en imposant un point de vue plus distancié, elle nourrit la réflexion et impose un regard prospectif et comparatif, qui soulève en retour des questions particulières que j’ai souhaité aborder dans ce travail : elles m’ont souvent ramenée, de manière inattendue, au cœur de mes problématiques de recherche

Ce mémoire est constitué de quatre parties, quatre entrées particulières dans l’épistémologie et l’histoire des sciences (EHST), chacune d’entre elles contribuant de manière spécifique à la discipline.

La première partie, qui propose une « Entrée par l’énergie », retrace mes travaux autour du concept depuis son émergence dans la physique du XIXe siècle jusqu’à sa diffusion vers

d’autres domaines disciplinaires, y compris la philosophie, pour lesquels le concept structurant et unificateur, trouve une légitimité inédite et qui permet d’interroger en retour le domaine propre de la physique.

La présentation de travaux dédiés à l’enseignement du concept, et la conception et l’implémentation d’une « ontologie » développée à partir du concept d’énergie, à destination de la communauté de chercheurs en EHST ainsi qu’aux enseignants, achève cette partie. La deuxième partie « Entrée par l’histoire de l’enseignement des sciences » examine comment, durant une période (1950-1980), les sciences physiques se transforment en terme de contenus, de méthodes et de finalités et contribuent à la démocratisation de l’enseignement. La négociation de la place de cette discipline face aux mathématiques, aux sciences naturelles et à l’enseignement de technologie nouvellement introduit, le jeu et les discours des acteurs impliqués dans cette négociation, constituent les axes de cette recherche.

Dans quelle mesure les objets sont-ils source de réflexions et d’investigations nouvelles dans le domaine de l’EHST? À l’articulation des travaux menés en histoire des sciences et de l’histoire de l’enseignement scientifique, la troisième section, « Entrée par les objets », s’empare des objets et des collections universitaires pour en faire des objets d’histoire qui intéressent l’EHST.

Cette approche prospective, inscrite dans un contexte qualifié de « tournant matériel » a pour objectif de saisir, de manière renouvelée, les pratiques scientifiques et leurs évolutions au sein des réseaux ou à percevoir, grâce à cette entrée matérielle, des usages spécifiques aux

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6 enseignements scientifiques. Nouveaux contenus, nouvelles méthodes, cette entrée nécessite de réinterroger nos pratiques, de poser à nouveaux frais d’anciennes questions, de faire l’essai de nouveaux concepts comme la prosopographie d’objets et d’engager un travail aux interfaces disciplinaires.

La quatrième entrée, intitulée « Entrée par l’action » se démarque sensiblement des trois autres. Sortant des problématiques de recherche du domaine de l’EHST, cette partie vise à ouvrir les perspectives en suggérant de nouveaux lieux d’expression de la légitimité universitaire et sociale de l’EHST. Il s’agit de contribuer d’une part à sa plus grande insertion dans la sphère universitaire à partir de projets existants, et d’autre part d’interroger le sens que peut avoir, pour sa défense et illustration, les nombreuses sollicitations qui lui sont adressées par les institutions culturelles, les collectivités, le grand public.

Cette partie, peu académique et encore en chantier, vise à ouvrir une discussion qui, même si elle renvoie à des questions, des actions et des propositions jugées marginales pour l’EHST en tant que champ de recherche, devraient intéresser l’ensemble de la communauté.

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7

I. ENTREE PAR L’ENERGIE (2000-2016)

Les projets de recherche conduits autour de l’énergie portent, dans un premier temps, sur l’émergence et la formalisation du principe de conservation dans des contextes spécifiques situés avant d’examiner la portée et les incidences provoquées par ce concept dans le domaine de la physique mais également d’en mesurer les impacts dans d’autres domaines disciplinaires. Comment le concept d’énergie, qui s’est développé pendant la seconde moitié du XIXe siècle, a-t-il pu influencer l’évolution des sciences, contribuer à l’apparition de

sciences nouvelles, marquer de son empreinte la philosophie, et plus généralement la pensée de l’époque ? La notion d’énergie pénètre tous les domaines de la connaissance, au point de devenir un « marqueur » permettant de caractériser et délimiter une période peu connue, voire oubliée, la période énergétique. Pourquoi et comment ce concept a-t-il diffusé et quelles en sont les conséquences ?

J’ai dans un premier temps abordé ces questions, avec une recherche individuelle consacrée à l’émergence du concept dans le domaine de la physique1, avant de poursuivre dans le cadre de

projets collectifs. Ainsi j’ai été co-organisatrice d’un séminaire conduit au sein de l’équipe REHSEIS2 qui a donné lieu, entre 2004 et 2006, à 16 séances et 35 interventions. L’ouvrage Énergie : science et philosophie au tournant des XIXe et XXe siècle (2010) est le fruit du

séminaire. Ce projet collectif a permis de sortir du champ de la physique, de nourrir les travaux conduits dans d’autres domaines disciplinaires (scientifiques ou non) et de brosser un panorama de la période en proposant une perspective originale à ce moment-clef de l’histoire des sciences.

Une seconde orientation de ce travail sur l’énergie concerne l’enseignement et se situe en interface avec la didactique. De nombreuses questions sont soulevées par l’enseignement du concept, que celles-ci concernent les élèves ou bien les enseignants. Comment l’épistémologie, l’histoire des sciences et des techniques peuvent-elles contribuer à clarifier un enseignement jugé particulièrement complexe et abstrait alors qu’il est désormais abordé dès le collège, qu’il structure les programmes de physique de première et de terminale, qu’il concerne une majorité de domaines de la physique et de la chimie et qu’il est à l’origine de nombreuses questions sociétales désormais abordées dans ces programmes3 ?

Ce projet concernant l’enseignement de l’énergie a pu se développer à Montpellier avec le soutien de la Maison des Sciences de l’Homme (MSH-M) et du Programme Interdisciplinaire Énergie du CNRS, impliquant l’équipe ERES du Lirdef4. Aujourd’hui les didacticiens de la

physique de l’équipe poursuivent les recherches avec des enseignants dans le cadre de tests concernant les ingénieries de formation.

Enfin, et cet aspect constitue une troisième orientation, le réseau de recherche SemanticHPST constitué en 2013 poursuit le programme Énergie avec une visée de valorisation de l’ensemble des travaux conduits. La diversité des résultats impliquant une grande variété

1 Muriel Guedj, « Du concept de travail vers celui d’énergie : L’apport de Thomson », Revue d’histoire des

sciences 59, no 1 (2006): 29, doi:10.3917/rhs.591.0029; Muriel Guedj, « William Thomson et l’émergence

du principe de conservation de l’énergie. », in Energie, sciences et philosophie au tournant des XIXe-XXe

siècles, éd. par Danièle Ghesquier-Pourcin et al. (Paris: Hermann, 2010), 103-125.

2 Avec Danièle Ghesquier-Pourcin, Gabriel Gohau, Michel Paty et Muriel Guedj.

3 Voir par exemple

http://eduscol.education.fr/cid46522/programmes-du-cycle-terminal-de-la-voie-generale.html pour les classes de première et de terminale.

Voir également http://eduscol.education.fr/cid100248/ressources-physique-chimie-cycle-4.html pour les classes du cycle 4 (quatrième et troisième).

4 ERES : Etudes et recherches sur l’enseignement des sciences. Lirdef : Laboratoire interdisciplinaire de

(8)

8

d’acteurs et de domaines disciplinaires, m’a amenée à réfléchir à l’important enjeu de la valorisation des recherches. Comment d’une part mettre à la disposition de la communauté des chercheurs en EHST le panorama établi sur l’énergie qui, loin d’être exhaustif, contribue à faire connaitre et comprendre la période ; comment d’autre part mutualiser les questions et propositions concernant l’enseignement de l’énergie ? Outre l’intérêt pour les analyses effectuées, il a semblé pertinent de mettre à disposition les archives, articles, correspondances, références… tous les documents recensés pour la recherche. La question d’une méthode pour présenter ces documents de manière structurée a conduit vers la constitution d’une ontologie5,

en vue de concevoir une ressource numérique qui en plus d’assurer l’accès aux documents, offre la possibilité d’entrer dans le corpus via des requêtes précises. Concevoir l’instrument numérique s’est révélé plus qu’un simple prolongement applicatif de la recherche historique et épistémologique, mais a sollicité un travail d’élaboration épistémologique nouveau, susceptible de solliciter en retour le domaine théorique source et/ou de l’éclairer de manière originale. C’est cet effet retour, à l’interface avec les domaines applicatifs, qui me semble mériter plus ample réflexion, y compris comme objet de recherche potentiel à développer. Car la modélisation du domaine qui structure l’ontologie a impliqué un nouveau travail de recherche sur les données, en obligeant à mettre à jour les paramètres pertinents pour décrire le domaine (les acteurs individuels ou collectifs, les lieux, les savoirs et le temps), indexer les textes, mettre en évidence des propriétés communes partagées entre les objets étudiés et les hiérarchiser. En quelque sorte, la contrainte applicative a imposé une réélaboration des formes de présentation des connaissances dans le domaine, qui s’est révélée ne pas se réduire à une simple redistribution dans une table des matières, mais a imposé une évolution de la modélisation elle-même.

Les questions épistémologiques ainsi mises à jour grâce au projet de conception d’une ontologie numérique sont nombreuses, elles seront développées plus loin.

Cette partie a pour objectif de présenter les travaux menés et les résultats obtenus pour chacune des trois orientations présentées ci-dessus.

1.

L

ENERGIE

,

UN CONCEPT SINGULIER

Au départ la notion de conservation, c’est à dire l’idée laquelle selon il existe dans la nature quelque chose qui se conserve au cours des processus naturels, est une intuition partagée par les « mécaniciens » et les philosophes, exprimant de manière vague, que quelque chose « se maintient » à travers les opérations de manipulation et de transformation de la matière, du mouvement ou encore celles de l’énergie. Si cette première approche intuitive est bien à l’origine du concept d’énergie et des deux lois fondamentales de la thermodynamique, cette intuition a dû se traduire par une pensée plus rigoureuse et se développer suivant les impératifs de la rationalité. C’est seulement par ce travail de la pensée scientifique en construction qu’est formulée l’énergie, non plus idée vague, mais concept scientifique que l’on peut retrouver dans tous les phénomènes, notamment dans ceux de transformation.

Sans détailler ici cette émergence, il convient de situer cette dernière au croisement de deux séries d’investigations. La première, la plus ancienne, concerne le mouvement qui est traité dans le cadre de la mécanique, alors que la seconde s’efforce d’approcher une entité, la chaleur, dont la nature est ignorée bien que ses effets soient manifestes. De fait, mouvement et chaleur vont se révéler liés ; ils se transforment l’un en l’autre. C’est à partir du

5 Une ontologie dans le sens informatique du terme est un ensemble hiérarchisé de termes et de concepts

(9)

9

questionnement concernant ce lien, stimulé par l’étude du fonctionnement des machines thermiques, qu’aboutit, dans la première moitié du XIXe siècle, une « science de la chaleur »

susceptible d’être traitée de manière exacte et mathématique comme celle du mouvement. Le premier modèle fondé sur un parallèle effectué entre mouvement des corps et flux de chaleur, qui s’appuie sur la notion de fluide calorique6, semble arbitraire et s’avère finalement

peu adapté – bien que son pouvoir explicatif et prédictif soit loin d’être négligeable, comme en témoignent les travaux de Sadi Carnot7.

Il y a bien conservation de quelque chose, mais l’équivalence entre le mouvement et la chaleur demande un autre concept : l’énergie jouera ce rôle en associant deux domaines que sont la dynamique et les sciences de la chaleur pour en constituer un nouveau, la thermodynamique.

C’est autour de deux principes fondamentaux pleinement formulés au milieu du XIXe siècle

que la science nouvelle se structurera. Le premier, commun à la mécanique et la thermodynamique, sera l’expression de la conservation de l’énergie. Le second, propre à la thermodynamique, exprimera la propriété fondamentale d’une machine thermique selon laquelle pour produire un travail à partir de la chaleur, qu’il s’agisse d’un mouvement ou d’autres effets physiques, il est nécessaire de disposer de deux sources de chaleur à des températures différentes. Ce second principe, passé inaperçu, est établi par Carnot en 1822, puis repris, via les travaux d’Émile Clapeyron, par William Thomson. La formulation précise et quantitative des concepts physiques propres à la thermodynamique accompagne la mise au jour de ses principes ; les concepts de température, énergie, travail, chaleur sont affinés, celui d’entropie est introduit par Clausius8. La relation entre chaleur et mouvement est élucidée,

ainsi que celles permettant de lier des phénomènes physiques de nature différente (mécanique, électromagnétique, chimique...), tous objets de transformations mutuelles.

Dès lors deux étapes essentielles ponctuent les développements qui engagent à préciser le concept d’énergie et formuler le principe de conservation. La première étape conduit du concept de force à celui de travail alors que la seconde permet de passer du concept de travail à celui d’énergie.

Le glissement du concept de force vers celui de travail est une première étape majeure :

« Entre Isaac Newton et Albert Einstein, aucune évolution de la pensée n’est plus significative que le remplacement du concept de force par celui de travail »9. Ce basculement d’un concept

à l’autre, résulte en particulier de l’essor et de la professionnalisation des ingénieurs théoriciens, qui trouvent avec le travail une notion concrète rendant compte du mouvement et aussi de ce que produit réellement une machine. En bref, la disponibilité, grâce aux machines, des processus de conversion, la quantification de ces processus, la substitution du travail à la force sont autant de facteurs qui participent à la première étape de cette émergence.

6 Sadi Carnot, Réflexions sur la puissance motrice du feu, éd. par Robert Fox, Librairie philosophique

(Paris:Vrin, 1978).

7 Muriel Guedj, « L’équivalent mécanique de la chaleur chez Sadi Carnot entre Réflexions, doutes, notes et

énergie. », in Energie, sciences et philosophie au tournant XIXe-XXe siècles, éd. par Danièle Ghesquier-Pourcin, Gabriel Gohau, et Michel Paty, vol. 1, 2 vol. (Paris: Hermann, 2010).

8 Voir cette introduction par Clausius qui parvient à une expression mathématique de l’entropie.

R Clausius, Théorie mécanique de la chaleur, trad. par François Folie (Sceaux: J. Gabay, 1991).

9 Crosbie Smith, The science of energy: a cultural history of energy physics in Victorian Britain (Chicago:

(10)

10

Il faut ajouter, pour une vision d’ensemble plus précise de cette émergence, le rôle majeur joué par Thomson10 dans l’étape conduisant du travail à l’énergie. Les recherches qu’il engage

permettent de rendre cohérente l’idée d’une conservation dans un contexte qui doit considérer les pertes et le gaspillage (en terme de chaleur et de travail) et tenir compte de l’irréversibilité des processus. De plus le nécessaire ancrage microscopique, résultant en particulier d’un questionnement sur la nature de la chaleur, ainsi que la formalisation analytique des concepts caractérisent l’approche du physicien et contribuent à l’élaboration du principe de conservation de l’énergie.

Surmontant les obstacles liés aux pertes observées dans tous les dispositifs réels et ceux résultant de l’irréversibilité des processus, Thomson introduit l’énergie comme un concept unificateur dont les propriétés et les fonctions s’accordent avec l’entropie ; c’est en prenant en compte le second principe qu’il parvient à une formulation du premier. Conversion, conservation et dissipation se justifient désormais dans le cadre général du principe de conservation de l’énergie.

Reste que les équations de la mécanique qui supposent des phénomènes réversibles ne permettent pas de prendre en compte les phénomènes physiques orientés dans le temps de manière absolue et irréversible. Une nouvelle question se pose alors : quelle est la place de la thermodynamique par rapport à la mécanique alors que le second principe semble irréductible à cette dernière ?

Cette situation inédite et pour le moins déstabilisante est qualifiée de situation de crise11. Elle

correspond à l’idée selon laquelle l’unité de la physique semble perdue, la mécanique analytique de Lagrange ne permettant plus de servir de référence à l’édifice de la physique tout entière. De fait, si la mise en évidence d’un équivalent mécanique de la chaleur telle que constatée expérimentalement par Joule dans les années 1840 semble conforter le succès du mécanisme, l’irréversibilité des processus naturels s’y oppose de manière catégorique.

Plus encore, Ernst Mach12 dans sa présentation historique et critique de la mécanique indique

qu’il n’existe pas de phénomènes purement mécaniques et que d’autres facteurs, tels les variations thermiques, électriques, chimiques, magnétiques, doivent être pris en compte. Pour cet auteur, les phénomènes purement mécaniques sont des abstractions13 qui simplifient le

problème examiné et pour lesquelles l’étude de la nature se fait via le prisme des hypothèses mécaniques. Si ces hypothèses qui dominent alors la physique, se sont imposées dans de nombreuses branches, la mécanique apparaissant comme une (voire la seule) théorie physique complète, Mach rappelle le caractère hypothétique de cette approche.

L’irréversibilité des phénomènes de transformation de la chaleur en travail et l’impossibilité de réduire le second principe à la mécanique opposent les auteurs. D’une part se trouvent ceux qui s’attachent à rechercher des hypothèses explicatives et tenter de ramener le second

10 Muriel Guedj, « Du concept de travail vers celui d’énergie »; Guedj, « William Thomson et l’émergence

du principe de conservation de l’énergie. », op. cit.

11 Henri Poincaré, La valeur de la science (Paris: Flammarion, 1905).

« Quel est l'état actuel de la Physique Mathématique ? Quels sont les problèmes qu'elle est amenée à se poser ? Quel est son avenir ? [...] N'attendez donc de moi aucune prophétie. Mais si, comme tous les médecins prudents je répugne à donner un pronostic, je ne puis pourtant me dispenser d'un petit diagnostic ; eh bien, oui, il y a les indices d'une crise sérieuse [...]. »

12 Ernst Mach, La mécanique: exposé historique et critique de son développement (Paris: J. Gabay, 1987). 13 Muriel Guedj, « Ernst Mach sur les mesures des grandeurs de la mécanique et la théorie des

dimensions. », in Le sens des nombres, éd. par Alain Bernard, Grégory Chambon, et Caroline Ehrhard (Paris: Vuibert, 2010), 65-77.

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11

principe à la mécanique – l’interprétation statistique du principe de Carnot par Boltzmann en étant l’illustration la plus significative –, et d’autre part ceux qui, comme Mach, rejettent « toute cause cachée des phénomènes ». Face à ces questions, Duhem14 propose de rebâtir la

physique tout entière (y compris la mécanique) sur la base de la thermodynamique alors que Wilhelm Ostwald dans la lignée de Mach développe une doctrine « énergétique » ou « énergétisme », pour laquelle il convient de substituer à l’idée métaphysique de matière celle d’énergie en étendant le concept des sciences physico-chimiques aux sciences biologiques et sociologiques. Le débat mécanisme/énergétisme est ouvert15, il se conclura par une défaite

apparente de l’énergétisme, notamment quand la mécanique statistique sera à même de fournir une explication du second principe dans le cadre d’une conception moléculaire ou atomiste de la matière avec les travaux de Boltzmann et ceux de Willard Gibbs16.

Un autre débat se juxtapose à celui-là : le débat mécanisme/électromagnétisme animé par les tenants d’une vision électromagnétique du monde. Cette conception, confortée par le développement de la physique, s’étend et se diversifie, notamment avec l’optique, l’électricité et le magnétisme unifiés dans l’électromagnétisme par la théorie de James Clerk Maxwell. Si ce débat n’est pas au cœur des discussions engagées avec l’énergie, il est révélateur du besoin, dans le contexte de la période, de penser la physique en se libérant du schéma mécaniste.

À la fin du siècle, l’énergie, concept unificateur explicatif et prédictif, a totalement bouleversé le domaine de la mécanique depuis longtemps hégémonique. Plus encore, la portée du concept est telle qu’il va diffuser vers d’autres domaines en se frayant une voie dans les sciences de la vie ou la chimie, tout en interagissant fortement avec la philosophie.

2.

R

EGARDER A COTE

S

ORTIR DE LA PHYSIQUE

Il s’agit de comprendre comment et pourquoi le concept diffuse vers d’autres domaines disciplinaires et les modifie. Quête de légitimité disciplinaire, opérationnalité du concept, intérêt pour l’invariant ou questionnement concernant l’irréversibilité ; les motivations sont multiples.

2.1 SORTIR DE LA PHYSIQUE POUR D’AUTRES DOMAINES SCIENTIFIQUES

À la fin du XIXe siècle, l’énergie offre aux sciences de la vie un cadre théorique adapté aux

critères philosophiques de la période. Ainsi, mieux que le mécanisme qui fait appel à l’atome et ses hypothèses associées ou le néovitalisme non réductible à un phénomène physico-chimique, l’énergie contribue à expliquer le fait vital sans avoir à convoquer d’hypothèse a

priori17. Si les phénomènes de la vie trouvent avec les transformations de l’énergie et

l’existence d’une énergie spécifique – l’énergie vitale – un système explicatif cohérent, il n’en

14 Pierre Duhem, Le mixte et la combinaison chimique (1902), rééd., (Fayard, 1985).

15 Paul Brouzenc, « Le débat mécanisme /énergétisme vu à travers l’œuvre de Pierre Duhem » Danièle

Ghesquier-Pourcin et al., éd., Energie, science et philosophie au tournant des XIXe et XXe siècles (Paris: Hermann, 2010).

16 Michel Paty, « Les conceptions sur la physique au tournant des XIXe et XXe siècles », in Energie, sciences

et philosophie au tournant des XIXe-XXe siècles, éd. par Danièle Ghesquier-Pourcin et al., vol. 1, 2 vol. (Paris:

Hermann, 2010).

17 Danièle Ghesquier-Pourcin, « L’énergie et le vivant : les colloïdes du protoplasme, acteurs de la vie et de

son évolution », in Energie, science et philosophie au tournant des XIXe et XXe siècles, éd. par Danièle Ghesquier -Pourcin et al., vol. 1, 2 vol. (Paris: Hermann, 2010).

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12 demeure pas moins que la transposition du principe de conservation doit s’accompagner de quelques ajustements. Cela étant, il est intéressant de constater que l’énergie joue pour ce domaine disciplinaire le rôle d’un véritable outil d’investigation permettant d’expliquer et prévoir. Dans la même dynamique, l’énergie assure à la chimie une cohérence plus grande en mobilisant l’énergie potentielle, d’une part pour assurer la cohérence entre atomes au sein des molécules, et d’autre part pour justifier les échanges qui interviennent lors des réactions chimiques. Les lois de la thermodynamique chimique formulées par Duhem sont significatives de cette extension théorique18.

2.2 SORTIR DES SCIENCES

Puis, les débats débordèrent les frontières du milieu scientifique, l’importance de l’opposition énergétisme/mécanisme étant exacerbée par la remise en cause du rôle de la matière par certains chercheurs, tel Ostwald19 qui considère, on l’a vu, l’énergie comme le concept

fondamental des sciences physico-chimiques, mais également biologiques et sociologiques. Pour Ostwald : « L’énergie incarne le réel ». Il développe, aux côtés du zoologue Ernst Haeckel, un monisme que l’on pourrait qualifier d’« énergétique », dépassant largement les seules considérations scientifiques. Ce monisme revendique l’empirisme comme référence et rejette l’idée qu’une partie de nos connaissances puissent être acquises a priori par simple déduction. Il affirme par ailleurs que le monde est une grande unité, « un grand tout » ; l’intérêt pour l’énergie intervenant ici. Haeckel rédige en 1908 un manifeste qui comprend trente thèses. Dans la 8e thèse formulée, il conclut que la nature organique et celle inorganique

ne sont pas deux règnes hétérogènes, que les lois de la physique et de la chimie s’appliquent partout, de sorte que la vie n’est rien d’autre qu’un phénomène physico-chimique. Dans la 17e

thèse, il décrète que l’âme humaine n’est pas une substance spirituelle qui existerait indépendamment de la matière et la commanderait, mais une somme de fonctions cérébrales dont l’activité cesse avec la mort physiologique. Haeckel s’estime également en droit de soutenir que la volonté humaine est aussi une fonction simplement cérébrale régie par des lois mécaniques.

Ce sont là quelques éléments des thèses monistes qui s’affirment autour de 1900, thèses assez proches du matérialisme tel qu’il hante le débat philosophique depuis le milieu du XIXe siècle.

Ainsi, le XIXe siècle est le siècle des sciences de la nature. Le progrès est encensé comme ses

retombées techniques dans la société ; la science a pénétré tous les domaines, elle domine partout et ses succès semblent d’autant plus éclatants au vu des résultats dérisoires de la philosophie. Celle-ci traverse, elle aussi, une situation de crise, après l’effondrement de l’idéalisme allemand, la mort de Georg Wilhelm Friedrich Hegel. Dans ce contexte émerge une philosophie matérialiste20 qualifiée de « vision du monde de la science de la nature », que

les scientifiques amateurs de philosophie ont fabriqué sur les fondements des sciences de la nature, bénéficiant à la fois de l’immense crédit des sciences et du discrédit de la philosophie.

C’est dans ce contexte que le concept d’énergie/entropie cristallise les tensions avec pour conséquence, cela a déjà été souligné, une remise en cause des fondements. Ainsi, c’est une période de doute, de remise en question qui caractérise le tournant du siècle. La science n’a

18 Pierre-Michel Vauthelin, « La mécanique chimique de Pierre Duhem : application ou transformation de

la thermodynamique », in Energie, science et philosophie au tournant des XIXe et XXe siècles, éd. par Danièle Ghesquier-Pourcin et al., vol. 1, 2 vol. (Paris: Hermann, 2010).

19 Danièle Ghesquier-Pourcin, « Ostwald et le monisme », in Energie, sciences et philosophie au tournant

XIXe-XXe siècles, éd. par Danièle Ghesquier-Pourcin et al., vol. 2, 2 vol. (Paris: Hermann, 2010).

20 Daniel Becquement, « Matérialisme “vulgaire” et dialectique », in Energie, sciences et philosophie au

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13 pas rempli son rôle ; non seulement elle n’a pas donné de réponses aux grandes questions existentielles – ce qu’elle était supposé faire, en répondant définitivement aux grandes questions théoriques et en tant qu’« agent » permettant la réorganisation de la société – mais elle est aussi à l’origine de plus de misère et de souffrance, dues à l’industrialisation. Le retentissant pamphlet de Ferdinand Brunetière évoque une « banqueroute » 21 de la science ou

plutôt de ses usurpateurs, les matérialistes. Ce qui au fond, traduit une lassitude à l’égard d’un scientisme prétentieux qui a voulu tout expliquer et résoudre. Il ne s’agit pas de rejeter le travail scientifique mais d’en limiter la portée, de réduire son domaine de validité.

Cependant, écrit Michel Paty22, « la crise est également une crise de croissance ». Cette

succession de crises et de débats théoriques et philosophiques, parfois mêlés, n’empêche pas, voire a été favorable à la constitution de nouvelles disciplines scientifiques. C’est le cas de la chimie-physique, la physique atomique et celle des quanta, et la théorie de la relativité. La chimie-physique en particulier, qui permet l’étude des changements d’état, a, on l’a vu, un rôle privilégié dans les débats de la période énergétique en étant prise pour modèle d’une « énergétique » organisée en deux branches distinctes, celle des phénomènes réversibles et celle des phénomènes irréversibles.

Pour les autres domaines, s’ils participent à augmenter le champ de la physique, il s’agira de comprendre l’impact de l’énergie et de son principe de conservation dans ce mouvement d’ampleur.

Au tournant du siècle, le concept d’énergie a modifié le paysage de la physique traditionnelle et s’est invité dans les débats philosophiques ; il est un moteur pour de nouvelles pensées ouvrant ainsi des perspectives.

2.3 PERSPECTIVES

Si des disciplines connexes à la physique (la chimie, la biologie, etc.) s’approprient « naturellement » le concept, il est intéressant d’interroger les motifs à l’origine d’une telle appropriation lorsque les domaines concernés semblent plus éloignés des sciences dites exactes tant par leur objet d’étude que par leur méthode. Comment et à quelles fins l’énergie est-elle mobilisée dans des domaines tels la psychologie, la sociologie, l’économie, les arts et les lettres et quelles sont en contrepartie les incidences de ces circulations conceptuelles sur l’évolution du concept ? Se pose alors la question de ce qui est réellement mobilisé : le concept scientifique, ses propriétés et fonctions (principe de conservation de l’énergie, distinction des formes d’énergie, expression mathématique, etc.) ou bien une forme métaphorique du concept, et dans ce cas pourquoi avoir attendu l’émergence du principe de conservation ? Dans le cadre de cette appropriation, il est intéressant d’examiner les propriétés et les fonctions (unification, prédiction, fonction heuristique) assignées à l’énergie ainsi que la place occupée par le concept dans l’édifice théorique du domaine concerné (place structurante ou ponctuelle, rôle unificateur, simplificateur, moteur de nouveaux développements). L’examen des usages et des discours tenus sur et autour de l’énergie, est un des premiers aspects à examiner. Usages théoriques et/ou expérimentaux, discours scientifiques, politiques, de médias, devraient renseigner sur les enjeux attachés à la mobilisation du concept.

21 Gabriel Gohau, « Introduction », in Energie, sciences et philosophie au tournant XIXe-XXe siècles, éd. par

Danièle Ghesquier-Pourcin et al., vol. 1, 2 vol. (Paris: Hermann, 2010).

(14)

14 Si l’établissement d’un panorama s’est avéré fécond pour explorer le tournant des XIXe-XXe

siècles, une étude complémentaire permettant de saisir la « sortie » de crise, compte tenu des nouveaux contextes scientifiques dessinés par les révolutions relativistes et quantiques, constituerait une étape importante. Ainsi, la continuation d’un panorama durant le XXe siècle apparaît essentiel pour s’enquérir de ces questions et des questions actuelles qui

interrogent la place de l’énergie, ou plutôt celle des énergies, dans les sociétés contemporaines. Que sont ces énergies ? Donnent-elles lieu à une multiplicité de définitions pointant le caractère polysémique de l’énergie entrainant ainsi la perte de l’unicité portée par le concept? La définition de l’énergie est-elle devenue opératoire ou bien affirme-t-elle toujours les principaux attributs qui caractérisaient le concept lors de son émergence en tant que principe universel (transformation, conservation et dégradation) ? En bref, quels traits du concept construit au sein de la physique sont conservés, ou bien assiste-t-on à l’utilisation du mot « énergie » pour désigner tout autre chose ?

Comment écrire une histoire du concept d’énergie tout au long du XXe siècle, afin de saisir la

situation actuelle et anticiper les enjeux de demain? Il y a fort à parier que la traversée des révolutions relativiste et quantique ne laisse pas indemne le concept d’énergie dont l’adaptation témoigne des modifications opérées dans la physique du XXe siècle, avec en

particulier la prise en compte accrue de la dimension temporelle et celle d’un lien constitutif avec les mathématiques. Mais la compréhension de la situation actuelle ne se limite pas à cette seule approche dans les sciences physiques et une fois encore c’est en croisant des domaines disciplinaires multiples, et qu’il conviendra d’identifier, que cette histoire devra s’écrire. En quoi le fait de travailler aujourd’hui sur les énergies « du futur », renvoie-t-il à cette histoire singulière ? Autrement dit, dans quelles mesures ces énergies (hydrogène, nucléaire…) se constituent-elles dans des contextes économiques, politiques et environnementaux qui s’appuient sur cette histoire ? Et dans ce cas quels sont les savoirs (leur nature, les concepts, les preuves) et les techniques (instruments, dispositifs pratiques, etc.) mobilisés ? Comment se sont-ils élaborés, développés puis imposés ? Peut-on parler aujourd’hui d’unité du concept d’énergie et si tel n’est pas le cas, peut-on identifier une typologie des discours tenus sur les énergies ? C’est ici la question de l’innovation qui est posée et avec elle, celle de l’épistémologie qu’il convient de lui associer ; mais comment penser une épistémologie des sciences de l’innovation ?

Un tel champ de recherche s’élargit encore, si on y intègre le fait que le concept ne circule pas seulement dans les débats scientifiques entre spécialistes, mais qu’il est désormais l’enjeu de ce qu’on appelle des « questions socialement vives », à l’étude desquelles sont appelées à contribution l’histoire et l’épistémologie, interpelées par la sociologie, l’anthropologie (notion de « culture scientifique »), les sciences de l’information et de la communication (« médiation scientifique », usages médiatiques…), voire les sciences politiques. Nous évoquerons cet élargissement dans la section suivante.

3.

D’

AUTRES PROBLEMES D

EPISTEMOLOGIE ET D

HISTOIRE

,

A L

INTERFACE AVEC LES

RECHERCHES SUR L

ENSEIGNEMENT DES SCIENCES

:

QUESTIONS THEORIQUES POSEES

PAR

(

ET POUR

)

L

ENSEIGNEMENT DU CONCEPT D

ENERGIE

Qu’ils abordent des aspects politiques, économiques ou environnementaux, les débats concernant l’énergie qui agitent de plus en plus les sociétés23 ont des répercussions dans le

monde de l’éducation qui s’en fait l’écho depuis une trentaine d’années. Le caractère unificateur, opératoire et transdisciplinaire du concept ainsi que les questions socialement

(15)

15 vives qu’il soulève – environnement, problème de ressources , etc. –, imposent l’énergie comme un thème fédérateur.

Dans cette dynamique il a semblé pertinent d’interroger la place de l’énergie dans les enseignements et conduire une recherche en deux volets : outre ébaucher un état des lieux, elle permettra de définir de nouvelles perspectives pour l’enseignement.

En France, l’énergie est un concept omniprésent dans les programmes24, instructions

officielles, socle commun de compétences et de connaissances, cité dans les approches transversales croisant des disciplines telles les sciences physiques et la biologie. Cette omniprésence concerne l’enseignement primaire et l’enseignement secondaire ; en classe de première le concept structure le programme de sciences physiques. Plus encore, le programme du cycle terminal (classe de première et de terminale), renforce cette orientation en accordant au concept d’énergie une place centrale dans l’éducation scientifique globale : il est présenté comme le concept permettant d’illustrer la manière dont sont articulées les grandes phases de la démarche scientifique (observer, comprendre, agir) et il exemplifie les notions de lois et de modèles.

Concept très présent dans les programmes, complexe mais structurant, l’énergie constitue un exemple idéal qui suscite beaucoup d’intérêt dans la communauté didactique. La recherche se structure en deux étapes. La première s’intéresse à la manière dont le concept d’énergie traverse les programmes du primaire au secondaire (en prenant le cas de la France), et cherche à identifier les obstacles que rencontre son apprentissage. Depuis les années 1980, un foisonnement d’études conduit au même constat ; cet enseignement rencontre des difficultés, dont les principales ont été identifiées. Mais l’étape suivante ne cesse de faire débat : quelles stratégies suivre pour enseigner plus efficacement ce concept ?

Nous souhaitons aborder dans cette section notre contribution, du point de vue de l’histoire et de l’épistémologie, à la réflexion portant sur la formation des enseignants, prenant en compte l’ambition des programmes et les difficultés pointées dans les études didactiques. Les enseignants, en effet, témoignent qu’ils ne peuvent enseigner un concept dont les définitions, les propriétés et les fonctions semblent peu explicitées, au sein même des disciplines savantes de référence. Le travail de clarification qui s’impose relève pour partie de la responsabilité de l’épistémologie et de l’histoire des sciences et des techniques (EHST). L’EHST, en offrant un point de vue critique du concept, peut contribuer à rendre accessible les traits essentiels du concept d’énergie. Dès lors, l’accent doit être mis sur l’appropriation d’un bagage historique et épistémologique nécessaire aux enseignants pour maîtriser le concept d’énergie dans ses propriétés et sa dimension opératoire et comprendre pour les contourner les obstacles à son assimilation.

Problèmes liés à la programmation des contenus

L’analyse détaillée des programmes25 montre une introduction progressive tout au long des

premier et second degrés. Il s’agit dans les premiers niveaux d’enseignement de favoriser l’étude des aspects qualitatifs (sources renouvelable ou non, économie, consommation

24 L’ensemble des documents se trouve sur le site du Ministère de l’enseignement national,

l’enseignement supérieur et la recherche.

http://eduscol.education.fr/pid23199/ecole-elementaire-et-college.html

http://eduscol.education.fr/pid26017/programmes-du-lycee.html

25 Manuel Bächtold, et al., « Quelle progression dans l’enseignement de l’énergie au lycée ? Une analyse

(16)

16 d’énergie) privilégiant ainsi la connaissance du statut et des propriétés du concept dans ses usages les plus familiers et les plus fréquents. Cette même ambition est portée par le collège qui, de plus, initie à une approche scientifique du concept en proposant une première définition, mise à l’épreuve dans des observations et quelques manipulations. Ainsi, « l’énergie apparaît comme la capacité que possède un système de produire un effet », elle se transforme et se conserve. Il est intéressant à ce stade de voir quel lien peut être fait entre ce premier état de conceptualisation et les activités didactiques telles qu’elles sont proposées à ce niveau d’enseignement : quelle « théorie de l’énergie » est ainsi mobilisée, le plus souvent implicitement, dans les formes mêmes de son enseignement, et dans quelle mesure cette initiation est compatible avec la suite qui sera donnée à la construction scolaire du concept. Au lycée, plus particulièrement dans le cycle terminal, l’énergie intervient comme un dénominateur commun à l’ensemble des interactions fondamentales et le principe de conservation comme un outil explicatif et prédictif permettant de rendre compte de l’évolution des systèmes (classe de première). Par ailleurs, l’étude des transferts d’énergie à différentes échelles permet d’introduire les notions de base de la thermodynamique (énergie interne, transfert thermique, travail, capacité thermique), d’évoquer l’irréversibilité des phénomènes et les causes de dissipation associées à ces transferts (classe de terminale). Cette présentation d’ensemble souligne l’universalité des lois de la physique pour lesquelles l’énergie apparaît comme étant un principe unificateur. C’est au stade du lycée qu’est élargie la palette des formes d’activité qui mettent en jeu le concept, et l’approche d’un premier état des formalisations mathématiques, qui caractérise véritablement le passage d’une initiation à des notions de physique à un véritable enseignement du concept et de ses usages savants, via l’expérimentation, la modélisation et la formalisation. Il est intéressant d’observer à ce stade comment les obstacles didactiques qu’on peut observer font écho aux difficultés même de l’histoire épistémologique du concept.

En croisant approche scientifique et implication dans les sociétés, l’énergie entre ainsi progressivement dans les programmes. D’une approche qualitative, permettant un premier contact avec les phénomènes vers une approche scientifique complète et rigoureuse, le concept présente ainsi toute sa diversité de formes.

Problèmes liés à la mise en œuvre du programme d’enseignement du concept

Les difficultés liées à l’enseignement de l’énergie ont été largement commentées et l’étude que nous avons conduite26 montre qu’il est possible de les regrouper selon les grandes

catégories suivantes : difficultés liées au langage (langage courant mais également langage scientifique) ; difficultés liées aux relations qu’il entretient, dans le sens commun, avec des concepts qui lui sont proches (travail, chaleur, etc.) ; difficultés liées au formalisme mathématique attaché au principe de conservation de l’énergie. Les conceptions des élèves témoignent de ces difficultés27. Ainsi, la substantialisation, la matérialisation de l’énergie ainsi

que des confusions fréquentes entre énergie interne, chaleur et température, entre forme et transfert d’énergie, entre consommation et conservation d’énergie, relèvent de conceptions qui persistent après enseignement.

26 Manuel Bächtold, et Muriel Guedj, « Teaching energy based on the history and the epistemology of the

concept. », in International handbook of research in history, philosophy and science teaching, éd. par M. Matthews (Berlin: Heidelberg: Springer, 2014), 211-45.

27 Voir l’analyse consacrée aux sciences dans l’enquête Pisa Science Competencies for Tomorrow's World ,

(2006) :

(17)

17 Compte tenu de l’importance de ces difficultés, les principales stratégies d’enseignement proposées reposent sur la prise en compte des conceptions des élèves afin que ces derniers soient en mesure de repérer un conflit entre leurs propres conceptions et les propriétés requises pour l’établissement et l’usage du concept28. Dans la même dynamique, la notion

d’« objectif-obstacle » définie par Martinand et mobilisées par d’Agabra29 et Trellu &

Toussaint30, propose à partir d’une explicitation des obstacles liés aux conceptions, un moyen

permettant leur dépassement. D’autres auteurs suggèrent un travail de conceptualisation préalable à la présentation du concept et de son formalisme. Il s’agit, étape par étape, de définir les relations sémantiques entre les divers éléments du système étudié (par exemple un alternateur alimente une lampe dans un dispositif d’ensemble). Ainsi, l’établissement progressif des relations sémantiques permet de définir les échanges énergétiques qui interviennent au sein du système étudié. Une autre stratégie d’enseignement consiste à introduire l’énergie comme étant une substance quasi matérielle31. Conforme aux conceptions

des élèves, ce choix est justifié par le caractère particulièrement abstrait de l’énergie32. Ce

choix est toutefois l’objet de controverse : le risque de voir s’endurer une conception jugée tenace est souligné33. Dans toutes ces tentatives, la nécessité d’un questionnement rigoureux,

apporté par l’épistémologie, est utile pour comprendre la part des difficultés qui proviennent des effets de simplification ou d’analogie produits dans le processus de transposition. Les erreurs des élèves sont, de ce point de vue, un matériau d’étude qui sollicite finement les compétences de l’épistémologue, en dialogue avec le didacticien. Elles éclairent en retour l’étude des stratégies didactiques.

Difficultés liées à la formation des enseignants

Si la diversité des stratégies d’enseignement est significative d’un intérêt particulier pour cet enseignement, et que les stratégies proposées révèlent des travaux novateurs, il n’en demeure pas moins qu’aucune d’entre elles ne semble vraiment s’imposer. Plus encore, les auteurs en se limitant à un domaine d’étude spécifique de la physique (la mécanique généralement), sans transposition vers d’autres domaines, ne permettent pas une présentation générale du concept. C’est un morcellement qui en résulte et il semble y avoir, dans l’enseignement de la physique, autant d’acceptions du terme énergie qu’il y a d’usages et de domaines d’étude.

De fait, les enseignants eux-mêmes sont démunis en abordant cette thématique, et les choix qu’ils font restent peu innovants y compris lorsqu’ils sont expérimentés. Par ailleurs, les enseignants eux-mêmes ne sont pas dépourvus de conceptions concernant l’énergie. Pintó et

28 R. Trumper, « Being constructive: an alternative approach to the teaching of the energy concept. »,

International Journal of Science Education 12, no 4 (1990): 343-54. 29 J. Agabra, « Energie et mouvement : représentations à partir de l’étude de jouets mobiles. », Aster, no 1 (1985): 95-113. 30 Jean-Louis Trellu et Jacques Toussaint, « La conservation, un grand principe. », Aster, no 2 (1986): 43-87. 31 Ce n’est pas sans rappeler les travaux de Sadi Carnot. Ceci est un apport de l’EHST.

32 D. Millar, « Teaching about energy. », Department of educational studies, research paper, no 11 (2005),

<http://www.york.ac.uk/media/educationalstudies/documents/research/Paper11Teachingaboutenergy. pdf>; R. Duit, « Should energy be introduced as something quasi-material? », International Journal of

Science Education, no 9 (1985): 139-45.

(18)

18 al. et Méheu et al. 34soulignent des confusions concernant l’irréversibilité et les phénomènes

réels, les processus cycliques et la réversibilité ainsi que la difficulté à conceptualiser la dissipation35 de l’énergie dans le cadre de sa conservation.

Ces constats ont incité le groupe de recherche dans lequel je suis impliquée à mener une réflexion plus approfondie sur ce qui fait obstacle du côté des enseignants et à déplacer l’attention sur leur formation. Cela a été évoqué plus haut en introduction, il semble indispensable en effet que les enseignants eux-mêmes soient suffisamment à l’aise avec les concepts manipulés pour pouvoir s’engager dans une analyse critique de leur pratique et construire un enseignement rénové.

Une première étape de clarification du concept semble indispensable pour lever les ambiguïtés liées en particulier aux définitions des termes et aux propriétés des divers concepts mobilisés. Rendre compte des propriétés et du statut du principe renvoie au contexte d’émergence de ce dernier, aux problèmes théoriques (questions relatives à la dissipation d’énergie ou bien à la nature de la chaleur), aux situations expérimentales (la question de l’augmentation de la rentabilité des machines), au formalisme mathématique (l’expression analytique de la chaleur comme nécessité pour exprimer le bilan lors d’un cycle d’opérations de Carnot) ainsi qu’au contexte philosophique spécifique à la période. Comprendre d’un point historien le développement progressif du champ conceptuel de l’énergie est un moyen d’en comprendre les logiques profondes mais aussi les nœuds de complexité.

Cette clarification des concepts doit permettre, lors d’une seconde étape, de construire un enseignement soulignant les caractéristiques fondamentales du principe de conservation de l’énergie, précisant les définitions des concepts connexes à l’énergie et prenant en compte, avec un vocabulaire adéquat, les orientations sociétales portées par les instructions officielles.

Sans détailler ici ces choix, la proposition de ressources pour la formation que nous faisons36

repose sur trois questions qui permettent d’aborder le concept de manière assez complète : 1. D’où vient l’énergie, qu’est-ce que l’énergie et à quoi sert l’énergie ?

2. « D’où vient l’énergie » renvoie à ce qui a présidé à l’émergence du concept de l’énergie dans le domaine de la physique : pourquoi et comment ce concept a-t-il été introduit ? « Qu’est-ce que l’énergie » invite à proposer une définition pour l’énergie ainsi qu’à définir les concepts qui lui sont connexes. Il s’agit également de donner les principales caractéristiques de l’énergie.

3. La dernière question, « à quoi sert l’énergie », permet de discuter les fonctions du concept dans la pratique des sciences : fonction de pôle invariant pour penser les variations, fonction unificatrice et fonction prédictive.

Conclusion et perspectives

Ainsi, cette section montre que ces réflexions, même si elles sont situées aux interfaces et donc aux confins du domaine de l’EHST, ne sont pas marginales et ancillaires. Elles

34 R. Pinto, D. Couso, et R. Gutierrez, « Using research on teacher’s transformations of innovations to

inform teacher education: the case of energy degradation. », Science Education, no 89 (2004): 38-55; M.

Méheut, C. Duprez, et I. Kermen, « Approches historique et didactique de la réversibilité. », Didaskalia, no

25 (2004): 31-62.

35 Ainsi la dégradation et la conservation semblent contradictoires.

36 Bächtold, et Guedj, « Teaching energy based on the history and the epistemology of the concept. », op.

(19)

19 constituent une manière de considérer une dimension de l’activité du chercheur qui est celle de la valorisation, définie bien au-delà de la seule dissémination de connaissances vers les milieux de néophytes. La prise au sérieux des sollicitations de la production de ressources pour l’enseignement ou la formation constitue, en quelque sorte, des pierres de touche pour mesurer la capacité d’un domaine à adapter ses résultats de recherche pour leur assimilation au niveau universitaire (formation des enseignants, mais aussi formation des futurs chercheurs), et donc au niveau secondaire (où se décide les destins et les options des futurs étudiants), et même au niveau du collège et de l’école, où la discipline EHST, qu’elle le veuille ou non, garde une responsabilité dans la construction d’une véritable éducation scientifique, dont la dimension historique et critique ne doit pas être traitée à part. Elle en est même un fondement essentiel.

On peut aller plus loin, en proposant de considérer que les contraintes liées à ces processus de « transposition » peuvent avoir un effet en retour sur ce que les didacticiens appellent le « texte du savoir », et imposer un vrai travail de reformulation des connaissances mises en forme par les travaux des chercheurs en EHST, dont on peut aller jusqu’à penser qu’il propose des questions originales, ou des angles d’attaque originaux (y compris relevant de l’historiographie) qui relèveraient de la recherche fondamentale. Une illustration de ces effets en retour – modestes, mais aux enjeux sociétaux importants – peut être donnée dans la section suivante, autour d’un projet de production d’une ressource (ontologie numérique).

4.

Z

OOM SUR SEMANTIC

HPST

37

Aujourd’hui la partie « Énergie » du programme de recherche initial se poursuit dans le cadre du groupe SemanticHPST, groupe constitué en 2013 (soutenu par l’INSHS 38& le Réseau des

MSH39) à partir de questions partagées au sein de la communauté d’EHST pour lesquelles la

manipulation de nombreuses données numérisées fait désormais partie de l’environnement du chercheur en EHST.

La recherche est partie du constat selon lequel depuis plusieurs années de nombreux projets de numérisation et de publication de corpus liés à l’épistémologie, l’histoire des sciences et des techniques (EHST) ont vu le jour. Le Newton project en Grande-Bretagne, le Biodiversity

Heritage Library aux États-Unis ou encore le site Ampère en sont des exemples40. Par ailleurs,

de nombreuses bibliothèques en ligne proposent désormais aux chercheurs du domaine un large choix de sources primaires : archives, ouvrages, manuscrits, iconographies, objets archéologiques ou 3D, etc. Bien établi dans le domaine informatique, outil essentiel dans la gestion des quantités importantes de données et de leur communication, le Web sémantique s’invite dans le domaine des sciences humaines et sociales et du patrimoine culturel41 comme

37 SemanticHPST obtenu à partir de sémantique et de Histoire et Philosophie des Sciences et des Techniques.

Par souci d’homogénéité avec l’ensemble du texte le choix est fait de conserver le sigle EHST pour désigner Epistémologie Histoire des Sciences et des Techniques. 38 INSHS : INstitut des Sciences Humaines et Sociales ; MSH : Maison des Sciences de l’Homme 39 Voir le descriptif du projet sur le site de la MSH Lorraine : http://www.msh-lorraine.fr/index.php?id=671 40 http://www.newtonproject.sussex.ac.uk; http://www.biodiversitylibrary.org/; http://www.ampere.cnrs.fr/

41 Voir Eero Hyvönen: Publishing and Using Cultural Heritage Linked Data on the Semantic Web. Morgan

& Claypool, Palo Alto, CA, USA, October, 2012 : http://www.seco.tkk.fi/publications/2012/hyvonen-ch-book-2012.pdf

(20)

20 le montre, à titre d’exemple, le CIDOC-CRM42.

Une première finalité du projet SemanticHPST est la mise en ordre de la bibliothèque regroupant les matériaux de la recherche en EHST, en autre autour de la question de l’énergie. Le recensement et le classement de ces ressources, constituent en eux-mêmes des objets de recherche. Ainsi Pierre Couchet43 identifie des textes (manuscrits, livres, lettres…), des

documents multimédias (pages web, mémoires numériques…), des objets 3D (instruments, archives…), des documents graphiques et autres (photographies...) provenant de bibliothèques ou d’archives, etc. L’aspect massif de ces données, leur diversité et leur localisation interrogent le chercheur du domaine et limitent son champ d’action

Or, l’environnement de travail de ce dernier a considérablement été modifié et ce changement radical ne repose pas exclusivement sur l’accumulation du grand nombre de données, ce qu’expriment clairement Dacos et Mounier44 qui soulignent le fait que les données sont

désormais « analysables, mais aussi communicables, représentables, réutilisables, en un mot mobilisables pour la recherche dans une proportion et avec une facilité sans commune mesure avec les périodes précédentes ». Ce changement d’échelle, à la fois qualitative (plus grande variété de matériaux) et quantitative (plus grande quantité de données disponibles), ne manque pas d’avoir des effets sur le développement de la recherche elle-même.

Mais la grande quantité et l’hétérogénéité des sources et celle, en conséquence, des corpus constitués, permet difficilement de croiser des sources issues de diverses banques de données alors que des corpus jugés a priori éloignés devraient participer à l’enrichissement des connaissances voire à la constitution de nouveaux champs de recherche. Au cœur des Digital

Humanities, le projet s’appuie sur le Web sémantique et les ontologies de référence ; la

constitution d’une ontologie dédiée à l’EHST (l’énergie étant inclue) et le développement d’une plateforme permettant un accès aux données hiérarchisées à partir de requêtes spécifiques, définissent les lignes de force du projet. Une réflexion épistémologique qui interroge la légitimité des corpus, celle liée à l’indexation de textes, ou aux hiérarchisations opérées, complète cette recherche.

Cependant, compte tenu de la nature du travail du chercheur en EHST45 et de la spécificité de

ses pratiques, ce développement n’est pas sans poser de questions, tant d’un point de vue de la conception et de la réalisation des projets conduits que des effets susceptibles d’être produits en retour.

Une première question concerne la gestion de grandes quantités de données couvrant des temps longs, sachant que l’approche historique implique d’intégrer dans les méta-données, des éléments de contexte de production de ces données.

Une seconde question concerne l’hétérogénéité des sources et en conséquence celle de la

42 Le modèle du CIDOC CRM est celui utilisé par la Bibliothèque nationale de France : « Il s'agit d'un

modèle sémantique qui constitue une « ontologie » de l'information relative au patrimoine culturel, c'est-à-dire une formalisation des relations qui unissent les concepts fondamentaux de ce type d'information. La présentation en est basée sur l'approche ‘ orientée objet ‘ ». Définition donnée la BNF sur

http://www.bnf.fr/fr/professionnels/modelisation_ontologies/a.modele_cidoc_crm.html.

43 Pierre Couchet, « A quoi sert le web sémantique en histoire et philosophie des sciences et des

techniques? », 2013, http://semhpst.hypotheses.org/author/pcouchet .

44 Marin Dacos et Pierre Mounier, « Humanités numériques : État des lieux et positionnement de la

recherche française dans le contexte international » (Institut français, 2014).

45 Voir sur ce point Albert Meroño-Peñuela et al “Semantic Technologies for Historical Research: A

Survey”

(21)

21 constitution même des corpus ; comment prendre en compte les spécificités d’un document et quelle cohérence d’ensemble pour un corpus constitué ? Peut-on améliorer la gestion des corpus, voire leur production « automatique » ?

Un troisième sujet de discussion concerne la composition de nouveaux corpus numériques pertinents à partir de l’ensemble des fonds historiques numériques disponibles.

Enfin, il s’agit d’interroger la communication entre des banques de données dédiées à l’EHST. Cette question liée au croisement de corpus, apparaît d’autant plus décisive que les réponses apportées sont susceptibles de conduire à la constitution de nouveaux champs d’étude en EHST, de nouvelles recherches mais aussi de nouvelles pratiques professionnelles.

Trois objectifs principaux structurent actuellement le projet :

Le premier réside dans la constitution d’ontologies de référence dédiées à l’EHST. À l’origine problème strictement technique (une ontologie est un système de description, un thésaurus servant à la construction méthodique des métadonnées utilisables par les machines), la constitution d’une ontologie est en réalité un problème épistémologique fondamental, où l’épistémologue entre dans un dialogue fécond avec l’ingénieur, mais aussi avec l’utilisateur final. En effet, la structure de l’ontologie n’est pas seulement définie par les propriétés intrinsèques des objets qu’elle doit indexer. Elle est doit aussi être compatible avec les usages qu’en font les utilisateurs finaux : une partie de sa définition est fonctionnelle. Le caractère générique de l’ontologie devient l’objectif central permettant à la fois de prendre en compte la diversité des corpus ainsi que la multiplicité des approches, que celles-ci relèvent de la philosophie ou de l’histoire des sciences et des techniques. Pour être opérante et en mesure d’interroger un grand nombre de banques de ressources numériques, les ontologies devront en outre s’inscrire de manière à la fois compatible et complémentaire vis à vis des domaines connexes à l’EHST, notamment l’histoire et le patrimoine scientifique, technique ou industriel par exemple. On voit comment des contrainte d’ergonomie se révèlent être des questions épistémologiques d’autant plus complexes que les plateformes sont multiutilisateurs, ajoutant ainsi les logiques (et les tensions !) de l’interdisciplinarité.

Le second objectif concerne le développement d’une plateforme qui réponde, en s’appuyant sur l’ontologie constituée, aux diverses exigences d’interopérabilité et de libre accès des données. Tout en étant un lieu de recherche centré sur l’interrogation des diverses banques de données conduisant notamment à la production semi-automatique de nouveaux corpus du domaine (i.e. de nouvelles bibliothèques numériques thématiques en HPST), la plateforme numérique doit constituer un lieu d’exposition des ressources et en conséquence un lieu de valorisation pour les patrimoines concernés.

Un troisième objectif vise à développer une réflexion épistémologique critique autour de l’usage des technologies de l’information et de la communication (TIC) dans le domaine de l’EHST.

Pour conduire cette recherche à l’intersection de l’informatique et des sciences humaines et sociales et plus spécifiquement de l’histoire et la philosophie des sciences et des techniques, le consortium regroupe parmi ses membres des historiens des sciences, des épistémologues et informaticiens46.

La méthodologie s’appuie sur les résultats préliminaires du groupe SemanticHPST (voir

46 Laboratoires impliqués : LHSP- Archives Poincaré (U. Lorraine), Centre François Viète (U. Bretagne

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