M ATHÉMATIQUES ET SCIENCES HUMAINES
C LAUDE F LAMENT
Équilibre d’un graphe. Quelques résultats algébriques
Mathématiques et sciences humaines, tome 30 (1970), p. 5-10
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ÉQUILIBRE D’UN GRAPHE
QUELQUES RÉSULTATS ALGÉBRIQUES
par
Claude FLAMENT1
On rencontre souvent, en sciences
humaines,
des ensembles munis de deux relationsbinaires,
à la fois liées et
opposées :
amitié et inimitié entre desindividus,
parexemple.
Onparle
alors de relations«
positive »
et «négative ».
Onpeut
souvent formaliser la situation en considérant ungraphe
G =(A, U),
où A est l’ensemble
considéré,
et U l’ensemble descouples
d’éléments de Aqui
vérifient larelation, qu’elle soit « positive »
ou «négative ».
Les raisonnements portant surtout sur la relation «négative»,
il suffit alors de
distinguer (de colorier)
unepartie
N de Ucorrespondant
à la relation ccnégative ».
On
privilégie
alors certainesparties
N de U si certainesconfigurations
sont vérifiées(par exemple,
« les amis de mes amis sont mes
amis») :
on dit que legraphe
G estéquilibré
pourN,
ouN-équilibré
2.Les
propriétés
d’ungraphe N-équilibré
ont été étudiées notamment parHarary (cf. Harary, Norman, Cartwright, 1965).
Le but de cet article est de retrouver les résultats connus en utilisant cer-taines
propriétés algébrique
par ailleurs connues sur lesgraphes.
STRUCTURE
ALGÉBRIQUE
SUR UN GRAPHESoit un
graphe
G =(A, U),
A étant l’ensemble des sommets, et U l’ensemble des arêtes ;chaque
arête a pour extrémités deux sommets, pas
toujours
distincts.Considérons l’ensemble
f7l ( U)
desparties
de U :-
Appelons
somme, notée +, la différencesymétrique
dansg; ( U). (f7l ( U), +)
est un groupeabélien ;
cette somme est eneffet,
associative etcommutative ;
l’ensemble vide en est l’élément neutre,et
chaque partie
S de U est son propre inverse :-
Ajoutons
l’intersectionensembliste n : (f7l (U),
+,n)
est un anneaubooléen; rappelons
que l’intersection est distributrive par rapport à la somme : pour toutepartie R, S,
T de U :1. Laboratoire de Psychologie sociale, Aix-en-Provence.
2. Il convient de distinguer cet équilibre relatif, des formes d’équilibre intrinsèque définies par Berge (1969) ou par Roy (1969).
-- Le groupe
(f7l ( U), +) peut
être considéré comme un espace vectoriel sur le corps 2 des entiers modulo2 ;
onpeut
notamment défini unproduit
scalaire :R,
S > = Card(R n S) (modulo 2).
.R et
S, parties
deU,
sont des vecteursorthogonaux
si et seulement siR,
S > =0,
c’est-à-dire si et seulement si R et S ont en commun un nombrepair
d’arêtes. Nous verrons que cetteorthogonalité
est au centre de notre
problème.
PARTIES ET FAMILLES DE PARTIES
REMARQUABLES
Un chemin entre deux sommets x et y est une suite d’arêtes :
Un
cycle
est un chemin tel que x = y.Cette définition habituelle du
cycle
doit être un peu modifiée pourpouvoir
doter l’ensemble descycles
d’une structure intéressante : nous admettrons commecycle
l’ensemblevide,
et aussi l’union deplusieurs cycles disjoints,
et nous refuserons lescycles
où une même arêtefigure plus
d’une fois. Dansces
conditions,
on voit que la somme de deuxcycles
est uncycle,
et que l’ensemble C descycles
dugraphe
est un sous-groupe de
e ( U).
B étant une
partie
de l’ensemble A des sommets, lecocycle
w(B)
est l’ensemble des arêtes ayantune et une seule extrémité en B. En
notant 0
la différencesymétrique
dansA,
B et C étant desparties de A, on a :
-- ---
l’ensemble S2 des
cocycles
dugraphe
est un sous-groupe de91 ( U).
Notons
qu’à
toutcocycle
non videcorrespond
unebipartition
de A en B et(A @ B)
telle quem (B)
= W(A (D B)
soit l’ensemble des arêtes ayant une extrémité en B et l’autre en(A (B B). (Le cocycle
videpeut
s’écrire : CA)(A).)
Un arbre est une
partie V
de Uqui
rencontre toutcocycle
non vide dugraphe,
et est minimalepour cette
propriété ;
on retrouve la définition habituelle de l’arbre si legraphe
est connexe.Un coarbre est une
partie
W de Uqui
rencontre toutcycle
non vide dugraphe,
et est minimalepour cette
propriété.
Lapropriété Pl précisera plus
loin cequ’est
un coarbre.Ces définition étant
rappelées,
nous donnons une liste depropriétés
bien connues, ou facilesà démontrer
(cf. Berge
etGhouila-Houri, 1962 ; Ghouila-Houri, 1964; Rosenstiehl, 1967; Berge, 1970).
P1:
Lecomplémentaire
dans U de tout arbre de G est un coarbre deG,
etréciproquement.
Pour tout arbre V et tout coarbre ~ de
C, C
étant l’ensemble descycles
deG,
et Ql’ensemble de ses
cocycles :
P2 : (D
et(V)
sont des sous-groupes(sous-vectoriels) supplémentaires
de~ ( U) ;
P3 :
S~ et(W)
sont des sous-groupes(sous-vectoriels) supplémentaires
de~ ( U).
Si G a n sommets, m arêtes et p composantes connexes :
P4 : 0
et~ ( ~
sont des sous-groupes(sous-vectoriels) isomorphes,
de dimension s = m - n+
ps est le nombre
cyclomatique
de G(Berge, 1958).
P5 :
S~ et9’ ( I~
sont des sous-groupes(sous-vectoriels) isomorphes,
de dimension : r = n - p.En notant
~1
l’ensemble des vecteursorthogonaux
àchaque
vecteur de_§r,
famille departies
de U :P6 :
Il = 1» et 0-L --- Q.Notons que
P6
ne veut nullement dire que lapartie
commune à S2 et 1> se réduit au vecteur nul(partie vide) :
uncycle
non vide peut très bien être uncocycle.
Rappelons
une manière commode de construire une base dugroupe 0
descycles :
on choisitarbitrairement un arbre V de
G ;
soncomplémentaire
dans U est le coarbreW ;
prenonsséparément chaque
arête de W etreplaçons-la
dans V : on obtient uncycle
et unseul ;
l’ensemble descycles
ainsiformés successivement constitue une base de
1>,
que nous nommerons base associée à l’arbre V.ÉQUILIBRE
D’UN GRAPHEUn
graphe
G =(A, I~ ayant
unepartie
N de ses arêtes considéréescomme « négatives »,
on ditque G est
équilibré (pour N)
si et seulement si aucun descycles
de G ne comporte un nombreimpair
d’arêtes «
négatives » ;
ce que nous traduisons :Définition.
- Ungraphe
G estN-équilibré
si et seulement si N estorthogonal
à tous lescycles
de G.
D’où,
parPo
tThéorème I
(Harary).
- Ungraphe
G estN-équilibré
si et seulement si N est uncocycle
de G.Harary
n’a pas énoncé ce théorème enparlant
decocycle,
mais en utilisant labipartition
de Aque nous avons notée à propos des
cocycles.
Par
ailleurs,
on saitqu’un
vecteur estorthogonal
à un sous-vectoriel si et seulement si il estorthogonal
aux vecteurs d’une base dusous-vectoriel ;
d’où :Théorème II
(Bramsen).
- Ungraphe
G estN-équilibré
si et seulement si N estorthogonal
àtous les
cycles
d’une base de 1>.Bramsen
(1968)
a démontré ce théorème par raisonnement combinatoire sur une base decycles
associée à un arbre.
DÉSÉQUILIBRE
D’UN GRAPHESi un
graphe
G n’est pasN-équilibré,
on recherchera un ensembleN’,
éventuellement aussi«
proches
quepossible
deN,
et tel que G soitéquilibré
pour N’. Cela revient à «changer
designe»
les arêtes de
(N -~- N’),
certaines arêtes «positives »
devenant «négatives »,
certaines arêtes «négatives »
devenant «
positives >a ;
on cherchera souvent à minimiser le nombre deces « changements
designe»,
c’est-à-dire
qu’on
recherchera N’ tel que Card(N -f- N’)
soit minimum.Appelons
ensembled’équilibration
deN,
l’ensemble E = N -~- N’. Nous savons que N’ doit êtreun
cocyle.
Soit§j’
la famille des ensemblesd’équilibration
de N.e
s’obtient en sommant N àchaque
cocycle
deS~,
mais cela ne définit pas unisomorphisme
entref
et Q.mais :
On
appelle degré
deN-déséquilibre
de G le cardinal duplus petit
ensembled’équilibration
de N :On
appelle degré
dedéséquilibre
de G le nombre :On ne sait pas encore déterminer ce nombre
caractéristique
dugraphe.
Théorème III
(Bramsen).
- Ledegré
dedéséquilibre
d’ungraphe
G est auplus égal
au nombrecyclomatique
s de G.Soit un coarbre
quelconque W ;
Q et~ ( W )
étantsupplémentaires (cf. P$),
toutepartie
N de Upeut être
décomposée,
defaçon unique,
en uncocycle
co des et unepartie
~’ de W : .N = w+ W’,
d’où : ~’ = N+
w ; ~’ est donc un ensembled’équilibration
deN ;
comme tout coarbre ~ est de cardinal s, nombrecyclomatique
de G(cf. P J W’, partie
de ~ est auplus
de cardinal s.Mais on connaît des types de
graphe
pourlesquels
ledegré
dedéséquilibre
est inférieur à s(cf.
Flament, 1965).
ENSEMBLES MININAUX
D’ÉQUILIBRATION
Divers
algorithmes
peuvent êtreproposés
pour rechercher les ensembles minimauxd’équili-
bration d’un ensemble
N ;
ils ne semblent pasoptimaux.
Décrivons-en un, facilementprogrammable.
Soit une base de
cycle, composé
descycles
~1, ({)2’..., CFt,..., 1 ?8- Pour toutepartie Sf
deU,
défi-nissons un
« vecteur-cycleo v (Sj),
de scomposantes 0~
----Sj,
pi >. Par la linéarité duproduit scalaire,
on a :On peut donc définir une somme sur ces
vecteurs-cycles,
et :Pour toute arête ul de
U,
on construira son vecteur v(uj),
et le vecteur d’unepartie
de S de Us’obtiendra par :
On voit que G est
N-équilibré
si et seulement si v(N)
= 0. Parailleurs,
E est un ensembled’équilibration
de N si et seulement si v(E)
= v(I1~.
On considérera donc
successivement,
lesparties
deU,
en commençant par lesplus petites,
etleurs
vecteurs-cycles,
que l’on comparera à v(11~.
Dèsqu’on
trouve unepartie
S de karêtes,
telle quev
(S)
= v(N),
on sait que8N ( G)
=k,
etl’exploration
de toutes les combinaisons d’arêtes k à k donnetous les ensembles minimaux
d’équilibration.
Mais
l’algorithme
peut êtresimplifié
par un choix heureux de la base decycle.
Par
exemple,
on pourra rechercher une base necomportant qu’un
seulcycle
nonorthogonal
àN,
ce
qui
esttoujours
très facile.Une
propriété
du calcul linéaire dit que si nousremplaçons
un vecteur d’une base par une combi- naison de ce vecteur avec d’autres vecteurs de labase,
l’ensemble ainsi construit est encore une base.Prenons donc une base de
cycle quelconque,
et identifions lescycles
nonorthogonaux
àN ;
supposons que ~1 ne soit pasorthogonal
àN ;
si pi(i
~1)
est nonorthogonal
àN, remplaçons-le
par lecycle (cpt -~- ~1) qui
est alorsorthogonal
àN, puisque :
On obtient ainsi une base où seul C(>1 est non
orthogonal
àN ;
les vecteurs v’ relatifs à cettenouvelle base s’obtiennent aisément en utilisant
l’équation qu’on
vient derappeler.
Il est alors clair que tout ensemble
d’équilibration
de Ncomportera
un nombreimpair
d’arêtesde p~ et un nombre
quelconque
d’arêtes nefigurant
pas en p~ : on réduit ainsi le nombre de combinaisons d’arêtesqu’il
faut examiner.APPLICATIONS
1)
Dans un ensembled’individus,
il existe des relationsd’amitié, d’inimitié,
d’indifférence.On estime souvent que ce groupe est socialement
équilibré
si chacun peut dire :a)
« les amis de mes amis sont mes amis(ou
me sontindifférents) » ; b)
« les ennemis de mes ennemis sont mes amis(ou
me sontindifférents»I.
Si on
représente
cette situation par ungraphe
G =(A, U),
A étant l’ensemble desindividus,
U l’ensemble de leurs relations
(amicales
ouhostiles),
et N étant l’ensemble des relationshostiles,
onvérifie facilement que le groupe est socialement
équilibré
si et seulement si songraphe
estN-équilibré.
C’est du reste à propos de ce
problème
queHarary
adéveloppé
sa théorie del’équilibre
d’ungraphe.
Cependant,
on considère engénéral
ungraphe orienté,
l’arc(x y) représentant
les sentiments de x vis-à-vis de y,qui peuvent
être différents des sentiments de y vis-à-vis de x,représentés
par l’arc(y x).
Mais la théorie de
Harary
ne tient pascompte
de l’orientation : on est donc bien ramené auproblème
étudié dans cet
article,
à condition d’admettre(ce qui
ne pose aucunproblème) qu’il peut
y avoir deux arêtes entre deuxpoints.
On admet
qu’un
groupe socialementdéséquilibré
sera le lieu d’unedynamique tendant,
defaçon économique,
à modifier certaines relations pour atteindre un étatd’équilibre :
c’est leproblème
desensembles minimaux
d’équilibration.
Notons
cependant
que laprésente
théorie del’équilibre
n’est pastoujours
vraie dans la réalitépsychologique;
notamment des deux formules a et b citéesplus haut,
lapremière
semblebeaucoup plus importante
que laseconde ;
pour tenircompte
de cesfaits,
il faut alors recourir à d’autres formalisations(cf. Flament, 1968).
2)
Dans de nombreuxproblèmes
de scienceshumaines,
on considère un ensemble A de variables XI, et leurs corrélations r(xi xj).
Pour diverstypes d’analyses 1,
il est souhaitable que ces corrélations soientpositives.
1. En analyse de similitude notamment, cf. Flament (1962) et : Degenne, Flament, Verges, 1"analyse de similitude
(ouvrage en préparation).
Nous dirons que nous « inversons sa une variable x si nous la
remplaçons
par :il est clair que :
Le
problème
est de trouver, si elleexiste,
unepartie
B desvariables, qui inversées,
rendront toutesles corrélations
positives.
Construisons un
graphe
G =(A, U),
A étant l’ensemble desvariables,
les arêtes de U corres-pondant
aux corrélations suffisamment différentes de zéro(selon
un critère à fixer parailleurs) ; N, partie
deU, correspond
aux corrélationsnégatives.
Supposons
que G soitN-équilibré ;
N est alors uncocycle, auquel correspond
unebipartition
de Aen B et
(A Q B).
Si nous inversons les variables deA,
toutes les corrélations sont alorspositives.
Si G n’est pas
N-équilibré,
notreproblème
n’a pas de solutionparfaite.
On recherchera un ensembled’équilibration E,
et N’ .=r N-f -
E déterminera unebipartition
de A en B’ et(A 0 B’) ;
en inversantles variables de
B’,
on obtiendraqu’une
corrélation soitnégative
si et seulement si ellecorrespond
àune arête de E.
Dans certains
problèmes,
on recherchera donc un ensemble Eminimal ;
dansd’autres,
on acceptera un ensemble E nonminimal,
maiscorrespondant
à des corrélations de valeur absolue aussi faible quepossible.
Un
algorithme (sans
doute nonoptimal)
consiste à valuer legraphe
G par les valeurs absolues descorrélations,
à rechercher l’arbre maximum V de G(cf. Rosenstiehl, 1967)
et àprendre
pour N’lecocycle contenant (V n N)
et aucune autre arête de V.BIBLIOGRAPHIE
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