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Revue du droit des religions L organisation religieuse, une entreprise comme une autre?

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Revue du droit des religions 

5 | 2018

L’organisation religieuse, une entreprise comme une autre ?

Fleur Laronze (dir.)

Édition électronique

URL : http://journals.openedition.org/rdr/380 DOI : 10.4000/rdr.380

ISSN : 2534-7462 Éditeur

Presses universitaires de Strasbourg Édition imprimée

Date de publication : 24 avril 2018 ISBN : 979-10-344-0017-1 ISSN : 2493-8637 Référence électronique

Fleur Laronze (dir.), Revue du droit des religions, 5 | 2018, « L’organisation religieuse, une entreprise comme une autre ? » [En ligne], mis en ligne le 25 novembre 2019, consulté le 19 novembre 2020.

URL : http://journals.openedition.org/rdr/380 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rdr.380

La revue du droit des religions est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons - Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International - CC BY-NC 4.0.

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N° 5  MAI  2018

L’ORGANISATION RELIGIEUSE, UNE ENTREPRISE COMME UNE AUTRE ?

REVUE DU DROIT DES

RELIGIONS

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(5)

SOMMAIRE

Avant-propos ... 5

D

OSSIER

L’

ORGANISATION RELIGIEUSE

,

UNE ENTREPRISE COMME UNE AUTRE

?

coordonné par Fleur Laronze

Introduction ...11 Fleur LARONZE

L’organisation monastique, une entreprise comme une autre ? ...23 Isabelle JONVEAUX

L’organisation religieuse catholique et le droit des sociétés :

l’exemple de la paroisse ...39 Sandie LACROIX-DE SOUSA

L’exception congréganiste en droit de la concurrence ...55 Julien COUARD

L’applicabilité des règles de droit du travail aux membres de

l’organisation religieuse ...87 Jean MOULY

V

ARIA

La Belgique francophone accouche douloureusement d’un

cours de philosophie et de citoyenneté non désiré par tous ...107 Xavier DELGRANGE

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Le droit des religions, une discipline ? Contribution à la

construction d’un objet problématique ...133 Vincente FORTIER

La neutralité religieuse de l’État constitue-t-elle un principe

opérationnel ? ...157 Jean-Marie WOEHRLING

C

HRONIQUES

Consolidation du principe d’autonomie des Églises en droit

européen des droits de l’homme ...175 Gérard GONZALEZ

Menus de substitution dans les cantines scolaires : de la laïcité

à l’intérêt supérieur de l’enfant ...181 Anne FORNEROD

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AVANT-PROPOS

Le dossier présenté dans ce numéro de la Revue du droit des religions illustre bien les évolutions du droit français des religions aux prises avec la sécularisation. En effet, la réponse donnée il y a une cinquantaine d’années à la question « L’organisation religieuse est-elle une entreprise comme une autre ? » aurait été sans aucun doute négative, alors qu’aujourd’hui le statut des ministres du culte et des institutions cultuelles forgé sous l’influence de l’Église catholique, « religion de la majorité des Français », est à la recherche d’un nouveau souffle. Les effets des distinctions classiques entre ministres du culte, laïcs et congréganistes ont tendance à s’estomper en droit français.

Les ministres du culte étaient traditionnellement des clercs dans la sphère catholique. Or, depuis quelques décennies, des laïcs exercent des fonctions pastorales et religieuses au sein des paroisses et des aumôneries en raison de la forte diminution des vocations sacerdotales. De même, le nombre des congréganistes s’est effondré alors que de nouvelles communautés comportant des célibataires et des couples consacrés se développent. Par ailleurs, une distinction tranchée entre clerc et laïc n’existe pas dans les cultes protes- tants, juifs et musulmans. Les rabbins, les pasteurs et les imams sont avant tout des théologiens, des enseignants et des responsables de communauté.

La résistance à appliquer le droit du travail à ces personnels est essen- tiellement adossée aux positions doctrinales de l’Église catholique, soucieuse de défendre et de promouvoir une figure sacralisée du prêtre inspirée par le monachisme. Cette conception a été renforcée pour des raisons financières au cours des années  1960/70 lors des discussions relatives à l’instauration d’une couverture sociale à destination des ministres du culte. Les diocèses catholiques et les congrégations religieuses n’étaient pas en mesure de payer les cotisations du régime général d’assurance maladie et vieillesse, alors que les pasteurs et les rabbins relevaient depuis 1945 de ce même régime sans pour autant disposer d’un contrat de travail. Les laïcs coopérateurs de la pastorale dont le nombre s’est développé dans les années  1970 devaient

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du culte, puis d’un contrat avec clause d’adhésion pour finalement bénéficier d’un contrat de travail avec une lettre de mission de l’évêque en annexe.

La jurisprudence récente de la Cour de cassation a réduit le périmètre du modèle du ministre du culte sans contrat de travail en le cantonnant aux personnels religieux relevant d’une association cultuelle ou d’une congréga- tion et faisant partie d’un culte connu. Le respect de la liberté d’organisation des cultes est dans ce cas combiné avec un pouvoir de contrôle des pouvoirs publics, aux fins notamment de prévenir les dérives à caractère sectaire qui n’épargnent aucun groupement religieux.

L’absence de contrat de travail produit un certain nombre d’effets négatifs.

Pendant de longues décennies, les ministres du culte affiliés à la CAVIMAC ne cotisaient pas obligatoirement à une caisse complémentaire de retraite. Ils ne bénéficient toujours pas des couvertures accident de travail et chômage.

Ce statut est peu protecteur et devient très défavorable pour les ministres du culte et les congréganistes qui décident de quitter leur état religieux.

Le respect du principe d’autonomie ou de liberté d’organisation des cultes ne devrait pas occulter le fait que les activités des ministres du culte tendent à se rapprocher de ceux d’autres professionnels de l’écoute, de l’animation et de la gestion de groupes. Le ministre du culte est de moins en moins un personnage « sacré » cantonné dans la prière et le rite religieux. Il devrait à ce titre bénéficier des mêmes protections sociales que les autres salariés.

Mais ce constat relève au premier chef de la responsabilité des cultes.

Les associations éducatives, sociales ou caritatives liées aux groupements religieux sont en général des entreprises de tendance ou entreprises identi- taires, mais seules les associations cultuelles, les associations diocésaines et les congrégations emploient des personnels sans contrat de travail. Ce ne sont pas des entreprises de tendance comme les autres.

Dans ce numéro est posée également la question de savoir si une institu- tion canonique catholique, la paroisse sans personnalité juridique en droit français, pourrait être qualifiée de « société créée de fait ». L’Église catho- lique a refusé en 1905 l’organisation des paroisses en associations cultuelles, considérées comme contraires à la Constitution de l’Église. En effet, contrai- rement à la doctrine protestante qui veut que l’Église existe au premier chef par la paroisse, l’Église catholique considère que seul le diocèse confié à un évêque constitue une Église particulière dans « laquelle se trouve vraiment présente l’Église du Christ ». Cette spécificité est garantie par les statuts

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autonome en droit français en raison du défaut des éléments constitutifs d’une société, mais surtout parce qu’une telle reconnaissance pourrait être considérée comme contraire à la liberté d’organisation des cultes.

Le monastère en tant qu’établissement religieux et en tant qu’entreprise ne manque pas de soulever des questions qui font débat. Peut-on parler de marché du religieux et du spirituel ? Pour les sociologues cela ne fait guère de doute. Pour les juristes, la religion n’est pas un marché soumis au droit de la concurrence, mais qu’en est-il des congrégations ayant une activité économique ? Même dans ce cas, les règles dictées par l’ordre public écono- mique doivent être combinées avec l’exercice du droit fondamental qu’est la liberté de religion.

Les trois articles publiés dans les varia traitent de sujets qui constituent d’incontestables apports à la réflexion. Ainsi, la contribution très fouillée sur l’instauration d’un cours de philosophie et de citoyenneté en Belgique facilite la compréhension du système très complexe d’enseignement religieux existant dans ce pays et s’impose plus largement comme un indicateur des évolutions de l’enseignement religieux en Europe, aux prises avec la sécula- risation et les phénomènes de radicalisation. Une quinzaine d’années après la publication du Traité de droit français des religions et l’apparition récente de l’intitulé « droit de la laïcité », une réflexion à frais nouveaux est engagée sur la structuration d’un droit des religions en tant que discipline juridique.

Enfin, un troisième article est consacré à l’application du principe de neutra- lité dont les interprétations sont multiples dans les divers États européens.

Une chronique sur la consolidation du principe d’autonomie des Églises en droit européen, complétant de manière indirecte le dossier sur l’organi- sation religieuse en tant qu’entreprise, et une autre consacrée aux menus de substitution dans les cantines scolaires concluent ce cinquième numéro.

Francis MESSNER

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DOSSIER

L’ORGANISATION RELIGIEUSE, UNE ENTREPRISE

COMME UNE AUTRE ?

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INTRODUCTION

Fleur LARONZE

Université de Strasbourg / CNRS, Droit, Religion, Entreprise et Société (DRES)

Q

u’est-ce qu’une organisation religieuse ? Si le rapprochement d’une orga- nisation religieuse avec une entreprise du secteur privé (marchand) semble incontournable au regard de la diversité des activités aujourd’hui exercées par une communauté religieuse, plusieurs questions subsistent.

L’organisation religieuse, par les liens juridiques qui se tissent entre ses membres et avec les acteurs externes, a pu faire l’objet de débats judiciaires et doctrinaux sur l’applicabilité du droit de la concurrence, du droit du travail, du droit des sociétés. Ces débats conduisent à se poser la question de l’assimilation de l’organisation religieuse à une entreprise, laquelle se carac- térise par une entité reposant sur une activité économique dotée de moyens humains et matériels. En effet, le fonctionnement interne de l’organisation religieuse, les relations avec les acteurs économiques et sociaux donnent des illustrations d’une incursion de la logique marchande. Les activités com- merciales, touristiques, d’enseignement et de formation, de communication soulignent cette incursion. Mais l’approche économique appliquée à l’orga- nisation religieuse travestit-elle son fonctionnement en l’alignant sur celui d’une entreprise ordinaire ? En ressortant de l’ordre économique, l’organisa- tion religieuse apparaît-elle paradoxale ou au contraire s’est-elle adaptée à la « loi » de la mondialisation ? La mondialisation des échanges, l’économie de marché ont conduit les organisations religieuses à une adaptation de leur fonctionnement. Leur existence apparaît loin d’être mineure, dans le cadre du secteur marchand comme au sein de l’économie sociale et solidaire qui fait prévaloir les activités désintéressées.

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Une organisation religieuse peut être de différents types  (congrégation, institut de vie consacrée, association de fidèles) et revêtir différentes formes juridiques (association relevant de la loi de 1901, association cultuelle rele- vant de la loi de 1905, association diocésaine). Ces qualifications juridiques qui sont le résultat d’une volonté, celle de faire plier les catégories existantes, ne permettent pas de saisir certaines configurations dans lesquelles l’organi- sation religieuse est placée. Par exemple, la question de la propriété de biens à l’usage de la communauté, la constitution d’un budget financé par une activité propre et soumis à une fiscalité particulière, la concurrence de l’acti- vité développée avec celle des entreprises privées, la gestion d’un personnel spécifique… Autant de problèmes qui supposent de comparer plus en amont l’organisation religieuse et l’entreprise privée. Pour comprendre la nature juridique complexe et évolutive de l’organisation religieuse, deux modes d’appréhension peuvent être identifiés : une approche individuelle centrée sur les libertés individuelles des personnes au sein de l’organisation, une approche collective mettant l’accent sur les droits et les obligations de l’orga- nisation. La première approche invite à analyser l’organisation à travers ses membres. Or, dans une organisation religieuse, les règles de conduite impo- sées sont généralement strictes et édictées en conformité avec les préceptes défendus par l’organisation. En cela, l’organisation religieuse se différencie de l’entreprise privée au sein de laquelle, par exemple, le principe est celui de la liberté de religion des salariés. L’exercice de cette liberté doit néanmoins être compatible avec les autres libertés et avec le fonctionnement normal de l’entreprise. La seconde approche souligne la spécificité de l’organisation religieuse, qualifiée selon certains auteurs d’entreprise de tendance. Cette spécificité justifierait l’application de règles dérogatoires (sur le plan fiscal et social notamment).

Si ces deux approches semblent aux antipodes, la dimension collective de l’organisation s’effrite au contact de la logique individuelle. La spécificité religieuse de l’organisation souhaitée à travers la revendication de règles propres est freinée par le mouvement de banalisation du fait religieux qui fait désormais l’objet d’une clause dans le règlement intérieur. Autrement dit, la spécificité statutaire de l’organisation religieuse se dissout dans le mécanisme général de la neutralité religieuse.

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1. L’ORGANISATION RELIGIEUSE OU LA REVENDICATION D’UNE QUALIFICATION JURIDIQUE SPÉCIFIQUE DANS LE CADRE DE L’ÉCONOMIE DE MARCHÉ

L’émergence d’un statut dérogatoire. L’organisation religieuse a fait l’objet d’une réglementation spécifique ne justifiant qu’une intrusion relative de l’État afin d’assurer son respect, au point qu’il eut été possible d’affirmer l’existence d’un ordre juridique propre à l’organisation religieuse 1. C’est par le truchement de la notion d’entreprise de tendance que l’organisation reli- gieuse a pu être identifiée comme un nouvel acteur juridique au regard des droits étatiques et international et sous l’emprise de la logique marchande véhiculée notamment par leurs normes.

Les jurisprudences européennes. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a d’abord précisé qu’« un employeur dont l’éthique est fondée sur la religion ou sur une croyance philosophique peut […] imposer à ses employés des obligations de loyauté spécifiques 2 ». La CEDH consacre l’autonomie des organisations religieuses en ce qu’elle génère son propre droit et justifie notamment le rejet d’un recours devant les juridictions étatiques (et par voie de conséquence devant la CEDH 3). La demande du requérant relevait du droit ecclésiastique et était donc irrecevable au regard des règles de droit international. L’article 6 § 1 de la Convention n’était pas violé. Or, une telle décision est pour le moins contestable au sein d’une société démocratique telle que défendue par les valeurs du Conseil de l’Europe. Dans une autre affaire, le requérant occupait plusieurs postes au sein de l’Église mormone 4. Après qu’a été révélé son adultère, il fut licencié. Le licenciement n’a pas été considéré comme portant atteinte à la vie privée du requérant compte tenu des règles morales de l’employeur et de la marge d’appréciation sur ce point dont dispose l’État 5. Une telle décision peut encore une fois apparaître regrettable, sachant que dans l’entreprise ordinaire la solution inverse aurait été retenue, et confirme l’existence d’un droit « para-légal » reconnu aux

1. V. S. ROMANO, L’ordre juridique, Paris, Dalloz, 2002 [trad. de la 2e éd. italienne] ; E. FOREY, État et institutions religieuses, Presses universitaires de Strasbourg, 2007.

2. CEDH, 23 sept. 2010, n° 1620/03, Schüth c/ Allemagne, § 69.

3. CEDH, Gde ch., 14 sept. 2017, n° 56665/09, Károly Nagy c/ Hongrie, § 61.

4. CEDH, 23 sept. 2010, n° 425/03, Obst c/ Allemagne.

5. D’autres exemples : CEDH, Gde  ch., 12  juin 2014, n°  56030/07, Fernandez Martinez c/  Espagne concluant à la non violation de l’article  8 de la Convention ; CEDH, 3  févr.

2011, n° 18136/02, Siebenhaar c/ Allemagne, concluant à la non violation de l’article 9 de la Convention.

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organisations religieuses. Dans une affaire récente consacrant l’assise juridique de ce droit, l’auto-détermination de l’organisation religieuse garantie par la CEDH fonde la requête d’une association qui peut valablement se prévaloir de la violation de la liberté de religion exprimée collectivement par l’absence de lieux de cultes que l’État doit établir 6.

Dans le cadre de l’Union européenne, l’article  4  (2) 7 de la directive du 27  novembre 2000 reconnaît la spécificité des organisations religieuses, en écartant l’existence d’une discrimination lorsque les lois nationales prévoient des mécanismes dérogatoires applicables à ces organisations. Le procédé de l’opt-in était ici à l’œuvre, la France, à l’inverse de l’Allemagne, n’ayant pas choisi de réglementer les organisations religieuses en sus des dispositions légales existantes. Le régime dérogatoire applicable à ces organisations inclut, également, des règles en matière de durée du travail 8, en matière d’abattage rituel des animaux 9, en matière audiovisuelle 10. L’Union européenne recon- naît l’autonomie des organisations religieuses de sorte qu’elle « respecte et ne préjuge pas du statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les églises et les associations ou communautés religieuses dans les États membres 11 ».

6. CEDH, 24  mai 2016, nos  36915/10 et 8606/13, Association de solidarité avec les Témoins de Jéhovah et a. c/ Turquie.

7. « Les États membres peuvent maintenir dans leur législation nationale en vigueur à la date d’adoption de la présente directive ou prévoir dans une législation future reprenant des pratiques nationales existant à la date d’adoption de la présente directive des dispositions en vertu desquelles, dans le cas des activités professionnelles d’églises et d’autres organi- sations publiques ou privées dont l’éthique est fondée sur la religion ou les convictions, une différence de traitement fondée sur la religion ou les convictions d’une personne ne constitue pas une discrimination lorsque, par la nature de ces activités ou par le contexte dans lequel elles sont exercées, la religion ou les convictions constituent une exigence professionnelle essentielle, légitime et justifiée eu égard à l’éthique de l’organisation.

Cette différence de traitement doit s’exercer dans le respect des dispositions et principes constitutionnels des États membres, ainsi que des principes généraux du droit commu- nautaire, et ne saurait justifier une discrimination fondée sur un autre motif.

Pourvu que ses dispositions soient par ailleurs respectées, la présente directive est donc sans préjudice du droit des églises et des autres organisations publiques ou privées dont l’éthique est fondée sur la religion ou les convictions, agissant en conformité avec les dis- positions constitutionnelles et législatives nationales, de requérir des personnes travaillant pour elles une attitude de bonne foi et de loyauté envers l’éthique de l’organisation. » 8. Dir. 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, 4 nov. 2003, concernant certains

aspects de l’aménagement du temps de travail, art. 17.

9. Règl. (CE) n°  1099/2009 du Conseil, 24  sept.  2009, sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort.

10. Dir.  2010/13/UE du Parlement européen et du Conseil, 10  mars 2010, visant à la coor- dination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels (directive Services de médias audiovisuels), art. 20.

11. TFUE, art. 17 (1).

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Cependant, le Traité envisage de la même façon le respect du statut des organisations philosophiques et non confessionnelles et ce faisant, place sur un pied d’égalité l’ensemble des entreprises de tendance 12. Cette ouver- ture aura facilité l’entrée dans le giron étatique de ces organisations qui ne peuvent s’extraire de la légalité étatique. L’avocat Tanchev le rappelle dans ses conclusions relatives à une affaire portée devant la CJUE 13. Madame Egenberger avait candidaté à un poste de représentant public et profes- sionnel d’une organisation supplétive de l’Église protestante d’Allemagne.

Cette offre d’emploi exigeait d’appartenir à l’Église protestante. N’ayant pas été engagée, Madame Egenberger forme un recours devant le tribunal alle- mand pour obtenir une indemnisation en raison du préjudice résultant de la décision de l’Église fondée, selon elle, sur son absence de confession reli- gieuse. Alors que l’affaire est encore pendante, l’avocat Tanchev considère, au soutien de ses conclusions, qu’un employeur comme l’Église allemande

« ne peut pas décider lui-même de manière contraignante que l’appartenance d’un candidat à une religion spécifique constitue, par la nature de l’activité ou par le contexte dans lequel elle est exercée, une exigence professionnelle essentielle, légitime et justifiée eu égard à son éthique ». Le juge national doit pouvoir vérifier que la religion constitue une exigence professionnelle essentielle, légitime et justifiée.

« Le terme “justifiée”, figurant à l’article  4, paragraphe  2 de la direc- tive 2000/78, nécessite d’analyser la question de savoir si les exigences professionnelles à l’origine d’une discrimination directe en raison de la religion ou des convictions sont suffisamment adaptées à la protection du droit de la défenderesse à l’autonomie et à l’autodétermination, c’est-à-dire appropriées aux fins de la réalisation de cet objectif […] les termes “essentielle, légitime” impliquent d’analyser la question de la proximité des activités en question avec la mission de proclamation de la défenderesse 14 ».

L’organisation religieuse devrait se soumettre au contrôle judiciaire et ne pourrait se prévaloir d’un régime dérogatoire de manière inconditionnelle et absolue.

Les propositions doctrinales. Des auteurs se sont intéressés à l’entreprise de tendance, notamment sous le vent de la jurisprudence Baby Loup en droit du

12. TFUE, art. 17 (2).

13. CJUE, aff. C-414/16, Vera Egenberger c/ Evangelisches Werk für Diakonie und Entwicklung e. V., concl. av. gal M. Evgeni Tanchev, 9 nov. 2017, § 127 (3) (ii).

14. Ibid., § 127 (3) (iv) (v).

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travail. Rappelant l’influence du droit allemand et du droit italien, l’entreprise de tendance justifie par la nature de son activité des décisions fondées sur le comportement, les croyances ou les habitudes des travailleurs qui seraient jugées discriminatoires dans le cadre d’une entreprise ordinaire. À la frontière de l’entreprise ordinaire et de l’entreprise de tendance (selon la conception de certains auteurs 15), les crèches multi-confessionnelles ont polarisé l’atten- tion de la doctrine qui a fait preuve d’inventivité afin de concilier l’intérêt de l’association et celui des travailleurs qui exercent leur liberté de religion.

La notion d’entreprise de tendance laïque a été proposée par des auteurs 16. Nul ne doute de l’empreinte exercée par le système de valeurs français dans l’approche de la doctrine mais également celle des juges. Néanmoins, sans devoir solliciter le principe de laïcité qui régit les relations entre les per- sonnes publiques et les usagers, le licenciement d’une salariée portant le voile ne peut être justifié si aucune mesure de reclassement lui permettant d’exprimer sa religion ne lui a été proposée (forme d’accommodement rai- sonnable 17). Dans l’impossibilité d’une telle mesure, le licenciement ne sera pas pour autant justifié. Une cause réelle, sérieuse et non discriminatoire doit fonder le licenciement. Le contact avec la clientèle ou encore le respect des règles d’hygiène et de sécurité ont pu être envisagés comme des motifs de licenciement. Mais, il n’est pas possible de se prévaloir des souhaits du client pour justifier le licenciement d’une salariée portant le voile.

« En présence du refus d’une salariée de se conformer à une clause [de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, phi- losophique ou religieux sur le lieu de travail], dans l’exercice de ses activités professionnelles auprès des clients de l’entreprise, il appartient à l’employeur de rechercher si, tout en tenant compte des contraintes inhérentes à l’entreprise et sans que celle-ci ait à subir une charge supplémentaire, il lui est possible de proposer à la salariée un poste de travail n’impliquant pas de contact visuel avec ces clients, plutôt que de procéder à son licenciement 18 ».

L’absence de réglementation parfaitement adéquate justifie l’appréhension égale de toute organisation indépendamment de son activité afin d’éviter un

15. F. GAUDU, « L’entreprise de tendance laïque », Dr. soc. 2011, p. 1186, qui évoque l’activité éducative comme justifiant la neutralité confessionnelle.

16. F. GAUDU, « L’entreprise de tendance laïque », précit. ; J. SAVATIER, « Liberté religieuse et relations de travail », in Droit syndical et droits de l’homme à l’aube du XXIe siècle, Mélanges en l’hommage de J.-M. Verdier, Paris, Dalloz, 2000, p.  458 ; C. BRISSEAU, « La religion du salarié », Dr. soc. 2008, p. 969.

17. Cass. soc., 24 mars 1998, n° 95-44.738 : Bull. civ. V., n° 171 ; Dr. soc. 1998, p. 614, note J. SAVATIER.

18. Cass. soc., 22 nov. 2017, n° 13-19-855 : D. 2017, p. 2374 ; RDT 2017, p. 797, note M. MINE.

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abus de la part de l’employeur et de faciliter la conciliation des intérêts. La neutralité religieuse et même de manière plus générale, la neutralité philoso- phique, politique, tendent à s’insinuer dans toutes les structures économiques et sociales indépendamment de la nature de l’activité et de la finalité de l’organisation. L’instrumentalisation de la clause de neutralité aura des effets déjà redoutés dans le champ de la vie personnelle des travailleurs et de tout membre d’une organisation.

2. LA DISSOLUTION DE LA SPÉCIFICITÉ DE L’ORGANISATION RELIGIEUSE OU LA GÉNÉRALISATION DE LA CLAUSE RELATIVE À LA RELIGION

Si la clause généralisée porte l’idéal de neutralité, telle que prévue par l’article L.  1321-2-1 du Code du travail, la religion peut être réduite à une clause écrite dont toute organisation (religieuse ou non) peut se prévaloir pour limiter l’exercice de libertés des salariés ou justifier une décision en sa qualité d’employeur. Dès lors, la neutralité envisagée prend pour paradigme l’activité de l’organisation qui donne sa propre définition de la neutralité (par exemple, la neutralité au sein d’une organisation religieuse ou fondée sur des convictions, pour reprendre le terme de l’article L. 1321-2-1 précité, consistera à se conformer aux règles communes de l’organisation et à ne pas obéir à une autre religion ou à d’autres convictions).

Les origines de la clause réglementaire. Suite aux arrêts Baby Loup de 2013 19, les débats sur l’introduction de la neutralité religieuse dans l’entre- prise privée sont relancés au sein du Parlement. Des députés et sénateurs UMP ont déposé plusieurs propositions de loi visant à généraliser la pos- sibilité d’exiger une neutralité vestimentaire dans toutes les entreprises privées, dans le cadre du règlement intérieur 20 ou soutenue de manière

19. Cass. soc., 19  mars 2013, n°  11-28.845 : D.  2013, p.  761, édito F. ROME ; p.  956, avis B. ALDIGÉ ; p.  963, note J. MOULY et p.  1026, obs. J. PORTA; AJCT 2013, p.  306, obs.

J. FICARA; AJDA 2013, p. 1069, note J.-D. DREYFUS; Dr. soc. 2013, p. 388, étude E. DOCKÈS; RDT  2013, p.  385, étude P. ADAM; JCP G 2013, p.  542, note D. CORRIGNAN-CARSIN ; JCP S  2013, p.  1146, note B. BOSSU; p.  1297, étude I. DESBARATS et p.  1299, étude L. CHICHEPORTICHE et B. KANTOROWICZ.

20. Proposition de loi n° 865 du 28 mars 2013, visant à donner la possibilité aux entreprises d’inscrire dans leur règlement intérieur le principe de neutralité à l’égard de toutes les opinions ou croyances, déposée par M. Éric Ciotti. Proposition de loi n° 510 du 12 avril 2013 tendant à ce que le règlement intérieur des entreprises puisse proscrire aux salariés en contact avec la clientèle ou le public le port ostensible de signes religieux, commu- nautaristes, politiques ou autres, déposée par M. Jean-Louis Masson.

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générale 21. La proposition de loi déposée le 24  avril 2013 a été rejetée par le Parlement le 6  juin 2013. Les députés socialistes soulignent le caractère circonstancié de cette proposition de loi, une loi d’humeur qui répondrait, à chaud, à la jurisprudence de la Cour de cassation. Les députés et sénateurs UMP n’avaient qu’une ambition : casser la jurisprudence du 19  mars 2013.

Cette proposition de loi réapparaîtra trois ans plus tard, sans qu’aucune dis- cussion ni opposition aient été initiées, dans le cadre de la loi « travail » du 8 août 2016. Introduite sous la forme d’un amendement en fin de processus parlementaire, la clause de neutralité religieuse est prévue à l’article  2 de la loi qui dispose l’insertion d’un article L. 1321-2-1 selon lequel « Le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont propor- tionnées au but recherché ». Si certains rappellent l’application du principe de proportionnalité et de nécessité qui borne le pouvoir de l’employeur, le champ de compétence de la clause de neutralité introduite dans un règle- ment intérieur se révèle très large et donc susceptible de porter atteinte aux libertés individuelles des salariés sans que ces derniers n’intentent un recours (pourtant légitime). Et, si la Cour européenne laisse une marge d’appréciation aux États quant à l’équilibre à trouver, il n’est pas certain que la possibilité d’imposer, par l’intermédiaire de la loi, une neutralité religieuse dans les entreprises privées ne soit pas considérée comme un manquement de l’État à son obligation positive de protection de la liberté de religion.

Les effets de la clause réglementaire. La CJUE a été saisie d’un double contentieux concernant des salariées portant un voile, licenciées pour avoir refusé de le retirer dans l’exercice de leurs fonctions. Si les circonstances sont différentes dans les deux affaires donnant lieu aux arrêts de la CJUE, il est considéré que la mise en place d’une clause réglementaire est indispensable à l’exercice du pouvoir de l’employeur de manière non discriminatoire. En effet,

« la règle interne en cause au principal se réfère au port de signes visibles de convictions politiques, philosophiques ou religieuses et vise donc indifféremment toute manifestation de telles convictions.

Ladite règle doit, dès lors, être considérée comme traitant de manière identique tous les travailleurs de l’entreprise, en leur imposant, de

21. Proposition de loi n° 998 relative au respect de la neutralité religieuse dans les entreprises et les associations, déposée le 24 avril 2013 par MM. Christian Jacob, Jean-François Copé, François Fillon, Éric Ciotti et Philippe Houillon et plusieurs de leurs collègues.

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manière générale et indifférenciée, notamment une neutralité vesti- mentaire s’opposant au port de tels signes 22 ».

En revanche, une discrimination indirecte peut être caractérisée

« s’il est établi que l’obligation en apparence neutre qu’elle prévoit entraîne, en fait, un désavantage particulier pour les personnes adhérant à une religion ou à des convictions données, à moins qu’elle ne soit objectivement justifiée par un objectif légitime, tel que la poursuite par l’employeur, dans ses relations avec ses clients, d’une politique de neutralité politique, philosophique ainsi que religieuse, et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier 23 ».

La CJUE insiste également sur le fait que

« conformément à l’article 2, paragraphe 2, sous b), i), de la directive [du 27  novembre 2000], une telle différence de traitement ne serait pas constitutive d’une discrimination indirecte, si elle était objective- ment justifiée par un objectif légitime, tel que la mise en œuvre, par Micropole, d’une politique de neutralité à l’égard de ses clients, et si les moyens de réaliser cet objectif étaient appropriés et nécessaires […]. En revanche, pour le cas où le licenciement de Mme  Bougnaoui ne serait pas fondé sur l’existence d’une règle interne telle que visée au point 32 du présent arrêt, il convient d’examiner, ainsi qu’y invite la question de la juridiction de renvoi, si la volonté d’un employeur de tenir compte du souhait d’un client de ne plus voir de services fournis par une travailleuse qui, telle Mme Bougnaoui, a été assignée par cet employeur auprès de ce client et qui porte un foulard islamique, constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2000/78 24 ».

La CJUE rappelle que

« c’est non pas le motif sur lequel est fondée la différence de traite- ment, mais une caractéristique liée à ce motif qui doit constituer une exigence professionnelle essentielle et déterminante […]. Il convient, par ailleurs, de souligner que, conformément au considérant  23 de la directive  2000/78, ce n’est que dans des conditions très limitées qu’une caractéristique liée, notamment, à la religion peut constituer une exigence professionnelle essentielle et déterminante. Il importe

22. CJUE, Gde ch., 14 mars 2017, aff. C-157/15, Samira Achbita c/ G4S Secure Solutions NV,

§ 30.

23. CJUE, Gde ch., 14 mars 2017, Samira Achbita, précit. § 44.

24. CJUE, Gde ch., 14 mars 2017, aff. C188/15, Asma Bougnaoui et Association de défense des droits de l’homme (ADDH) c/ Micropole SA, § 33 et § 34.

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également de souligner que, selon les termes mêmes de l’article  4, paragraphe  1, de la directive 2000/78, la caractéristique en cause ne peut constituer une telle exigence qu’“en raison de la nature d’une activité professionnelle ou des conditions de son exercice”.  Il résulte de ces différentes indications que la notion d’“exigence profession- nelle essentielle et déterminante”, au sens de cette disposition, renvoie à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle en cause. Elle ne saurait, en revanche, couvrir des considérations subjectives, telles que la volonté de l’employeur de tenir compte des souhaits particuliers du client 25 ».

Nonobstant les limites et l’interprétation retenue par la CJUE, il est pos- sible de craindre les effets encore sous-estimés de la clause réglementaire sur la religion qui peut parvenir à une remise en cause de la jurisprudence Clavaud reconnaissant la liberté d’expression du salarié comme une liberté fondamentale, dans et hors de l’entreprise 26.

Si ces arrêts concernent l’entreprise ordinaire, le mécanisme de la clause réglementaire relative à la religion des membres de l’organisation est réver- sible et offre une grande marge de manœuvre. Il constitue à lui seul la source d’un infra-droit susceptible de créer des obligations spéciales et de prévoir une limitation des libertés individuelles. Réversible, ce mécanisme qui s’adresse aux entreprises ordinaires qui veulent imposer une neutralité notamment reli- gieuse, peut favorablement se déployer au sein des organisations religieuses qui font appel de plus en plus souvent, dans le cadre d’activités économiques qu’elles développent, à du personnel non religieux. La clause réglementaire apparaît au croisement du « religieux » et du « non religieux » et peut être instrumentalisée aux fins poursuivies par l’organisation. Tantôt pour limiter l’expression d’une religion, tantôt pour requérir l’obédience d’une religion, la clause réglementaire est moins contestable qu’une obligation contractuelle ou qu’une décision unilatérale. Il est probable qu’à l’avenir, les accords collectifs d’entreprise poursuivent une vocation organisationnelle à cette même fin. La nature de l’organisation importe peu, puisque le pouvoir normatif dévolu lui permet d’adapter les règles à son fonctionnement.

Afin de démontrer le rapprochement de l’organisation religieuse et de l’entreprise privée, une comparaison entre les composantes de cette organi- sation et les qualifications revêtues traditionnellement par l’entreprise sera menée dans le cadre d’approches sociologique (I.  Jonveaux) et juridique

25. CJUE, Gde ch., 14 mars 2017, Asma Bougnaoui, précit. § 37 à § 40.

26. Cass. soc., 28 avr. 1988 : Dr. soc. 1988, p. 428, concl. H. ÉCOUTIN, note G. COUTURIER.

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(S.  Lacroix-De  Sousa). L’analyse du fonctionnement de l’organisation reli- gieuse révèle également le parallélisme susceptible d’être établi sur le plan juridique avec l’entreprise. Ainsi, les règles applicables sont, parfois, celles régissant les entreprises, telles que les règles de concurrence, les règles fiscales (J.  Couard) ou encore les règles de droit du travail (J.  Mouly) lorsqu’elles ne font pas l’objet d’aménagements particuliers.

En remerciant infiniment les auteurs ayant contribué à la constitution de ce dossier qui ouvre la voie d’une réflexion renouvelée et prospective de l’organisation religieuse.

(24)
(25)

L’ORGANISATION MONASTIQUE, UNE ENTREPRISE COMME UNE AUTRE ?

Isabelle JONVEAUX

Université de Graz ; EHESS, Centre d’études en sciences sociales du religieux (CéSoR)

RÉSUMÉ

Comme communautés religieuses, les monastères présentent la particularité de tirer leur subsistance de sociétés économiques qu’ils gèrent eux-mêmes et qui leur appartiennent. Ces activités économiques sont soumises au droit civil qui varie selon chaque pays. Les entreprises des monastères sont donc soumises à la même législation que les entreprises laïques, toutefois, des éléments spécifiques permettent de répondre à certaines particularités religieuses, par exemple l’instauration de la valeur d’entretien en France pour faire remonter les salaires des religieux actifs dans les sociétés du monastère sans passer par leurs comptes personnels. Les activités économiques de monastères demeurent cependant toujours en tension entre les exigences économiques et les exigences religieuses.

ABSTRACT

As religious communities, monasteries have as a particularity to take their subsistence from economic activities they manage themselves. These economic activities are submitted to the civil law, which varies from country to country.

Monastic firms are therefore submitted to the same legislation as lay firms.

Nevertheless specific elements allow monastics to respond to certain religious particularities, such as for instance the “valeur d’entretien” in France to transfer the salaries of the monks directly to the communities. The economic activities of monasteries, however, still remain in tension between economic and religious requirements.

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P

oser la question de l’organisation religieuse comme entreprise peut se faire à plusieurs niveaux : celui métaphorique de l’application d’un modèle d’analogie et celui de la réalité des entreprises appartenant aux orga- nisations religieuses. Dans le premier niveau, il s’agit d’aborder l’organisation religieuse par le vocabulaire et les schémas de l’entreprise, ce qui est fait notamment pour l’Église actuellement 1. Le second concerne les entreprises économiques religieuses réelles, c’est-à-dire liées à des communautés reli- gieuses. Ces dernières, prises dans le cas spécifique des monastères, sont l’objet de cet article. La vie religieuse catholique se divise en deux catégories principales que sont la vie consacrée apostolique et la vie consacrée monas- tique. D’autres sous-catégories viennent compléter le tableau, mais elles sont plus marginales. La vie religieuse apostolique est aussi connue sous le nom de vie religieuse active ; il s’agit le plus souvent d’ordres hospitaliers, éduca- teurs ou prédicateurs. Nous choisissons ici de traiter essentiellement de la vie monastique, car celle-ci est la plus à même de développer de véritables entreprises économiques du fait de son rapport au travail.

Les monastères ne sont plus depuis longtemps un « lieu exterritorialisé » dans l’enceinte duquel « est suspendue l’application des lois 2 » et sont soumis à différents types de droit, qui sont tout d’abord le droit canon, mais aussi le droit civil en tant que congrégations reconnues et enfin, le droit commer- cial lorsqu’il s’agit des activités économiques du monastère. La pluralité des normativités peut-elle alors entrer en conflit avec les caractéristiques de la vie monastique ? Comment les communautés arbitrent-elles entre exigences légales et exigences religieuses ? Et comment adaptent-elles éventuellement leurs structures juridiques pour les mettre au service de leur but religieux ?

La vie monastique repose tout d’abord sur le cadre de la règle qui définit les structures principales du monastère et ses modes de fonctionnement. La règle de saint Benoît, écrite au VIe siècle et actuellement la plus répandue dans le monde, s’apparente sous de nombreux aspects pour le regard contemporain à un texte visant à soutenir la gestion d’un groupe de personnes œuvrant pour le même but. D’où son interprétation actuelle comme outil de management 3.

1. V. par ex. G. FIORENTINI, S. SLAVAZZA, La Chiesa come « azienda non profit ». Gestione e marketing, Milano, EGEA, 1998.

2. H. DESROCHE, Sociologie de l’espérance, Paris, Calmann-Lévy, 1973, p. 50.

3. V. par ex. B. FELDBAUER-DURSTMÜLLER, S. SANDBERGER, M. NEULINGER, « Sustainability for Centuries. Monastic Governance of Austrian Benedictine Abbeys », European Journal of Management, 12:3, 2012, p. 83-92 ; G. MÜLLER-STEWENS, M. MUFF, T. EBERLE, « Management von Klöstern: Ein Erfahrungsbericht », zfo Zeitschrift Führung +  Organisation 03/2014, p. 184-189.

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Le cadre légal civil des communautés religieuses variant selon chaque pays, on peut ainsi expliquer des différences dans le vécu des activités économiques des monastères alors que la règle monastique peut être la même. Un regard sur l’évolution des législations concernant la vie religieuse permet aussi le plus souvent d’expliquer certaines caractéristiques de la vie monastique actuelle et de comprendre les différences internationales.

L’attention portée au cadre légal n’est donc pas à négliger dans l’étude sociologique de la vie monastique, car il explique une grande partie des arbitrages et orientations des communautés qui ne proviennent pas néces- sairement d’intérêts religieux. Pour mieux comprendre l’impact du cadre juridique sur l’organisation de l’économie, nous commençons par présenter les caractéristiques de l’économie monastique et les types d’arbitrage que les monastères sont amenés à effectuer entre leurs impératifs religieux et leurs impératifs économiques  (1). Ensuite, nous présenterons le cadre juridique des communautés monastiques et plus spécifiquement de leurs activités économiques  (2), puis nous nous intéresserons à la façon dont les com- munautés monastiques négocient ce cadre pour l’adapter au mieux à leurs besoins religieux (3).

Cet article se base sur des enquêtes en monastères effectuées depuis 2004 dans différents pays d’Europe, au cours desquelles des entretiens ont été menés avec les moines et moniales responsables de la communauté ou des activités économiques. Une source importante est aussi constituée par l’accès à des rapports sur les comptes de communautés établis par un moine de l’abbaye de Ligugé entre  2013 et  2017, ayant pour mission d’effectuer le contrôle des comptes d’un certain nombre de communautés en Europe, Afrique et Amérique du Nord. Les questions légales liées aux activités y sont souvent détaillées.

1. LES ENTREPRISES MONASTIQUES

Ce qui différencie essentiellement une organisation religieuse des autres entreprises est son but. Le but des entreprises appartenant aux organisations religieuses n’est en effet pas en soi de faire du profit, mais de faire vivre la communauté. Les moines et moniales, tout comme les acteurs de l’économie solidaire, « s’accordent à dire que la poursuite du profit, la recherche du lucratif n’est pas l’objectif principal de leur action. Ce qui ne veut pas dire, ni qu’ils soient à la recherche d’une viabilité économique de leur activité, ni qu’ils soient insouciants quant aux critères de son efficacité et de sa

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rentabilité 4. » L’économie monastique doit donc aussi tenir un équilibre entre des exigences économiques minimum pour pouvoir subvenir aux besoins de la communauté et les exigences religieuses afin que l’activité économique n’entre pas en contradiction avec les valeurs monastiques, mais puisse, si possible, s’y intégrer.

1.1. LES EXIGENCES ÉCONOMIQUES

L’économie monastique a pour unique raison d’être les besoins de la com- munauté. Selon le sociologue allemand Max  Weber, les monastères sont a priori des réalités « anti-économiques », mais deviennent par nécessité des

« communautés de régulation de l’économie (wirtschaftsregulierende Gemein- schaften) 5. » Elles sont des communautés qui ont un côté économique mais qui ne sont pas des « communautés économiques », « c’est-à-dire dont les organes n’exercent ni par leur activité propre ni par leurs prescriptions, ordres et inter- dictions concrets, une action constante sur le développement économique, mais dont les statuts règlent néanmoins le comportement économique des personnes qui leur appartiennent 6. »C’est donc par nécessité que l’économie est intégrée à la réalité monastique qui souhaiterait idéalement la refuser.

L’activité économique monastique doit alors être en premier lieu suffi- samment rentable pour la communauté, c’est-à-dire que l’investissement en argent, en temps, en personnes, etc. corresponde aux résultats pour répondre effectivement aux besoins de la communauté. Une performance minimale des activités économiques monastiques est recherchée pour permettre une plus grande qualité de vie religieuse. Au contraire, les difficultés économiques altèrent la qualité de la vie contemplative par l’attention plus grande qu’elles requièrent. Un moine italien explique en effet qu’il faut selon lui gérer les activités économiques « professionnellement et non pas comme un volonta- riat », justement pour avoir plus de temps et de disponibilité pour la prière.

L’économie monastique s’affirme donc aussi en tant que réelle économie ainsi que l’explique un économe bénédictin français :

« En fait les gens ont une idée du moine qui est complètement décalée de la réalité du monde économique, ce qui fait que quand ils arrivent, ils sont perdus ! Parce que, 1)  on parle le même langage qu’eux,

4. J.-N. CHOPART, G. NEYRET, D. RAULT, Les dynamiques de l’économie sociale et solidaire, Paris, La Découverte, 2006, p. 94.

5. M. WEBER, Économie et société, t. 2, Paris, Pocket, 1995, p. 53.

6. Ibid., p. 53.

(29)

2)  techniquement, on a des machines qui sont au top d’un point de vue technologique, donc ils ne comprennent pas parce qu’ils nous voient encore avec une plume d’oie en train d’écrire un manuscrit, ou la tête dans les étoiles. Enfin 3), ils s’aperçoivent qu’en fait la manière de manager les personnes peut être à la fois très humaine, ce qui n’est pas simple, hein, et ce qui peut faire aussi une réussite économique. » Si elle est bien présente, la question de la rentabilité ne se pose cependant pas dans une activité monastique de la même manière que dans d’autres entre- prises. La rentabilité est souvent attendue des activités économiques prises dans leur ensemble, mais non pas nécessairement de chacune prise séparé- ment. D’autres raisons peuvent en effet présider au maintien d’une activité du monastère, même si elle n’est pas économiquement rentable. Ainsi la dimen- sion sociale est un critère qui peut parfois passer à la première place pour l’emploi de laïcs dans les activités monastiques, même si l’appariement entre les compétences et la fonction n’apparaît pas le plus optimal. Par exemple, le directeur commercial de l’abbaye de Maredsous en Belgique, un laïc, explique :

« Nous sommes dans une abbaye, donc il y a un caractère social, donc on fait travailler des gens qui sont plus en difficulté, des gens qui seraient plus difficile à intégrer dans une société normale. Ici, on a ce but social de faire vivre quelques personnes du voisinage ou autre. »

L’appel à la tradition ou encore la visée religieuse d’une activité peuvent être des critères qui ne servent pas la rentabilité d’une activité, mais qui justifient son maintien selon les critères religieux.

1.2. LES EXIGENCES RELIGIEUSES

Nous l’avons dit, les activités économiques des monastères ont pour but premier de subvenir aux besoins de la communauté et ce, pour que les membres de la communauté puissent se dédier à leur vocation principale qui est la contemplation. Toutefois, les exigences religieuses entrent en conflit avec les activités économiques sur plusieurs plans. Cela peut concerner autant la place de l’économie et du travail dans la vie de la communauté que le sens des activités économiques, leur nature et leur objet. Les conflits peuvent aussi survenir pour des questions de partage du temps et de l’espace.

Concernant par exemple les conflits temporels, l’arbitrage en faveur du religieux peut pousser les communautés à employer plus de laïcs dans leurs activités lorsque les exigences de l’activité laborieuse ne leur permettent pas de se rendre à l’office ou aux temps de vie communautaire. C’est pour cette

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raison par exemple que l’abbaye de Tamié a employé des laïcs pour collecter le lait pour la production de fromage le matin, au moment où les moines célèbrent la messe.

L’arbitrage entre les impératifs économiques et les impératifs religieux est donc un équilibre difficile à atteindre par les communautés. Donner la priorité aux impératifs religieux sur les impératifs économiques peut signifier ne pas souhaiter volontairement répondre à toute la demande existante, donc ne pas augmenter la production pour maintenir la taille de l’entreprise adaptée aux exigences de la communauté. Ainsi que le disait un trappiste belge en entretien, « il faut que ça reste une abbaye avec une brasserie et non une brasserie avec une abbaye ». L’activité économique doit demeurer au service de la communauté religieuse et non l’inverse.

1.3. L’ÉCONOMIE ALTERNATIVE DES ENTREPRISES MONASTIQUES

Afin d’intégrer au mieux l’économie dans l’utopie monastique selon les termes de Jean Séguy 7, une stratégie possible est de redéfinir l’économie selon les valeurs monastiques, c’est-à-dire de vivre autrement l’économie. Que ce soit par des activités économiques à valeur écologique, un engagement social à travers ces activités, la finance éthique, ou encore un management alternatif basé sur les enseignements de la règle de saint Benoît, les monastères tâchent de donner d’autres dimensions à leur économie. Concernant les placements financiers par exemple, ceux-ci ne sont nullement interdits par le droit reli- gieux, mais « une gestion de bon père de famille » est recommandée. Comme toute autre entité économique, le monastère doit en effet gérer les excédents dans ses comptes d’exploitation, soit les revenus supérieurs à ses besoins. Les communautés ont donc recours à des placements financiers, mais tâchent d’être attentives aux dimensions éthiques des entreprises qu’elles financent.

La dimension alternative de l’économie monastique peut aussi se lire à travers un prisme non religieux qui rejoint des préoccupations actuelles de la société, notamment lorsque cela concerne le développement durable ou la gestion du personnel. De ce fait, un intérêt grandissant est porté sur les monastères comme organisations, ce qui se traduit par des ouvrages de management 8 ou des sessions pour chefs d’entreprises organisées dans des

7. J. SÉGUY, « Une sociologie des sociétés imaginées : monachisme et utopie », Annales, n°  2, 1971, p. 328-354.

8. Par ex. A. GRÜN, F. ASSLÄNDER, Management et accompagnement spirituel : à l’école de saint Benoît et de la Bible, Paris, Desclée de Brouwer, 2008 ; J. ZEITZ, A. GRÜN, Le moine et

(31)

monastères. Par-là, les monastères trouvent aussi dans la société sécularisée une nouvelle plausibilité.

2. LE CADRE JURIDIQUE DE LA COMMUNAUTÉ MONASTIQUE ET DE SES ACTIVITÉS

Le cadre juridique des communautés monastiques est constitué de deux pans principaux que sont le droit canon d’une part, valable pour toute com- munauté reconnue comme institut de vie consacrée par le Vatican et, d’autre part, le droit civil et commercial propre à chaque pays.

2.1. LE DROIT CANON

Comme membres d’un ordre religieux reconnu par l’Église romaine, les communautés monastiques se doivent en premier lieu de suivre le droit de l’Église, autrement dit le droit canon. Concernant la vie consacrée, le droit canon évoque, dans les canons  573 à  746, différentes questions touchant à la définition des diverses formes de vie consacrée, l’érection et la fermeture des communautés, les questions de responsabilité et d’organisation, de cha- pitres pour les prises de décision, d’entrée et de sortie, de formation, etc. De manière générale, les questions économiques sont peu abordées dans cette section. Concernant les activités économiques, le droit canon s’en remet au droit civil de chaque pays. « Quant aux modes d’acquisitio des biens tempo- rels, ils peuvent utiliser tous les moyens justes, selon le droit naturel positif, que n’importe quelle personne juridique publique peut emprunter 9. » Ainsi, on peut lire dans le canon  634 à destination des instituts de vie consacrée et sociétés apostoliques : « Les instituts, provinces et maisons, en tant que personnes juridiques de plein droit, sont capables d’acquérir, de posséder, d’administrer et d’aliéner des biens temporels, à moins que cette capacité ne soit exclue ou restreinte dans les constitutions ». Une seule activité est cependant théoriquement interdite aux religieux qui est celle du commerce, ainsi que le précise le canon  286 : « Il est défendu aux clercs de faire le négoce ou le commerce par eux-mêmes ou par autrui, à leur profit ou celui

l’entrepreneur. Dieu, l’argent et la conscience, Paris, Paroles et Silence, 2012 (Anselm Grün est un bénédictin allemand).

9. E. CAPARROS, M. THERIAULT, J. THORN, Code de droit canonique, Montréal, Wilson de Lafleur, 1999, can. 1259.

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de tiers, sauf permission de l’autorité ecclésiastique légitime 10. » Toutefois, l’on observe que la très grande majorité des monastères en France, de même que dans le monde, possèdent un magasin où parfois les moines et moniales sont eux-mêmes à la caisse 11. L’autorisation de l’autorité légitime, en l’occur- rence la Conférence des religieux et religieuses de France (CORREF), est donc largement accordée.

Le droit canon ne fournit donc pas un cadre précis pour les activités économiques des communautés religieuses. Giuseppe  di Mattia remarque aussi que la question des cotisations sociales n’est pas abordée dans le Code de droit canon de 1983 12. Selon lui, ce silence sur les assurances sociales fait transparaître l’idée d’une « inconciliabilité entre le vœu de pauvreté et les assurances sociales 13 ».

Il faut ajouter enfin que le cadre de fonctionnement des monastères est en outre déterminé par les constitutions de chaque congrégation qui définissent de manière plus précise les éléments de gouvernance de la communauté.

2.2. L’ÉCONOMIE MONASTIQUE ET LE DROIT CIVIL

L’organisation économique des monastères dépend en grande partie du contexte légal dans lequel ils se trouvent. En lien avec l’histoire politique et religieuse du pays, ce cadre légal des communautés religieuses varie, concer- nant notamment les questions fiscales et de cotisations sociales.

Depuis 1978, les clercs réguliers sont en France assujettis au paiement obligatoire de cotisations sociales par le biais de la CAVIMAC. « C’est un régime de Sécurité sociale obligatoire pour tout ministre du culte ou membre de congrégation ou de collectivité religieuse exerçant en France dès lors qu’il n’est pas déjà obligatoirement couvert au titre d’une autre activité profes- sionnelle par un autre régime de Sécurité sociale (salarié, agricole, travailleur non salarié ou profession libérale) 14. » La CAVIMAC est créée en 2000 de la réunion des deux anciennes caisses fondées en 1978 et 1980 (CAMAC et CAMAVIC). Elle comprend deux branches : maladie, maternité, invalidité et vieillesse. Une mutuelle existe aussi pour les religieux et prêtres, la Mutuelle

10. Ibid., can. 286.

11. I. JONVEAUX, Le monastère au travail, Paris, Bayard, 2011, p. 162.

12. G. DI MATTIA, « Il vote di povertà e le assicurazioni sociali », in Lo Stato giuridico dei consacrati per la professione dei consigli evangelici, Città del Vaticano, Libr. ed. vaticana, 1985, p. 196.

13. Ibid., p. 197.

14. https://www.cavimac.fr/nous_connaitre_page_de_presentation.html [consulté le 9 janv. 2018].

(33)

Saint-Martin. En retour de leurs cotisations sociales, les moines et moniales reçoivent les remboursements de soins, mais aussi une pension de retraite, comme pour toute autre caisse de Sécurité sociale. Avec le vieillissement et la réduction des communautés, ces pensions de retraite représentent de plus en plus, notamment pour des communautés féminines qui sont en moyenne plus âgées et plus petites que les communautés masculines, la première source de revenus 15. Cela signifie aussi qu’il ne s’agit pas d’un revenu stable, car la mort d’une sœur entraîne la perte d’un revenu. Ces cotisations sont indépendantes de l’emploi du moine ou de la moniale comme nous allons le voir par la suite. Cette situation d’assujettissement obligatoire aux cotisations sociales et par un fonds spécifique pour les religieux réguliers est une carac- téristique française. En Italie par exemple, les membres des communautés monastiques ne sont pas assujettis aux cotisations sociales s’ils n’ont pas de profession à l’extérieur, mais reçoivent néanmoins la pension minimale de l’État. La caisse Fondo clero ne concerne que les prêtres. Cette différence implique aussi, pour les communautés françaises, la nécessité plus grande de produire des revenus pour payer ces cotisations.

Le même type de différences concerne la fiscalité. En Italie, les moines et moniales sont exonérés de taxe d’habitation. En France en revanche, les communautés monastiques y sont soumises, seules certaines bénéficient de l’exonération prévue pour les contribuables âgés de plus de 60  ans ou les titulaires de l’allocation de solidarité aux personnes âgées comme le sont les maisons de retraite appartenant aux ordres religieux. Quant aux taxes foncières, « assises sur les propriétés bâties et non bâties, ces taxes sont obligatoirement payées par les communautés propriétaires d’immeubles et de terres 16 ». Toutefois, les communautés religieuses, en tant qu’associa- tions, ne sont pas assujetties à l’impôt de solidarité sur la fortune, alors que certaines pourraient l’être lorsqu’elles possèdent un ensemble immobi- lier historique important. Le patrimoine des monastères français est estimé à 4 580 000  euros en moyenne, selon l’enquête de Monastic  2007, avec un minimum de 100 000  euros et un maximum de 48 000 000  euros ; les disparités sont donc importantes 17. Ces chiffres montrent aussi que si les associations non lucratives n’en étaient pas exonérées, plus de la moitié des monastères paieraient l’impôt sur la fortune puisque leur patrimoine dépasse le seuil d’imposition à l’ISF fixé à 800 000  euros. Ceci présenterait

15. I. JONVEAUX, op. cit., p. 136.

16. Guide fiscal des communautés religieuses, Saint-Martin Boulogne, Monastic, 2002, p. 57.

17. Enquête de l’automne 2007 : monastères et problèmes économiques, présentée par P.-Y. GOMEZ

et R. DE MAZIÈRES.

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un paradoxe avec l’idéal monastique de pauvreté, même si le vœu de pau- vreté ne concerne que l’individu pour les communautés monastiques et non l’individu et la communauté comme pour les ordres mendiants (franciscains par exemple). À cela, il faut ajouter que le patrimoine immobilier est souvent une source de dépenses importante pour les communautés dont la taille se réduit de plus en plus. Le poste d’habitation est en effet la première source de dépenses pour la plupart des monastères européens ; il représente 41 % des dépenses pour la communauté 1 et 48 % pour la communauté 3 du tableau infra. Il faut noter toutefois des écarts importants entre le patrimoine des communautés masculines qui s’élève en moyenne, pour les 34  monastères de l’enquête Monastic, à 11 814 000  € et celui des communautés féminines qui se monte à 2 645 000  €. Ce patrimoine se répartit en moyenne en trois tiers quasi égaux que sont les patrimoines immobilier, financier et autre.

L’économie d’un monastère repose sur plusieurs sources de revenus qui sont autant des activités lucratives que des activités non lucratives. À cela s’ajoutent encore des dons, legs ou donations. Parmi les activités non lucra- tives, on compte l’hôtellerie et les ministères religieux, honoraires de messe notamment. Les activités lucratives, qui peuvent revêtir plusieurs types de forme légale, sont les activités qui permettent au monastère de subvenir à ses besoins. Les activités reconnues fiscalement comme non-lucratives sont le plus souvent des activités qui peuvent produire des revenus, mais qui n’ont pas de but économique pour la communauté.

Les revenus des activités lucratives proviennent essentiellement de sociétés qui appartiennent au monastère, mais aussi, le cas échéant, de dividendes sur des marques qu’il possède. Il arrive en effet que des monastères vendent le processus de production d’un de leurs produits car l’activité prend trop de place dans la vie de la communauté. Mais si la marque leur appartient tou- jours, ils en reçoivent alors les dividendes ou royalties. C’est le cas notamment d’une abbaye bénédictine normande qui revend régulièrement ses activités qui, selon le frère économe, « réussissent trop bien ». Ce modèle est très fréquent en Belgique, concernant notamment la production de bière et de fromage, et les dividendes deviennent alors la première source de revenus de la plupart des monastères belges masculins.

2.3. L’ORGANISATION LÉGALE DES ACTIVITÉS ÉCONOMIQUES DES MONASTÈRES

Les communautés monastiques françaises présentent pour la plupart un organigramme composé des mêmes éléments. Au centre se trouve la commu- nauté qui peut revêtir différentes formes juridiques selon qu’elle est reconnue

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