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« Pas de mouvement sans AG » : les conditions d'appropriation de l'assemblée générale dans les mobilisations étudiantes en France (2006-2010). Contribution à l'étude des répertoires contestataires

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Submitted on 4 Oct 2017

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“ Pas de mouvement sans AG ” : les conditions

d’appropriation de l’assemblée générale dans les

mobilisations étudiantes en France (2006-2010).

Contribution à l’étude des répertoires contestataires

Julie Le Mazier

To cite this version:

Julie Le Mazier. “ Pas de mouvement sans AG ” : les conditions d’appropriation de l’assemblée générale dans les mobilisations étudiantes en France (2006-2010). Contribution à l’étude des réper-toires contestataires. Science politique. Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2015. Français. �tel-01610685�

(2)

U

NIVERSITÉ

P

ARIS

1 P

ANTHÉON

-S

ORBONNE

ÉCOLE DOCTORALE DE SCIENCE POLITIQUE

THÈSE

pour l'obtention du Doctorat de Science politique

présentée et soutenue le 12 novembre 2015

par Julie LE MAZIER

« Pas de mouvement sans AG » :

Les conditions d'appropriation de l'assemblée

générale dans les mobilisations étudiantes en

France (2006-2010)

Contribution à l'étude des répertoires contestataires

Directrice de thèse

Madame Isabelle SOMMIER, Professeure

Jury

Monsieur Loïc BLONDIAUX, Professeur, Université Paris 1

Madame Paula COSSART, Maître de conférences, Université de Lille 3 Monsieur Olivier FILLIEULE, Professeur, Université de Lausanne Monsieur Bertrand GEAY, Professeur, Université de Picardie

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La thèse a été préparée au :

Centre européen de sociologie et de science politique (Cessp) – Centre de recherches politiques de la Sorbonne (CRPS)

14, rue Cujas 75 005 Paris

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Résumé

La thèse s'attache à rendre compte des conditions pratiques et symboliques d'appropriation par les étudiants grévistes de la seconde moitié des années 2000 en France d'une forme d'organisation, l'assemblée générale (AG), qui fait partie de leur répertoire contestataire depuis les années 1960. Il s'agit ainsi de comprendre comment des formes d'action se reproduisent d'une mobilisation à l'autre, c'est-à-dire comment des acteurs en viennent à avoir recours à l'une plutôt qu'à d'autres qu'ils connaissent, comment ils en font l'apprentissage et comment ils la transforment à la marge en la pratiquant. Elle s'appuie principalement sur une enquête ethnographique menée sur les mobilisations qu'ont connu trois sites universitaires entre 2006 et 2010. Les usages des AG sont façonnés par les luttes internes aux groupes sociaux, politiques et syndicaux impliqués dans l'espace de ces mobilisations, de sorte que leur succès tient à la fois à une entreprise symbolique de justification de ces dernières au nom de la « démocratie » par des courants minoritaires, et à leur plasticité. Elles sont en effet investies de toute une palette de rôles – qui n'ont parfois rien à voir avec des normes « démocratiques ». Elles sont ainsi promues par des militants auxquelles elles permettent d'avoir le sentiment de peser sur une masse d'étudiants, et cela d'autant plus qu'ils appartiennent à de petites organisations qui sont loin de pouvoir mobiliser autant d'adhérents.

Mots clés

Répertoires contestataires, démocratie, mouvements sociaux, socialisation militante, division du travail militant, étudiants, syndicalisme, grèves, ethnographie.

« No Movement Without AG » : The Conditions of Appropriation of General Assembly in French Student Mobilizations (2006-2010). A Contribution to the Study of Contentious Repertoires.

This dissertation illuminates the practical and symbolic conditions of appropriation of general assemblies (assemblées générales – AG) by striking students in the second half of the 2000s in France. This mode of organization has been part of their contentious repertoire since the 1960s. It tries to understand the recurrence of ways of action from a mobilization to another, that is, how actors come to resort to one of them instead of others they know, how they learn how to practice it and how they slightly transform it in the process. It is mostly based on an ethnographic investigation about the mobilizations of three higher education sites between 2006 and 2010. The uses of AG are shaped by internal conflicts among the social, political and union groups which are involved in the space of these mobilizations, so that their success stems from both the symbolic entreprise of justification ot them in the sake of « democracy » by minority currents, and their plasticity. Indeed, they play a whole set of roles – which sometimes have nothing to do with « democratic » norms. They are promoted by activists to whom they give the feeling that they influence a mass of students, especially as they belong to organizations which are far from being able to mobilize as many members.

Keywords

Contentious repertoires, democracy, social movements, activist socialization, division of activist labor, students, unionism, strikes, ethnography.

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Remerciements

La recherche qui est ici présentée doit d'abord beaucoup au soutien enthousiaste d'Isabelle Sommier, qui a la délicatesse d'être davantage qu'une directrice de thèse rigoureuse et attentive : je la remercie pour ses conseils précis, ses encouragements comme pour sa sollicitude. Les pages qui suivent ont également bénéficié des recommandations précieuses de Loïc Blondiaux et d'Olivier Fillieule à l'occasion de mon comité de thèse, et de celles de Frédérique Matonti, Daniel Gaxie, Delphine Dulong, Bastien François et Samuel Hayat. Je remercie également Vanessa Codaccioni, Mathieu Hauchecorne et Étienne Ollion pour leurs ateliers méthodologiques.

Un doctorat est, contrairement aux idées reçues, une entreprise collective. Je remercie les amis et collègues qui ont minutieusement relu des parties de ce travail : Sidy Cissokho, Nazli Nozarian, Nicolas Azam, Violaine Girard, Sylvain Antichan, Lorenzo Barrault-Stella, Alessio Motta, et les participants du séminaire Mobilisations et Engagements (MobeE) qui a été durant trois ans un lieu d'échanges essentiel, parmi lesquels Isil Erdinc, Pierre France, Orianne Tercerie, Michael Barbut, Juliette Fontaine, Matthieu Marcinkowski et Adrien Mazières-Vaysse. Je remercie plus largement mes collègues doctorants de Paris 1 et d'ailleurs, en particulier Fabien Brugière, François Reyssat, Clémentine Berjaud, Martin Baloge, Hugo Bréant, Emmanuelle Bouilly, Romain Lecler, Corentin Bourdeaux, Antony Burlaud, Ewa

Krzatala-Jaworska, Lola Avril, Anne Bellon, Natália Frozel Barros, Amélie Beaumont, Simon Massei, Antoine Aubert, Jean-Michel Chahsiche, Constantin Brissaud et Guillaume Petit.

J'ai bénéficié à l'UFR de Science politique de l'Université Paris 1 d'un contrat doctoral puis d'un poste de demi-ATER qui m'ont permis de mener à bien cette thèse, et j'en remercie tous ceux qui m'ont accordé leur confiance. J'y ai travaillé dans des conditions privilégiées, en particulier grâce à l'efficacité, la disponibilité et la bonne humeur de l'équipe de Biatoss. Merci à Odile Abadie, Catherine Bailleux, Isaïah Ekue, Chantal Lisse, Clarence Paul, Claudine Poirier et Lucie Ribourg. Merci également aux collègues de Sud-Éducation Paris 1 et de l'intersyndicale, à ceux de Sud-Éducation Paris et du lycée Montesquieu à Herblay pour leur soutien.

Je remercie tous les étudiants et personnels de l'enseignement supérieur engagés dans les luttes de la fin des années 2000 pour leur ténacité, notamment celles et ceux qui m'ont accordé de leur temps. Comme toute enquête ethnographique, ce travail à été un moment de socialisation. Mes pensées vont ici à celles et ceux qui m'ont formée au militantisme étudiant : Grégoire, Marine R., Denis, Anouk, Sylvain dit Titou, Céline, Matthias, Samuel et toute l'équipe de Tolbiac, Madeleine, Marine C., Matteo S., Théo, Martin et Boris. Je remercie tout particulièrement Aurélien pour avoir été un allié d'exception, y compris au sens où l'entend Florence Weber1. Il y a des adversaires qui rabaissent, et d'autres qui élèvent par leur

intelligence et leur ruse : pour cela je remercie Anna, et j'ai également une pensée pour Jean-Claude Colliard, inhabituellement placé du côté « enquêtés » des remerciements.

1 Florence Weber note dans l'enquête ethnographique « l'existence de deux styles – incompatibles – de relations avec les indigènes : une collaboration amicale avec des alliés et une relation plus distante et plus orthodoxe (entretiens non directifs, longs et répétés) avec des enquêtés ». Florence WEBER, Le Travail à-côté. Une ethnographie des perceptions, Paris, Éditions de l'École des hautes études en sciences sociales, 3e éd. 2009, (1989), p. 36.

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L'écriture n'a pas été un travail solitaire. Je remercie ma famille pour sa patience et son soutien malgré la perplexité, et surtout ma mère, qui a relu l'intégralité de la thèse. Je remercie Agnès et Paul-Henri pour leur hospitalité et leur exemplarité. Je remercie les amis et voisins qui sont passés partager un repas ou fumer une cigarette et que je ne pourrais tous citer ici. Mais Claire, Marie-Noor, Camille, Steve, Vincent, Jean, Olivier, Arnaud, Nicolas et Léo, merci.

Enfin, je remercie deux femmes qui, chacune à leur manière, m'ont guidée dans des mondes d'hommes, Hélène Meynaud, et Prisca Bachelet, avec toute mon affection. Pour tout le reste et pour le regard qu'il porte sur les choses, je remercie Julien. Je n'aurais sans doute pas pu terminer ce travail sans sa force de caractère.

(10)

Table des matières

Remerciements...7

Table des matières...9

Introduction générale...15

I. Les mouvements étudiants : un point d'entrée pour explorer les conditions d'appropriation d'un répertoire contestataire...20

1. Condition(s) étudiante(s) et apprentissages de l'AG...20

2. Si loin, si proches : chercheurs et mouvements étudiants...25

A. L'obstacle de l'apparente proximité à l'objet...25

B. Recherches sur la mobilisation contre le CPE, ou l'enquête encastrée dans une autre...28

II. Comprendre les conditions d'appropriation d'une performance contestataire...32

1. Les questions posées par Charles Tilly – et celles qu'il ne pose pas...32

2. Contourner le biais objectiviste : dilemmes pratiques et combinatoire des performances contestataires...35

3. Des répertoires aux performances contestataires...39

4. Derrière la métaphore musicale et théâtrale, ouvrir la boîte noire des apprentissages et des improvisations...44

III. Restituer le poids des rapports de forces internes aux groupes mobilisés dans l'appropriation d'une performance...48

1. Un espace militant étudiant ?...48

2. Effets des principes de division des groupes mobilisés sur les AG et diversité des groupes stratégiques en présence...54

3. Des propriétaires et entrepreneurs de performances contestataires face à leur public ...57

4. La division du travail militant...60

IV. L'objet « démocratie »...64

1. La « démocratie » dans les mouvements sociaux (I) : une affaire de « nouveaux militants » et de « crise » du syndicalisme ? ...65

A. L'attrait des coordinations...65

B. La réduction à la nouveauté...68

2. La « démocratie » dans les mouvements sociaux (II) : idéologies et airs du temps...71

A. La réduction à l'idéologie...71

B. Un air du temps « participatif » ? ...75

(11)

V. Croisement de méthodes et enquête ethnographique...82

1. Une enquête ethnographique : entrée sur le terrain, choix des sites et positions d'enquête...82

A. Novice sur des terrains atypiques (2006-2007)...83

B. Animatrice d'un syndicat local lors d'une lutte nationale (2008-2009) : la construction d'un protocole d'enquête...84

C. Animatrice nationale militant dans un « bastion » des luttes étudiantes (2009-2010) : le choix des terrains de thèse et la stratégie du contre-exemple...86

D. Intérêts de recherche et intérêts militants – ou comment quitter le terrain...90

2. Le croisement des méthodes et la restitution des résultats...93

Première partie : Les conditions pratiques et symboliques de reproduction de l'assemblée générale en milieu étudiant ...101

Chapitre 1 : De la quête d'une « première fois » à la chronologie de l'investissement symbolique d'une forme d'organisation...103

Introduction ...103

I. L'éphémère apogée du syndicalisme étudiant et le déplacement des modes de légitimation (1956-1968)...107

1. La guerre d'Algérie et la politisation des étudiants...108

2. Rebondir après 1962 : l'Unef à la recherche d'un nouveau projet syndical...112

3. « Grève participation », comité de grève et mandatement des délégués en novembre 1967...121

II. Le moment 68...126

1. Des entrepreneurs de mémoire...126

2. Prendre le droit d'expression politique à l'université : des assemblées générales dans un océan de réunions...134

3. Au fil de mai : la stabilisation d'organigrammes des universités occupées et le rôle pivot des AG...142

4. Des révolutionnaires en quête de conseils : (dés)investissements symboliques de l'AG...151

III. De 1968 à 2006 : lieux et milieux de diffusion d'un répertoire organisationnel et de ses modes de justification...162

1. La continuité des mouvements étudiants...162

2. Des organisations dormantes...166

Conclusion...173

Chapitre 2 : L'encadrement des AG par les militants organisés : une intervention sous contraintes...175

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I. Représenter les étudiants en situation de délégation ratée : le syndicalisme étudiant dans

les années 2000...176

1. Les syndicats étudiants : des organisations éclatées et concurrencées...177

2. Qui sont les étudiants ? Représenter un groupe social hétérogène...184

3. Les syndicalistes étudiants : une fraction singulière de la population étudiante...192

II. La diffusion d'un kit militant de la grève étudiante de 2006 à 2010...202

1. Du mouvement de masse contre le CPE à la queue de comète de la mobilisation contre la réforme des retraites...203

2. Le « cela va de soi » des AG dans l'espace militant étudiant...210

3. Les étudiants et leurs organisations : le double jeu de la dépendance et de la défiance ...216

4. Le mouvement contre le CPE à Poitiers : une exception ?...224

III. Virtuoses et novices : les conditions de la participation active aux AG...231

1. Des inégalités de participation...232

2. Une performance contestataire qui mobilise des compétences spécifiques...241

A. La socialisation dans les mouvements étudiants...241

B. Des façonnages organisationnels...245

3. La diffusion contrôlée des innovations...252

A. La diffusion de la « double liste » dans les AG de l'ENS en 2009...252

B. Reconfigurations de l'espace militant et changement de style des AG à Censier ...259

Conclusion...263

Chapitre 3 : La fabrique des positions sur la « démocratie » des AG...265

Introduction...265

I. L'espace des prises de position sur les AG : des approches démocratiques distinctes....266

1. Des dispositions et intérêts inégaux à formuler des opinions sur les AG...267

2. Du bureau de vote à l'AG...270

3. Justifications instrumentales et justifications en valeur des AG...276

4. Des gestions différentes du problème des inégalités de compétences militantes...282

II. Les luttes sur les « modalités de fonctionnement » ...288

1. La bataille des mandats...288

2. L'enjeu de la délégation...299

3. L'enjeu de la formalisation ...301

4. Au delà du formalisme...310

Épilogue. AG étudiantes et démocratie participative : histoires de famille...319

1. L'homologie des styles de justification dans deux mondes rivaux...319

(13)

Conclusion ...332

Deuxième partie : Apprendre à jouer une performance...335

Chapitre 4 : L'AG, ou la bonne échelle pour articuler débat et effet de masse...337

Introduction...337

I. En AG à Censier...345

1. Deux AG...346

2. Instituer un nouvel ordre des interactions...359

3. « Si l'assemblée générale déborde, tant mieux »...369

4. Susciter « le cri de joie d'une assemblée du peuple », et autres usages des prises de parole...379

II. L'AG, lieu d'organisation ou d'action ? ...392

1. La conquête et le détournement d'un espace de pouvoir...393

2. Un espace de pouvoir qui contraint la forme des débats...408

3. Débattre avant de voter...419

Conclusion ...433

Chapitre 5 : Apprendre à jouer des rôles différenciés...435

Introduction ...435

Prologue : la prise de parole, une pratique masculine...439

I. Orateurs réguliers et présidents de tribune : jouer la virilité...447

1. Des militants blancs, enfants de professions intellectuelles supérieures...447

2. Quand la virilité est populaire...452

3. Un rapport ambivalent à la virilité des « quartiers populaires »...457

4. Les oratrices : dissimuler le stigmate...462

II. Et les autres : « petites mains » ou « bureaucrates de l'ombre » ?...474

1. Le surinvestissement de toutes les autres tâches...474

2. Convertir, ou pas, son travail militant en titre à parler...480

3. Un « sale boulot » ? ...488

4. Exécution, travail de reproduction du collectif militant et production d'une parole incarnée...492

Épilogue : l'indicible leadership ...500

(14)

Troisième partie : L'assemblée générale dans le répertoire contestataire des

mobilisations étudiantes...513

Chapitre 6 : Le rythme des mobilisations étudiantes : les AG dans les différentes séquences contestataires...515

Introduction...515

I. Des organisations syndicales et politiques aux AG : la mise en place d'un répertoire organisationnel a-syndical...517

1. AG ratées et AG réussies : objectiver un tournant...520

2. Ce que l'AG fait à la mobilisation ...523

3. AG et meetings comme marqueurs identitaires pour les organisations ...528

II. La question du blocage...534

1. Faire des AG pour bloquer... ou l'inverse ? ...537

2. AG de débat ou AG de lutte ? ...544

III. L'AG dans l'économie d'une journée de mobilisation...550

1. Avant l'AG : les techniques de mobilisation ...552

2. Division du travail militant et répartition des effectifs entre les différentes performances contestataires...554

3. Des AG prises dans des épisodes contestataires...557

IV. Maintenir l'engagement : la vie de la grève et le rôle des commissions...563

1. L'enjeu de la participation...565

2. L'autonomisation inachevée du répertoire a-syndical ...572

Conclusion. Sur des malentendus...579

Chapitre 7 : La circulation des décisions : l'AG en compétition avec d'autres arènes...581

Introduction...581

I. L'AG en concurrence avec d'autres lieux de débats...582

1. Lieux de décision, lieux d'action : une comparaison des AG et des manifestations.584 2. En ligne et hors-ligne : la concurrence d'Internet...588

3. AG et comité de mobilisation : complémentarité et concurrence...601

II. Quand les militants étudiants rencontrent les enseignants-chercheurs : le répertoire organisationnel de la mobilisation de 2009...610

1. La Coordination nationale des universités, ou la « stratégie du gorille »...612

2. Une, deux, trois, mille coordinations...620

3. Coordinations franciliennes, AG interfacs et AG de ville : « une question d'initiative »...628

4. AG d'UFR et de département vs AG d'établissement : l'autorité professorale à l'épreuve de l'expérience militante étudiante...643

(15)

Conclusion générale : Que reste-t-il des AG ? Éléments pour une sociologie des

temporalités militantes...651

Bibliographie...661

Sources primaires...685

Annexes...687

Principaux sigles utilisés...689

Liste des entretiens...691

Liste des observations...705

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Introduction générale

Jeudi 7 octobre 2010

Le quatrième jour de l'année universitaire, le collectif de syndicats et d'organisations de jeunesse de l'Université Paris 1 constitué contre la réforme des retraites appelle à une première assemblée générale (AG)1 à 15 h 30 dans un amphi de deux cents places, l'amphi J, au centre

Pierre Mendès France (PMF), rue de Tolbiac. À partir de 15 h, les militants des différents syndicats se rassemblent dans les locaux de la Fédération syndicale étudiante (FSE), de l'Union nationale des étudiants de France (Unef), de la Confédération nationale du travail (CNT) et de Sud-Étudiant, tous situés les uns à côté des autres au 9e étage du centre PMF. La tension est

palpable, et les militants de la CNT se passent des chants (« Les Anarchistes » de Léo Ferré, puis l'Internationale) qu'ils reprennent à tue-tête, tant pour se donner du courage que pour manifester leur identité politique aux oreilles des militants d'autres sensibilités. Un militant de Sud-Étudiant chante avec eux, de l'autre côté de la cloison. Les militants descendent ensuite en groupes au rez-de-chaussée où se situe l'amphi réservé pour l'AG. J'ai moi-même une boule au ventre et j'ai peur qu'il n'y ait personne. Je finis par passer la tête à travers la porte : l'amphi est plein. Soulagement général et échanges de sourires entre les militants.

Mardi 12 octobre 2010

Deuxième AG au centre PMF, appelée à 11 h 30 dans l'amphi J. À l'heure dite l'amphi est plein à craquer, des étudiants sont debout, et plusieurs syndicalistes étudiants décident de déplacer l'AG dans l'amphi N, le plus grand – il peut accueillir un millier de personnes – et le plus emblématique des grèves du centre. Je dois remplacer au pied levé le militant de Sud-Étudiant qui devait présider la tribune, chargée d'organiser depuis l'estrade les débats et les votes. Alors que c'est la première fois que je remplis ce rôle dans cette université, la fin de l'AG, à partir de 13 h, s'avère particulièrement difficile. Les militants de la tendance majoritaire de l'Unef présents chahutent la tribune pour obtenir la fin immédiate de l'AG – avant les votes – et le départ en manifestation, avec pour argument que les étudiants mobilisés sur le campus voisin de Paris 7 sont dans la cour à nous attendre. Le président de l'AGE2 de Paris 1, Cyril, rentre

dans l'amphi avec un mégaphone pour inciter les étudiants à partir en manifestation. Cela donne lieu à une bagarre entre lui et plusieurs militants qui tentent de l'en empêcher. Les participants hurlent de tous les côtés de l'amphi. Luca, un autre militant de Sud-Étudiant, le plus ancien parmi les adhérents alors actifs, traverse l'amphi pour se poster devant la tribune, me rassurer et me donner des conseils : « Tu ne cries pas, ça sert à rien, tu gardes ton calme, tu fais voter les gens calmement. » Je procède effectivement ainsi, et parviens à faire voter les nombreuses motions au milieu des protestations et des cris des militants de l'Unef. Après cette épreuve – au double sens d'exercice ardu et de test de ma capacité à « tenir » une AG houleuse – je sors de l'amphi épuisée, demande une cigarette que Luca me tend tout en me félicitant. Mercredi 20 octobre 2010

Cinquième AG au centre PMF, à 11 h dans l'amphi N, le lendemain du vote du blocage du site. L'amphi est plein, et parmi l'assistance de nombreux opposants au blocage sont venus y protester. Les interventions se succèdent dans un dialogue de sourds, entre les étudiants mobilisés qui argumentent contre la réforme des retraites et tentent d'organiser la grève, et les opposants qui évoquent plutôt les conséquences du blocage sur leurs conditions d'études, le tout dans un brouhaha général. Je prends la parole pour répondre sur ce point : « Depuis le début de cette AG on a entendu que le blocage était responsable du chômage des jeunes, du taux d'échec en Licence et de la dévalorisation de nos diplômes. » Je vois des gens rire et sourire dans les premiers rangs. « Donc puisque certains se sont plaints qu'il n'y avait pas de réel débat dans cette AG, parlons-en. Qu'est-ce qui cause le chômage des jeunes, l'échec en Licence et la dévalorisation des diplômes ? Est-ce que ce ne serait pas plutôt que vous êtes 40 1 Une liste des sigles utilisés est disponible en annexe.

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en TD, 300 en amphi ? ». Je vois Antonin, un camarade de Sud-Étudiant, au milieu de l'amphi, interrompre sa conversation privée avec sa voisine pour prêter attention à mon intervention. « Que la moitié des étudiants sont obligés de se salarier pour payer leurs études ? Que les bourses sont insuffisantes ? La sélection sociale ? Donc à un moment donné il faudrait peut-être vous demander qui sont vos adversaires ! » Je marque une pause tandis que des applaudissements se font entendre. « Est-ce que ce sont les étudiants qui bloquent ? Dont certains ont lutté les années passées contre les réformes qui ont aggravé ces conditions d'études, la LRU, le LMD. Ou est-ce que c'est le gouvernement qui fait ces réformes ? » Mardi 26 octobre 2010

Septième AG au centre PMF, à 11 h dans l'amphi N. Depuis la tribune où j'ai pour tâche de prendre les notes, je vois Luca prendre la parole et s'adresser ainsi aux opposants au blocage qui occupent les premiers rangs de l'amphi, en allant et venant devant l'estrade, penché vers eux :

« Vous voulez pas qu'on bloque. Mais moi j'ai une question à vous poser. Si on n'avait pas bloqué, est-ce que vous seriez là à débattre avec nous ? [Des « non » fusent des premiers

rangs] Ouais ! Ouais ! Et ben moi je suis bien content que vous soyez là, et maintenant on va

parler de politique, parce que c'est important aussi, et c'est ça une AG, et ça se serait pas produit sans le blocage. »1

Je me suis engagée dans cette recherche, en même temps que dans le syndicalisme étudiant – les deux processus ont été concomitants et non successifs – en partie pour vivre ce genre de moment. Par intérêt et par goût pour les dispositifs de démocratie directe, je voulais saisir la « chair » de la « démocratie » étudiante : entrer dans l'arène, et comprendre de l'intérieur comment se vit concrètement ce qui semble si pur sur le papier – la politique sans délégation. Saisir la chair, c'est-à-dire ce qui ne se dit pas à propos de la démocratie directe dans les traités de théorie politique2 : ce que les relations sociales viennent faire à celles et

ceux qui la pratiquent. Dans le désordre et en première analyse : les émotions, les techniques du corps3, les recettes transmises entre militants, les rapports de forces et la conflictualité, les

inégalités d'accès à la parole et les morceaux de bravoure oratoires, les désaccords sur les façons de conduire l'AG, les coups et les tactiques. Il a fallu six ans d'immersion dans le milieu militant étudiant (2006-2012) et six années de thèse (2009-2015) pour espérer objectiver ce qui plaît tant dans les AG à la fraction de ce milieu dans lequel j'étais insérée, comme pour me déprendre d'une fascination évidente pour l'objet. Citons ici ce qui transparaît dans les notes de terrain citées : le poids du nombre et le sentiment de peser sur la masse du public, la satisfaction d'une victoire ponctuelle sur ses rivaux dans la lutte pour la conduite de la grève, la fierté d'une AG bien menée ou d'une intervention qui retient brièvement l'attention, la reconnaissance et le soutien de ses camarades. Ces sous-produits des AG sont

1 Extraits des notes de terrain relatives à la grève de 2010 au centre PMF.

2 Pour un exemple de promotion théorique – sans toutefois la nommer – de la démocratie directe, qui est l'un des points de départ de ce travail, voir Hannah ARENDT, De la révolution, in L'Humaine Condition, (traduit de l'américain par Marie Berrane), Paris, Éditions Gallimard, 2012, (1963), p. 523-584.

3 Marcel MAUSS, « Les techniques du corps », in Sociologie et Anthropologie, Paris, Presses universitaires de France, 3e éd. 1989, (1950), p. 363-386.

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autant de rétributions1 ajustées aux attentes placées dans les grèves étudiantes par des

militants socialisés dans les organisations de jeunesse et les syndicats qui y interviennent. Expression usuelle désignant une réunion ouverte en droit à toutes les personnes concernées2, le nom d' « assemblée générale » est repris dès les premières grèves ouvrières, au

début du XIXe siècle, pour qualifier des réunions de grévistes3. Depuis le mouvement de

mai-juin 1968, cette forme d'organisation est régulièrement utilisée lors des mobilisations étudiantes : n'importe quel étudiant, qu'il soit ou non membre d'une organisation peut en principe y participer, prendre la parole et voter. Venant de la philosophie, c'est d'abord sous l'angle de la question de la « démocratie », et plus précisément de la démocratie directe, que je me suis intéressée aux AG étudiantes. Après des travaux d'histoire de la philosophie centrés sur la façon dont Hannah Arendt promeut, dans De la révolution4, l'organisation en conseils

ou soviets, revisitant ces instances nées dans plusieurs grèves et révolutions du XXe siècle à

partir de la révolution russe de 1905, mon intention initiale était de saisir, par le biais de la sociologie politique, comment des acteurs mettent concrètement en œuvre des pratiques de démocratie directe. Porter un regard sociologique sur ces dernières impliquait néanmoins de se donner un terrain, d'une part, et de déplacer le questionnement, au moins dans un premier temps, des normes et valeurs vers les pratiques. Or des conseils ou soviets, il n'y en avait pas autour de moi. En revanche, inscrite en Master 1 de Science politique à l'Université Paris 1 à la rentrée 2006, je pouvais interroger des étudiants qui venaient de pratiquer, au cours du mouvement contre la loi dite pour l’Égalité des chances (LEC) incluant le Contrat première embauche (CPE), des assemblées générales régulières et massives5. Celles-ci fonctionnaient

selon le principe affiché de la démocratie directe : n'importe quel étudiant pouvait prendre part aux débats et aux votes, le collectif étant considéré comme légitime à émettre des décisions par la seule vertu de son rassemblement. J'ai donc réorienté mon travail des conseils

1 Daniel GAXIE, « Économie des partis et rétributions du militantisme », Revue française de science politique, vol. 27, n° 1, 1977, p. 123-154 ; « Rétributions du militantisme et paradoxes de l’action collective », Revue suisse de science politique, 2005, vol. 11, n° 1, p. 157-188.

2 L'expression « assemblée générale » est ainsi utilisée dès la Renaissance pour désigner des assemblées de ville. Voir Olivier CHRISTIN, Vox populi. Une histoire du vote avant le suffrage universel, Paris, Éditions du Seuil, 2014, p. 35, 43 et 51 notamment.

3 Jean-Pierre AGUET, Contribution à l'histoire du mouvement ouvrier français. Les grèves sous la Monarchie de Juillet (1830-1847), Genève, E. Droz, 1954, XXXVI-407 pages.

4 Hannah ARENDT, De la révolution, op. cit.

5 Comme le soulignent Stéphane Beaud et Florence Weber, l'intérêt du journal de terrain ne réside pas simplement dans la consignation des notes d'observation, mais dans la possibilité qu'il offre de mener un travail de réflexivité sur le rapport à l'objet, qui ne procède pas d'une reconstruction a posteriori mais de l'analyse du « point de vue de l'enquêteur naïf ». Stéphane BEAUD et Florence WEBER, Guide de l’enquête de terrain. Produire et analyser des données ethnographiques, Paris, Éditions La Découverte, 3e éd. 2003,

(1997), p. 98. En l'occurrence, mon journal de terrain, initié sous l'impulsion de Jacqueline Blondel, commence le 12 octobre 2006 par les remarques suivantes : « Il faut trouver une étude de cas relative à la démocratie directe. » « Possibilité de prendre l'institution de l'AG pour l'étude de cas. Deux formes principales de démocratie directe : AG, conseils. Conseils tels qu'ils fonctionnent dans le système des conseils n'existent pas en France → analyser le fonctionnement des AG. »

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aux AG étudiantes, et de la question de la « démocratie » à celle des répertoires contestataires, définis comme « l'ensemble complet des moyens dont [n'importe quel groupe particulier] dispose pour émettre des revendications de différents types à destination de différents individus ou groupes »1. L'angle du répertoire contestataire dans lequel s'inscrivent les AG

permet en effet de centrer l'analyse sur « ce que les gens font »2. Progressivement, la

recherche s'est donc déplacée vers l'étude des usages des AG dans le répertoire contestataire étudiant de la fin des années 2000 (2006-2010)3.

Comme dans d'autres recherches doctorales4, ce n'est qu'en réintroduisant, avec le

recul de l'enquête, des questionnements écartés au préalable pour leur trop grande proximité avec les intérêts personnels pour l'objet que j'ai pu enrichir la problématique de ces questionnements sur la « démocratie ». En d'autres termes, c'est en redécouvrant au cours de l'enquête des rapports aux AG comparables aux miens que des a priori normatifs sur ces dernières ont pu être traités pour ce qu'ils étaient, des points de vue historiquement et socialement situés qui participent, avec d'autres divergents, de leur (ré)appropriation par des mobilisations étudiantes successives. C'est en me concentrant sur les usages variés qui sont faits des AG que j'ai pu saisir ensemble toute la palette de rôles dont elles sont investies, qui n'ont parfois rien à voir avec des considérations « démocratiques », et les entreprises de justification de ces dernières par des courants politiques et syndicaux minoritaires qui y voient le lieu de la « démocratie » dans les grèves. C'est en m'attachant à objectiver les multiples rapports de domination qui façonnent la pratique des AG que j'ai pu problématiser leur caractère supposément « démocratique », au départ évident pour moi. Comment comprendre en effet que des fractions du milieu militant étudiant continuent de considérer comme l'alpha et l’oméga de la « démocratie » des arènes traversées par de telles inégalités de participation ? C'est via un détour historique, enfin, par les usages et (dé)valorisations des AG dans le mouvement étudiant de mai-juin 1968, que j'ai découvert que les mêmes courants politiques minoritaires s'en étaient alors désintéressés, tout occupés qu'ils étaient à rechercher des modes

1 Charles TILLY, The Contentious French, Cambridge et Londres, Harvard University Press, 1986, p. 4. (Notre traduction.)

2 Johanna SIMÉANT, La Cause des sans-papiers, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1998, p. 69. Je remercie Daniel Gaxie pour avoir insisté sur l'intérêt de ce cadrage.

3 Le dossier de recherche et le mémoire réalisés pour les deux années de Master de Science politique constituent les premières étapes de la construction de l'objet. Les enquêtes auxquelles ils ont donné lieu ont aussi permis d'entrer sur le terrain et de rassembler des matériaux également mobilisés dans la thèse. Julie LE MAZIER, Les AG du mouvement contre le CPE au centre René Cassin et à l’ENS Ulm. Construction d’objet , Dossier de recherche de Master 1 de Science politique, Université Paris 1, sous la dir. de Bastien FRANÇOIS, 2007 ; Le répertoire délibératif des assemblées générales étudiantes (2006-2009). Une étude comparée du site Censier de l'Université Paris 3 et de l'ENS Ulm, Mémoire de Master 2 de Science politique, Université Paris 1, sous la dir. d'Isabelle SOMMIER, 2009.

4 Cécile PÉCHU, Droit au Logement, genèse et sociologie d'une mobilisation, Paris, Éditions Dalloz, 2006, p. 75-76 ; Christophe BROQUA, « L'ethnographie comme engagement : enquêter en terrain militant », Genèses, vol. 2, n° 75, 2009, p. 118-119.

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d'organisation analysables comme des embryons de conseils ou soviets. Réapparaissaient alors ces conseils écartés de la réflexion, en même temps que la singularité de la période étudiée. À la fin des années 2000, le recours aux AG est théorisé par les militants étudiants, il est l'objet de prises de position contradictoires et de fiches pratiques sur les façons de les organiser, il est accompagné de règles sophistiquées d'organisation des débats et des votes. Le nombre de leurs participants figure parmi les indicateurs centraux utilisés par les organisations ou les médias pour mesurer l'ampleur des mobilisations, en même temps que le nombre de manifestants et de sites universitaires bloqués. Ce n'était pas le cas en 1968. Comment les étudiants en sont-ils venus à faire tant de cas de leurs AG ? Comment l'intérêt de ces fractions du milieu militant étudiant qui les promeuvent au nom de mots d'ordre « démocratiques » s'est-il déplacé des conseils aux AG ?

Cet ensemble d'interrogations a donné de la consistance historique au questionnement initial, en l'ajustant aux particularités de l'objet tout en soulevant des enjeux plus généraux quant à l'analyse des répertoires contestataires. Parce que les AG étudiantes sont traversées de débats sur leur caractère « démocratique » ou non, leur analyse rend attentif aux enjeux de sens qui sous-tendent les usages des modes d'action et d'organisation par les acteurs, souvent négligés dans l'étude des répertoires. Quelles ont été les conditions pratiques mais aussi symboliques d'appropriation par les étudiants grévistes de la fin des années 2000 d'une forme d'organisation ne reposant ni sur l'adhésion syndicale ni sur la délégation mais sur la participation individuelle ? Le paradoxe tient ici au fait que ce sont en grande partie les militants organisés, dont les syndicalistes, qui orchestrent la prise de décision dans des instances existant en dehors des syndicats et ouvertes aux non-syndiqués – certains le faisant au nom de valeurs « démocratiques ». Établir ce constat conduira à mettre en lien les usages des AG avec les recompositions – et plus précisément l'éclatement – du syndicalisme étudiant, sans pour autant les associer mécaniquement à une supposée « crise du syndicalisme » puisqu'au contraire les militants syndicaux les façonnent de part en part. Ce qu'il s'agit de comprendre, ce n'est donc pas simplement comment des étudiants s'organisent en dehors des syndicats, mais comment des syndicalistes en viennent à privilégier ce mode d'organisation. La thèse entend ainsi mettre l'accent sur le poids des configurations organisationnelles en général, et syndicales en particulier, au sein des mobilisations, dans les valorisations différenciées de certaines performances contestataires1, en s'écartant des explications rapides

des formes de l'action collective par des « crises » du syndicalisme ou du militantisme

1 Charles Tilly propose de distinguer, dans son dernier ouvrage, publié à titre posthume, les performances et les répertoires contestataires, les premières étant les différentes formes d'action qui composent un répertoire. Charles TILLY, Contentious Performances, New York, Cambridge University Press, 2008, p. 14.

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organisé.

I. Les mouvements étudiants : un point d'entrée pour explorer les

conditions d'appropriation d'un répertoire contestataire

Les recherches existantes sur les étudiants et leurs engagements permettent d'établir la fécondité de ce terrain pour saisir les conditions d'appropriation d'une performance contestataire telle que l'AG (1) et de repérer des dimensions inexplorées en la matière (2).

1. Condition(s) étudiante(s) et apprentissages de l'AG

L'hétérogénéité de la population étudiante, du point de vue de l'origine sociale, des filières et du territoire, des conditions de vie, du rapport aux études et à l'avenir professionnel, est un résultat établi de longue date1. Différents traits de la – ou plutôt des – condition(s)

étudiante(s) disposaient en particulier ses fractions dominées à s'indigner des réformes gouvernementales qui, à la fin des années 2000, ont entraîné des contre-mobilisations dans les universités. Elles sont en effet marquées par les désillusions de la « démocratisation » scolaire2, l'insuffisance des aides publiques, l'expérience des emplois précaires3 et les

inquiétudes face à l'avenir professionnel, notamment pour celles et ceux que leurs études destineraient à des emplois dans la fonction publique. L'enquête dirigée par Bertrand Geay sur la mobilisation poitevine contre le CPE y voit autant de « conditions de la révolte »4.

Articulées au « niveau microsocial » des acteurs en lutte, « de leurs caractéristiques les plus singulières, des circonstances de leur engagement et des formes d'action dans lesquelles ils se reconnaissent et qu'ils concourent à produire »5, elles permettent de rendre compte de son

émergence. Elles sont brandies dans les argumentaires, mots d'ordre et revendications des mouvements de la seconde moitié des années 2000. En 2006, les étudiants se sont ainsi opposés à un contrat de travail réservé aux moins de 26 ans, le CPE, qui étendait à deux ans la période d'essai, pendant laquelle le salarié peut être licencié sans motif. Ils ont ensuite

1 Pierre BOURDIEU et Jean-Claude PASSERON, Les Héritiers. Les Étudiants et la culture, Paris, Les Éditions de Minuit, 3e éd. 1985, (1964), 189 pages ; Claude GRIGNON et Louis GRUEL, La Vie étudiante,

Paris, Presses universitaires de France, 1999, 195 pages ; Stéphane BEAUD et Bernard CONVERT, « “30 % de boursiers” en grande école... et après ? », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 3, n° 183, 2010, p. 4-13.

2 Stéphane BEAUD, 80 % au bac... et après ? Les enfants de la démocratisation scolaire, Paris, Éditions La Découverte & Syros, 2002, 330 pages.

3 Vanessa PINTO, À l'école du salariat. Les étudiants et leurs « petits boulots », Paris, Puf, 2014, XII-329 pages.

4 Romuald BODIN, « Les conditions de la révolte », in Bertrand GEAY, dir., La Protestation étudiante. Le mouvement du printemps 2006, Paris, Éditions Raisons d’agir, 2009, p. 19-42. Voir aussi Romuald BODIN, Bertrand GEAY et Vincent RAYNAUD, « Le “coup du blocus” », in Bertrand GEAY, dir., op. cit., p. 43-68. 5 Bertrand GEAY, « Quand la jeunesse se révolte », in Bertrand GEAY, dir., op. cit., p. 13.

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contesté ce qu'ils percevaient comme une attaque du service public d'enseignement supérieur, la loi relative aux Libertés et Responsabilités des universités (LRU), en 2007, et de nouveau en 2009, en même temps qu'une réforme qui durcissait les conditions d'accès au métier d'enseignant – la masterisation. Enfin, en 2010, ils ont lutté contre la réforme des retraites, au nom de la défense de l'emploi des jeunes et du système de protection sociale.

Mais l'hétérogénéité des conditions de vie, d'études et de travail des étudiants constitue aussi un obstacle pour les candidats à la représentation du groupe, à commencer par ceux qui se réclament de la forme syndicale. La consistance d'un groupe social spécifique des étudiants, malgré l'hétérogénéité des conditions, fait débat1, de même que la pertinence du

qualificatif de « syndicat » pour les organisations qui prétendent parler en leur nom2. On peut

1 Pour une synthèse, voir Olivier GALLAND et Marco OBERTI, Les Étudiants, Paris, Éditions La Découverte, 1996, p. 24-30.

2 Jean-Yves Sabot s'interroge ainsi : « Pourtant, il faut bien se demander, quand on utilise le paradigme syndical pour la population étudiante, si c'est par pure tradition ou parce que la notion est finalement opératoire ? (…) Un individu se définit socialement dans le cadre des rapports de production. Or, il n'y a pas de condition étudiante ; il ne saurait donc y avoir de classe étudiante, ni même de groupe social étudiant (…). Un syndicat pourrait-il représenter une population si hétérogène ? » Jean-Yves SABOT, « Charte de Grenoble et syndicalisme », in Robi MORDER, coord., Naissance d'un syndicalisme étudiant. 1946 : la Charte de Grenoble, Paris, Éditions Syllepse, 2006, p. 79-80. Dès 1962, Jean Meynaud reconnaît que « l'orientation syndicale de l'Unef date des lendemains de la Libération (charte de Grenoble) ». Jean MEYNAUD, « Les groupes de pression sous la Ve République », RFSP, vol. 12, n° 3, 1962, p. 677. Il note par ailleurs

l' « extension de la formule syndicale » parmi les groupes de pression, qui dépend moins de leur statut juridique (syndicat ou association) que du registre de leur activité : durcissement des revendications, emploi de modes d'action tels que la grève et « insertion des demandes particulières dans un cadre global qui corresponde à une vue d'ensemble des relations humaines » (ibid., p. 675). Dans les décennies suivantes, le fait syndical étudiant est admis dans la littérature : « Le mouvement des étudiants pendant la “période algérienne” fut, dans une large mesure, l'expression de la volonté d'intervention d'une catégorie tendant à se constituer et à se percevoir comme une couche sociale autonome, en France, au tournant des années 1950-1960. Il y eut un lien étroit entre l'entrée en scène spectaculaire du syndicat étudiant et la manifestation de l'indignation intellectuelle et morale de ses membres face au conflit algérien. » Nicole de MAUPEOU-ABBOUD, Ouverture du ghetto étudiant. La gauche étudiante à la recherche d'un nouveau mode d'intervention politique (1960-1970), Paris, Éditions Anthropos, 1974, p. 348 ; Yolande Cohen et Claudie Weill estiment quant à elles qu'à la fin des années 1950 en France, « Le fait syndical étudiant, jusque-là relativement faible, se substitue (…) aux organisations politiques (Union des jeunesses républicaines de France – UJRF, Union des étudiants communistes – UEC), idéologiques, confessionnelles (Jeunes étudiants catholiques, protestants, etc.) fortement structurées ». Yolande COHEN et Claudie WEILL, « Les mouvements étudiants : une histoire en miettes ? », Le Mouvement social, n° 120, 1982, p. 6. En 1983, dans son numéro 26 sur « Le pouvoir syndical », la revue Pouvoirs consacre un dossier au syndicalisme étudiant : Alain BLAINRUE, « Dossier : le syndicalisme étudiant », Pouvoirs, n° 26, 1983, p. 117-123. En revanche, le syndicalisme étudiant est absent des travaux plus récents sur le syndicalisme, comme s'il constituait un objet illégitime ou à part. Voir par exemple René MOURIAUX, Les Syndicats dans la société française, Paris, Presses de la FNSP, 1983, 271 pages ; Le Syndicalisme en France, Paris, Puf, 5e éd. 2005, (1992), 128 pages ;

Le Syndicalisme en France depuis 1945, Paris, Éditions La Découverte, 3e éd. 2008, (1994), 121 pages ;

Dominique LABBÉ et Stéphane COURTOIS, dir., Regards sur la crise du syndicalisme, Paris, L'Harmattan, 2001, 221 pages ; Dominique ANDOLFATTO et Dominique LABBÉ, Histoire des syndicats (1906-2006), Paris, Éditions du Seuil, 2006, 381 pages ; Les Syndiqués en France, Rueil-Malmaison, Éditions Liaisons, 2007, 235 pages ; Toujours moins ! Déclin du syndicalisme à la française, Paris, Éditions Gallimard, 2009, 221 pages ; René MOURIAUX et Jean MAGNIADAS, coord., Le Syndicalisme au défi du 21e siècle, Paris,

Éditions Syllepse et Espaces Marx, 2008, 239 pages ; Jean-Marie PERNOT, Syndicats : lendemains de crise ?, Paris, Éditions Gallimard, 2e éd. 2010, (2005), 428 pages. Jean-Yves Sabot conclut quant à lui sur la

pertinence de la notion de syndicalisme étudiant à partir de la proximité des activités de l'Unef avec celles d'un syndicat. On peut ainsi citer la vocation de représentation des intérêts ajustée à un projet de transformation sociale, l'organisation interne avec des instances et des réunions, la formation des militants, l'action revendicative, la gestion et cogestion de services, l'indépendance, et la recherche de la

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cependant considérer qu'à partir du moment où les syndicats étudiants mobilisent un registre syndical, ce dernier ne peut être négligé dans l'analyse. Mais ces discussions conduisent à interroger le succès ou l'échec des entreprises collectives de représentation – au double sens de figuration et de vocation à parler en son nom – du groupe étudiant à travers le prisme syndical. L'hétérogénéité du groupe, le caractère provisoire du statut et tout ce qui le différencie d'un travail, comme les variations dans l'identification des acteurs à ce rôle peuvent expliquer la faible audience des syndicats étudiants, objectivable dans le taux d'adhésion et de participation aux élections étudiantes1. Se défendre par le biais de la forme

syndicale ne fait peut-être sens que pour une minorité d'entre eux. Le fait est que la représentation des étudiants s'apparente à un processus de « délégation ratée »2 : ces derniers,

contrairement à d'autres groupes sociaux, ne sont pas l'objet d'une unification symbolique et d'entreprises de représentation syndicales réussies3, aussi fragilisées soient-elles4. Dès lors, le

paradoxe de l'intervention des syndicats dans les mouvements étudiants tient au constat dressé par Bertrand Geay dans l'enquête sur la lutte poitevine contre le CPE : les universités constituent un « univers où le syndicalisme apparaît faiblement implanté, mais néanmoins en capacité d'orienter fortement les mobilisations »5. Cette configuration syndicale particulière

produit sans conteste des effets sur les formes de représentation du groupe construites dans les mobilisations étudiantes depuis les années 1960 et 1970, via les assemblées générales notamment, selon des modalités qu'il reste néanmoins à interroger.

La séquence 2006-2010 tient son unité de plusieurs éléments. Il s'agit d'abord d'une

représentativité et de moyens financiers par l'adhésion. Il évoque également la reconnaissance par les syndicats professionnels comme, simplement, la revendication du caractère syndical de son action par certains de ses courants au cours de son histoire. Jean-Yves SABOT, art. cit., p. 79-82. Voir aussi Jean-Yves SABOT, Le Syndicalisme étudiant et la guerre d'Algérie. L'entrée d'une génération en politique et la formation d'une élite, Paris, L'Harmattan, 1995, p. 36-40.

1 On pouvait compter en 2009 1 % d'étudiants membres d'un syndicat, contre 8 % chez les salariés. IFOP, Le Baromètre étudiant, 2009, p. 17. URL : http://www.ifop.com/media/poll/885-1-study_file.pdf. Consulté le 8 décembre 2012 ; Sophie BÉROUD, « La rébellion salariale », in Xavier CRETTIEZ et Isabelle SOMMIER, dir., La France Rebelle, Paris, Éditions Michalon, 2006, p. 250. Le taux d'absention s'élevait quant à lui en 2002 à 86 % pour les élections aux conseils centraux des universités et à 95 % pour les élections aux conseils régionaux des œuvres universitaires et scolaires (Crous). Florence KUNIAN, Étude sur la participation des étudiants aux élections universitaires, Rapport pour l'Association Civisme et Démocratie (Cidem), 2004, p. 4. URL : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/044000126/0000.pdf. Consulté le 8 décembre 2012.

2 Nous reprenons cette expression d'une recherche collective : Julie LE MAZIER, Julie TESTI et Romain VILA, « Les voies multiples de la représentation en situation de délégation ratée : agir au nom des étudiants », in Alice MAZEAUD, dir., Pratiques de la représentation politique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, p. 213-227.

3 Luc BOLTANSKI, Les Cadres. La formation d'un groupe social, Paris, Les Éditions de Minuit, 1982, 523 pages.

4 Ivan BRUNEAU, « L'érosion d'un pouvoir de représentation. L'espace des expressions agricoles en France depuis les années 1960 », Politix, vol. 3, n° 103, 2013, p. 9-29.

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période de conflictualité forte dans les universités, avec une mobilisation d'ampleur nationale tous les ans ou tous les deux ans. Ce sont souvent les mêmes étudiants qui ont participé à plusieurs d'entre elles, voire aux quatre, en tant qu'étudiants ou en tant que lycéens. Le mouvement contre la LEC, par son caractère massif et sa (semi-)victoire (le retrait du CPE), est ensuite construit comme un point de départ et de référence pour les mobilisations ultérieures. Les étudiants ont reproduit d'année en année le même répertoire contestataire : blocages des établissements universitaires (parfois aussi appelés « blocus ») et manifestations, assemblées générales et coordinations. Ce répertoire n'était pas nouveau en 2006, mais on peut observer à la suite de Bertrand Geay des « infléchissements des conceptions en usage dans les luttes lycéennes et étudiantes »1 :

« Si le recours aux “piquets de grève” et à la démocratie directe des “assemblées générales” et des “coordinations” n'avait en réalité rien de très nouveau dans le cadre de ce type de mouvement, ces pratiques prenaient ici une ampleur et une signification particulières, que traduisaient les glissements du vocabulaire militant. Loin de tout avant-gardisme, il s'agissait de mobiliser la “communauté étudiante” dans sa totalité, de l'ériger dans chaque établissement en une sorte de petite république, délibérant par elle-même et pour elle-même. »2

Compte tenu du caractère massif de ce mouvement, le répertoire s'est alors diffusé à une large échelle. Les étudiants mobilisés les années suivantes se sont appuyés sur la mémoire de cette lutte pour y puiser non seulement un répertoire et des façons d'en user, mais un ensemble de mots d'ordre, de recettes tactiques et de savoir-faire, de connaissances sur les groupes politiques et syndicaux impliqués et sur leurs positionnements probables, ou encore sur la géographie contestataire des sites universitaires. Cette séquence de mobilisations offre ainsi un terrain privilégié pour observer la façon dont des acteurs s'approprient un répertoire contestataire, en font l'apprentissage et en assurent la reproduction d'une année sur l'autre. Comment se diffusent et se transmettent les performances contestataires ? Quels sont les lieux et les acteurs de cette socialisation militante à la pratique d'un répertoire ? Quels sont les modes d'apprentissage qu'ils supposent, sur le tas ou par le biais d'anecdotes et de recettes racontées entre militants ? Quels rôles jouent dans ces processus les militants organisés ? Quels sont les effets des ratés de la représentation syndicale étudiante sur le recours à des AG comme mode d'organisation ? Quelles sont les contraintes produites en retour par ces apprentissages sur la conduite de l'action collective ?

On s'intéressera ainsi aux AG sous l'angle de la socialisation requise pour la pratiquer, c'est-à-dire de tout ce qui relève des compétences mobilisées, des techniques et recettes

1 Bertrand GEAY, « Quand la jeunesse se révolte », art. cit., p. 10. 2 Ibid.

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tactiques, du « sens pratique protestataire »1, des « règles pratiques de militantisme »2, qui

circulent entre les acteurs engagés sous la forme de petites maximes de l'action collective. L'idée que l'engagement contestataire suppose la possession ou l'acquisition de compétences – susceptibles de varier selon les acteurs, les groupes et les causes – parmi lesquelles figure le fait de maîtriser certaines performances contestataires est aujourd'hui un lieu commun de la sociologie de l'action collective. Pour autant, « la question des apprentissages militants – davantage constatés que véritablement étudiés – n'a pour l'instant guère été abordée par les analystes des mouvements sociaux »3. La socialisation militante est le plus souvent envisagée

du point de vue de ses résultats : on déduit des savoirs et savoir-faire observés qu'ils ont été façonnés dans les sphères sociales traversées, sans s'intéresser au processus de socialisation en lui-même, à ses acteurs, lieux, modalités et contenus4. En parlant ici de socialisation militante,

on n'entend pas nécessairement contribuer à l'ensemble des questionnements impliqués par la socialisation politique, entendue comme intériorisation de visions du monde politique, mais simplement explorer le problème particulier de l'apprentissage et de l'incorporation de savoirs, savoir-faire, codes et normes de conduite propres à l'univers militant. En bref, on s'intéresse ici à ce qui est appris par et pour l'engagement dans une lutte collective. Le caractère récent des mobilisations prises en compte ne permet en effet pas de traiter autrement qu'à propos de quelques cas individuels la question des effets de plus long terme de ces engagements étudiants sur les trajectoires et sur la socialisation politique5. En revanche, l'hétérogénéité

sociale des publics étudiants comme l'apparente fragilité de leur éventuel encadrement par des organisations permet de traiter quelques problèmes tels que le poids respectif des trajectoires antérieures, des dispositions acquises, des situations d'engagement et du façonnage organisationnel6 dans les apprentissages militants.

1 Bertrand GEAY, « Post-face. Contribution à une sociologie de la pratique protestataire », in Bertrand GEAY, dir., op. cit., p. 180-182.

2 Julian MISCHI, Servir la classe ouvrière. Sociabilités militantes au PCF, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010, p. 186.

3 Lilian MATHIEU, L'Espace des mouvements sociaux, Bellecombe-en-Bauges, Éditions du Croquant, 2012, p. 241.

4 Lucie BARGEL, Jeunes Socialistes, jeunes UMP. Lieux et processus de socialisation politique, Paris, Éditions Dalloz, 2009, 765 pages ; FILLIEULE Olivier, « Political socialization and social movements », in David A. SNOW, Donatella DELLA PORTA, Bert KLANDERMANS et Doug McADAM, The Wiley-Blackwell Encyclopedia of Social and Political Movements, Chichester, Wiley-Wiley-Blackwell, 2013, p. 972. 5 Olivier FILLIEULE, « Quelques réflexions sur les milieux étudiants dans les dynamiques de

démobilisation », European Journal of Turkish Studies, n° 17, 2013. URL : http://ejts.revues.org/4834. Consulté le 10 juillet 2015.

6 Frédéric SAWICKI et Johanna SIMÉANT, « Décloisonner la sociologie de l'engagement militant. Note critique sur quelques tendances récentes des travaux français », Sociologie du travail, n° 51, 2009, p. 115 sqq.

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2. Si loin, si proches : chercheurs et mouvements étudiants

Cette séquence de mobilisations et plus largement les engagements étudiants sont peu étudiés en France, ce qu'on peut rapporter à la proximité – apparente – des chercheurs en sciences sociales à l'objet (A). Nous pourrons néanmoins nous appuyer sur deux enquêtes menées sur la mobilisation contre le CPE (B).

A. L'obstacle de l'apparente proximité à l'objet

Au regard de leur régularité et de leur poids dans des mobilisations plus larges, comme celle contre le CPE, les engagements des étudiants, dans des organisations ou des mouvements contestataires, ont fait l'objet de relativement peu d'enquêtes en France1. Cette

rareté des travaux contraste avec l'abondante littérature produite en sociologie de l'éducation ou de la jeunesse sur les conditions d'études, de vie et de travail des étudiants2. Autant on

connaît bien la population étudiante, autant les engagements qui peuvent y naître semblent un objet moins légitime. La proximité des chercheurs à cette catégorie, dont ils sont souvent les enseignants, n'apparaît ainsi constituer un obstacle à la recherche que pour le cas de l'action collective. On peut sans doute rapporter cette singularité à la position respective qu'occupent chercheurs et étudiants en sciences sociales dans les mobilisations en question. La lutte de 2009 constitue en effet une exception dans l'histoire de la contestation universitaire, avec une implication sans précédent des enseignants-chercheurs, habituellement très minoritaire3. Ceux

qui se réclament des sciences sociales critiques sont disposés à prendre position sur les politiques publiques contestées essentiellement sur le registre de l'expertise et de la prise de position de l'intellectuel dans l'espace public : tribunes dans la presse et interventions dans les médias, pétitions, publications. À l'inverse, leurs étudiants fournissent le gros des troupes

1 A contrario, un auteur aussi central dans la sociologie des mobilisations que Doug McAdam a construit nombre de ses apports théoriques à partir d'une enquête concernant des militants en grande partie étudiants. Doug McADAM, Freedom Summer. Luttes pour les droits civiques, Mississippi 1964, (traduit de l'américain par Célia Izoard), Marseille, Agone, 2012, (1988), 477 pages.

2 L'Observatoire de la vie étudiante (OVE), créé en 1989 et qui produit des enquêtes et rapports réguliers sur les conditions de vie étudiantes, offre en particulier une source considérable pour les chercheurs, dont les principaux résultats sont synthétisés dans Olivier GALLAND, Louis GRUEL et Guillaume HOUZEL, dir., Les Étudiants en France. Histoire et sociologie d'une nouvelle jeunesse, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009, 427 pages.

3 Bertrand GEAY, « Quand la jeunesse se révolte », art. cit., p. 17. Le taux de syndicalisation des personnels de l'enseignement supérieur et de la recherche est difficile à établir. Significativement, Christine Musselin n'en dit pas un mot dans son ouvrage de synthèse sur les enseignants-chercheurs, contrairement à Pierre Bourdieu dans Homo academicus, qui ne fournit pourtant des données que pour les années 1960. Christine MUSSELIN, Les Universitaires, Paris, Éditions La Découverte, 2008, 119 pages ; Pierre BOURDIEU, Homo academicus, Paris, Les Éditions de Minuit, 1984, 299 pages. Dans les travaux sur les syndiqués, les données sur l'ensemble des agents de l’Éducation nationale sont agrégées, sans distinction entre le primaire, le secondaire et le supérieur. Voir par exemple Dominique ANDOLFATTO et Dominique LABBÉ, Les Syndiqués en France, op. cit., p. 166-168.

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engagées dans les mobilisations, syndicats et organisations de jeunesse. En 2009, les étudiants habitués des mobilisations n'ont pas manqué de dénoncer l'engagement soudain des enseignants contre des politiques qu'ils avaient combattues presque seuls en 2007, comme la faible maîtrise des savoir-faire militants par ces derniers. En ce sens, le mouvement de 2009 a mis au jour des oppositions de registre d'engagement des deux catégories, en particulier dans les disciplines de sciences sociales, qui peuvent expliquer le peu d'attrait que représentent les engagements étudiants pour les chercheurs. À la fois spectateurs directs de ces derniers tout en y étant étrangers, ces derniers peuvent être enclins à considérer qu'il n'ont rien à en apprendre tout en anticipant des divergences de dispositions à l'action collective peu propices à l'entrée sur le terrain. En bref, l'apparente familiarité doublée de l'hétérogénéité des pratiques contestataires conduit aisément à une disqualification de l'objet. Inversement, les enquêtes existantes sur l'engagement dans les syndicats ou organisations de jeunesse sont souvent le fait de jeunes chercheurs, qui peuvent facilement se mêler à la population étudiée1,

voire qui s'appuient sur un engagement personnel pour accéder au terrain2. L'enquête dirigée

par Bertrand Geay sur la mobilisation poitevine contre le CPE a quant à elle été menée par des chercheurs en contact avec les étudiants mobilisés, et s'est construite en collaboration avec ces derniers3.

Les travaux néanmoins réalisés sur cette catégorie permettent d'abord de connaître les rapports au politique des étudiants. Confirmant en cela les résultats de la sociologie de l'éducation et de la sociologie politique4, ils montrent que la compétence politique des

étudiants, envisagée du point de vue cognitif, suit la hiérarchie sociale et le capital culturel hérité5, qui se réfracte dans la hiérarchie scolaire des disciplines. Les étudiants qui possèdent

le plus de connaissances en matière politique sont ceux dont les parents ont l'origine sociale la plus élevée et/ou sont enseignants, qui se retrouvent dans les disciplines les plus sélectives6.

1 Voir par exemple les enquêtes ethnographiques réalisées par Lucie Bargel dans le cadre de son DEA et de son Doctorat : Lucie BARGEL, La Socialisation politique dans les syndicats étudiants. Apprentissages des pratiques politiques et des identités de genre. Sud-Étudiant Sciences Po et Uni Sciences Po, Mémoire de DEA de Sciences sociales, EHESS et ENS, sous la dir. de Frédérique MATONTI, 2002 ; Jeunes Socialistes, jeunes UMP..., op. cit.

2 Karel YON, « L'incorporation de l'autorité sociale chez les militants du Bureau national de l'Unef-ID. Production et reproduction d'une “élite militante” », Les Cahiers du Germe, n° 4, 2003/2004, p. 89-107. 3 Bertrand GEAY, « Quant la jeunesse se révolte », art. cit., p. 13-14. Voir aussi « Post-face. Contribution à une

sociologie de la pratique protestataire », art. cit., p. 182-183.

4 Daniel GAXIE, Le Cens caché. Inégalités culturelles et ségrégation politique, Paris, Éditions du Seuil, 1978, 269 pages.

5 Pierre BOURDIEU, « Les trois états du capital culturel », ARSS, n° 30, 1979, p. 3-6.

6 Pierre FAVRE et Michel OFFERLÉ, « Connaissances politiques, compétence politique ? Enquête sur les performances cognitives des étudiants français », RFSP, vol. 52, n° 2-3, 2002, p. 201-232. L'enquête réalisée en 2002 par Anne Muxel sur les étudiants de Sciences Po les montre ainsi plus compétents politiquement, davantage intéressés par la politique et plus souvent engagés, notamment dans des associations, que l'ensemble des étudiants et des autres catégories de la jeunesse. Anne MUXEL, dir., Les Étudiants de Sciences Po. Leurs idées, leurs valeurs, leurs cultures politiques, Paris, Presses de la FNSP, 2004, p. 95-131.

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