• Aucun résultat trouvé

Chapitre 1 : De la quête d'une « première fois » à la chronologie de l'investissement

I. L'éphémère apogée du syndicalisme étudiant et le déplacement des modes de

La guerre d'Algérie constitue, avec l'adoption de la Charte de Grenoble en 1946, l'un des jalons dans l'histoire non-linéaire au cours de laquelle certains acteurs du syndicalisme étudiant tentent d'aligner ce dernier sur le modèle des pratiques des syndicats de salariés. Adoptée le 20 avril 1946 lors du XXXVe Congrès de l'Unef, la Charte de Grenoble1 naît de la

volonté d'une partie des dirigeants du syndicat de doter le syndicalisme étudiant d'une charte, à l'image de la Charte d'Amiens de la CGT de 1906. Elle justifie l'emprunt du registre syndical par une définition de l'étudiant, dans son article 1, comme un « jeune travailleur intellectuel ». La guerre d'Algérie constitue quant à elle le moment d'apogée – éphémère – de l'Unef, tant par le nombre d'étudiants qu'elle syndique (voir infra, tableau 1) que par le rôle actif qu'elle prend dans la contestation de la guerre. Pendant cette période, c'est l'Unef qui appelle aux grèves et qui les organise, mais en même temps, certains de ses militants mettent en pratique des formes d'organisation plus informelles et ouvertes aux « inorganisés » (1). Ces expériences permettent de comprendre comment, dans un contexte d'affaissement du recrutement qui touche l'Unef peu après la fin de la guerre, et d'implantation dans la jeunesse

1 Le texte de cette Charte est notamment reproduit dans Robi MORDER, coord., Naissance d'un syndicalisme étudiant. 1946 : la Charte de Grenoble, Paris, Éditions Syllepse, 2006, p. 127-131.

scolarisée de courants politiques d'extrême gauche qui contestent le PCF dans puis hors de ses organes, certains de ces militants en viennent à rechercher des modes d'organisation « à la base » (2). À la rentrée 1967, la fragmentation du paysage politico-syndical étudiant n'empêche pas la contestation de s'organiser, dans des cadres où se diffusent et s'élaborent des registres de justification des pratiques qui s'exprimeront également en mai (3).

Nous avons ciblé des sources secondaires sur l'Unef et les mobilisations étudiantes de 1956 à 19681, mais aussi, pour la période 1962-1968, des archives comprenant des tracts qui

appellent à des réunions ou en rendent compte, ou des documents à usage interne ou externe produits par les organisations qui commentent les pratiques contestataires qu'elles mobilisent. Le fonds Comités Vietnam de base2 de la Bibliothèque de documentation internationale

contemporaine (BDIC) de Nanterre présente de ce point de vue un double intérêt. Il rassemble en effet, outre des documents relatifs auxdits comités, impulsés par les maoïstes de l'Union des jeunesses communistes marxistes-léninistes (UJC(ml)), de nombreux autres relatifs à des causes et organisations différentes, dont l'Unef ou l'Union des étudiants communistes (UEC). Pour la rentrée 1967, nous avons également mobilisé des sources primaires rassemblées dans le recueil raisonné et commenté de documents publié en 1969 par Alain Schnapp et Pierre Vidal-Naquet3, qui commence en novembre 1967.

1. La guerre d'Algérie et la politisation des étudiants

La guerre d'Algérie constitue un tournant dans la politisation du mouvement étudiant4.

Les dernières années de la guerre voient en effet l'implication croissante des étudiants et en particulier de l'Unef en faveur de la paix, voire de l'indépendance. En 1956, seul syndicat dans le milieu, l'Unef regroupe 80 000 étudiants, soit un sur deux. C'est donc en son sein que les débats étudiants sur la guerre d'Algérie se mènent. C'est elle qui assure le travail d'information et de mobilisation des étudiants. C'est dans ses instances que se décident les actions, grèves et manifestations, selon un répertoire en partie emprunté au syndicalisme salarié (voir encadré 4). En l'occurrence, ces débats sont vifs, et les questions internationales et coloniales

1 Principalement Alain MONCHABLON, Histoire de l’Unef de 1956 à 1968, Paris, Presses universitaires de France, 1983, 208 pages ; Jean-Yves SABOT, Le Syndicalisme étudiant et la guerre d'Algérie. L'entrée d'une génération en politique et la formation d'une élite, Paris, L'Harmattan, 1995, 276 pages ; Didier FISCHER, « L'Unef et le syndicalisme étudiant dans les années 1960 », in Robi MORDER, coord., Naissance d'un syndicalisme étudiant..., op. cit., p. 223-235.

2 BDIC, Fonds Comités Vietnam de base, F delta 2089. Sur le recours au dépouillement d'archives plutôt qu'aux entretiens comme méthode d'enquête pour cette période, voir infra.

3 Alain SCHNAPP et Pierre VIDAL-NAQUET, Journal de la commune étudiante. Textes et documents. Novembre 1967-juin 1968, Paris, Éditions du Seuil, 1969, 876 pages.

4 Le constat est valable pour l'ensemble de la jeunesse scolarisée. Voir Ludivine BANTIGNY, Le Plus Bel Âge ? Jeunes et jeunesse en France de l'aube des « Trente Glorieuses » à la guerre d'Algérie, Paris, Librairie Arthème Fayard, 2007, p. 240-249.

structurent un clivage entre majoritaires (« majos ») et minoritaires (« minos »), qui conservent leurs appellations réciproques y compris quand les seconds deviennent majoritaires. Tandis que les « majos », bien que peu homogènes, sont partisans de l' « apolitisme », les « minos » considèrent que l'organisation doit prendre position lorsque des circonstances telles que la guerre d'Algérie l'imposent, et l'emportent en 1956 sur cette question. Pour autant, ils doivent poursuivre le travail de conviction de leurs camarades et plus largement de leur milieu, tenter d'éviter la scission, et ne prennent position par conséquent que très progressivement. Ils y sont largement et paradoxalement aidés par le gouvernement et l'instruction interministérielle du 11 août 1959 qui modifie le régime des sursis, avec des conditions susceptibles d'entraîner le départ de milliers d'étudiants en Algérie. L' « affaire des sursis » a pour effet immédiat que « Pour la première fois, le milieu étudiant est dans son ensemble confronté à la guerre »1. L'Unef prend alors en charge la défense

juridique des cas individuels d'étudiants et de lycéens, et des adhérents et AGE2 encore

apolitiques basculent du côté des partisans d'un mot d'ordre de grève. Le 19 octobre 1959, le principe d'une grève de trois jours est validé par les présidents d'AGE réunis à Paris mais finalement suspendu après des promesses d'un représentant du ministère de l’Éducation nationale.

Encadré 4

Le répertoire contestataire étudiant de l'après-guerre, tel qu'il s'énonce lors du Congrès de 1946 de l'Unef

Les dirigeants de l'Unef qui, lors de son XXXVe Congrès en avril 1946, entreprennent de la refonder

à partir de l'imitation, à leurs yeux nouvelle, du modèle syndical, ne s'appuient pas simplement sur la Charte de Grenoble adoptée le 20, et qui définit notamment l'étudiant comme un « jeune travailleur intellectuel ». La Charte, qui énumère les « droits et (…) devoirs de l'étudiant », n'est en fait que le préambule d'un texte statutaire qui formule en particulier les « moyens d'action »3 dont dispose

l'Unef, à savoir :

« a) Pétitions et lettres ouvertes ; b) Manifestations d'ensemble ; c) Monômes spectaculaires ; d) Monômes revendicateurs ; e) Grèves d'abstention ; f) Grèves d'occupation ; g) Monômes dévastateurs.

Il est bien évident que les AG4 ne pourront recourir aux grèves d'occupation et aux monômes

dévastateurs que si les conditions suivantes se trouvent réunies :

• Violation très grave de la déclaration des droits et devoirs de l'étudiant.

• Reconnaissance de la gravité de cette violation par l'ensemble des étudiants et des 1 Alain MONCHABLON, op. cit., p. 103.

2 Association générale des étudiants, structure locale, par ville le plus souvent, de l'Unef. 3 Cité dans Robi MORDER, coord., Naissance d'un syndicalisme étudiant..., op. cit., p. 129. 4 Il s'agit ici d'une abbrévation pour AGE, et non pour « assemblée générale ».

travailleurs.

• Certitude d'avoir l'assentiment populaire. • Accord de l'Unef.

Dans le cas où ces quatre conditions seraient réunies, le bureau de l'Unef peut décider d'étendre la grève ou les monômes dévastateurs à l'ensemble des universités de France. Enfin, si non seulement les droits de l'étudiant, mais encore les droits essentiels du citoyen venaient à être violés, participation à l'insurrection populaire nationale. »

Cette mise à plat du répertoire contestataire étudiant offre un point d'entrée sur ce qui est conçu comme possible et pensable par les militants étudiants de l'après-guerre. Comme le souligne Robi Morder, ce répertoire combine emprunts au répertoire syndical, à commencer par l'usage de la grève, repérable des les années 1930 en Droit et en Médecine, et au « vieux répertoire spécifique étudiant »1,

en particulier à travers le « monôme », cortège composé d'une file d'étudiants se tenant par les épaules. Tandis que la « grève d'abstention » renvoie au refus d'assister aux enseignements, la « grève d'occupation » renvoie davantage à une possibilité évoquée qu'à un mode d'action pratiqué. Selon Robi Morder, « on peut voir là la référence à 36 et au mouvement ouvrier, car il ne semble pas y avoir de précédent étudiant en la matière » avant « la tentative d'occupation (qui échoue) de la Sorbonne en 1963, idée qui tient moins à la Charte de Grenoble qu'en partie à l'exemple des étudiants italiens en 1957 »2. Enfin, on peut voir dans la mention de l'éventualité d'une « insurrection populaire

nationale » dans le cas où « les droits essentiels du citoyen venaient à être violés » une marque du contexte de la Libération, qui imprègne en profondeur le congrès. Dans cette énumération, les modes d'organisation ne sont pas évoqués.

L'adoption du mot d'ordre de grève en 1959 dans une AGE comme celle de Grenoble, « mino » de longue date, est à cet égard révélatrice des instances qui le décident dans ce contexte où de très nombreux étudiants sollicitent l'aide de l'Unef. Comme le décrit Jean-Yves Sabot, qui centre son étude sur cette AGE et sur celle de Dijon :

« L'AG du 30 novembre mandate le comité pour organiser une grève immédiate d'une durée indéterminée au cas où l'instruction du 11 août serait appliquée et au cas même où un seul étudiant verrait son sursis supprimé. La motion, appuyée par le comité, est adoptée par acclamations. Jamais les étudiants grenoblois n'avaient auparavant acclamé unanimement une grève en AG. Au contraire, l'instauration de piquets de grève était jusque-là de rigueur pour pallier le manque d'enthousiasme (…).

Les étudiants adoptent par acclamations une motion qui déclare “illégale et inadmissible l'instruction du 11 août” dont ils n' “admettront jamais l'application”. “Considérant qu'un projet de réforme avait été approuvé en Commission nationale Armée-Jeunesse juste avant la promulgation de la circulaire du 11 août” et “considérant que le ministre des Armées a volontairement ignoré ce projet et que cela prouve le manque d'intérêt de la commission”, ils “approuvent l'Unef de s'en être retirée et lui demandent de ne pas reprendre de contact avec l'armée avant une solution définitive de l'affaire des sursis”. À propos de la commission jeunesse, ils adoptent, par 134 voix pour, 59 contre et 43 abstentions, une motion “mandatant le comité pour faire reconnaître, par tous les moyens en sa possession, le droit à l'objection de conscience”, “considérant que pour des raisons morales, des jeunes gens acceptent de passer dix ans de leur jeunesse en prison pour ne pas porter l'uniforme ou ne pas participer à la guerre coloniale”.

Lorsqu'est abordé le travail de la commission outre-mer, l'évolution politique de l'assemblée se fait nette. Les arguments d'un Coignet soutenant qu'“on nous présente deux motions réellement politiques” n'ont plus de prise sur le point de vue de Jean Aslanian qui demande si “résoudre le problème des sursis sans s'attaquer au problème de l'Algérie résoudra quelque chose”. À une 1 Robi MORDER, « Les répertoires d'action collective des mouvements étudiants », Les Cahiers du Germe,

n° 4, 2003/2004, p. 5. 2 Ibid.

large majorité, l'assemblée reconnaît “le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes”, pose le problème concret de la réalisation du cessez-le-feu et de la négociation, “termes actuellement avancés” par le gouvernement, affirme “le caractère injuste et anachronique du fait colonial sous sa forme historique ou sous ses formes actuelles de domination économique”, rappelle sa “solidarité avec les jeunes en lutte pour leur indépendance nationale”. »1

L'assemblée générale dont il est ici question est évidemment une AG des adhérents de l'AGE. Elle mandate un comité qui constitue sa direction, et se prononce sur les positions prises par l'organisation et les différentes commissions entre lesquelles est réparti le travail de l'AGE. Cette AG réunit 236 membres, si l'on en juge par le décompte des votes pour une motion. C'est elle qui charge le comité d'organiser une éventuelle grève. Le fond des débats révèle par ailleurs le déplacement des positions induit par l'affaire des sursis : l'opposition à la politique menée sur ces derniers entraîne une adhésion massive aux mots d'ordre « minos » concernant la guerre d'Algérie. Bien plus, c'est la situation exceptionnelle qui justifie un vote en AG pour statuer sur le mot d'ordre de grève, puisque c'est généralement le comité, après avis d'un conseil des corporations, qui prend les décisions concernant les manifestations ou les grèves.

Ceci étant, l'instruction sur les sursis est en partie annulée par le Conseil d’État, très peu appliquée, et finalement remplacée le 17 mars 1960 par un décret plus favorable, suite à deux jours de grève et de manifestations massives. À partir de ce moment néanmoins, l'Unef gagne massivement le milieu étudiant à la cause algérienne, et ses actions culminent avec le meeting de la Mutualité du 27 octobre 1960 : pour la première fois, c'est l'Unef qui est à l'initiative d'une action intersyndicale (finalement avec la CFTC et la Fen), qui réunit entre dix et quinze mille participants et se termine par une manifestation et des heurts avec la police2.

Pour autant, si c'est bien l'Unef qui appelle aux grèves, le contexte de crise de la guerre d'Algérie favorise l'émergence de cadres organisationnels qui lui sont en partie extérieurs. Nombre de ses militants s'investissent dans la lutte anticoloniale avant qu'elle ne prenne officiellement position. La semi-clandestinité de certaines activités de soutien au FLN, l'accès réduit à l'information dans une situation de censure partielle et l'urgence des situations, notamment dans le cadre des affrontements avec les groupes d'extrême-droite, donnent lieu à des modes d'organisations plus informels. À Paris, les étudiants mobilisés prennent l'habitude de se réunir tous les midis cour de la Sorbonne, pour des points où s'échangent les dernières informations3. Pendant l'année universitaire 1961-1962, les attentats de l'OAS se multiplient.

L'Unef organise la riposte avec l'appel à deux manifestations, interdites, en novembre 1961

1 Jean-Yves SABOT, op. cit., p. 97-98. 2 Alain MONCHABLON, op. cit., p. 113-120.

3 Entretien avec Prisca Bachelet, alors militante de l'Unef à la Sorbonne, réalisé le 16 juin 2010. Sur le statut de cet entretien, voir infra.

(avec la CGT et la CFTC) et le 8 février 1962 (avec la CGT, la CFTC et le PCF). Mais les lycéens et les étudiants s'organisent également dans des structures de base unitaires, les comités antifascistes étudiants et lycéens, qui permettent d'organiser, plus facilement que dans des cadres syndicaux ou partisans, des affrontements avec les groupes d'extrême droite. Les comités étudiants se fédèrent à la Sorbonne en réseau informel dans le Front universitaire antifasciste (FUA) à partir de décembre 19611. Comme l'explique Alain Monchablon :

« dépassant la formule de cartels d'organisations politiques (UEC, Ésu2) et syndicales (Unef,

Snesup3, Sgen4) les comités se fédèrent en un Front universitaire antifasciste (FUA) autonome ;

ses dirigeants, désormais élus par les comités eux-mêmes, sont indépendants des organisations qui avaient constitué les cartels. Devant cette structure nouvelle, qui capte les énergies militantes des étudiants et lycéens d'extrême gauche, l'Unef se montre réservée : il y a là (…) la réaffirmation de la “vocation syndicale” : faisant pression sur les AGE parisiennes d'extrême gauche (Paris-Médecine qui adhère en tant que telle au FUA, ENS5 et préparationnaires

littéraires), l'assemblée générale de février refuse de laisser ses sections se fondre dans une structure où elles perdraient leur autonomie face aux mouvements politiques. »6

Si les militants du FUA peuvent être membres d'organisations, politiques ou syndicale, ils font l'expérience d'un mode d'organisation indépendant de ces étiquettes, que certains responsables de l'Unef remobiliseront à titre de remèdes aux difficultés rencontrées par le syndicat à partir de 1962.

2. Rebondir après 1962 : l'Unef à la recherche d'un nouveau

projet syndical

Les accords franco-algériens d'Evian, le 18 mars 1962, ouvrent une période paradoxale pour l'Unef. C'est une victoire pour elle, célébrée par un meeting à Paris. Elle rassemble toujours un étudiant sur deux, puisqu'on lui attribue entre 85 000 et 100 000 adhérents. Pour ses dirigeant « minos », renforcés, légitimés, l'enjeu est d'inventer un projet syndical fédérateur pour les étudiants qui se sont mobilisés sur un sujet brûlant et exceptionnel. Que faire de cette force, une fois le quotidien universitaire retrouvé ? Comment revendiquer face à un pouvoir qui sort également triomphant de la guerre ? Les années qui vont de 1962 à mai 1968 voient une série de tentatives pour maintenir puis redonner du souffle à l'organisation, et bientôt la sortir d'une crise de ses effectifs, de sa structuration et de son aptitude à mobiliser les étudiants. La rentrée 1962 se place d'emblée sous le double signe de la paralysie et de la recherche d'innovation dans le répertoire d'action collective. L'Unef revendique notamment

1 Ludivine BANTIGNY, « Jeunesse et engagement pendant la guerre d'Algérie », Parlement[s], Revue d'histoire politique, 2007, vol. 2, n° 8, p. 39-53.

2 Étudiants socialistes unifiés, étudiants du Parti socialiste unifié (PSU). 3 Syndicat national de l'enseignement supérieur, membre de la Fen. 4 Syndicat général de l’Éducation nationale, membre de la CFTC. 5 Écoles normales supérieures (ENS).

l'allocation-logement : elle organise une action spectaculaire de camping sous tente dans les gares parisiennes, qui ne mobilise que les militants. La « mino » n'est plus animée par des membres de la Jeunesse étudiante chrétienne (JEC) comme c'était le cas entre 1953 et 1957. En revanche, les effectifs de l'UEC se sont accrus, et nombre de ses militants parisiens ont expérimenté au FUA des formes d'organisation qui rompent avec l'orthodoxie communiste. C'est une nouvelle « mino », proche ou membre de cette nouvelle UEC, arrivée aux responsabilités pendant la guerre, qui anime la structure de l'Unef d'où viennent la plupart des propositions politiques et pratiques dans ces années-là : la Fédération des groupes d'études de lettres (Fgel), qui rassemble les étudiants de lettres de la Sorbonne. C'est l'AGE montante au sein de l'Unef, l'une des rares qui gagne des adhérents (7 200 adhérents en 1963 contre 6 000 l'année précédente). Alain Monchablon relie les dispositions de ses dirigeants à innover en matière de répertoire organisationnel à deux traits : « le radicalisme politique du FUA (parfois des réseaux de soutien au FLN) dont certains sont issus, d'autre part la sensibilité marquée des étudiants en sciences sociales aux phénomènes de bureaucratisation et à la possibilité d'y obvier »1. En novembre 1962, le bureau de la Fgel a fait voter la grève « amphi par amphi au

lieu de la décréter d'en haut ; le résultat en a été un succès »2.

En conséquence, la Fgel donne le ton au Congrès de Dijon, qui se tient du 7 au 13 avril 1963, par les prises de parole et les propositions de sa délégation (« massive, trente membres soit le triple des effectifs délégués d'ordinaire par une grosse AGE en Congrès »3), qui

mobilise un vocabulaire marxisant étranger à beaucoup de délégués. Avec l'AGE Paris- Médecine, elle propose l' « orientation universitaire ». Celle-ci consiste en premier lieu dans la mise en cohérence du socle revendicatif de l'Unef autour d'une revendication présentée comme unifiante : l'allocation d'études. L'ambition, sans être complètement explicite, est de produire une classe sociale étudiante par le biais de revendications portant sur ce qui est commun aux étudiants, par-delà les différences d'origine sociale et d'avenir professionnel : conditions de travail, place dans l'université et la société, dépendance économique et période d'indétermination sociale supposée permettre des inflexions de trajectoires. L'université est quant à elle perçue comme soumise à l'emprise du capital, de plus en plus utilisée pour former des techniciens spécialisés, rapprochant hypothétiquement les destinées des étudiants et des ouvriers. La lutte syndicale dans ce secteur s'en trouve entourée d'une aura révolutionnaire décisive, pourvu que l'unité puisse se faire avec les forces ouvrières. Dans ce cadre, l'allocation d'études n'est pas simplement une réponse à des problèmes économiques

1 Ibid., p. 145-146. 2 Ibid., p. 146. 3 Ibid.

susceptible de mobiliser facilement le milieu, mais est lue comme un levier permettant de