LES « MERCURIALES » DE D'AGUESSEAU
Il y a quelques mois, en t ê t e de La Revue (1), l a grande figure d u chancelier d'Aguesseau é t a i t é v o q u é e —• et comment eût-elle pu l ' ê t r e mieux ? — par un de ses successeurs, garde des sceaux de l a R é p u b l i q u e . Cette c o m m é m o r a t i o n é t a i t p a r t i c u l i è r e m e n t opportune, puisqu'elle correspondait, à quelques mois près, avec le d e u x i è m e centenaire de la mort de l'illustre magistrat.
Soit dit, en passant, que si le chancelier d'Aguesseau é t a i t natif d u L i m o u s i n — ce qui explique les manifestations organisées à sa gloire en novembre dernier à Limoges, sur l'initiative de l'Ecole de D r o i t de cette ville — ses cendres reposent à Paris, sous l a pyramide de marbre rose, à l'inscription à demi effacée, qui orne l a place de l'église d ' A u t e u i l .
L a carrière politique de d'Aguesseau a é t é subtilement r e t r a c é e pour les lecteurs de La Revue; mais à la v é r i t é , d'Aguesseau, m ê m e au Conseil d u roi, ne dépouilla jamais l a robe d u magistrat, symbole, en l u i , de l ' u n i t é d'une vie tout e n t i è r e consacrée à la justice. Montaigne et Montesquieu ne firent que passer au Palais ; Michel de l ' H o s p i t a l et Malesherbes furent avant tout des hommes d ' E t a t ; d'Aguesseau à aucun moment ne se laissa distraire d u souci de l a chose judiciaire.
A v o c a t général au Parlement de Paris à vingt et un ans, procu- reur général à trente-deux ans, i l occupa pendant vingt-sept ans le siège d u m i n i s t è r e public devant cet auguste « s é n a t » — pour employer son langage — avec u n éclat qui le porta tout naturelle- ment aux honneurs s u p r ê m e s . Dans l a charge de chancelier de
(1) Voir dans La Revue du 15 février 1952, Le Chancelier d'Aguesseau, par M . Edgar Faure.
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France, Ja p r e m i è r e du royaume, i l s'appliqua principalement à veiller à l'exacte administration de la justice et à corriger les imperfections de la législation civile. Il est superllu de rappeler l ' œ u v r e législative à laquelle i l a a t t a c h é son nom : ses ordonnances sur les donations et les testaments ainsi que sur la p r o c é d u r e civile ont.servi de base aux dispositions similaires de nos Codes ot son r è g l e m e n t du Conseil do 1738 est encore suivi, avec les adaptations nécessaires, devant la Cour de Cassation.
Ce magistrat m o d è l e s'est plu à tracer un portrait du magistrat idéal tel q u ' i l le concevait : c'est là l'objet des dix-neuf mercuriales p r o n o n c é e s par l u i devant le Parlement et qui s ' é c h e l o n n e n t de 1698 à 1715.
O n sait que, c o n f o r m é m e n t à un antique usage, le Parlement tenait deux assemblées, lors de sa r e n t r é e à l a Saint-Martin et a p r è s les fêtes de P â q u e s , où par l'organe d'un de ses membres i l e x e r ç a i t sur l u i - m ê m e le m i n i s t è r e de la censure publique. L a charge de porter la parole à ces audiences solennelles qui avaient lieu, au moins à l'origine, un mercredi — d ' o ù le nom d o n n é aux discours qui y é t a i e n t p r o n o n c é s — se partageait entre le premier avocat général et le procureur général ; d'Aguesseau s'en est a c q u i t t é successivement en ces deux q u a l i t é s .
Ses harangues sont des c h e f s - d ' œ u v r e de l'art oratoire. L a vigueur et la n e t t e t é de la pensée n ' y ont d ' é g a u x que l'ordre de la composition et l'exactitude de l a langue. Une construction savante de la phrase, à la mode latine, un stylo qui t a n t ô t s'étale on périodes majestueuses, t a n t ô t se resserre et se ramasse en formules bien frappées, font souvenir tout à l a fois de Bossuet et de L a B r u y è r e . C'est un monument admirable et trop peu connu de l a prose française, telle du moins que l ' a conçue le x v ne siècle, avant l'effort d'assouplissement que l u i a i m p o s é Voltaire.
Quant aux idées qui s'y expriment, i l n'est pas encore aujour- d'hui de lecture plus fortifiante pour qui veut s'instruire des gran- deurs et des servitudes de l a carrière judiciaire. Réserve faite de quelques passages qui r e f l è t e n t trop é t r o i t e m e n t les institutions et les m œ u r s de l ' é p o q u e , l'ensemble a un c a r a c t è r e de v é r i t é éternelle.
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E t tout d'abord, d'Aguesseau se fait une très haute idée de l a magistrature. L a justice est pour l u i « divine dans sa source »
( X V I I Ie Mercuriale, p. 381) (1) et i l n'est pas loin d ' ê t r e é t o n n é devant « cette puissance de juger, si terrible parmi les hommes », comme devait dire Montesquieu. L e m é t i e r de juge est donc un sacerdoce qui appelle le terme de « p r ê t r e de l a justice » (I, 188 ; V I I I , 277) et qui justifie l'apostrophe de l ' E c r i t u r e : « Juges de l a terre, vous1 êtes des dieux et des enfants d u T r è s H a u t » ( V I , 248).
D ' o ù l'idée, hardie pour l'époque, que l a grandeur d ' â m e chez le juge est comparable à la valeur militaire : « I l est, n'en doutons point, des héros de tous les temps et de toutes les professions.
L a paix a les siens, comme la guerre ; et ceux que l a justice consacre ont au moins la gloire d ' ê t r e plus utiles au genre humain que ceux que la valeur a c o u r o n n é s . L e plus parfait modèle de la véri- table grandeur, D i e u m ê m e , qui en possède l a source et l a p l é n i t u d e , n'est pas moins jaloux d u titre de juste juge que de celui de D i e u des A r m é e s . I l permet la guerre, mais i l ordonne la paix ; et si le c o n q u é r a n t est l'image terrible d'un Dieu vengeur et irrité, le juste est la noble expression d'une divinité favorable et bien- faisante » (II, 205).
Placée si haut dans l'échelle des valeurs humaines, l a justice ne doit ê t r e « jamais r é d u i t e à l a triste nécessité de se défendre elle-même » (II, 198). Cependant, le c a r a c t è r e propre de l'institution fait que le public impute au corps les fautes des membres (II, 198) ; c'est que les magistrats sont « autant de rayons différents, toujours faibles, quelque lumineux qu'ils soient par e u x - m ê m e s , lorsqu'ils se s é p a r e n t les uns des autres ; mais toujours é c l a t a n t s , quelque faibles qu'ils soient s é p a r é m e n t , lorsque, réunis ensemble, ils forment par leur concours ce grand corps de l u m i è r e qui réjouit la justice et qui fait trembler l ' i n i q u i t é » (I, 189).
L a grandeur m ê m e de leur m i n i s t è r e fait que les magistrats doivent y ê t r e a t t a c h é s et i l est significatif de noter que l a p r e m i è r e mercuriale a pour sujet « l'amour de son é t a t », qualifié « le plus p r é c i e u x et le plus rare de tous les biens » (I, 178).
Ces pensées ne s'accordent guère avec l ' é t a t actuel de nos institutions judiciaires. L e prestige de l a justice ne cesse de baisser dans notre pays et ce n'est pas l a multiplication souvent inconsi- dérée des juridictions qui est de nature à y porter r e m è d e . L a carrière judiciaire, qui devrait ê t r e l a p r e m i è r e dans l'estime publique, souffre d'un discrédit croissant ; tout au plus l'opinion l u i rend-elle
(1) Les citations sont empruntées aux Discours de M. le Chancelier d'Agueeseau, Paris, Librairie classique de Maire-Nyon, 13, quai de Conti, 1822,
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un hommage indirect par l a sévérité avec laquelle elle relève chez le juge le moindre manquement aux devoirs de son é t a t . L a magis- trature ne se recrute plus que difficilement ; bien loin d'attirer l'élite des F a c u l t é s de Droit, que fascinent les perspectives de succès offertes par le barreau, elle constitue le refuge des m é d i o c r e s ou n'attire que des vocations forcées. A l'encontre de ce qui se passe dans maints pays é t r a n g e r s , i l est sans exemple en France q u ' u n avocat é m i n e n t ait sollicité u n poste dans la magistrature.
Ce n'est pas i c i le lieu de rechercher le pourquoi d'une situation aussi paradoxale ; i l faudrait sans doute mettre en cause non seulement la m é d i o c r i t é de l a situation matérielle faite aux magis- trats et les conditions de leur recrutement, mais encore l a structure m ê m e de l'organisation judiciaire. Q u ' i l suffise de souligner l'urgence d u redressement q u i s'impose dans ce domaine.
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« L e premier soin du juge doit ê t r e de rendre l a justice, et le second do conserver sa d i g n i t é . » Cette phrase de la d e u x i è m e mercuriale (p. 199) r é s u m e le double devoir qui s'impose au juge.
A i n s i , pour l u i , le strict accomplissement de l a t â c h e professionnelle ne suffit pas ; i l s'y ajoute une obligation plus générale qui englobe m ê m e l a vie p r i v é e .
Comment le juge doit-il rendre l a justice ? Les vues de d'Agues- seau sur ce point constituent une sorte de b r é v i a i r e , auquel i l n ' y a presque rien à ajouter, n i à retrancher.
I l est d'abord, pour le juge, des devoirs en quelque sorte formels.
L e sage magistrat s'intéresse à toutes les t â c h e s de son m i n i s t è r e , quel que soit leur éclat ou leur retentissement à l ' e x t é r i e u r : « Toutes les fonctions de l a magistrature sont toujours respectables à ses yeux ; si elles ne l u i semblent pas é g a l e m e n t augustes, aucune ne l u i p a r a î t pouvoir ê t r e m é p r i s é e ; i l n'imite point ces hommes fastueux dont l'attention se p r ê t e avec plaisir à ces contestations célèbres q u i leur paraissent faire honneur à leur pouvoir ou ê t r e v é r i t a b l e m e n t dignes de leur application, et se refusent à ces causes légères et à ces détails rebutants en e u x - m ê m e s , q u i entrent essen- tiellement dans l'ordre de l a justice. I l sait que l a d e s t i n é e des pauvres y est presque toujours a t t a c h é e et que le v é r i t a b l e honneur du magistrat n'est pas de prononcer entre les grands ou sur des
difficultés importantes, mais de retracer dans ses jugements l'image fidèle et vivante de l a loi m ê m e , qui é t a b l i t des règles invariables, sans distinguer les personnes et les conditions » ( V , 236).
A v a n t m ê m e de rendre l a justice, que le magistrat s'applique à ne pas s'en é c a r t e r dans l'ordre m ê m e des causes : « L e fidèle ministre de l a justice ne regarde qu'avec peine cette foule de clients q u i l'environnent : i l croit voir autour de l u i une multitude de créanciers avides dont l a présence semble l u i reprocher sa lenteur ; et lorsqu'il ne peut satisfaire en m ê m e temps leur juste impatience, c'est le devoir, c'est l'équité seule qui règle leur rang v et qui décide entre eux de l a préférence » ( I X , 289). Sage p r é c e p t e q u ' i l n'est jamais inutile de rappeler, tant sa m é c o n n a i s s a n c e est susceptible de porter atteinte au prestige m ê m e de l a justice.
Que le magistrat doive apporter une e x t r ê m e diligence à h â t e r l'expédition des affaires, c'est ce qui découle de cet axiome que
« différer l a justice, c'est souvent l a refuser » ( X I V , 337) ; mais la diligence n'implique pas l a p r é c i p i t a t i o n . I l ne faut pas que le magistrat se h â t e « de cueillir et de p r é s e n t e r aux plaideurs les fruits encore amers d'une justice p r é m a t u r é e . L e magistrat instruit de ses devoirs sait q u ' i l y a quelquefois plus d ' i n c o n v é n i e n t à p r é c i p i t e r la décision q u ' à l a différer. Egalement éloigné de ces deux e x t r é m i t é s , il ne voudra ni p r é v e n i r par impatience, ni laisser é c h a p p e r par négligence ce point de m a t u r i t é , dans lequel seul le plaideur peut recueillir avec joie ce q u ' i l a semé avec douleur » ( X I V , 338). « Que le magistrat se h â t e donc pour l a promptitude de l ' e x p é d i t i o n ; mais qu'il sache se h â t e r lentement pour l a p l é n i t u d e de sa propre instruction » ( X V I , 363).
L a tenue à l'audience n'est pas de moindre importance. O n a p p r é c i e r a tout le piquant d u style noble qu'emploie notre auteur pour fustiger le d é f a u t d'attention d u mauvais magistrat, qui t a n t ô t n'observe pas le silence, t a n t ô t s'abandonne au sommeil :
« L i v r é aux caprices de ses pensées et à l ' i n q u i é t u d e d'une imagination vagabonde, i l ne se contente pas d'errer dans le vaste pays de ses distractions, i l veut avoir des compagnons de ses é g a r e m e n t s ; et p l a ç a n t une conversation i n d é c e n t e dans le silence majestueux d'une audience publique, i l trouble l'attention des autres juges et d é c o n c e r t e souvent l a timide éloquence des orateurs ; ou s'il fait quelque effort pour les écouter, b i e n t ô t l'ennui succède à la dissipation, et le chagrin qui est peint sur son visage fait trembler la partie et glace son défenseur. O n le voit inquiet, agité, p r é v e n i r les
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suffrages des autres juges par des signes indiscrets et accuser en eux une lenteur salutaire q u ' i l devrait imiter. Une molle indolence pourra seule fixer cette agitation importune ; mais quelle peut ê t r e l a d i g n i t é de celui q u i ne doit sa t r a n q u i l l i t é apparente q u ' à une langueur v é r i t a b l e ? I l semble que le t r i b u n a l soit pour l u i u n lieu de repos, où i l attend entre les bras du sommeil l'heure de ses affaires ou celle de ses plaisirs. C'est ainsi que l'arbitre de l a vie et de l a fortune des hommes se p r é p a r e à porter un jugement i r r é v o c a b l e . L a justice, i l est v r a i , conservera toujours ses droits, nous le p r é s u m o n s ainsi de l a sagesse de ses ministres ; un moment d'attention r é p a r e r a une longue négligence ; i l sortira d u t r ô n e de l a justice u n de ces rayons lumineux que permet les plus profondes t é n è b r e s et q u i , dissipant les vapeurs du sommeil, éclairent le juge le moins attentif dans le moment fatal de l a décision. Mais, l a d i g n i t é d u magistrat sera blessée, quand m ê m e l a justice ne le serait pas ; et le t é m o i g n a g e de sa conscience ne saurait le mettre à couvert de l a maligne censure d u public, qui voit son indolence et q u i ne peut ê t r e t é m o i n de l'heureuse certitude de son jugement » ( I V , 226).
Citons encore u n autre passage sur le m ê m e sujet : « Malheur à celui qui ne commence d ' ê t r e attentif que lorsqu'il approche d u moment fatal de l a décision ! Pendant que le magistrat dort, l a fraude et l'artifice veillent pour le surprendre. I l se réveille enfin, mais i l est effrayé d u changement q u i se p r é s e n t e à ses yeux a p r è s u n sommeil trop favorable à l ' i n i q u i t é . A peine reconnaît-il encore quelques traits confus de l a p r e m i è r e image d u différend des parties.
Des préliminaires innocents en apparence sont presque devenu? des p r é l u d e s d'injustice. I l d é c o u v r e en tremblant les pièges que, sans le savoir, i l a l u i - m ê m e creusés sous ses pas » ( X I V , 337).
Comment le magistrat formera-t-il sa conviction ? I l est indis- pensable, tout d'abord, q u ' i l soit instruit de l a science du Droit et ne se borne pas à se fier à ses l u m i è r e s naturelles et à l'expérience.
« L a science nous donne en peu de temps l'expérience de plusieurs siècles. Sage sans attendre le secours des a n n é e s et vieux dans sa jeunesse, le magistrat reçoit de ses mains cette succession de l u m i è r e , cette t r a d i t i o n de bon sens à laquelle le c a r a c t è r e de certitude et, si on ose le dire, de l'infaillibilité humaine semble être a t t a c h é . Ce n'est plus l'esprit d'un seul homme, toujours b o r n é , quelque grand q u ' i l soit, c'est l'esprit, c'est l a raison de tous les législateurs qui se fait entendre par sa v o i x et qui prononce par sa bouche des oracles
d'une éternelle v é r i t é » ( V I I , 268). A ce propos, d'Aguesseau retrace à grands traits l'histoire des législations : « L a sagesse du législateur a é t é obligée de faire le m ô m e progrès que l a malice de l'homme, afin que chaque m a l t r o u v â t son r e m è d e , chaque fraude sa p r é c a u t i o n et chaque crime sa peine. L a loi, qui avait d'abord é t é établie pour r é p r i m e r la violence, n'a presque plus été occupée q u ' à d é s a r m e r l a s u b t i l i t é . Indocile à porter le joug de l a règle, l'es- prit humain a voulu s ' é c h a p p e r par mille d é t o u r s secrets, dans lesquels i l a fallu que l a vigilance d u législateur l'ait suivi » ( X I I I , 323).
Mais, la science du Droit ne suffît pas au magistrat ; pour q u ' i l en fasse un bon usage, encore faut-il q u ' i l soit exempt de p r é v e n t i o n , c'est-à-dire de cette espèce d'injustice « que nous pouvons appeler l'erreur de l a vertu et, si nous osons le dire, le crime des gens de bien » ( X V I I , 367).
L a p r é v e n t i o n , sous sa forme la plus commune, joue en faveur des grands ou de nos amis ; mais i l en est une autre plus subtile et plus honorable dont le jeu est à rebours : « Ames généreuses, ne devons-nous craindre pour vous votre propre m a g n a n i m i t é ? N'attache-t-elle jamais une idée de justice à la misère d u pauvre et une idée d'injustice à l a fortune d u riche ? P r é j u g é spécieux, p r é v e n t i o n presque générale que l a conduite ordinaire des grands semble justifier... Respecterons-nous davantage cette p r é v e n t i o n . . . qui jette quelquefois le magistrat dans l'injustice pour éviter l'écueil de la haine ou de l ' a m i t i é ?
« U n excès de p r o b i t é l a fait n a î t r e , mais l'homme juste ignore l'excès jusque dans l a v e r t u m ê m e . Ne vous flattez donc point de sa faveur, vous q u ' i l honore de sa confiance ; mais ne craignez pas non plus votre propre félicité ! L a justice n'acquittera point les dettes de l ' a m i t i é ; mais aussi l a crainte de passer pour bon ami ne le portera pas à cesser d ' ê t r e bon juge... L e juge ne vengera point les injures de l'homme, mais le désir de p a r a î t r e magnanime aux yeux de ses ennemis ne l ' e m p ê c h e r a pas d ' ê t r e juste, et jamais la crainte de passer pour p r é v e n u ne deviendra pour l u i un nouveau genre de p r é v e n t i o n » ( X V I I , 368-70).
« E t r e exempt de toute acception de personnes, ce n'est pas encore assez pour le magistrat. Les causes m ê m e s portent avec elles leur p r é v e n t i o n » ( X V I I , 371) qui résulte d'apparences trompeuses.
Il y a enfin les p r é v e n t i o n s que le juge porte en l u i - m ê m e dans
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son t e m p é r a m e n t . « Celui qui est sévère dans ses m œ u r s sera sans m i s é r i c o r d e pour des faiblesses q u ' i l n ' a jamais é p r o u v é e s mais le magistrat qui les a senties plus d'une fois aura aussi plus d'in-
dulgence pour les faibles » ( X V I I , 373). -,
« U n moment de joie nous dispose à accorder tout ; un mou- vement de tristesse nous porte à tout refuser ; i l est des jours do grâce et de miséricorde où notre c œ u r n'aime q u ' à pardonner ; i l est des jours de colère et d'indignation où i l semble ne se plaire q u ' à punir » ( X V I I , 375).
Il appartient enfin au juge d ' a r r ê t e r sa décision. C'est ici le lieu d'insister sur l a règle souveraine de l a soumission du magistrat à l ' a u t o r i t é de l a l o i . Que le juge se défende 'de l a tentation « d'un partage t é m é r a i r e entre le pouvoir de l'homme et celui de l a l o i » et q u ' i l ne recoure pas pour se justifier à l a notion d ' é q u i t é . « Premier objet d u législateur, d é p o s i t a i r e de son esprit, compagne i n s é p a r a b l e de l a loi, l ' é q u i t é ne peut jamais ê t r e contraire à l a l o i m ê m e . T o u t ce q u i blesse cette é q u i t é , v é r i t a b l e source de toutes les lois, ne résiste pas moins à l a justice : le législateur l'aurait c o n d a m n é s'il l'avait p u p r é v o i r ; et si le magistrat, qui est l a loi vivante, peut suppléer alors au silence de l a loi morte, ce n'est pas pour combattre l a règle, c'est au contraire pour l'accomplir plus parfai- tement » ( I X , 286).
Dans le domaine de l a justice p é n a l e , l a s e p t i è m e mercuriale met en garde le magistrat contre l ' h u m a n i t é , cette autre forme de l ' é q u i t é : « Comme si l ' h u m a n i t é pouvait jamais être contraire à l a justice et comme si cette fausse et s é d u i s a n t e é q u i t é , qui hasarde l a vie de plusieurs en é p a r g n a n t celle d'un coupable, n'avait pas toujours é t é r e g a r d é e comme une compassion cruelle et une miséricorde inhumaine » ( V I I , 272).
Une fois l a décision acquise, un double devoir s'impose au juge : s'incliner devant l a solution, quel que soit son sentiment personnel ; garder le secret du délibéré.
« A v a n t l ' a r r ê t , loin de défendre le combat des sentiments la l o i le permet, l ' i n t é r ê t des parties le désire, l a v é r i t é m ê m e le commande, puisqu'elle est souvent le prix et l a r é c o m p e n s e d u combat. Mais à peine l ' a r r ê t est-il formé qu'une soumission respec- tueuse doit succéder à cette c o n t r a r i é t é d'opinions : l'avis d u plus grand nombre des magistrats devient le sentiment de tous ; l a raison avait divisé les suffrages, l ' a u t o r i t é les r é u n i t et l a v é r i t é adopte é t e r n e l l e m e n t ce que l a justice a une fois décidé » (II, 196).
Soulignons, au passage, l a solennité de cette d e r n i è r e phrase, a c c o r d é e au c a r a c t è r e définitif de l a chose j u g é e .
Quant au secret d u délibéré, l a n e u v i è m e mercuriale le qualifie de « force des faibles et de s û r e t é de l a justice ». On sait que le principe de ce secret, p r o c l a m é en termes g é n é r a u x par les lois r é v o l u t i o n n a i r e s , est considéré dans notre Droit comme s'imposant à toute juridiction, de quelque ordre qu'elle relève et quelque modeste que soit le champ de sa c o m p é t e n c e .
Si rendre l a justice est l a t â c h e principale du magistrat, i l s'y en ajoute d'autres qui en sont l'accessoire et d'abord la surveil- lance des auxiliaires de l a justice.
« Que le magistrat, a p r è s avoir exercé sa justice sur les plaideurs, l'exerce encore plus sur ces défenseurs avides et intéressés qui les oppriment souvent sous p r é t e x t e de les défendre, dont l a dangereuse industrie cherche à se d é d o m m a g e r de la diminution des affaires, en donnant à un fonds stérile une malheureuse fécondité qui a c h è v e d ' é p u i s e r le dernier suc et l a dernière chaleur de l a terre » ( V I I I , 279).
L a q u a t o r z i è m e mercuriale fait encore obligation, au moins aux magistrats les plus élevés, non seulement de surveiller les juges inférieurs, mais encore de p r é v e n i r les procès « par quelques lignes d'un r è g l e m e n t salutaire ». Ce n'est là, est-il besoin de le noter, qu'une référence au pouvoir qui appartenait alors aux Parlements d ' é d i c t e r des a r r ê t s de r è g l e m e n t , pouvoir qui n'a laissé aucune trace dans nos institutions judiciaires modernes,
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Telle est l a somme des devoirs professionnels dii magistrat entendus au sens strict. I l s'y ajoute une obligation générale de d i g n i t é , qui intéresse surtout l a vie p r i v é e . Les idées de d'Aguesseau sur ce point, i l faut le r e c o n n a î t r e , ont vieilli, elles peuvent m ê m e parfois p r ê t e r à sourire. Comment s'en é t o n n e r , dès lors qu'en m a t i è r e de m œ u r s , l a bienséance est chose essentiellement relative et varie avec les é p o q u e s ?
D u moins, n ' y a-t-il rien à reprendre au fondement de ces conceptions, à savoir que l a grandeur m ê m e de sa fonction assujettit le juge à des règles de conduite p a r t i c u l i è r e m e n t sévères : « Le ministre de l a justice est, par é t a t , l'ennemi des vices qui peuvent troubler la société civile ; l ' i n t e r p r è t e des lois est en m ê m e temps
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le censeur des désordres qu'elles condamnent » ( V , 242). C'est l'application m ô m e du principe qui est susceptible de varier selon les temps.
« V i v r e convenablement à son é t a t » ( I V , 229), tel est en deux mots l'impératif qui dicte l a conduite du magistrat. Q u ' i l ne soit donc pas « occupé à délibérer s é r i e u s e m e n t sur le choix de ses plaisirs ou à tracer laborieusement le plan de sa fortune ».
D'Aguesseau non seulement interdit au magistrat le t h é â t r e (I, 180), mais m ê m e ne l u i permet qu'avec condescendance l a musique ( X V I , 359), cet art « qui ne mesure le temps que par la d u r é e des sons et par la justesse de l'harmonie ». L e siècle est aujourd'hui moins sévère.
D'Aguesseau surtout condamne le luxe, l a p r o d i g a l i t é , l a magni- ficence ; c'est là un point sur lequel i l ne cesse de revenir. Ses p r é o c c u p a t i o n s à cet égard sont manifestement c o m m a n d é e s par l'opulence de la haute magistrature de son temps. Les temps ont bien c h a n g é et aujourd'hui c'est p l u t ô t une p r é o c c u p a t i o n inverse q u i serait justifiée ; notre auteur, s'il v i v a i t parmi nous, se plaindrait sans doute que tant de magistrats, m ê m e parmi les plus élevés, ne m è n e n t un train de vie par trop d i s p r o p o r t i o n n é à leur rang. D é t a i l r é v é l a t e u r : l'article 808 du Code de p r o c é d u r e civile relatif aux référés p r é v o i t qu'en cas d'urgence le p r é s i d e n t du t r i b u n a l « pourra permettre d'assigner soit à l'audience, soit à son hôtel ». Cette citation rend un son d'ironie dérisoire en un temps où certains magistrats en sont r é d u i t s à n'avoir pour domicile qu'une chambre d ' h ô t e l .
Quel usage le magistrat fera-t-il de ses loisirs ? L ' é d u c a t i o n des enfants, l a société d'amis « savants et vertueux », l ' é t u d e , le commerce avec les Muses s'offrent à l u i ; le séjour à la campagne ne l u i est pas non plus interdit ; mais en quels termes solennels d'Aguesseau en d é p e i n t les avantages ! L e morceau est à citer :
« L o i n d u tumulte de l a ville, les plaisirs m o d é r é s d'une campagne a g r é a b l e r é p a r e r o n t de temps en temps les forces de son corps et redonneront une nouvelle vigueur à celles de son â m e . Les occupa- tions de l a vie rustique seront pour l u i une leçon vivante et a n i m é e de l'usage du temps et de l'amour du travail. I l ne d é d a i g n e r a pas m ê m e de s'y abaisser ; et portant partout avec l u i le désir d ' ê t r e utile aux autres, i l ne sera pas insensible au plaisir de tra- vailler pour un autre siècle et de donner un jour de l'ombre à ses neveux. »
Tels sont les plaisirs du magistrat ; un mot les définit : la sim- plicité. Dans le m ô m e esprit, le magistrat doit r é p u d i e r l'ambition ; q u ' i l ne soit pas « souvent avec la fortune et presque jamais avec l u i - m ê m e » ( X V I , 360). L e sage magistrat se félicitera de ne pas céder à la fortune en songeant qu' « on est toujours assez élevé quand on l'est autant que son é t a t » ( I V , 230). E t , dans l'exercice de ses fonc- tions, il ne s'attachera pas aux profits qu'il peut en retirer : « Les fonctions les plus infructueuses de la justice sont celles q u ' i l rem- plira avec le plus d'empressement ; i l suivra avec peine l'usage é t a b l i dans les autres » ( I V , 214). Notons, en passant, que ces derniers mots contiennent une critique discrète des « épiées ».
D'une m a n i è r e générale d'ailleurs, le magistrat doit ê t r e éloigné de toute idée d'enrichissement : « i l n'aspire q u ' à conserver en paix l'héritage de ses pères, par une m o d é r a t i o n féconde qui augmente ses revenus de tout ce qu'elle retranche à ses désirs » ( X , 301).
D'Aguesseau. ne craint pas, à ce sujet, de flétrir les mariages d'argent, si communs à son é p o q u e , en termes d'une vigueur éton- nante : « C'est alors que, pour sauver quelques débris d u naufrage, le sang le plus pur et le plus précieux du s é n a t ne d é d a i g n e pas de s'avilir par des alliances inégales. C'est alors que l'on mêle sans pudeur le reste de ce patrimoine a m a s s é lentement par une innocente frugalité, avec ces richesses subites, ouvrage aussi injuste que bizarre du caprice d u sort : et l'on ne craint point d'attirer par- ce m é l a n g e sur les biens les plus légitimes, ce c a r a c t è r e de répro- bation que l a main invisible de l a Providence a gravé sur les trésors acquis par l'iniquité » ( X , 302).
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I l est certain que toutes ces c o n s i d é r a t i o n s ont vieilli : comment soustraire le magistrat à l ' a m b i t i o n , dès lors que l'organisation judiciaire, par l a h i é r a r c h i e qu'elle comporte, fait de l'avancement le trait essentiel de la carrière du juge ? Comment reprocher au magistrat d'avoir souci de son patrimoine, d è s lors que l ' i n s t a b i l i t é des conditions é c o n o m i q u e s lui en fait une nécessité — sans parler des transformations r é s u l t a n t de l a p r é p o n d é r a n c e des fortunes mobilières. Quant aux mariages d'argent, c'est l'objet m ê m e des réflexions de l'auteur qui est aujourd'hui anachronique.
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Plus solides, parce que touchant le c a r a c t è r e m ê m e de l a mis- sion d u juge, sont ses observations relatives à une q u a l i t é fonda- mentale d u magistrat : le souci de ne pas tirer profit des fonctions dans u n i n t é r ê t personnel.
L e magistrat ne doit pas faire servir sa situation à obtenir
« des facilités aveugles, des complaisances suspectes, des offices é q u i v o q u e s » ( I X , 292) ; celui qui enfreint cette règle, « ardent à signaler son c r é d i t , envoie pour ainsi dire sa d i g n i t é devant l u i ; i l veut qu'elle l u i ouvre tous les passages, qu'elle aplanisse toutes les voies, que tous les obstacles disparaissent en sa p r é s e n c e , que tout genou fléchisse et que toute langue confesse q u ' i l est le m a î t r e » ( I X , 292).
L e magistrat doit se faire scrupule de payer ses dettes avec exactitude. C'est en termes violents que d'Aguesseau flétrit l ' a t t i - tude contraire : « I c i , juge sévère, i l s'élève dans le s é n a t contre ces d é b i t e u r s artificieux q u i , par u n prestige trop ordinaire, emprun- tent toutes sortes de formes et changent tous les jours de figure pour é c h a p p e r à l a juste poursuite d'un créancier légitime. L à , plus subtil souvent et plus dangereux encore, i l imite, i l surpasse dans sa vie 'privée ces d é t o u r s q u ' i l vient de condamner dans sa vie publique ; si ce n'est que, plus hardi p e u t - ê t r e et fier de son a u t o r i t é , i l ne cherche pas m ê m e à pallier sa fuite et à colorer ses retardements. A l'abri de l a magistrature, comme d'un rempart i m p é n é t r a b l e , à couvert sous l a pourpre dont i l avait é t é r e v ê t u pour u n plus noble usage, i l se fera d u c a r a c t è r e m ê m e du juge un titre d'injustice, et souvent d'ingratitude ; et i l regardera comme un des apanages de l a magistrature l'odieux privilège de ne payer ses dettes que quand i l p l a î t au magistrat » ( X , 297).
L e magistrat doit m ê m e é v i t e r de recourir l u i - m ê m e à l a justice et devoir p a r a î t r e devant ses pairs ; rien n ' é t a n t plus dangereux pour sa d i g n i t é .
« Telle est l a peine fatale des magistrats qui vont demander aux autres juges une justice qu'ils devraient se rendre à e u x - m ê m e s . I l semble souvent qu'ils aient déposé sur le tribunal, non seulement leur d i g n i t é , mais leur v e r t u , lorsqu'ils en descendent pour se rabaisser au rang des parties.
« T a n t ô t faibles et timides clients, on les voit trembler, gémir, supplier a u p r è s de leurs é g a u x , oublier q u ' e u x - m ê m e s accordent tous les jours l a justice, non aux prières, mais aux raisons des parties ; ne point rougir d'emprunter la v o i x d'une sollicitation
é t r a n g è r e ; et par là faire dire, à la honte de l a magistrature, qu'un secours qui p a r a î t nécessaire aux magistrats m ê m e s ne peut pas ê t r e inutile a u p r è s d'eux.
« T a n t ô t fiers et i m p é r i e u x , et souvent plus injustes que le plaideur le moins instruit des règles de l a justice, ils conservent j u s q u ' à leur caprice et érigent toutes leurs pensées en oracles.
Les plus vaines s u b t i l i t é s r e ç o i v e n t b i e n t ô t entre leurs mains le c a r a c t è r e de l'infaillibilité. I l n'est plus pour eux de règles certaines et inviolables : ils rappellent, comme parties, dans l'empire de la justice, les maximes qu'ils en avaient proscrites comme juges.
O n les voit se perdre et s'égarer volontairement dans les chemins tortueux d'une p r o c é d u r e artificieuse, marcher avec confiance dans des voies obliques qu'ils ont tant de fois c o n d a m n é e s dans les autres plaideurs, et ne montrer qu'ils sont juges, que parce qu'ils p o s s è d e n t mieux l a science si commune en nos jours d ' é l u d e r l a justice et de surprendre l a l o i » ( I V , 226).
U n dernier devoir s'impose au magistrat, celui de prendre, l'âge venu, une retraite modeste. « S i , dans un â g e a v a n c é , la patrie l u i permet de j o u i r d'un repos que ses travaux ont si juste- ment m é r i t é , c'est l'amour m ê m e de son é t a t qui l u i inspire le dessein de le quitter : tous les jours, i l sent croître son ardeur, mais tous les jours i l sent diminuer ses forces ; i l craint de survivre à l u i - m ê m e et de faire dire aux autres hommes que, s'il n'a pas encore assez v é c u pour l a nature, i l a trop v é c u pour l a justice... E t soit qu'avec ces m ê m e s mains q u i ont tenu si longtemps l a balance de l a justice, il cultive en repos l ' h é r i t a g e de ses pères, soit q u ' a p p l i q u é à former des successeurs de ses vertus et cherchant à revivre dans ses enfants, i l travaille aussi utilement pour le public que lorsqu'il e x e r ç a i t les plus importantes fonctions de l a magistrature, soit enfin q u ' o c c u p é de l'attente d'une mort q u ' i l voit sans frayeur appro- cher tous les jours, i l ne pense plus q u ' à rendre à la nature un esprit meilleur q u ' i l ne l'avait reçu d'elle : plus grand encore dans l ' o b s c u r i t é de sa retraite que dans l'éclat des plus hautes dignités, i l finit ses jours aussi tranquillement q u ' i l les a commen- cés » (I, 121).
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De cet ensemble de textes se dégage un portrait du magistrat idéal qui fait a p p a r a î t r e assez singulière l'alfirmation de Sainte-
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Bcuve, d ' a p r è s laquelle « on est cm Narrasse d'avoir à citer, avec d'Aguesscau » (1).
Ce portrait ne m é r i t e r a i t d ' ê t r e c o m p l é t é que sur un point dont l ' é v o l u t i o n des institutions politiques fait a p p a r a î t r e de plus en plus l'importance, c'est à savoir l ' i n d é p e n d a n c e du juge à l'égard du pouvoir. Tel quel, i l n'en constitue pas moins un monument p r é c i e u x de l a pensée française sur un de ces sujets qui, dans notre pays épris de justice, tiennent la conscience nationale en éveil.
Comment ne pas ê t r e sensible, au demeurant, à l'accent de sincérité, on serait presque t e n t é d'écrire : de candeur, qui anime ces pages ? E n elles se reflète une de « ces figures pacifiques où l'Ame respire plus que le génie », selon la formule terminale du « L u n d i » d ' i l y a un siècle.
M A R C E L L A C H A Z E .
H) Causeries du I.imdi,?h février 1R M , Hialniri' du ChanrpVifr d'A itufssenv, par AT. Rmillpr.