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La règle et l exception, la transgression de la norme, facteur de progrès ou de désordre

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La règle et l’exception, la transgression de la norme, facteur de progrès ou de désordre

Mireille Marteau-Lamarche

To cite this version:

Mireille Marteau-Lamarche. La règle et l’exception, la transgression de la norme, facteur de progrès

ou de désordre. Travaux & documents, Université de La Réunion, Faculté des lettres et des sciences

humaines, 2012, C’est l’exception qui confirme la règle ?, pp.111–119. �hal-02185248�

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facteur de progrès ou de désordre ?

MireilleMARTEAU-LAMARCHE,PR

DIRECTEUR DU CRJ,UNIVERSITÉ DE LA RÉUNION

1.- La transgression implique la révolte, la désobéissance. En droit, une première approche pourrait consister à étudier le rapport binaire entre le desti- nataire de la norme et la norme elle-même. La transgression à la règle reposerait sur un comportement délictueux. Mais le sujet proposé dans le cadre de cette journée dépasse cette simple considération puisqu’il faut rapprocher la trans- gression de deux autres notions : le principe et l'exception. La transgression de la règle pourrait alors se rapprocher de la dérogation à la règle, voire de son altéra- tion. L'aspect moral et l’idée de désobéissance disparaissent. Le paradigme pourrait reposer sur l’idée suivante : lorsqu’une règle souffre d’exceptions, ces exceptions à la règle peuvent aboutir à la transgression de la règle elle-même.

2.- Selon cette approche, c'est le système normatif qui est analysé. Il ne s'agira donc pas de savoir si tel comportement est contraire à la règle, à l'origine d'une faute civile, morale, disciplinaire ou encore pénale mais il s'agira de déter- miner dans quelle mesure, en posant des exceptions à la règle, la norme est transgressée, comment l’est-elle, par qui et quels sont les effets de cette transgression.

3.- Il convient, au préalable, de s'interroger : existe-t-il des règles sans ex- ception ? La réponse doit être nuancée. Certaines règles juridiques ne souffrent d’aucune exception : les interdictions, les incompatibilités, les présomptions irréfragables, par exemple. Mais, en dehors de ces hypothèses, la règle juridique a vocation à s'appliquer à des réalités extrêmement diverses et céder devant des considérations particulières qui l'emportent. Les hypothèses où, en droit, la règle de principe est assortie de règles d’exception sont très nombreuses. For- mellement, l’exception est introduite à l’aide d’expressions telles que

« toutefois »1, « sauf »2, « à l’exception de » ou « par exception »3, « par

1 Ex. : C. com., art. L. 225-124 : « Toute action convertie au porteur ou transférée en propriété perd le droit de vote double attribué en application de l'article L. 225-123. Néanmoins, le transfert par suite de succession, de liquidation de communauté de biens entre époux ou de donation entre vifs au profit d'un conjoint ou d'un parent au degré successible ne fait pas perdre le droit acquis et n'interrompt pas le délai mentionné au premier alinéa de l'article L. 225-123 ».

2 Ex. : C. Prop. Intell., art. L. 113-1, « La qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l'œuvre est divulguée ».

3 Ex. : C. Cons., art. L. 218-6, « Les établissements traitant par ionisation des denrées destinées à l'alimentation humaine ou animale, à l'exception de celles déterminées par décret en Conseil d'Etat, font l'objet d'un agrément par l'autorité administrative ».

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dérogation à »1, « contraire » (preuve, disposition, etc.)2, « à l’exclusion de »3, « en revanche »4, « cependant », « néanmoins », etc. Toutes disciplines confondues, en dehors des exceptions jurisprudentielles, le nombre des exceptions pourrait dépasser 20 000 hypothèses dans les Codes actuellement en vigueur5. Contraire- ment aux mathématiques où l'existence d'une exception infirme la règle, en droit l’exception tendrait à la confirmer !

4.- Ces précisions apportées, en quoi l'apparition des exceptions à la règle de principe peut être un facteur de transgression de la règle ? Quels sont les effets de la transgression ou, plus précisément, la transgression de la règle est-elle un facteur de progrès ou de désordre ?

I.-QUAND Y A-T-IL TRANSGRESSION ?

5.- Par hypothèse, l'exception déroge au principe. Dès lors, quand peut- on parler de transgression ? Il nous semble que l'on peut envisager deux hypothèses :

A.- Lorsque la règle perd sa portée originelle

6.- Plusieurs facteurs sont à l’origine de la multiplication des exceptions.

La première est juridique et tient à l'interprétation qui a été faite du principe d'égalité par le Conseil constitutionnel6. Pour cette haute juridiction,

1 Ex. : C. Marchés publics, art. 35 : « Par dérogation aux dispositions du chapitre V du titre II de la première partie du présent code, lorsque l'urgence impérieuse est incompatible avec la préparation des documents constitutifs du marché, la passation du marché est confirmée par un échange de lettres ».

2 Ex. : CGI, art. L. 6 : « Les revenus perçus par les enfants réputés à charge égale de l'un et l'autre de leurs parents sont, sauf preuve contraire, réputés également partagés entre les parents ».

3 Ex. : Code gén. des coll. terr., art. L. 2212-5 : « Les agents de police municipale… constatent également par procès-verbaux les contraventions aux dispositions du code de la route… à l'exclusion de celles réprimant des atteintes à l'intégrité des personnes ».

4 C. ass., art. L. 421-9 : « II. - Sont exclus de toute indemnisation au titre de la présente section les contrats d'assurance… 4° Souscrits par… les personnes morales et les personnes physiques, souscriptrices, adhérentes ou bénéficiaires, en ce qui concerne leurs activités professionnelles ; sont couverts en revanche les contrats souscrits au profit d'une personne physique, cliente ou adhérente hors du cadre de ses activités professionnelles ou au profit des salariés des personnes morales ou physiques mentionnées ci-dessus ».

5 Selon Légifrance, « toutefois » est utilisé près de 6500 fois dans les Codes actuellement en vigueur ; « sauf », 4600 fois ; « par exception » ou « à l’exception », 3200 fois ; « à l’exclusion de », 1370 fois ; « par dérogation », 2600 fois, « contraire », 2100 fois, « cependant », 360 fois,

« néanmoins », 400 fois ; « en revanche », 100 fois.

6 V.F. Melin-Soucramanien, Le principe d’égalité dans la jurisprudence constitutionnelle, coll. « Droit public positif », Paris, Economica, 1997. Voir aussi du même auteur, « Le principe d’égalité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Quelles perspectives pour la question prioritaire de constitutionnalité ? », Cahiers du Conseil constitutionnel n°29 (Dossier : La Question Prioritaire de Constitutionnalité) - octobre 2010.

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l'application égalitaire de la norme n’interdit pas les différences de traitement1. Pour illustrer cette idée, supposons qu’une règle pose que les étudiants doivent acquitter des droits d’inscription, il est toujours possible de prévoir une excep- tion à l’égard d’une catégorie d’étudiants, par exemple les boursiers. Tel qu’ap- pliqué par nos juridictions, le principe d’égalité autorise les traitements différenciés et donc les exceptions.

La deuxième raison est d'ordre politique. Le droit fiscal peut être ici utilement cité. Cette discipline regorge de règles organisées sous la forme d'orga- nigrammes où un principe est immédiatement assorti d'exceptions qui elles- mêmes peuvent souffrir d'exceptions. En cette matière, la multiplication des dé- rogations tient, au principal, au lobbying (chaque catégorie sociale cherche à obtenir un avantage fiscal par rapport aux autres catégories), à la lutte contre l'évasion fiscale et la fraude fiscale (le sport national des contribuables français étant de frauder, le législateur essaye de trouver une parade au gré de l'imagi- nation des contribuables) et aux fonctions de l'impôt (à partir du moment où l'impôt est considéré comme un outil d'intervention sur le comportement du contribuable, des règles particulières vont être élaborées pour atteindre tel ou tel objectif ; dès lors que l'impôt sert à opérer une redistribution sociale des revenus, des mesures spécifiques doivent être prises à l'égard des plus démunis, etc.).

Ce phénomène ne se limite pas au droit fiscal et dans chaque discipline, les principes sont souvent assortis d'exceptions.

7.- Mais les dérogations peuvent aboutir à une transgression de la règle.

Il en est ainsi lorsqu’à force d'exceptions, la règle de principe perd tout son intérêt ou, variante, lorsque l’exception devient la règle de principe.

Par exemple, en matière de compétence juridictionnelle, il est acquis que le juge aux affaires familiales est le juge naturel en matière de contentieux familial. Mais cette règle souffrait de tant d’exceptions2 que le principe finissait

1 Ainsi, depuis une décision du 9 avril 1996, le Conseil constitutionnel juge que « le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit » (Déc. n°1996-375 DC, Rec., p. 60). De même pour le Conseil d’État, « le principe d’égalité (…) ne s’oppose pas à ce que l’autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’elle déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un comme dans l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l’objet de la norme qui l’établit » (CE, Ass., 28 juin 2002, Villemain, Rec. 586).

2 Ainsi, avant la réforme, en matière de tutelle des mineurs, la compétence était celle du juge des tutelles (tribunal d’instance), en matière de liquidation des régimes matrimoniaux, le Tribunal de Grande Instance, en matière d’émancipation, le juge des tutelles, etc.

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par perdre toute sa force. Il a fallu attendre 20091 pour qu’un effort d’unification des compétences et de clarification du droit voie le jour.

Dans une autre discipline juridique, en matière civile, les contrats à durée indéterminée impliquent, en principe, le pouvoir de se dégager unilatéralement2. Pourtant, le souci contemporain de protéger certaines catégories de contractants conduit à infléchir ce principe, en limitant le droit de résilier unilatéralement à tout moment les contrats de travail3 ou les baux commerciaux4.

Avec de telles dérogations, que reste-t-il du principe ? Les exemples pourraient être multipliés.

B.- En cas de création de normes contra legem

8.- Si la règle est bonne, pourquoi la violer ? Poser la question c'est y répondre ! Toutes les règles ne sont pas « bonnes » : il est des lois iniques. Dès lors, leur transgression apparaît comme un signe de progrès.

En droit, l'idée de l'existence d'un droit naturel qui cherche et se dé- couvre dans la nature humaine5 a permis aux autorités juridictionnelles (conseil d'État, conseil constitutionnel, CJCE, conseil européen des droits de l'homme et du citoyen) de censurer les lois et les règlements. Pour ce faire les juges se sont dotés d’outils. Ils ont usé de topiques (principes généraux du droit, maximes, valeurs fondamentales) afin de « fournir des raisons permettant d'écarter les solutions non équitables ou déraisonnables (…). Ainsi, le recours aux topiques n'est pas opposé à l’idée d’un système juridique mais plutôt à une application rigide et irréfléchie des règles de droit »6. Et il est un topique qui nous concerne particulièrement, le topique 46 d’Aristote : « Des exceptions sont prévues pour des cas très malheureux ». Ce sont ces valeurs qui autorisent aussi le juge à créer de toutes pièces des règles contra legem.

La loi est donc transgressée mais le droit est sauf.

2.-LES EFFETS DE LA TRANSGRESSION

9.- La transgression d’une norme peut participer au progrès du droit, comme à son déclin.

1 Loi n°2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et de simplification des procédures. Un décret n°2009-1591 du 17 décembre 2009, publié au Journal officiel du 20 décembre 2009 en précise les modalités.

2 Civ., art. L. 1736 (bail) ; C. Trav., art. L. 122-4 (licenciement).

3 Le licenciement doit reposer sur un juste motif sinon la rupture du contrat est abusive.

4 Les conditions de rupture sont tellement drastiques que le bail est assimilé à une « propriété commerciale ».

5 Aristote, St Thomas d’Aquin, M. Villey.

6 G. Struck, Topiques juridiques, Francfort : Athenaüm Verlag, 1971.

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A.- La transgression comme facteur de progrès du droit

10.- Quelles sont les fonctions du droit ? Le juge et le législateur ne contribuent-ils pas à la paix et à la cohésion sociale ? Ne doivent-ils pas veiller à l'adhésion populaire ? Le respect de valeurs supérieures n'est-il pas préférable à l'application mécanique de règles de droit ?

Dans ce contexte, la transgression de la règle peut être directement liée à l'adaptation du droit à la pratique. Ainsi en est-il lorsque le juge, en statuant, va à l’encontre de la loi, en d’autres termes, lorsqu’il créé du droit contre la loi. Dans ce cas, il faut admettre que la jurisprudence ou la coutume sont aptes à devenir des sources autonomes du droit. En effet, si au nom de valeurs supérieures, le juge ou la coutume créent de toutes pièces des règles contra legem, il s’ensuit que le législateur n’a plus le monopole étatique de la production des règles de droit.

Il est d’ailleurs à noter que la création de ces exceptions jurisprudentielles fait parfois l’objet d’une reconnaissance par le législateur lui-même qui a posteriori finit par les intégrer dans le corpus normatif.

11.- Bien plus, la transgression par les juges de la loi peut justement avoir pour objet de provoquer une réforme législative, lorsque la législation en vigueur apparaît dépassée ou inadaptée. La doctrine parle alors d’arrêts « provocateurs ».

On peut citer, par exemple, l'arrêt Vilela en date du 17 décembre 19971 relatif au concubinage entre homosexuels ou encore la jurisprudence Desmares2 en matière d’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation.

B.- La transgression comme facteur de désordre 1.- La complexification du droit

12.- À partir du moment où le législateur admet la possibilité d'insérer des exceptions à une règle qu'il a lui-même posée ; à partir du moment où le juge s’octroie le droit de refuser d'appliquer une norme pourtant générale à une situation d'espèce, sous prétexte qu'elle est inadaptée, la règle perd de sa généralité et les exceptions entraînent inévitablement une complexification du droit non seulement dans la connaissance des règles (dans quelle situation me trouve-je ?), mais aussi dans leur interprétation (comment la règle va-t-elle m’être appliquée ?). À l'inflation législative, s'ajoute l’incompréhensibilité de la

1 Civ, 3e, 17 déc. 1997, Vilela, concl. J.-F. Weber, note J.-L. Aubert, D. 1998, jurispr. 111-115 : « le concubinage ne peut résulter que d'une relation stable et continue ayant l'apparence du mariage, donc entre un homme et une femme ». Cette jurisprudence a forcé le législateur à intervenir : cf.

la loi relative au « Pacte Civil de Solidarité » en décembre 1999 et l'insertion d'une définition légale du concubinage dans le Code civil.

2 Civ. 2, 21 juillet 1982, GAJC, Tome 2, comm. 211-213 qui a débouché sur la loi du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation.

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règle1, tous deux facteurs d'insécurité juridique. Cet élément est particulièrement sensible en droit fiscal et l’on peut, pour l’illustrer, l’exprimer sous forme de parabole2.

2.-Le déclin du droit

13.- Si le recours aux exceptions permet une adaptation du droit aux situations particulières et contingentes, il porte en lui-même ses propres limites.

L’exception appelle l’exception ce qui conduit à une production incontrôlée de règles, toutes d’application limitée à des cas d’espèces. À Rome, les auteurs anciens affirmaient déjà que la décadence d’un État se constatait à la multiplication de ses lois3. Aujourd’hui encore, l’inflation normative (i.e. la prolifération des lois) et la complexification du droit (notamment parce que le législateur ne procède plus de manière générale mais cherche à prévoir toutes les situations d’espèce) font l’objet d’études très sérieuses et sont unanimement critiquées4 : « Le système juridique tend à devenir une méthode de règlement plus qu'un ensemble de normes » ; à ce point que l’on ait pu se demander s’il répondait encore aux exigences de cohérence et de rationalité qu’impose le vocable de système juridique5.

ANNEXE

Parabole extraite de l’ouvrage de R. Macard, Garde-à-vous, fisc ! Paris : Le Seuil, 1955, p. 107 :

« Dans la libre République de Socratie dont la fiscalité décadente était devenue comme la nôtre, parfaitement inapplicable à force de complexité, un parlementaire intelligent obtint un certain jour un succès inouï qui, de la gauche à la droite, lui valut les ovations enthousiastes de tous ses collègues. Il venait d'exposer qu'il était possible de supprimer purement et simplement les 53 impôts et 448 taxes qui paralysent l'économie de la Socratie et de les remplacer par une seule contribution dont le texte tenait en deux lignes :

Article premier (et dernier) : « tout possesseur d'un parapluie devra acquitter une contribution annuelle de 1000 € ».

Durant la suspension de séance, l'auteur du projet fut joyeusement congratulé par ses amis et adversaires politiques, émerveillés d'un projet qui allie si heureusement la simplicité, l'équité, le réalisme et le rendement. Puis, à la reprise, le président du conseil se leva de son banc et après avoir éloquemment

1 V. Lasserre-Kiesow, La compréhensibilité des lois à l’aube du 21e siècle, Paris : Dalloz, 2002, chron.

P. 1157.

2 Voir « Annexe » en fin d’article.

3 E. Grass, « L’inflation législative a-t-elle un sens ? », RDP n°1, 2003, spéc. p. 139.

4 « Sécurité juridique et complexité du droit », Rapport du Conseil d’Etat, 2005.

5 B. Oppetit, L’hypothèse de déclin du droit, PUF, coll. « Doctrine juridique », p. 99 et s., spéc. p. 102.

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vanté les mérites du général projet et adressé des éloges à son auteur, il se fit l'interprète de scrupules du ministre des Forces Armées en demandant que l'on voulût bien, avant toute discussion au fond, déclarer solennellement que serait exonéré de toute taxe le parapluie de l'escouade. Tous votèrent comme un seul homme, à main levée, et la suite des débats furent remise à huitaine.

La semaine suivante, le premier parlementaire qui apparut à la tribune était un membre de la gauche. Il demanda une réduction de taxe en faveur des parapluies de coton habituellement utilisés par les employés et ouvrières d'usine pour se rendre à leur travail. Le caractère professionnel du parapluie de coton apparut avec évidence à la majorité, malgré l'intervention d'un membre de l'extrême droite qui avait cru voir dans cet amendement une attaque dirigée contre l'industrie de la soie. Ce propos malheureux inspira à un nouvel élu de gauche une proposition tendant précisément à compenser la perte subie sur les parapluies de coton, par une majoration sur ceux recouverts de soie et utilisés par les bourgeois dans leur promenade, proposition qui fit rebondir la discussion.

Mais un membre de l'extrême gauche, faisant surenchère, déclara que le parapluie professionnel devait être exonéré totalement et non partiellement, car n’étant qu’un vulgaire pépin, on ne pouvait lui appliquer le vocable de parapluie.

Il demanda une exonération analogue en faveur des économiquement faibles, des vieux travailleurs et des enfants des écoles et, on ne sait trop pourquoi, une majoration sur les pépins qui, traditionnellement, pendent au bras des flics en bourgeois.

Un représentant de la droite lui succéda à la tribune et obtint une réduction de 75% pour tout parapluie, de soie ou de coton, utilisé en guise de canne par les glorieux mutilés de la dernière guerre. On accéda ensuite au désir de la gauche d'obtenir les mêmes avantages au profit des résistants.

Un autre parlementaire de droite fit observer qu'un parapluie de coton pouvait être orné d'une poignée de prix qui, en augmentant sa valeur, le rendait plus précieux qu'un parapluie de soie. Il apparaissait donc qu’une taxe complé- mentaire et progressive devrait être déterminée et appliquée en fonction du prix de la poignée.

Un juriste demanda s'il y aurait transfert de taxes dans le cas de cession d'un parapluie, si ce transfert de taxe devait s'opérer à l'amiable ou par l'inter- médiaire de l'administration et, dans ce dernier cas, lequel, du vendeur ou de l’acquéreur, devrait faire les démarches nécessaires. Un modéré fit part de ses scrupules : il lui paraissait juste d'exonérer partiellement les pauvres et de majo- rer légèrement les riches, mais il reprochait au projet de n'avoir pas prévu le cas des parapluies réparés et recouverts à neuf. Il proposa un taux dégressif tenant compte de la vétusté de l'engin et du nombre de réparations. Une commission, sitôt constituée, élabora en quelques jours un barème général qui comportait néanmoins 19 dérogations en plus ou en moins parmi lesquelles on notait :

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- parapluie brisé par un cocu sur la tête d'un rival : 20% de réduction sur la réduction prévue au barème ;

- un parapluie brisé sur la tête d'un adversaire politique : 10% de majoration sur la réduction prévue au barème (sur présentation de la carte du parti) ;

- parapluie brisé sur la tête d'un malandrin : 20% de majoration (sur présentation de certificats de police).

Un autre député déclara qu'il ne lui paraissait pas équitable qu'un parapluie ayant déjà été frappé par de nombreuses taxes annuelles continua, après la mort de son possesseur, à être taxé entre les mains de l’héritier direct. Il s'ensuivit une discussion assez vive à l'issue de laquelle le gouvernement, ayant posé la question de confiance, faillit être renversé.

À l'ouverture de la séance suivante, un parlementaire du département où se trouvait située la plus grosse usine de parapluie, s'indigna que l'on songeât à détruire cette industrie en faisant injustement supporter tout le poids de la fiscalité socratienne. Il demanda quelles raisons interdisaient d'appliquer des taxes identiques aux imperméables. Cette intervention véhémente produisit grosse impression et le principe d'une taxe sur les imperméables fut finalement voté à une majorité confortable.

Un autre parlementaire demanda alors quelles dispositions le Ministre des Finances entendait prendre à l'encontre de ceux qui, ne portant ni imper- méable ni parapluie, bafoueraient ouvertement les lois de la République. Ce propos lui valut les protestations indignées des députés paysans. Le suivant fit observer que, s'il est vrai qu'un parapluie peut servir d'ombrelle, une ombrelle peut servir de parapluie. Il convenait donc d'envisager une taxe sur les ombrelles

; cela le fit traiter de mufle et de misogyne. Néanmoins, il obtint le vote d’une sévère pénalité à l'encontre des fraudeurs portant engins à usage mixte.

D'amendement en amendement, la discussion dura plusieurs semaines dans une chambre de plus en plus nerveuse où l'on échangea d'abord des quolibets, puis des injures, enfin des coups.

Quand le projet fut voté, il comprenait 1145 articles. En gros, tout possesseur de parapluie ou d'imperméable devait être porteur d'une carte d'identité fiscale comportant d’un côté : son état civil, sa photographie, ses empreintes digitales ; de l'autre côté, la photographie (face et profil) du pépin ou de l’imper, sa date d’achat, son origine, son prix, sa description sommaire, le nombre de réparations, leur prix, l'adresse du réparateur, etc. La carte prévoyait en outre l'inscription des déclarations annuelles faites au Fisc, les paiements acquittés au percepteur, les amendes encourues, des réductions obtenues et de leur motif, des mentions relatives aux cessions et successions, des objets de même type possédés par les différents membres de la famille, etc. Le tout orné de cachets et tampons multiples qui rendaient la carte pratiquement indéchiffrable.

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L'administration créa des brigades de vérification. Les unes furent composées d'experts en pépin, les autres d'éminents spécialistes de l’imper. Mais leurs inquisitions successives soulevèrent de telles protestations chez ceux qui possédaient à la fois imper et pépin que, dans un but d'apaisement, un fonc- tionnaire des finances crut judicieux de constituer un corps d'inspecteurs d’élite à double compétence que l'on désigna sous le nom de bivalents. Ces derniers, qui relevaient en une seule visite un nombre deux fois plus élevé d'infractions, firent de tels ravages qu’ils provoquèrent bientôt une véritable panique dans la population socratienne.

Enfin, un royaume voisin, gros exportateur d'imperméables, constatant la diminution de sa production, due aux restrictions que s'imposaient les socra- tiens pour échapper à l'impôt, éleva une protestation qui ne fut pas entendue.

En manière de représailles, il dressa une barrière douanière à l'importation des tuyaux de pipe dont vivaient des millions de socratiens. Il y eut débauchage et crise économique cruelle. C'est au bout de six mois seulement de ce nouveau régime fiscal qu’eut lieu en Socratie le coup d'État qui amena la chute de la république et l'avènement d'un dictateur : le Vaillant général Sabrocler ».

BIBLIOGRAPHIE

GRASS, E., « L’inflation législative a-t-elle un sens ? », RDP n°1, 2003, p. 139-162.

LASSERRE-KIESOW, V., La compréhensibilité des lois à l’aube du 21e siècle, Paris : Dalloz, 2002, chron. p. 1157.

MACARD, R., Garde-à-vous, Fisc ! Paris : Le Seuil, 1955.

MELIN-SOUCRAMANIEN, V.F. Le principe d’égalité dans la jurisprudence constitutionnelle, coll.

« Droit public positif », Paris, Economica, 1997.

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STRUCK, G., Topiques juridiques, Francfort : Athenaüm Verlag, 1971.

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