ENZYMES ET APPAREIL GUSTATIF LINGUAL
CHEZ LE LAPIN DOMESTIQUE
L. ARVY
Stalion de Recherches de
Physiologie
animale,Centre national de Recherches
zoolechniques,
Jouy enJosas.
SOMMAIRE
Les
bourgeons
du goûtlinguaux
duLapin n’hydrolysent
pas l’acétated’a-naphtol ;
par contre ilshydrolysent
fortement l’adénosinetriphosphate,
l’adénosine5 -rnonophosphate, l’acétyl
et labuty- rylcholine.
Les
glandules
salivaireslinguales
annexées auxpapilles gustatives, hydrolysent
fortement leglycérophosphate
de sodium en milieu acide,l’adénosinetriphosphate
et l’acétated’a-naphtol.
Leurs acini sont entourés d’un réseau de fibres
qui hydrolysent l’acétyl-choline.
En milieu alcalin le réseau vasculaire de cesglandules hydrolyse
très fortement leglycérophosphate
de sodium.Les
bourgeons
dugoût
duI,apin
ont étédécouverts,
il y après
d’un siècle par LovEN et SCHWALBE. Ils ont étél’objet
de très nombreusesdescriptions, depuis
lesplus anciennes, macroscopiques
etparfois approximatives, jusqu’aux plus
récentesélectroniques
et extrêmementprécises (L, OR Ë NZO , TituJmr,o-C!NOZ). Cependant,
ilest à
peine exagéré
de dire que nousignorons
tout de laperception
des diverses sen-sations
gustatives
chez cetanimal ;
nous ne savons pas, enparticulier,
sichaque type
de sensation est lié à untype
déterminé depapille sensorielle,
ni même s’il existeplusieurs types
depapilles,
en dehors desclassiques filiformes, fungiformes,
calici-formes et foliées.
D’ailleurs,
le manque de corrélation entre la structure et la fonction n’estpeut-
être nulle
part plus apparent qu’en
cequi
concerne les cellules neuro-sensorielles.Pour
quelques
Mammifères tels l’Homme(R ICHTER ),
leMacaque (Br,urr,
RucH,Wa!,K!R et
FcToRs),
le Chat(PxAx!’Mnrr),
leCobaye (BW D!,!R,
FrsHMArr etHnx
D r M
nN),
le Rat(P!A!rMeN),
nous savonsqu’ils sontparfaitement aptes
àdistinguer
certaines saveurs
grâce
à desrécepteurs particuliers
dont lesphysiologistes
ont fixéles
localisations ; mais,
lesmorphologistes,
attardés au maniement destechniques
dedétection du
système
nerveux mises aupoint
au siècle dernier(imprégnations
ar-gentiques,
bleu deméthylène...),
n’ont pasprécisé
laforme,
le nombre ou larépar-
tition de ces
récepteurs.
En outre,l’origine
de la voiegustative
est constituée par des fibres nerveuses extrêmementfines,
nonmyélinisées
de sorte que lestechniques
dutype
de celle de MARCHInepermettent
pas leur étude.CxozW x a émis
l’hypothèse
quechaque
cellule neurosensorielleposséderait
unesubstance
réceptive spécifique
aveclaquelle
se combinerait la substance stimulante pour l’activer. S’il en est ainsi onpeut
concevoir l’intervention d’unehydrolyse
desparticules goûtées,
et, dans ce cas, des enzymes doivent êtreimpliqués,
sans doute dediverses
manières,
dans laperception
des saveurs, àl’origine
de la voiegustative
dont le cheminement a, par
ailleurs,
été élucidé(B R E MER , EcToRs, GE REBT zoFF).
Il semble donc que les
techniques histoenzymologiques
enapportant
de nouvelles donnéesmorphologiques pourraient
aider à l’élaboration dequelque hypothèse
surles mécanismes
qui président
à lagustation.
MATÉRIEL
ETMÉTHODES
Les détections enzymatiques ont été faites sur des coupes a la
congélation,
transversales et para-sagittales,
delangue
deLapins
de divers âges, fixées par le formol ii I p. ioo neutre et froid,pendant
peu de temps (toujours moins de 6 heures). Elles ont été traitées par les méthodes de Gomori pour les
phosphomonoestérases
alcaline et acide, par les méthodes de Wachstein et Meisel pour l’adé- nosines’-monophosphatase
et l’adénosine-triphosphatase, par la méthode de Burstone pour l’acé-tylnaphtolestérase,
par une variante de latechnique
de Koelle-(;erebtzoff pourl’acétylthiocholi- nesterase
et labutvrylthiocholinestérase.
La recherche desoxydases
s’est limitée à lacytochromo- xydase (réaction nadi)
et àl’histaminoxydase, (technique personnelle ( 1 ) ;
les deux recherches n’ont révélé qu’une activité très faible et même douteuse. L’activitéscucinodéshvdrogénasique
trahitl’existence des plis de
l’organe
folié, par un fin liseré pourpre de formazan,lorsqu’on applique
sur1&dquo;organe
entier le bain de P’arber et Louvière.RÉSULTATS
La détection des activités
phosphomonoestérasiques
alcaline et acide(méthodes
de
Gomori)
ne fait pasapparaître
les centresrécepteurs
sensoriels. L’activité enzy-matique
est localisée au niveau despapilles gustatives
comme au niveau du reste de lamuqueuse
linguale
c’est-à-dire sur les vaisseaux et sur la basalemalpighienne
pour l’activité alcaline et seulement sur la basale pour l’activité acide.La recherche d’une activité
acétylnaphtolestérasique
resteégalement négative ;
les
bourgeons
dugoût apparaissent
en clair dans le reste del’épithélium
riche en cetenzyme.
Les activités adénosine
5 -monophosphatasique,
adénosinetriphosphatasique
ou
cholinesthérasique
révèlent électivement les centres neuro-sensorielslinguaux ;
leurs activités
enzymatiques
sont tellesqu’ils
tranchent sur le reste del’épithélium lingual,
pauvre en ces enzymes. Ilsapparaissent
avec desaspects
très différents sui- vant leur localisation et suivant le substrat mis en oeuvre.On retrouve sur les coupes, les
papilles gustatives
visibles à l’examen macros-copique.
Ce sont d’arrière en avant :W les deux
papilles
caliciformes situées depart
et d’autre de laligne médiane,
au niveau de l’insertion des
piliers
du voile dupalais,
2
° les deux organes foliés situés de
part
et d’autre desprécédentes
et sur unplan plus antérieur ;
ils sontovoïdes,
àpointe
un peuplus
effilée vers l’arrière quevers
l’avant,
àgrand
axeoblique
de haut en bas et d’arrière en avant ; ils tranchentsur le reste de la muqueuse
linguale
rosée par leurteinte ;
ils sont en effet d’un blanc (1
) Les techniques actuelles d’histoenCV1lloloRie, Biol. 1Iléd. 10,!7, 16, 448.
translucide et pourvus de r5à 17 fines stries d’un blanc opaque, à peu
près régulière-
ment
espacées ; quelques
stries àpoint
dedépart
antérieurn’atteignent
pas le bordpostérieur.
Les stries sontperpendiculaires
augrand
axe del’organe folié ;
elles si-gnalent
lesinvaginations épithéliales qui
délimitent les feuillets del’organe,
3
° quelques
grossespapilles
verruqueuses, en saillie sur lapointe
de lalangue,
formées d’un
paquet
debourgeons
dugoût, 4
0
de nombreusespapilles
filiformesréparties
sur toute la facesupérieure
de lalangue,
avec,parmi
elles et trèsclairsemées,
despapilles fungiformes.
I,’histoenzymologie
révèle desaspects propres
àchaque type
depapille,
liés auxparticularités
de sa vascularisation et de son innervation vasculaire.i -
Papilles calici f ormes et
organesf oliés :
Les
papilles caliciformes,
les facesopposées
desplis
del’organe folié,
la surface despapilles fungiformes
et toute lapériphérie
des grossespapilles
verruqueuses por- tent de très nombreuxbourgeons
dugoût.
Ils sesignalent
par leur forte activitéadénosine
triphosphatasique
et leurs fortes activitéscholinestérasiques.
Ces deuxactivités sont liées à l’existence au niveau des
bourgeons
d’un réseau vasculaire d’une finesse et d’une densitéextrême ;
ces vaisseaux comme les artères dont ilsdérivent,
ont une forte activité
adénosine-triphosphatasique qui
leur est propre ; ilssupportent,
en outre, un riche réseau
cholinergique qui
les entoure.Au niveau des
papilles
caliciformes les artères afférentes se ramifient àl’extrême ;
l’ensemble de leurs ramifications s’ordonne en une sorte de treillis formant une coupeévasée,
dont les faces interne et externe sedépriment
enpetites cupules qui
enserrentles bases des
bourgeons
dugoût (fig. z).
Au niveau de
l’organe
folié les artères afférentes montentparallèlement
auxplis
épithéliaux
depart
et d’autre de l’axedermique
du feuillet(fig. 2 ) ;
laparoi
médiale de l’artère estrégulière
mais laparoi pré-gemmale
donne ungrand
nombre de ra-meaux
qui
enserrent la base desbourgeons gustatifs
en autant decupules ;
un cer-tain nombre de branches
pénètrent
dans lesbourgeons ;
elless’y
recourbent en anse ous’y
anastomosent en un véritable réseau admirablequi
s’étendjusqu’au
canalgustatif,
à l’extrémitéproximale duquel
elles forment une sorte de collier. Le poregustatif
lui-même a une forte activitéadénosine-triphosphatasique.
La recherche des activités
acétyl
oubutyrylthiocholinesthérase
révèle desaspects analogues
car tout le réseau artériolaire despapilles gustatives
est riche en fibres cho-linergiques.
Les axes
dermiques
despapilles
caliciformes et desplis
del’organe
folié sesignalent
par des vaisseaux veineuxqui
ont une forte activitéadénosine, 5 ’-mono- phosphatasique.
Au fond des
plis épithéliaux qui
contiennent lesbourgeons gustatifs
débouchentles canaux excréteurs de
glandules
salivaireslinguales
riches enphosphomonoestérase
acide et en
adénosine-triphosphatase.
Cesglandules
ontquelque
activitéacétylna- phtolestérasique
etcholinestérasique ;
un riche réseau de fibrescholinergiques
entoureleurs acini.
2 -
Papilles
verrztqueuses,f ungi f ormes et filiformes:
.’Ces
papilles
ont laparticularité
d’êtredépourvues
deglandules
salivaires satel- lites.Les
premières portent
desbourgeons
dugoût
sur toute leursurface ;
lespapilles fungiformes
n’ont debourgeons
dugoût
que sur leur facelinguale
et lespapilles
fili-formes en sont
dépourvues.
Ces trois sortes de
papilles
ont des activitésenzymatiques
différentes liées à leurs réseaux vasculaires différents. Les réseaux veineux sont riches en adénosine5
’-phosphatase ;
ils se déversent dans des veinuleslinguales sinueuses, également
riches en cet enzyme ; ils
occupent
l’axedermique
despapilles
filiformes alorsqu’ils
serépartissent
à lapériphérie
du derme dans lespapilles fungiformes
et verruqueuses.Les réseaux
artériels,
issus d’artériolesdorsolinguales,
sontdigités
au niveau despapilles fungiformes,
en pommes d’arrosoir au niveau despapilles
verruqueuses et réduits àquelques
anses au niveau despapilles filiformes ;
mais dans tous les cas ces vaisseaux riches enadénosine-triphosphatase
sont entourés d’un lacis de fibres choli-nergiques,
comme lesbourgeons
dugoût qui
lesprolongent.
DISCUSSION
Les localisations
enzymatiques,
satisfaisantes pourl’esprit,
queje
viens derapporter prouvent
encore unefois, qu’il
est rationnel d’utiliser enhistoenzymologie
des substrats peuconcentrés,
des incubations courtes, despH
voisins de la neutra-lité,
en vue de faire travaillerl’enzyme,
éventuellementprésent,
dans des conditionsvoisines de celles où il travaille in vivo.
B
OURNE
( 101 8),
BARADI et BOURNE( 1953 )
ontdéjà signalé
l’existenced’enzymes
variés au niveau des
bourgeons
dugoût ;
ilsont’cru
déceler uneadénosine-triphosphata-
se, une
glucose-6-phosphatase,
etc. sur des tissus fixéspar l’acétone, coupés
à laparaffine
et mis en incubation avec les substrats
adéquats,
àpH
9. Il est évidentaujourd’hui
qu’il
est vaind’espérer
retrouverquelques
tracesd’enzymes
aussi labilesaprès
un teltraitement. De même que
l’orsqu’on
observe unehydrolyse
de l’adénosine5 ’-phos- phate,
àpH
9, il est peu vraisemblablequ’elle
soit due à la5 ’-nucléotidase puisque
lep
H optimal
de cet enzyme est de 7,2-7,3(OxuN!su,
igq.4,I955)·
Quel peut
être le rôle d’une activitéadénosinetriphosphatasique
aussi considé- rable au niveau desbourgeons
dugoût ?
Onpeut
admettre quel’hydrolyse
de diverscomposés
modifiel’équilibre ionique
et par suite laperméabilité cellulaire,
la vaso-constriction,
ou lavaso-dilatation, génératrices
de variations et depression
sur lesextrémités nerveuses.
Reçu en avril 1959.
SUMMARY
ENZYMES AND THE LINGUAL TASTE BUDS IN THE TAME RAI313IT.
The taste buds of the rabbit’s tongue are inactive on
a-napthol
acetate. On the other handthey
are very active on
adenosinetriphosphate, adenosine- 5 monophosphate, acetyl
andbutyrylcholine.
The
lingual
salivary glandulaejoined
to the taste budshydrolyse glycerophosphate
in acid media and alsoadenosine-triphosphate
anda-naphtol
acetate. Their acini are enclosed in meshes of fibers whichhydrolyse strongly acetylthiocholine.
In alkaline media the wall of the blood vessels of theseglandulae
actstrongly
onsodium
í3glycerophosphate.
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